%%% Au château du duc, avec D et A
\arc
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\recit{\denise}
Ouf. Elle s'adossa au mur, de l'autre côté de la grande porte, et souffla un moment, pas fâchée d'en être sortie. Pourvu que personne ne l'ait vue s'enfuir... Qui eut cru qu'un château comme celui du duc \seigneurismael recelait tant de dangers ? Le roi des elfes ne lui avait pas parlé de ça. Elle s'était préparée mentalement à toutes sortes d'agressions, combats au corps-à-corps, dans diverses circonstances, mais... elle ne s'était pas du tout attendue à devoir jouer les grandes dames au sein de la haute société, et cela la mettait presque en panique.
Elle n'avait pas pu se plaindre de l'accueil du duc, lorsqu'elles a\-vaient débarqué dans la ville avant-hier au petit matin. Elle et \aure avaient été reçues avec égards, installées dans des appartements d'un luxe qu'elle n'avait même pas imaginé, les repas étaient aussi copieux que raffinés et délicieux, et elles pouvaient enfin se reposer après tout le trajet parcouru. Le tournoi allait débuter dans quelques jours, et de nombreux nobles ou autres étaient arrivés dans la journée. En l'honneur de ses deux invitées elfes, le duc avait organisé un premier banquet, avec tous les grands seigneurs et dames qui étaient déjà là.
\denise n'avait pas l'habitude d'être ainsi au centre de l'attention. Elle avait droit à presque autant d'honneurs qu'\aure, qui était au sens propre la reine de la soirée. Tout le monde venait lui parler, la complimenter. Elle était habituée à ce genre de jeu, à la cour du roi des elfes, et elle s'était adaptée très vite, et en jouait avec aisance et grâce. Elle avait compris très vite les règles en vigueur, et avait déjà une bonne idée des petites alliances et rivalités internes, avec lesquelles elle savait jongler avec talent. Tout aurait été parfait, si certains ne s'étaient pas mis en tête de lui adresser la parole, à elle, sa \og~dame de compagnie~\fg, la pensant plus accessible.
Oh c'était amusant pendant cinq minutes, mais elle avait régulièrement l'impression de dire une bêtise, peur de se tromper en appelant quelqu'un par le mauvais titre --entre les seigneurs, les comtes, les barons, elle était perdue--, ou l'impression de donner une image pataude et ridicule des elfes sylvains. Et certains de ces sourires avaient l'air tellement artificiels qu'ils lui faisaient peur. Non, décidément, elle n'avait pas été préparée à ce combat, et c'était \aure qui aurait eu besoin de la protéger, à son tour.
Et puis il y avait cette robe. \aure avait emmené dans ses bagages une splendide robe elfique, qu'elle portait avec une élégance à couper le souffle de toute la cour, alors que \denise n'avait absolument pas pensé à tout ça. Puisque sa tenue de soldat --même parfaitement nettoyée, ce qui n'avait pas été un luxe après leur voyage à pied-- n'était pas adaptée à un tel banquet, le duc lui en avait fait faire une, qui avait été prête rapidement. Elle était très jolie, vert pâle et argent, lacée devant. Mais au bout d'une heure ou deux dedans, elle regrettait sa tunique et ses bottes, si confortables, et dans lesquelles on ne se prenait pas les pieds...
\noindent --- Cherchez-vous quelque chose ?\\
Elle sursauta. Une serveuse, qui sortait avec des plats sous le bras, semblait surprise de la voir ici, en dehors de la grande salle de réception. Que lui avait dit \aure déjà ? Ah oui, toujours agir comme si on était parfaitement sûr d'avoir le droit de faire ce qu'on fait, et ça marchait extraordinairement bien.\\
--- Je vous remercie, je me sens un peu lasse. Je vais me reposer dans ma chambre.\\
La jeune femme s'inclina --sans faire tomber sa pile d'assiettes, ce qui était plutôt impressionnant--, et s'éloigna en direction des cuisines. Bon, ce n'était pas si mal.
Elle commença par emprunter le grand escalier menant à l'aile est, où elles avaient leurs appartements, puis se ravisa, et se mit à se promener au hasard des couloirs. On lui avait fait visiter les plus belles parties du château, mais il était bien plus grand qu'elle ne l'avait imaginé, en réalité. Il faisait nuit, déjà, mais les couloirs étaient éclairés. À mesure qu'elle quittait les parties richement décorées, les jolis chandeliers étaient remplacés par d'autres plus sommaires, et moins nombreux. L'endroit était désert, tout le monde était probablement occupé par le banquet.
Dans un de ces corridors, particulièrement sombre, elle s'arrêta à une étroite fenêtre, fine et verticale, pour regarder la ville. De jour, le paysage était magnifique. Le château se tenait sur un plateau, avec dans son dos les montagnes, et devant la grande vallée de l'\riviereirande. De nuit, elle pouvait admirer les lumières de la ville.\\
--- Qui va là ?\\
Elle se retourna brusquement, si vite qu'elle manqua de se prendre les pieds dans sa robe. Au bout du couloir, à moins d'une dizaine de mètres, un garde était posté, son épée dégainée. Après une seconde d'hésitation, l'homme baissa sa garde et se confondit en excuses.\\
--- Oh, je vous prie de m'excuser, noble dame, je n'avais pas vu...\\
Il s'approcha en s'inclinant, visiblement très gêné. Il était jeune, de petite taille et large d'épaules. Il portait ses cheveux blonds longs attachés dans le dos. Il était vêtu de l'uniforme des soldats du duc : pantalon noir et tunique à manches courtes bordeaux, sur laquelle on pouvait voir l'écusson de la famille \seigneurismael. Sous la tunique, une cotte de mailles par dessus une chemise blanche. Il termina de remettre son épée à sa ceinture, semblant un peu à court de choses à dire.\\
--- Ne vous excusez pas, lui répondit-elle avec un sourire. Vous faisiez votre travail.\\
Il sembla un peu soulagé.\\
--- Vous devez être incommodée par ce couloir sombre et sale...\\
--- Je vais bien rassurez-vous, coupa-t-elle. Je me suis juste un peu égarée.\\
Ce n'était pas totalement faux, elle n'était pas tout à fait sûre de pouvoir revenir à ses appartements seule...\\
--- Laissez-moi vous raccompagner, reprit le garde, visiblement anxieux de se rendre utile.\\
Peut-être qu'elle pouvait en profiter pour satisfaire sa curiosité ?\\
--- Je me demandais juste ce qu'il y avait au bout de ce couloir, reprit-elle.\\
Le garde secoua la tête.\\
--- Il s'agit simplement des quartiers de la garde, cet endroit n'a aucun intérêt pour une noble elfe telle que vous.\\
Elle ne put s'empêcher de pouffer de rire, ce qui le mit mal à l'aise.\\
--- Pardon de cette question bête mais... Savez-vous qui je suis au moins ?\\
Le garde fronça les sourcils.\\
--- N'êtes-vous pas la dame de compagnie de l'archère et princesse des elfes sylvains ? Votre nom est... dame \denise ?\\
--- Le nom est bon, mais sinon... ce n'est pas tout à fait ça, dit-elle en secouant la tête et en souriant. Réfléchissez un peu.
Le garde fit un pas en arrière et l'observa pendant un long moment, d'un regard calculateur, si longtemps qu'elle en fut presque mal à l'aise.
\noindent --- Je vais peut-être vous vexer... commença-t-il hésitant.\\
--- Allez-y, l'encouragea-t-elle.\\
--- Si vous étiez un homme, j'aurais dit que vous étiez un garde, ou quelque chose comme ça.\\
--- Ah ? Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?\\
--- Lorsque je vous ai... interpellée, vous vous êtes retournée en position de garde, en mettant votre main droite à votre côté gauche, comme si vous y cherchiez une épée par réflexe.\\
Elle ouvrir des yeux ronds, surprise, presque vexée d'avoir laissé ce geste se voir qu'elle ne s'en rende compte.\\
--- Vous n'avez pas la posture habituelle des nobles, et ce n'est pas non plus celle des servantes. Et ensuite, continua-t-il, j'ai réfléchi à cela : vous avez voyagé seule avec la princesse \aure. Si j'étais un roi et décidais d'envoyer ma fille avec une escorte réduite, ce ne serait pas une dame de compagnie que je mettrais mais un soldat aguerri. Peut-être même un soldat qui ne ressemble pas trop à un soldat serait mieux...\\
Il s'interrompit en voyant son expression.\\
--- ... Je suis impressionnée, répondit-elle après quelques secondes.\\
--- Sérieusement ? J'ai raison ? demanda le garde, incrédule.\\
Elle hocha la tête en souriant.\\
--- Vous êtes bien le premier à le deviner, bravo. \\
--- Je ne savais juste pas que, chez les elfes, les femmes pouvaient être gardes...\\
Elle haussa les épaules.\\
--- Pour revenir au sujet de départ, reprit-elle, des quartiers de la garde, j'en ai déjà vu, croyez moi. Ça ne m'intéresse pas moins que les salles de réception ennuyeuses.\\
--- Demain, si vous le souhaitez, je vous montrerai. Mais là, je dois terminer ma ronde, et je me ferai sérieusement réprimander par mon chef si je ne la finis pas dans les temps.\\
--- Je comprends surtout, ajouta-t-elle avec un sourire malicieux en croisant les bras, qu'il y a dans la salle des gardes quelques restes de festin et des jeux de cartes que vous préférez éviter de montrer avant d'avoir nettoyé... ou quelque chose comme ça. Je me trompe ?\\
Il marqua une seconde d'arrêt, puis sourit à son tour.\\
--- ... Si j'avais encore un doute sur vous, au moins c'est clair.\\
--- Pour rentrer, c'est bien par ici ? J'ai un doute.\\
--- Vous suivez ce couloir, et après avoir monté l'escalier la grande porte que vous verrez vous mène au grand hall du château... vous saurez vous retrouver ?\\
--- Ça ira, merci. Votre nom si je vous cherche demain ?\\
--- \jan, repondit le jeune homme, avec un sourire flatté.
Elle laissa le garde sur place, encore un peu abasourdi par la rencontre.
\recit{\aure}
Elle ferma la porte de la chambre derrière elle et s'étira. La soirée avait été longue, même si elle s'était bien amusée. Le soir était tombé depuis bien longtemps, et elle n'avait pas vu \denise depuis un moment... Un grattement sur la petite porte qui séparait sa chambre de la sienne répondit à son interrogation.\\
--- Entre.\\
\denise était déjà en chemise de nuit --encore un élément de vêtement qu'on lui avait prêté, puisqu'elle n'avait pris avec elle que l'essentiel.\\
--- La soirée est enfin terminée ? lui demanda-t-elle d'un air endormi.\\
--- Oui, tu aurais dû rester jusqu'au bout, il y avait des jongleurs très doués en plus.\\
Elle haussa les épaules.\\
--- Bah, j'en avais assez de ne rien comprendre à ces histoires politiques... Comment tu fais pour t'y retrouver ?\\
Elle sourit.\\
--- C'est pourtant simple. Avant, tous les différents seigneurs se faisaient régulièrement la guerre pour des bouts de terre par-ci, par là... À la suite d'un affrontement un peu plus conséquent, les protagonistes ont décidé de chercher la paix, et la situation s'est stabilisée ainsi : trois ducs, de puissances équivalentes, dominent la province. Ils ont chacun une bonne dizaine de vassaux d'importances variables. L'un d'eux est le duc \seigneurismael.\\
--- Et donc, ils vont tous venir ici ? Il y en a un qui est déjà là non ?... comment il s'appelle déjà... \ducmer ?\\
Elle hocha la tête.\\
--- Tout à fait. Et la duchesse \ducsud qui arrive dans deux jours.\\
\denise fronça les sourcils.\\
--- La duchesse ? Il me semblait que dans ces contrées, ils ne laissaient pas les femmes gouverner...\\
--- Ah, c'est une histoire compliquée. En fait, il est de notoriété publique que le duc \ducsud est un incapable complet, et c'est sa femme qui prend en charge tout. Alors au bout d'un moment, on parle de la duchesse directement...\\
--- Je vois. Et donc ils sont en paix maintenant ?\\
--- Oui, il n'y a pas eu de guerre depuis une cinquantaine d'années, et le commerce entre ces trois duchés est florissant, chacun ayant sa spécificité : ici les terres sont fertiles, le duché \ducmer profite de sa proximité avec la mer et le duché \ducsud peut, grâce à son climat chaud, cultiver des épices et autres produits exotiques... Dont certains qu'on a mangés au repas de ce soir.\\
\denise hocha la tête.\\
--- Et je suppose que l'équilibre est précaire...\\
--- Tu as compris. C'est pour ça que ce tournoi, organisé ici, est très important de ce point de vue...\\
--- C'est bien compliqué tout ça. On t'a fait un exposé spécial ?\\
--- Non, je l'ai appris simplement en discutant çà et là. Mais c'est très grossier comme portrait, il me manque encore beaucoup d'éléments, notamment...
\denise leva les yeux au ciel.\\
--- Et toi, alors ? demanda \aure en s'interrompant dans sa réflexion. Tu es partie te coucher directement ?\\
--- Ah non. Je suis partie visiter le château tranquillement. J'ai croisé un garde et discuté un peu... J'irais bien visiter la salle des gardes avec lui demain, ça sera moins ennuyeux.\\
\aure marqua une pause et lui sourit.\\
--- Hem. Je vois.\\
--- Quoi ? s'exclama sa compagne. Qu'est-ce que tu vas imaginer ?\\
Puis elles éclatèrent de dire.
\noindent --- Plus sérieusement, reprit \aure, si tu arrives à le convaincre de nous faire visiter la ville, j'aimerais bien sortir un peu du château.\\
--- Il nous faut un garde pour ça ?\\
--- J'ai cru comprendre que personne n'oserait nous laisser sortir seules.\\
\denise prit un air exaspéré.\\
--- Sérieusement ?\\
\aure haussa les épaules.\\
--- Bah, si ça leur fait plaisir de nous escorter, tu ne vas pas le leur enlever non ?\\
--- Moui...\\
--- Allez, retourne te coucher, on voit ça demain.
Elle avait oublié à quel point \denise pouvait se vexer sur ce point. Pas étonnant qu'elle n'aime pas passer du temps avec les nobles, qui n'arrêtaient pas de parler d'elle comme sa \og~dame de compagnie~\fg... D'ailleurs il y avait quelques questions...
\noindent --- Oh, attends, \denise.\\
La jeune elfe s'arrêta alors qu'elle allait fermer la porte.\\
--- Il y a un détail dont je voulais te parler... \ismael est arrivé ce soir, juste avant le repas. Je sais qu'officiellement il nous connaît pas, mais je n'ai pas réussi à lui parler, et toi ?\\
--- Non... J'aurais bien aimé, pourtant. Je lui aurais bien demandé de me faire visiter... \\
Elle ne put s'empêcher de la taquiner.\\
--- Tu aurais préféré avec lui plutôt qu'avec ton cher garde ?\\
--- Hé !\\
Elle esquiva en souriant une claque peu énergique.\\
--- Mais franchement, tu crois encore qu'il y a quelque chose entre moi et \ismael ?\\
Elle n'aurait jamais osé avouer que oui. Maintenant, au moins, c'était clair.\\
--- Non. Mais j'aime bien te taquiner. Tu n'aimes pas les humains ?\\
--- Mais quand même, j'ai eu presque l'impression qu'il m'évitait, ce soir, reprit \denise, ignorant sa question.\\
--- Peut-être est-il fatigué par son trajet...\\
--- Ou peut-être agit-il différemment maintenant qu'il est en présence de son père et de tout le gratin ? Je ne sais pas... Et je vais aller me coucher je pense.\\
--- Bonne nuit.\\
--- Toi aussi.
La porte se referma sur \denise. Bon, quelques réponses d'obtenues, ce n'était finalement pas si mal. Elle se demandait aussi --mais il était trop tard pour rappeler \denise, et de toutes façons comment saurait-elle ?-- pourquoi \chloe n'était pas venue, finalement.
\recit{\denise}
Le lendemain, c'est vers la fin de la matinée qu'elle se dirigea vers la salle de garde, accompagnée d'\aure. Celle-ci l'avait convaincue de profiter du beau temps qui s'annonçait pour aller faire un tour en ville au plus tôt. Elles avaient revêtu leurs tenues de voyage, plus commodes pour marcher. \aure avait cependant gardé son diadème, afin de rappeler son rang, et \denise avait laissé son armure, parce qu'elle ne présentait que peu d'intérêt, mais principalement parce qu'elle avait vraiment besoin d'être réparée.
Elle était surtout plus à l'aise avec son épée et sa dague à sa ceinture. À la base, leurs hôtes leur avaient recommandé de ne pas les porter dans l'enceinte de la ville et a fortiori dans le château, par politesse. Ils avaient même proposé de les stocker sous clé dans la salle de garde. Mais \aure avait imposé toute de suite sa volonté sur ce sujet, et ils n'avaient pas trop insisté.
Elle savait qu'elle ne craignait pas grand chose dans ces couloirs, ni même dans la rue. Mais elle se sentait juste un peu nue sans ce poids rassurant à son côté, et puis, avec, on ne la prenait pas --enfin pas trop-- pour une \og~damoiselle de compagnie~\fg... Non mais sérieusement...
Elles arrivèrent devant la porte de la salle de garde, qui était ouverte. L'un des gardes du duc était adossé dans l'embrasure, et se redressa brusquement au garde-à-vous lorsqu'il les vit arriver. Derrière lui, elle pouvait distinguer une grande pièce, avec ce qui ressemblait à une table au centre, un large foyer sur un côté et d'autres couloirs partant de là. Il y avait bien sûr une demi-douzaine hommes, vraisemblablement en pause, qui lui jetèrent un regard curieux lorsqu'elle adressa la parole à celui qui gardait la porte.\\
--- Est-ce que \jan est là ?\\
Le garde, appela rapidement derrière son épaule.\\
--- \garderandom ! Va chercher \jan, je crois qu'il est à la salle d'entraînement. Dis-lui que... ces dames elfes veulent le voir.\\
Une des silhouettes en uniforme posa une tasse et partit rapidement dans un des couloirs.
Tout en patientant, elle ne pouvaient s'empêcher d'entendre en partie leurs discussions.\\
--- Oh ce petit veinard de \jan ! \\
--- Et dire qu'hier soir, j'ai juste pensé qu'il avait trop bu, et je n'ai pas cru à son histoire.\\
--- J'avoue.\\
--- Hem, les interrompit une voix plus forte que les autres, \jan est peut-être un sacré petit veinard, mais il est probablement le moins stupide d'entre vous. Vous seriez bien incapables de faire la différence entre une dame de compagnie et un soldat.
C'est cet instant que choisit le garde \garderandom pour revenir avec \jan. Les discussions se turent brusquement, pour reprendre peu après, sur des sujets plus variés.\\
--- Ah, bien le bonjour. Vous souhaitez toujours visiter les lieux ?\\
Il jeta un {\oe}il interrogateur à \aure, qu'il ne s'attendait visiblement pas à voir.\\
--- Bien sûr ! Mais avant cela, nous souhaiterions visiter la ville. Est-ce possible ?\\
--- Euh je suppose oui...\\
Il jeta un regard à un des hommes qui était resté en retrait, qui lui répondit avant même qu'il ne l'interroge.\\
--- Vas-y, accompagne donc ces demoiselles. Mais tu as intérêt à être rentré pour midi, tu as ton créneau de garde à effectuer !\\
--- Compris, chef, dit-il respectueusement.\\
Et ils s'éloignèrent rapidement en direction de l'entrée principale.
\noindent --- Il n'a pas l'air très commode, le chef... commença \denise.\\
--- Il n'est pas si mal, répondit le garde prudemment. Il est un peu sur les nerfs en ce moment, avec le tournoi qui arrive... Tout le monde est un peu sur le qui-vive, à la garde.\\
Elle hocha la tête.\\
--- Tant qu'il me laisse me promener à mon gré...\\
Il haussa les épaules.\\
--- La rumeur court qu'il n'aime pas les elfes, mais je ne sais pas si c'est fondé, il n'en parle pas... En tous cas je ne pense pas qu'il vous interdise de sortir, au moins si je vous accompagne.\\
--- J'ai cru comprendre qu'il y avait une salle d'entraînement ? intervint \aure.\\
--- Il y en a une au sous-sol, en effet. Mais dès demain, la cour sera transformée en grand espace d'archerie, pour tous nos invités... J'imagine que vous voudrez vous exercer. La salle d'armes est bien trop petite pour cela, elle est plus adaptée pour travailler l'escrime.\\
--- Peut-on s'y exercer librement à l'épée ? demanda \denise en désignant la sienne.\\
--- Le duc, ses fils et ses beaux-fils ont l'habitude de venir s'y entraîner, en tous cas. Et même leur troisième fils, \ismael, revenu de la capitale après toutes ces années, veut renouer avec la vieille tradition familiale.\\
--- Ah ?\\
--- Il a prévu de venir avec son écuyer cet après-midi, m'a-t-on dit.\\
--- Son écuyer ? s'exclama \denise, incrédule.\\
À cet instant, le pied d'\aure écrasa le sien, et elle prit la parole, d'un ton très naturel et détendu.\\
--- Tiens, j'ai dû être mal informée sur la question. J'avais ouï-dire que les paladins étaient plutôt solitaires...\\
--- Je ne suis pas très renseigné non plus, répondit \jan, qui n'avait pas remarqué --ou feignait de n'avoir pas remarqué-- la surprise de \denise et le coup de pied intentionnel de sa compagne. Il s'agit d'un jeune homme du nom de \mageninja.\\
\aure lui adressa, dans le dos du garde, un regard interrogateur, et elle secoua la tête. Non, ce nom ne lui disait rien du tout... Elle était décidément de plus en plus curieuse de parler à \ismael. Qu'avait-il fait depuis qu'il avait ramené \chloe chez elle ? Qui était ce nouveau compagnon ? Venait-il de chez elle ?
\recit{\aure}
La ville était très animée, et les passants les regardaient avec un air curieux. Certains semblaient avoir un peu peur, même si elle faisait tout son possible pour avoir l'air rassurante. Le marché regorgeait de belles couleurs et odeurs, dans les larges rues pavées se croisaient cavaliers, piétons et charettes dans une joyeuse cacophonie. Elle se doutait bien que \jan ne leur montrait que les parties belles et propres de la ville. Elle imaginait bien que dans certains quartiers devaient s'accumuler la misère et la saleté... Elle profitait néanmoins de la promenade.
Sur une petite place près d'une fontaine, ils s'arrêtèrent pour regarder un groupe de trois ménestrels. L'un jouait de la flûte et le second du luth, tandis que le troisième maniait un petit tambourin en chantant. Lorsqu'ils les virent, les trois musiciens s'interrompirent, et le chanteur s'avança vers elle en s'inclinant presque plus bas que terre.\\
--- Ô, princesse des elfes, venue d'un pays lointain et mystérieux ! Princesse de lumière, dont la beauté et la grâce n'a d'égale que la cruauté...\\
Elle se figea un instant en fronçant les sourcils, mais l'homme continua sans sembler le remarquer.\\
--- ...Cruauté de venir se comparer auprès de nous, simples humains, si grossiers et stupides ! Le simple trouvère que je suis se sent impur et sale, à vous adresser ces vers...
La musique démarra, et l'homme entama son chant. \aure se demandait si elle devait le prendre au sérieux, ou si elle pouvait se permettre d'éclater de rire. En gardant l'air le plus sérieux possible, elle jeta un {\oe}il à sa droite. \jan écoutait la musique, sans marquer d'émotion sur son visage. Autour, de nombreux badauds s'étaient rassemblés, autant pour assister au spectacle des ménestrels que celui donné par la présences des elfes. À sa gauche, \denise semblait écouter distraitement, le regard dans le vague.
Elle suivit le regard de son amie, pour constater qu'il n'était pas du tout dans le vague, mais focalisé sur un jeune homme, un quatrième ménestrel --il était, tout comme eux, vêtu de couleurs vives--, qu'elle n'avait jusque là pas remarqué. Il était accroupi derrière les trois musiciens, et semblait chercher quelque chose dans un large sac de cuir. Enfin, semblait... il s'était interrompu pour regarder \denise.
Elle n'eut pas le temps de se demander pourquoi, que la chanson tirait déjà à sa fin.
La foule applaudit, alors que le chanteur saluait avec ses musiciens, puis, sur un geste de sa part, la musique reprit. Cette fois, elle était plus rythmée, plus joyeuse que la précédente, et le quatrième ménestrel se leva alors, brandissant trois couteaux acérés avec lesquels il commença à jongler avec virtuosité. La foule, et la jeune princesse avec eux, se mit à battre la mesure avec enthousiasme tandis que le jongleur exécutait des figures à trois, puis quatre, puis cinq de ces couteaux avec une adresse impressionnante.\\
\noindent --- Je dois reconnaître qu'il est meilleur que les jongleurs d'hier soir, souffla-t-elle à son amie.\\
--- Oui...\\
Lorsque les artistes saluèrent à la fin de ce numéro, tous étaient tournés vers elle --leur princesse, leur muse, bref. Il sembla à \aure que personne parmi la foule de spectateurs ne remarqua que seul, le jongleur l'avait à peine regardée. Il n'avait d'yeux que pour \denise.
Les ménestrels enchaînèrent alors d'autres numéros, de musique ou de chant, parfois agrémentés de figures de jonglerie et d'acrobaties du fameux jeune homme ; et la foule de spectateurs ne faisait que croître. \aure ne connaissait pas les habitudes des humains, encore moins dans cette région, et surtout leurs goûts en termes de spectacle. Elle se fiait aux bribes de commentaires dans son dos pour s'en faire une idée. Leur musique était plutôt standard pour le coin, mais malgré tout très appréciée et de qualité, et le chanteur était même un poète connu dans la région. Quand au jongleur, personne ne semblait le connaître, mais son adresse était très applaudie.
À la fin de leur représentation, elle fut la première à aller déposer quelques pièces dans le chapeau au pied des artistes, et fut bientôt imitée par tous les passants, à tel point que la foule lui cacha vite ses deux compagnons. Elle les retrouva heureusement un peu plus loin.\\
--- Il n'est pas mal, ce jeune jongleur, non ? demanda-t-elle à \denise.\\
--- J'avais oublié que tu n'avais pas l'habitude d'en voir, ce n'est pas vraiment une tradition elfique... commença celle-ci.\\
--- Ce n'est pas de cela que je parle, l'interrompit-elle, en se penchant plus bas, espérant que le jeune garde ne l'entende pas.\\
La jeune elfe marqua une seconde de pause, et détourna le regard, en rosissant.\\
--- Hé, occupe-toi de tes affaires !\\
--- Mes affaires ? Depuis quand ce sont les tiennes ? riposta-t-elle en souriant. Depuis vingt minutes que vous vous fixez avec des yeux de poisson mort ?\\
--- Non, répliqua \denise, sans cesser de rougir. Depuis plusieurs années.\\
Ce fut au tour d'\aure de marquer une seconde de surprise, seconde durant laquelle son amie sembla reprendre contrôle d'elle-même.\\
--- Depuis plusieurs années ? Tu veux dire...\\
--- Que je l'ai connu à la capitale, oui.\\
Elle sourit.\\
--- Ah, je me disais aussi que tu allais très vite. J'avoue que je suis presque...\\
--- ... déçue ?\\
Elles éclatèrent de rire. De l'autre côté, \jan semblait ne pas avoir entendu leurs paroles. Mais il avait une expression beaucoup trop naturelle pour être crédible... Après tout, lorsqu'on est habitué à escorter des seigneurs, on doit vite prendre l'habitude de faire mine de n'avoir rien entendu des confidences qui ne sont pas destinées à leurs soldats.
\recit{\denise}
La fin de la matinée avait été plutôt agréable. La ville semblait très animée à la perspective de ce nouveau tournoi. La plupart des participants et spectateurs du tournoi, ceux qui n'étaient pas invités directement par le duc, logeaient dans la ville, dans diverses auberges ou habitation louées pour l'occasion. Et même certains invités d'honneur, venus avec une ribambelle de serviteurs, ne pouvaient loger toute leur suite au château, et ceux-ci devaient bien dormir quelque part. D'après \jan, de nombreux foyers modestes en profitaient pour louer une petite pièce par-ci, un lit par-là, pour arrondir leurs fins de mois et héberger tous ces étrangers.
\aure avait ensuite été voir un des meilleurs tailleurs de la ville pour se faire faire une robe. Le duc souhaitait leur faire des cadeaux, en guise de leur amitié, et elle trouvait qu'une robe était un cadeau agréable à rapporter. Le tailleur, très honoré de son choix, avait demande à \denise si elle souhaitait, elle aussi, une robe \og digne de son rang \fg, et elle avait poliment balbutié qu'elle allait réfléchir. Elle n'avait pas osé lui expliquer qu'en cadeau du duc, elle préférait plutôt une nouvelle armure...
C'est seulement vers la fin de l'après-midi qu'elle put se libérer d'\aure \xspace--partie discuter avec le duc de l'organisation du tournoi, ou quelque chose comme ça-- pour voir la salle d'escrime. C'était une large pièce, légèrement au sous-sol et éclairée par de nombreux soupiraux. Elle était vide dans l'ensemble, à l'exception du coin près de l'entrée où s'entassaient, dans des bacs, des armes d'entraînement, des mannequins et autres éléments d'exercice.\\
--- Voilà, ce n'est pas forcément très joli mais... commença \jan.\\
--- ... mais c'est fonctionnel. C'est très bien, interrompit-elle.\\
Elle s'avança vers les bacs, et se mit à examiner de près les différentes armes. Il y avait des épées, courtes ou longues, des lances, des haches, des couteaux, pour la plupart en bois et renforcés de métal ; à la fois pour durer longtemps et pour avoir un poids se rapprochant de celui d'une arme en métal. Elle choisit deux épées, et en lança une à \jan, un peu surpris.\\
--- En garde !\\
Le jeune garde sembla hésiter quelques instants, puis se mit en position de combat.
\jan perdit assez rapidement les quelques premières passes, et \denise reconnut l'hésitation d'un homme qui n'a pas l'habitude de se battre contre une femme. Elle n'eut pas besoin de le lui faire remarquer, et il se reprit rapidement. C'était un rude combattant, qui portait des coups rapides et précis. Très vite, elle eut des difficultés à percer sa garde, et fut elle-même mise en défaut une ou deux fois.
\noindent --- \jan ? Tu sais qu'on t'attend sur le chemin de ronde dans cinq minutes ?\\
Ils rompirent le combat brusquement, et se tournèrent vers la voix qui venait d'interpeller le garde. Dans l'embrasure de la porte se tenait un autre garde, qui au vu des quelques broderies sur son tabar était probablement plus haut gradé que \jan. Il était grand et blond, et avait le regard sévère.\\
--- J'arrive, \simon. Excuse-moi.\\
Il lança un regard un peu gêné à \denise.\\
--- Je suis désolé...\\
--- C'est bon, l'interrompit-elle en souriant, je me débrouillerai bien pour survivre sans vous.\\
\jan partit au pas de course, la laissant seule avec celui qui semblait être le chef des gardes, qui lui donna pendant quelques instants l'impression de la transpercer de ses yeux bleus. Puis il se radoucit légèrement.\\
--- Avez-vous besoin de quelque chose, damoiselle \denise ?\\
--- Non, merci, répondit-elle, plus pour se débarrasser de lui qu'autre chose.\\
Le jeune homme haussa les épaules, tourna les talons et quitta la pièce sans dire un mot.
Restée seule cette fois-ci, elle s'assit sur un banc contre un des murs, pour achever de reprendre son souffle. Elle n'était pas pressée de retrouver la foule de courtisans et visiteurs du duc, et aurait préféré aller boire un verre sans se prendre la tête avec les gardes. Mais, quand bien même ceux-ci auraient un peu de temps libre, elle voyait bien qu'ils n'étaient pas très à l'aise avec elle.
Cela lui rappelait ses premiers jours à la garde. Un des premiers entraînements de maître \maitrescrime...
Elle n'avait pas l'habitude d'un tel entraînement, et rien que l'échauffement avait été rude pour elle. Penchée sur ses genoux, le souffle court et le visage rouge, elle essayait péniblement de masquer son épuisement. Elle se demandait s'il était vrai ce qu'on disait, si les elfes avaient vraiment une constitution plus faible que les humains, ou si c'était juste un manque d'habitude... Elle était vraiment la plus petite et la plus frêle des recrues, en tous cas. Heureusement, personne n'avait de remarque sur le sujet, sinon elle aurait cru mourir de honte. Ils avaient saisi des épées en bois et commencé à s'entraîner à deux. Elle s'était alors retrouvée face à un jeune homme, au teint mat et aux cheveux et yeux noirs. Il savait tenir une épée, et même déjà mieux qu'elle, mais n'osait pas porter de coups à son encontre. Peu après, il lui avait expliqué que, de là où il venait, on ne voyait jamais une femme tenir une arme.