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\arc
\recit{\chloe}
Tenant à la main un bougeoir, elle s'avança dans l'immense pièce, éclairée uniquement par quelques fentes de lumière sur les murs et la lueur de sa bougie. Elle portait une longue robe de couleur crème, aux longues manches et lacée sur le devant, avec des liserés dorés. Ses cheveux longs étaient soigneusement attachés en deux nattes, entrelacées de rubans.
Elle sourit. Sa gouvernante ne supportait ni la poussière, ni les araignées, ni les rats qu'on y trouvait parfois~; et \chloe était ravie de s'en débarrasser pour quelques heures. Les greniers du châ\-teau n'a\-vaient pas été rangés ou nettoyés depuis des générations, et on y trouvait de tout, vieilles armes, tableaux, ustensiles divers, ... tout ce qui n'avait pas été considéré comme ayant suffisamment de valeur pour être stocké dans la salle du trésor.
Et il y avait des livres. Des tas de livres, oubliés et délaissés. Comment pouvaient-ils ignorer ainsi leur valeur ? Son père était assez occupé avec les affaires du fief dont il était le seigneur. Ses deux parents avaient fait en sorte qu'elle soit éduquée comme une future noble, délicate, douce, attentionnée, soumise. Ils n'avaient pas retenu sa passion pour la lecture, se disant qu'au fond, en lisant, elle n'abîmerait pas ses mains délicates au travail, et ne noircirait pas son teint pâle au soleil. Et puis, elle aurait de la conversation avec son futur époux.
Elle soupira. Elle savait que ses parents espéraient la marier, plus tard, à un riche seigneur voisin, pour gagner leur soutien et protection, et cette idée ne l'enchantait guère. Mais que pouvait-elle faire d'autre ? S'évader dans ces vieux livres, et rêver, seule, dans ce grenier poussiéreux. Elle avait quatorze ans, et cela faisait presque un an qu'elle venait régulièrement lire ici.
Elle était arrivée devant l'une des vieilles armoires à moitié rongées par les termites. Le dernier livre qu'elle avait lu parlait de plantes médi\-cinales ---qu'elle ne co\-nnaissait que de nom et de description, le livre étant dépourvu d'images---, celui d'avant était un journal de bord d'un grand tacticien militaire, celui d'encore avant racontait une histoire de chevalerie, et le précédent était un récit historique d'une grande bataille entre les elfes... Il y avait de tout, dans le désordre.
Alors qu'elle faisait un inventaire des livres déjà lus, l'étagère de l'armoire qui les maintenait s'effondra brusquement. Elle sursauta et la flamme de la bougie vacilla. Si l'armoire s'était écrasée sur elle... Mais à part un tas de livres par terre, rien de grave ne s'était passé. C'est alors qu'elle aperçut, sur le fond de l'armoire, là où se trouvaient les livres quelques secondes plus tôt, un panneau de bois, comme si l'armoire avait été réparée. Elle posa la bougie par terre, et tendit la main. En fait, ce panneau avait été rajouté... pour cacher quelque chose ?
Le c{\oe}ur battant, elle chercha à soulever le panneau de bois, et après quelques minutes d'effort, y parvint. Derrière, il y avait un autre livre. Plus grand, avec une reliure en cuir très épais, et aux feuilles encore plus jaunies que les autres. Tremblante, elle le saisit, et s'assit à côté de la bougie pour l'ouvrir. L'écriture, très ancienne, était difficile à déchiffrer, mais elle parvint à lire les quelques premières pages. La peur la saisit. C'était un livre de magie !
La magie était une chose très dangereuse, disait-on. Les sorciers, pour la pratiquer, concluaient de terribles pactes en vendant leur âme à des divinités maléfiques. Pour s'en protéger, on les chassait, les torturait et parfois, on les brûlait vifs. Un frisson la traversa. Ranger ce livre maudit ? Le brûler ? Le ramener à ses parents ? ... Le lire ?
Y avait-il un risque à simplement le lire ? Avait-elle déjà perdu son âme en l'ouvrant ? Si c'était le cas, peut-être était-ce déjà trop tard...
Elle regarda autour d'elle, vérifiant une fois de plus qu'elle était seule, et avec un sentiment d'excitation coupable, se mit à lire.
\recit{\denise}
La flèche venait de rater une fois de plus sa cible. Elle soupira.\\
--- Encore raté...\\
--- Un peu moins que la dernière fois, pourtant. Tu n'es pas si loin !\\
Elle regarda son frère, qui s'entraînait à côté. Il aimait la railler à chaque fois qu'elle s'entraînait ---avec un succès toujours mitigé--- à l'arc.\\
--- Ouais, bien sûr. Avec un peu de chance, je pourrai tuer l'ennemi qui se marre à cinq mètres, tu veux dire ?\\
--- Par exemple, proposa-t-il en riant. Ou alors tu attends qu'il te fonce dessus, et tu l'atteins à bout portant.\\
Elle pivota vers lui, tendant son arc et armant une flèche imaginaire, avec un petit air de défi.\\
--- Méfie-toi, je pourrais le confondre avec toi !\\
Elle lâcha la flèche imaginaire, qu'il fit mine d'esquiver de manière spectaculaire. Puis elle prit son arc à une extrémité, et lui fit faire un grand arc de cercle pour empêcher son frère d'avancer vers elle. Sur le retour, il utilisa le sien pour bloquer son mouvement et tenta de passer sous sa garde. Elle pivota autour du point de contact, et laissa glisser son arme contre la sienne, de façon à se retrouver au contact de son frère. De la main gauche, elle dégaina une dague imaginaire qu'elle plaça sur sa gorge.\\
--- Ah, ah !\\
--- Les enfants, qu'est-ce que vous faites là ?\\
La voix de leur mère venait de résonner. Instantanément, ils se séparèrent, et répondirent en regardant leurs pieds nus.\\
--- On s'entraîne.\\
--- Je vois ça. \denise, tu peux venir avec nous s'il te plaît ?\\
Surprise, la jeune elfe leva les yeux. Sa mère était accompagné d'un homme qu'elle ne connaissait pas. Il portait la longue tunique vert foncé, le pantalon blanc et les bottes habituellement réservés aux soldats ---c'était également le cas de sa mère--- mais les broderies dorées indiquaient qu'il s'agissait vraisemblablement de quelqu'un d'important. Elle nota qu'à sa ceinture pendait une longue épée, comme celles qu'utilisent les humains, enfin c'était ce qu'on lui avait dit. Elle n'en avait jamais vue en vrai jusqu'alors. L'homme sembla noter son regard supris, et lui adressa un sourire bienveillant. Ses longs cheveux blancs et son air sage semblaient témoigner d'un âge avancé et d'une grande sagesse.
Lui et sa mère la menèrent, d'échelle de corde en passerelle, près du palais du roi, dans un bâtiment de taille moyenne, puis dans ce qui ressemblait à une salle d'entraînement.\\
--- Ta mère m'a dit que tu voulais devenir soldat, comme elle ?\\
--- Oui. Mais je ne suis pas douée à l'arc... répondit-elle timidement.\\
Il lui sourit, et jeta un {\oe}il à sa mère, à quelques pas de là.\\
--- Il est de toutes façons difficile d'être aussi bonne archère qu'elle.
Mais peut-être serais-tu plus à l'aise avec autre chose ?\\
Il la regarda intensément pendant quelques se\-con\-des, com\-me s'il l'évaluait.\\
--- Quel âge as-tu ?\\
--- Douze ans.\\
Il lui tourna le dos, et alla chercher une épée en bois.\\
--- Essaie ça.\\
Elle prit l'arme, la soupesa, et hésita.\\
--- Essayer, comment ?\\
--- Comme ça.\\
L'homme avait saisi une seconde épée en bois, et s'était précipité sur elle. Surprise, elle fit un pas de côté, et tenta de dévier l'épée d'un coup de la sienne. Même en bois, l'épée était un peu lourde... L'homme attaqua de nouveau, elle fléchit légèrement les genoux et plaça son épée pour tenter d'encaisser un choc qui ne vint pas... L'homme s'était arrêté à quelques centimètres d'elle.\\
--- Pas mal. Je pense que c'est bon.\\
--- Qu'est-ce que vous voulez dire ?\\
Il s'assit, et fit signe à la jeune fille et à sa mère de faire de même.\\
--- L'arc et la dague sont les armes par excellence des elfes, par tradition. Mais ce ne sont pas les seules. Nous avons aussi besoin, pour nous protéger, de gens sachant se battre avec d'autres armes, comme l'épée, très à la mode chez les humains, la lance, la hache, le fléau ou même la magie. Je suis le dirigeant de ces escouades spécifiques. Ta mère m'a parlé de tes difficultés à l'arc...\\
Sa mère continua, alors qu'elle rougissait.\\
--- Malgré cela, tu sais te battre et as l'air d'y prendre de l'intérêt. C'est pourquoi j'en ai parlé autour de moi...\\
Elle souriait. Depuis le temps qu'elle était dans le groupe d'archers d'élite de la garde royale, elle connaissait beaucoup de monde. Le vieil homme reprit en souriant.\\
--- À partir de maintenant, tu viendras t'entraîner régulièrement à l'épée, ici. Cela te convient-t-il ?\\
Elle leva les yeux vers lui et hocha la tête.
\recit{\christophe}
Les trois adolescents couraient dans la plaine. Ils é\-taient pieds nus, vêtus de pagnes grossiers en cuir, et avaient chacun, glissée dans une ceinture, une épée plus ou moins rouillée, qui semblait avoir subi de nombreux coups. Leurs cheveux bouclés étaient sales et en bataille, et bien qu'ils ne soient pas aussi grands et forts que les barbares adultes de leur clan, leur musculature aurait pu impressionner plus d'un citadin.
\chris, le plus jeune, était en tête. Lorsqu'ils arrivèrent au sommet de la petite colline, il leur fit signe de s'arrêter.\\
--- Là, regardez !\\
Devant eux s'étalait un troupeau d'aurochs sauvages, qui broutaient paisiblement.\\
--- Pourquoi tu t'arrêtes ? demanda sa s{\oe}ur en lui donnant un coup de poing dans les côtes.\\
--- Bah, on peut peut-être...\\
--- On peut juste attaquer. Tu réfléchis trop, \chris, ajouta son frère. On y va !\\
Les deux jeunes gens tirèrent leurs épées, et commencèrent à dévaler la colline en direction des aurochs.
\chris haussa les épaules. Il savait qu'il réfléchissait un peu trop et ne tapait pas assez. Pourtant l'autre jour son hésitation à attaquer un fauve à dents longues des plaines ---pire, une mère protégeant ses petits--- leur avaient probablement sauvé la vie.
Mais il n'avait pas besoin de se poser autant de questions. Manger, boire, s'entraîner au combat, chasser, combattre, son quotidien était pourtant simple, et laissait peu de place à la réflexion. Alors pourquoi ? Quel destin facétieux, quel dieu blagueur avait décidé de lui donner ce que sa famille considérait comme le pire des défauts ? Il réalisa qu'il était encore en train de se poser une question inutile, dégaina son épée, et courut à la suite de son frère et de sa s{\oe}ur.
\recit{\ismael}
Cela faisait quelques heures qu'ils marchaient en\-semb\-le en silence. Le prêtre qui l'accompagnait semblait de bon\-ne humeur, mais il n'osait pas le questionner. Il n'avait que onze ans, après tout, et s'il était fils de duc, il savait qu'il ne fallait pas fâcher un prêtre de la déesse. On disait que leurs pouvoirs étaient grands, et qu'ils pouvaient ---entre autres--- foudroyer quelqu'un sur place en une parole.
L'homme en question, qui devait avoir une quarantaine d'années, portait une robe gris clair, munie d'une capuche qu'il avait laissée dans son dos. Un pendentif d'or ornait sa poitrine, et une épée pendait à sa ceinture de cuir. Il marchait en s'aidant d'un long bâton de bois et portait sur le dos un large sac en cuir, visiblement rempli.
\noindent --- Hm... prêtre \pretre ?\\
Le prêtre considéra un instant le jeune garçon, vêtu d'une tunique rouge, d'un pantalon brun, et d'une paire de bottes en cuir épais. Une longue épée, presque aussi gran\-de que lui, était attachée dans son dos. Il lui sourit.\\
--- Tu peux m'appeler simplement \pretre. Vas-y, je t'écoute \ismael.\\
--- Qu'est-ce que je vais devoir faire, pour devenir paladin ?\\
--- Hé bien, tu auras une éducation mêlant celle d'un prêtre et celle d'un soldat. Tu deviendras donc un chevalier, non pas au service d'un seigneur ou d'une dame, mais au service de la déesse.\\
--- Ça veut dire que je vais apprendre les enchantements secrets de \deesse ?\\
--- Cela dépendra surtout de si la déesse t'en juge digne, n'oublie pas... \\
Il resta silencieux quelques instants. Tout ne serait pas simple...\\
--- C'est vous qui allez m'apprendre à me battre à l'épée ?\\
--- Probablement. As-tu déjà appris un peu ?\\
--- Oui, avec mes deux frères. Comme le veut la tradition, mon frère aîné est l'héritier du duc mon père, et le second est un futur grand général. Et moi...\\
--- Tu dois venir au service du temple, je connais. Mais donc tu sais déjà un peu utiliser une arme... Tiens attrape ça.\\
Il lui lança son bâton de marche, qu'il saisit au vol. Le prêtre dégaina ensuite son épée.\\
--- Vas-y, attaque-moi.\\
\ismael hésita un instant. Mais après tout, c'était lui qui lui avait demandé, n'est-ce pas ?
Il fléchit légèrement les genoux, et affermissant sa prise à deux mains sur le bâton, porta un premier coup, que \pretre para habilement. Puis il saisit son arme de fortune d'un bras, et porta plusieurs coups latéraux que son adversaire dévia du plat de sa lame. Il parut surpris.\\
--- Mais... tu es gaucher ?\\
\ismael rougit et changea rapidement son arme de main, enchaînant plusieurs attaques aussi rapidement qu'il put. Après avoir paré avec une facilité déconcertante, le prêtre fit un pas en arrière et lui fit signe de s'arrêter.\\
--- Tu t'en sors plutôt bien.\\
Il baissa les yeux, lui rendant son bâton.\\
--- Merci.\\
--- Tu sais donc tenir une épée des deux mains...\\
Il rougit à nouveau, gêné.\\
--- ... C'est très intéressant !\\
--- Ah ? Mes frères me disent que se battre de la main gauche, ce n'était pas digne d'un chevalier, alors...\\
Il éclata de rire.\\
--- Ne les écoute pas. La déesse se moque de savoir de quel bras tu te bats, tant que c'est pour la bonne cause. Et qui sait, changer d'arme rapidement pourrait être un atout en combat, non ?\\
Il leva les yeux, et osa sourire timidement.\\
--- Vous avez déjà combattu des vrais adversaires ?\\
Il lui fit un clin d'{\oe}il.\\
--- Oui. Depuis que je suis prêtre, j'ai beaucoup voyagé, et j'ai vécu de nombreuses aventures...
\ismael regarda à nouveau le prêtre. La robe qu'il portait dissimulait assez efficacement une certaine carrure, et son rythme de marche montrait son endurance. Le bâton de marche était-il là pour faire semblant d'être inoffensif ? Il devait être redoutable sur un champ de bataille, ou ailleurs... L'avoir comme maître d'armes serait un honneur.\\
--- Mais tu sais, je ne suis pas le meilleur épéiste qui soit, reprit \pretre, comme s'il devinait ses pensées. D'ailleurs, il me semble que la tradition veut que les futurs paladins fassent une partie de leur apprentissage en dehors du temple.\\
--- Ah ? Comment ?\\
--- Je ne sais pas. Tu es le premier depuis longtemps, mon garçon ! Nous verrons bien.\\
Il lui sourit, et ils se remirent en route. Le chemin était long jusqu'à la capitale.
\recit{\chloe}
Debout devant elle, ils tremblaient de tous leurs mem\-bres. Surprise ? Colère ? Peur ? Incrédulité ? Panique ? Probablement un peu de tout cela. Le grenier dans lequel elle les avait amenés était dans un sale état, mais c'était le seul endroit où elle pouvait pratiquer la magie sans être vue ou entendue...
Suivant pas à pas les conseils du livre, elle avait découvert qu'elle avait un certain don pour cela. Avec de la persévérance, elle avait réussi à lancer son premier sort, paraît-il le plus simple, une boule de feu, et elle avait manqué de brûler la bibliothèque. Le livre disait aussi qu'il était très difficile de contrôler sa propre énergie magique...
De nombreuses traces noires couvraient désormais les murs et le sol du grenier, et un certain nombre de vieux meubles en bois avaient brûlé.
À ses pieds, deux ou trois vieilles planches finissaient de se consumer en crépitant.
Ses parents n'avaient pas bougé, toujours sous le choc après sa démonstration spectaculaire. \\
--- Ce n'est pas possible...\\
--- Notre propre fille, une sorcière...\\
Elle se tenait entre eux et la porte du grenier. Elle ne cherchait pas particulièrement à les empêcher de sortir, mais elle voulait qu'ils l'écoutent avant.\\
--- Arrêtez avec vos histoires. Les sorciers ne sont pas maléfiques, en tous cas pas tous. Vous ne croyez quand même pas à toutes ces histoires de démons ?\\
--- Ils avouent tout de même...\\
Elle secoua la tête d'un air rageur.\\
--- Avec les tortures qu'on leur inflige ? N'importe qui avouerait n'importe quoi. Ne soyez pas idiots.\\
Elle disait ces mots en essayant de s'en persuader elle-même. Il y avait quand même des légendes et récits parlants de sorciers maudits... Mais peut-être n'était-ce pas le cas de tous ?\\
--- Regardez-moi. Suis-je devenue un monstre en apprenant un peu de magie ?
Ils l'observèrent un moment. Elle n'avait pas vraiment changé ces dernières années, à part un peu grandi, mais ce n'était vraisemblablement pas une histoire de magie. Pourtant... ils avaient la sensation que leur fille leur échappait, qu'elle n'était pas la jeune fille qu'ils auraient voulu qu'elle soit, qu'elle ne pensait pas comme ils auraient voulu qu'elle pense. Peut-être était-ce juste cela, être une sorcière ? Ne pas être celle que les autres attendaient ? Était-ce maléfique pour autant ?
Elle soupira, et interrompant leurs pensées, fit apparaître lentement une seconde boule de feu dans sa main gauche. Ses parents firent un pas en arrière, effrayés.\\
--- Écoutez, si vous comptez me dénoncer, je lance cette boule de feu par la fenêtre. Toute la ville la verra et vous serez aussi embêtés que moi vis-à-vis de votre peuple.\\
La boule de feu grandissait, se nourrissant de sa colère et de sa frustration. Elle sentait sa chaleur de plus en plus intense, alors que la panique grandissait dans les yeux de ses parents. Elle tourna la tête vers la flamme. Reprendre le contrôle, ne pas la laisser grandir trop, respirer...\\
--- Mais si vous me laissez tranquille avec ma magie, alors personne à part vous ne le saura.\\
La taille de la flamme diminua lentement, à mesure qu'el\-le se calmait.\\
--- Si vous me laissez étudier la magie comme je le souhaite, je ferai tout pour garder sauf l'honneur de la famille. Je ferai tout ce que vous voudrez. J'épouserai qui vous voudrez. S'il vous plaît...\\
Un silence passa, durant lequel ils semblèrent considérer cette idée.\\
--- Aaaïe !\\
La boule de feu, même après avoir considérablement décru en taille et en énergie, avait fini par se poser sur sa main. Elle secoua son bras en se mordant les lèvres. Son père fit un pas en avant, et lui parla d'une voix ---presque--- apaisée.\\
--- Montre ton bras ?\\
Sa main et son poignets étaient rouges, et des cloques commençaient à se former.\\
--- Je peux... m'en occuper.\\
Elle se concentra, malgré la douleur vive. Il y avait cet autre sort qu'elle avait appris. Un sort pour soigner... Il était, d'après le livre, plus complexe que celui du feu, et elle avait beaucoup moins d'occasions de le pratiquer. Mais les quelques fois où elle avait essayé, le résultat n'avait pas été si mauvais. Elle prit une grande inspiration et ouvrit les yeux. La douleur avait considérablement diminué, et les cloques avaient disparu, même si la peau restait un peu rouge et sensible. Elle lâcha un soupir de soulagement.\\
--- Vous voyez, la magie peut être bénéfique, aussi.\\
Son père observa tour à tour sa main, son visage, et celui de son épouse, qui semblait réfléchir, un peu en retrait. Celle-ci finit par s'approcher également.\\
--- J'ai peut-être une idée...
\recit{\jerome}
\jerome prit une grande inspiration et commença son ascension. Le bâtiment
était ancien, et très haut, et les interstices entre les pierres
formaient d'excellentes prises pour ses mains et ses pieds. Patiemment,
silencieusement, il gravit les étages. Vêtu de sombre de la tête aux
pieds, il était quasiment invisible dans la nuit. Ce n'était pas la
première fois qu'il s'adonnait à ce genre de sport, ni la dernière
d'ailleurs. À condition de ne pas tomber. Écartant cette pensée, il se
remémora ces dernières années, si bien remplies...
Il était né dans une famille très pauvre de la capitale, et avait été
laissé plus ou moins à l'abandon, sa pauvre mère n'ayant pas les moyens
de le nourrir. Il vivotait de chapardages et de mendicité. Il était très
doué, et avec sa petite taille et sa rapidité, il arrivait toujours à
échapper aux ennuis. Mais un jour, il avait fini par se faire prendre. À
sa grande surprise, l'homme qui l'avait saisi la main dans le sac ne
l'avait pas dénoncé. À la place, cet étrange personnage, grand, mince et aux cheveux
blancs s'était présenté comme un assassin professionnel, et lui avait proposé de devenir son
apprenti. Il avait alors sept ans.
Depuis ---il esquissa un sourire à l'évocation de ce souvenir---, sa vie
avait radicalement changé. Déjà parce qu'il était logé, nourri et habillé
par son maître, mais surtout parce qu'il passait ses journées ---et
surtout ses nuits--- à apprendre les ficelles du métier. Déplacement
furtif, combat avec une ou deux dagues, utilisation des divers dards et
stylets de contact ou de lancer, poisons et antidotes, et comme ce soir,
escalade. La ville était devenue un grand terrain d'entraînement et de
jeu.
Arrivé au troisième étage du bâtiment, il regarda discrètement si
quelqu'un se trouvait à la fenêtre, et constatant que non, il s'assit sur
le rebord
pour souffler quelques instants. Il aperçut, en bas, quelques passants ---fêtards, malfaiteurs, gardes ?---
marcher dans la rue sans le voir. Il n'était qu'une ombre parmi les ombres
de la nuit.
Il prit une grande inspiration et se releva. Ses doigts trouvèrent
naturellement une nouvelle prise sur le mur, et il reprit son ascension.
L'escalade de ce bâtiment n'était pas particulièrement difficile, avec
toutes ces pierres mo\-yen\-nement ajustées, mais restait longue et répétitive. Il
commençait à sentir la fatigue dans ses avant-bras. Il parvint au
cinquième étage, à partir duquel les briques étaient plus serrées. Il ne
lui en restait qu'un à grimper, et sur le toit, la gouttière ferait un point
d'attache parfait. Il sortit de son petit sac à dos en
cuir une corde et un grappin, qu'il lança avec habileté jusqu'au rebord
du toit. Après avoir vérifié la solidité de son attache, il grimpa
lestement jusqu'au sommet du bâtiment.
Assis sur le faîte du toit, son maître l'attendait en souriant. Était-il monté par
l'escalier ? Avait-il escaladé ? Plus rien ne le suprenait venant de lui
de toutes façons. Il regarda une montre à gousset.\\
--- Bravo, tu as mis moins de temps que prévu.\\
Un peu essoufflé, \jerome sourit en rangeant son grappin et sa corde.\\
--- Je t'ai entendu faire un peu de bruit, en revanche, mais ça reste
tout à fait honorable.\\
Il soupira. «~Tout à fait honorable~», c'était un sacré compliment venant de lui. Même si... ce n'était pas parfait. Jamais parfait avec lui. Son maître se leva et s'étira calmement.\\
--- Il ne te manque pas grand chose pour valider ta formation. Une première mission.\\
\jerome le regarda, les yeux brillants.
\recit{ \remi}
\noindent --- Bon, allez, on fait une pause ?\\
À ces mots bénis,
\remi se releva avec un soupir de soulagement, ruisselant de sueur. Il avait arrêté de compter les bûches qu'il lui restait à fendre et celles qu'il avait déjà débitées. Il se tourna vers ses deux frères, qui, comme lui, posèrent leur hache, et se dirigèrent vers l'ombre fraîche et accueillante d'un arbre. L'aîné des garçons sortit alors un petit pichet de vin, qu'il partagea.\\
--- On a bien avancé, encore quelques heures et on aura terminé je pense.\\
--- À part \remi, qui n'avance pas.\\
--- Héé, je te permets pas !\\
--- Je rigole, te fâche pas. T'as pas nos bras, c'est tout.\\
--- En fait, t'es juste jaloux de \remi.\\
--- Quoi ?\\
Son frère aîné sourit.\\
--- Parce que c'est avec lui que la fille du cordonnier a bien voulu danser l'autre soir.\\
--- C'est avec son petit air d'elfe, ça plaît aux filles. Mais ça n'aide pas à couper du bois.
\remi sourit et haussa les épaules, puis reprit une gorgée rafraî\-chissante, se remémorant la soirée de la veille.
C'est vrai qu'il était un peu plus petit et nettement plus frêle que ses deux frères, et leur ressemblait très peu. Tous deux étaient grands, roux, aux épaules très larges, travaillées par toutes ces années à couper des arbres, comme leur père. Et pour cause !
On l'avait trouvé, bébé, sur le pas d'une porte du village. Un couple de bûcherons du village l'avaient alors adopté et élevé comme leur propre fils, mais ils ignoraient tout de ses véritables origines. Il se demandait parfois ce qu'aurait été sa vie s'il n'avait pas été déposé là, mais ne regrettait pas le moins du monde celle qu'il vivait.
Alors qu'ils s'apprêtaient à se remettre au travail, ils aperçurent un carosse, richement décoré, escorté par trois soldats à cheval. Les soldats portaient l'enseigne de leur seigneur, sire \seigneurchloe, et se dirigaient vers la forêt. Apercevant les trois adolescents, tous trois vêtus d'une simple tunique, d'un pantalon et de vieilles bottes, ils se dirigèrent vers eux. Ils étaient impressionnants, avec leurs cottes de mailles, leur casque et leurs épées et boucliers au côté.\\
--- Bonsoir jeunes gens. Nous cherchons un endroit où passer la nuit, pour nous et la damoiselle que nous escortons.\\
Ils firent un geste de la tête vers le carosse, dont les épais rideaux de velours masquaient l'intérieur.\\
--- Vous pouvez vous rendre à l'auberge du \aubergerem, au milieu du village, où vous trouverez de quoi souper et dormir.\\
--- Merci. L'un d'entre vous peut-il nous y conduire ?
\remi se porta volontaire, et guida le convoi jusque dans le bourg. En chemin, l'un des soldats l'interrogea :\\
--- Dis-moi, mon garçon, nous cherchons quelqu'un pour nous guider à travers la forêt, demain. Sais-tu si quelqu'un peut le faire ?
Il réfléchit quelques instants.\\
--- Il n'y a pas de guide disponible. Mais beaucoup de jeunes du village, dont mes frères et moi, connaissent très bien cette forêt.\\
--- Vous êtes les enfants du bûcheron, c'est ça ?\\
--- Oui.\\
--- Quel âge as-tu ?\\
--- Seize ans.\\
--- Tu me sembles assez grand pour cette tâche. Qu'en dis-tu ?
\remi se sentit flatté de cette confiance, et hésita pres\-que à accepter. Était-il à la hauteur ? Puis à la réflexion, il ne voyait pas qui d'autre. Il était, de ses frères, celui qui connaissait réellement le mieux la forêt, puisqu'il y passait une bonne partie de son temps libre.\\
--- D'accord.
\recit{\aure}
\noindent --- Oui, \aure, tu voulais me voir ?\\
La jeune elfe fit quelques pas dans la salle du trône. Elle était petite et frêle, vêtue d'une robe mi-longue blanche, pieds nus, un diadème argenté retenant ses longs cheveux noirs emmêlés.
Cet endroit était si impressionnant. Et son père avait l'air si imposant quand il était assis sur son trône ! Et elle se sentait toujours si petite face à lui dans ces conditions... Sentant sa gène, et constatant qu'il était seul avec elle, il éclata de rire et vint prendre la petite fille de dix ans dans ses bras.\\
--- Papa, je voudrais apprendre à me battre.\\
Il fronça les sourcils.\\
--- Pourquoi ? Il y a bien plus intéressant à faire, pourtant ! Quelque chose te manque-t-il ?\\
Elle soupira.\\
--- Je m'ennuie. J'ai déjà appris à m'occuper des poneys du clan, à soigner les animaux et les autres elfes, je connais les secrets du tissage et du pain elfique, et j'ai aussi appris à jouer de la harpe.\\
--- Tu y parviens à merveille d'ailleurs, surtout le soin. Tu surpasserais presque ton maître !\\
--- Oui, et... c'est pour ça que j'ai envie de faire autre chose.\\
Il réfléchit. Ses grands frères et s{\oe}urs avaient fini par s'intéresser à la politique du clan, ce qui en compliquait nettement la gestion, tout en créant certaines tensions entre eux. Finalement, il valait peut-être mieux qu'elle s'entraîne au combat. De toutes façons, elle ne verrait probablement aucun champ de bataille de sa vie ---ou alors que de loin---, du moins il l'espérait, alors que risquait-il ?\\
--- Papa, n'es-tu pas toi-même un excellent archer ?\\
Il soupira.\\
--- C'est vrai. Du moins, c'était vrai jusqu'à il n'y a pas si longtemps... J'allais même disputer des tournois chez les humains.\\
Chez les humains... On disait tant de choses des humains ! Elle ne savait même pas que son père y était déjà allé. Apercevant son air rêveur, son père interrompit ses pensées. Il valait mieux la concentrer sur le tir à l'arc plutôt que sur les humains, c'était nettement moins dangereux.
--- Soit. Je t'enverrai dès demain un professeur de tir à l'arc : une des meilleures archères de mon escouade d'élite.\\
Le visage d'\aure s'illumina.
\recit{\severine}
La grande salle du temple était immense, et tous les habitants du temple ---prêtres et prêtresses, novices, et même les serviteurs--- y étaient présents. Il y avait même un grand nombre de fidèles venus de la ville. Elle ne l'avait jamais vue aussi pleine. Ils étaient tous là pour elle... C'était excitant, et presque un peu effrayant.
Le prêtre devant elle se mit à réciter les paroles rituelles d'intronisation. Dix-sept ans, et elle était intronisée Grande Prêtresse... Déjà !
Mais cette ascension n'a\-vait pas été sans embûches. Lorsqu'elle avait huit ans, ses parents ---de modestes marchands--- avaient été tués lors d'un raid barbare. Trop petite pour être remarquée, elle avait été épargnée. Les quelques survivants de son village, déjà trop démunis pour s'occuper d'une bouche de plus à nourrir, l'avaient confiée à un prêtre itinérant de \deesse, qui avait emmené la pauvre orpheline au temple de la ville la plus proche.
Une fois la douleur et les difficultés d'adaptation passées, \severine avait révélé une forte connexion avec la déesse, et avait souhaité devenir prêtresse, puis grande prêtresse. Elle avait, petit à petit, appris les enchantements sacrés les plus difficiles, maîtrisé les secrets divins les plus cachés, et surtout écarté avec subtilité toutes les concurrentes.
Et elle avait réussi. Elle se tenait droite, dans la lumière qui tombait de la large ouverture du toit, au centre de la salle. Elle portait, pour la première fois, la tenue des grandes prêtresses. Sa robe était longue, d'un rouge vif, sans manches, aux larges bordures dorées, et mettait très bien ---peut-être un peu trop ?--- en valeur sa féminité.
Elle portait un large collier d'or couvrant jusque ses épaules, ainsi que plusieurs bracelets, aux poignets, bras et chevilles. Elle était fière de tout ce chemin accompli.
Le prêtre avait terminé son incantation, et s'écarta en se tournant vers elle. Les quelques murmures qu'elle avait entendus de la foule se turent. C'était son tour. Elle prit une grande inspiration, et fixa le sol, sous ses pieds nus. Sous l'ouverture du toit, là où elle se trouvait, le marbre du temple s'arrêtait pour laisser place à un large cercle de terre meuble. Elle rejeta ses longs cheveux en arrière, ferma les yeux et entonna une douce mélopée.
Sous les yeux émerveillés du public, une pousse sortit de la terre, puis se mit à grandir, lentement. \severine leva lentement les bras, et fit quelques mouvements, les yeux toujours clos, comme si elle guidait les jeunes branches vers la lumière. Lorsque l'arbre l'eut dépassée de plusieurs têtes, elle s'arrêta et ouvrit enfin les yeux pour le regarder.
Un tonnerre d'applaudissement retentit. Cet enchantement, un des plus difficiles à maîtriser, devait être réalisé sous les yeux des témoins pour être intronisée officiellement en tant que grande prêtresse...
Et elle avait réussi, avec brio. Elle poussa un soupir de soulagement. Le prêtre s'avança, tenant entre les mains un cercle d'or qu'il déposa sur sa tête. Les applaudissements redoublèrent.
Elle était désormais \severine, grande prêtresse de \deesse.
\recit{\remi}
\noindent --- Là-bas, je vois l'orée !\\
Les soldats laissèrent échapper une exclamation de joie. Après quatre jours dans la forêt, ils n'étaient pas mécontents de retrouver la civilisation. De son côté, \remi, installé à côté du cocher, rêvassait. Il se demandait bien qui était l'occupante du carosse, qu'il n'avait pas le droit de voir, en théorie. En pratique, la damoiselle ayant tout de même besoin de sortir de temps en temps, il avait pu entr'apercevoir, à plusieurs reprises, une silhouette de petite taille, couverte de la tête aux pieds d'un long manteau bleu marine richement orné.
\noindent --- Hé, gamin !\\
Sortant de sa rêverie, il tourna la tête vers le soldat, qui lui adressa un grand sourire.\\
--- Tu as fait du bon boulot en nous guidant jusque là. Tu auras bien gagné ta paie !\\
Il rougit légèrement.\\
--- Merci.\\
--- Ton chemin parallèle pour éviter le sentier embourbé était le bienvenu... Nous aurions perdu beaucoup de temps à nous traverser cette partie avec le carosse !\\
Il haussa les épaules en souriant.\\
--- Nous allons parfois livrer du bois par là, et ce n'est pas la première fois que ce chemin est inondé...\\
Le cocher, à côté de lui, lui donna un coup de coude.\\
--- Tu sais que dans la région, il y a des gens qui en font leur boulot ?\\
--- Dans mon village, il y a le vieux \tom. Enfin, il y avait, parce que cela fait longtemps qu'il est un peu trop âgé pour ça.\\
Il lui fit un clin d'{\oe}il.\\
--- Tu devrais aller le voir, et y réfléchir. Tu y serais meilleur que bûcheron, à mon avis.\\
Il allait répondre, lorsqu'un des soldats lui adressa la parole.\\
--- On approche de midi. Il y a une taverne, dans le village où on arrive ?\\
--- Oui. Sur la grand'rue, vous ne pouvez pas la rater.\\
--- Allez, gamin, viens boire un verre avant de repartir. Je te l'offre. Tu l'as bien mérité !
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