+<!--l. 339--><p class="noindent" ><span
+class="ecti-1095">Irdann</span>
+<!--l. 341--><p class="indent" > Silwë avait réussi... Il n’avait pas vraiment vu ce qui s’était passé, mais
+il avait entendu le bruit du pont se fracassant, et le son obsédant du galop
+de ses poursuivants avaient cessé. Il avait maintenant mis une distance
+suffisante avec eux. Il soupira, mit sa monture épuisée au pas, et
+
+
+l’accompagna, pied à terre. Avaient-ils abandonné pour de bon<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Il valait
+mieux continuer à s’éloigner.
+<!--l. 343--><p class="indent" > Il n’avait pas vraiment regardé où il allait, mais il était peut-être temps.
+Il n’y avait plus de brouillard, et les arbres étaient suffisamment espacés
+maintenant pour qu’il arrive à distinguer son chemin à la lumière de la lune.
+À sa droite, s’élevait une haute falaise, interdisant toute sortie par là, mais
+un vieux sentier la longeait. S’il s’éloignait encore un peu de la rivière, il
+serait enfin invisible, à l’abri...
+<!--l. 345--><p class="indent" > Alors qu’il commençait un peu à se rassurer, le bruit d’un galop tant
+redouté parvint à ses oreilles. Oh non. Ils ne laisseraient donc jamais
+tomber<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Il soupira, se remit en selle –ou plutôt à cru– et repartit, malgré
+les protestations de sa monture. Tournant la tête, il remarqua alors que son
+poursuivant était seul. Pourquoi<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Il n’eut pas le temps de réfléchir à cette
+question qu’il déboucha brusquement dans une clairière à l’extrémité
+de laquelle se trouvait... la falaise. Il pouvait essayer de chercher
+un chemin vers la gauche, mais ne risquait-il pas de tomber encore
+sur un cul-de-sac<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Et son cheval était vraiment épuisé. Il allait
+falloir trouver une autre solution. Une cachette, peut-être<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Ou bien
+escalader la falaise<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Ça allait être compliqué avec un cheval... Il mit
+mied à terre, et, plus par habitude qu’autre chose, dégaina son épée.
+Combattre le prêtre<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Cette idée ne l’enchentait guère, mais avait-il le
+choix<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Son regard tomba alors sur la robe aux bordures d’or de la
+prêtresse, qui se reflétaient dans la lueur de la lune, et resta une seconde
+figé, réfléchissant. Cela pouvait peut-être marcher... Il tourna la
+tête. Le prêtre n’était pas tout près, son cheval devait être fatigué
+lui aussi. Il avait tout juste le temps. Un sourire se dessina sur son
+visage.
+<!--l. 348--><p class="noindent" ><span
+class="ecti-1095">Silw</span><span
+class="ecti-1095">ë</span>
+<!--l. 350--><p class="indent" > Se cacher dans la forêt était-il un don vraiment spécifique aux elfes
+sylvains<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Les cinq prêtres restants faisaient un tel bruit, en essayant de
+faire traverser leurs montures réticentes, que ce n’était pas bien difficile. Et
+même sans cela, une forêt n’était jamais silencieuse, de jour ou de nuit.
+Ce n’était pas pourtant si compliqué de faire moins de bruit que
+
+
+ça...
+<!--l. 352--><p class="noindent" >— Dépêchez vous, il faut aller aider Odal<span class="frenchb-thinspace"> </span>! ordonna l’un d’eux, qui semblait
+visiblement en charge.<br
+class="newline" />— Pas la peine de crier si fort, Feyne. Et je crois que mon cheval
+boîte.<br
+class="newline" />Le dénommé Feyne soupira. Un autre prêtre hocha sa tête encapuchonnée.
+La pauvre bête était celle qui était tombée dans la rivière quand le
+pont s’était effondrée. De plus, elle tremblait encore plus que les
+autres.<br
+class="newline" />— Alors venez m’aider à faire traverser celui-là<span class="frenchb-thinspace"> </span>! Vite<span class="frenchb-thinspace"> </span>!
+<!--l. 357--><p class="indent" > Se cacher était d’autant plus efficace qu’ils ne cherchaient personne en
+particulier. Elle aurait presque pu passer à côté et leur demander l’heure
+qu’ils n’auraient pas fait attention à elle. Elle prit une seconde pour
+imaginer cette scène totalement absurde dans sa tête, et ramena ses
+bras contre son corps. Elle commençait à avoir froid, dans la nuit,
+avec sa tunique trempée collée contre son corps. Elle avait bougé
+pour s’éloigner d’eux, mais ce n’était pas suffisant pour lui tenir
+chaud...
+<!--l. 359--><p class="noindent" >— Là bas, on dirait qu’il est de retour<span class="frenchb-thinspace"> </span>!<br
+class="newline" />Un prêtre montrait du doigt la silhouette d’Odal, qui revenait au galop en
+leur faisant un geste. Arrivé à une dizaine de mètres de ses compagnons,
+celui-ci désigna du doigt la direction d’où il revenait.<br
+class="newline" />— Ils se sont arrêtés dans une clairière, au pied de la falaise. La prêtresse
+est seule, je pense qu’il y a un piège...<br
+class="newline" />Silwë fronça les sourcils. Cette voix sonnait étrange à ses oreilles. Et elle
+n’était pas la seule à réagir comme ça. Brusquement, Feyne murmura
+quelques mots et tendit un bras vers lui.
+<!--l. 364--><p class="indent" > Un éclair bleu d’une lueur aveuglante jaillit du ciel sombre, et se
+dirigea droit vers Odal. Elle plaqua ses mains sur sa bouche pour
+ne pas crier, et manqua de tomber de sa branche. Juste au dessus
+de l’homme, l’éclair se sépara en deux, puis en quatre, et ainsi de
+suite, et finit par contourner entièrement le prêtre et sa monture,
+comme si une sphère invisible l’avait protégé. Il lui sembla que même
+les insectes et animaux se turent pendant les quelques instants qui
+
+
+suivirent.
+<!--l. 366--><p class="noindent" >— Mais tu es fou, pourquoi tu as cherché à le foudroyer<span class="frenchb-thinspace"> </span>? questionna un
+des prêtres à côté de Feyne.<br
+class="newline" />Celui-ci haussa les épaules.<br
+class="newline" />— J’ai eu un doute... De toutes façons, il est immunisé, non<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Allez, en
+route.<br
+class="newline" />— Mais nous sommes deux à n’avoir pas pu faire traverser nos montures<span class="frenchb-thinspace"> </span>!<br
+class="newline" />— Alors restez ici et soyez sur vos gardes<span class="frenchb-thinspace"> </span>!
+<!--l. 372--><p class="indent" > Feyne et les deux autres qui avaient traversé enfourchèrent leurs chevaux
+et se lancèrent à la suite dudit Odal. Silwë, toujours sur son arbre, les
+regarda s’éloigner en réfléchissant. Il avait eu un doute sur son identité, au
+point de tenter de le foudroyer... Puis elle reconcentra son attention sur les
+deux prêtres restants, qui discutaient tout en attachant leurs chevaux à une
+branche voisine.<br
+class="newline" />— Il est fou, Feyne, ou quoi<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />— Bah, il a cru que c’était quelqu’un d’autre. Il a trop bu je te
+dis.<br
+class="newline" />— Parle pour toi, tu empestes le vin<span class="frenchb-thinspace"> </span>!<br
+class="newline" />Le prêtre haussa les épaules.<br
+class="newline" />— Toi aussi. Tiens, tu n’aurais pas une lampe<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Il fait de plus en plus
+sombre, je n’aime pas ça...<br
+class="newline" />L’autre fouilla ses poches.<br
+class="newline" />— Non, par contre j’ai des allumettes. On peut allumer un petit
+feu.
+<!--l. 382--><p class="indent" > Une petite flamme à la lueur aveuglante apparut bientôt au pied du
+pont. <br
+class="newline" />— Au moins, on voit quelque chose, maintenant<span class="frenchb-thinspace"> </span>! dit l’un des prêtres avec
+un sourire satisfait.<br
+class="newline" />Silwë serra les dents. Non seulement, avec cette lumière, elle perdait son
+avantage, mais en plus à cause du contraste, elle distinguait moins
+bien les ombres alentours. Et en plus, ce petit feu, qui avait l’air de
+l’appeler de sa chaleur douce, lui rappelait encore à quel point elle avait
+froid.<br
+class="newline" />— Et si quelqu’un arrive, nous le verrons arriver de loin, renchérit
+
+
+l’autre.<br
+class="newline" />— Tu crois qu’on craint quelque chose<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />Le prêtre haussa les épaules, et se leva, droit dans la direction de Silwë.
+Celle-ci sentit son sang se glacer autant que ses doigts. Il ne pouvait tout de
+même pas l’avoir vue, si<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Elle serra dans sa main la poignée de son épée.
+S’il fallait en venir là...
+<!--l. 389--><p class="indent" > L’homme s’approcha de l’arbre dans lequel elle se tenait, sans lui jeter le
+moindre regard. Il releva sa robe et se soulagea contre le tronc. Elle
+laissa échapper un léger soupir de soulagement. Il revint ensuite vers
+son compagnon. Celui-ci s’était assis et observait les environs, peu
+rassuré.<br
+class="newline" />— Tu crains vraiment que quelqu’un n’arrive<span class="frenchb-thinspace"> </span>? lui demanda-t-il..<br
+class="newline" />— Bah, si le barbare n’est plus dans la clairière... Tu ne veux pas aller jeter
+un œil aux alentours<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />— Je suis peut-être assez sobre pour invoquer un enchantement de
+détection, si ça peut te rassurer...
+<!--l. 394--><p class="indent" > Un enchantement de détection... Voilà autre chose. Ces enchantements
+marchaient-ils même quand le prêtre était un peu ivre<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Détectaient-ils les
+elfes<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Elle avala sa salive. Si oui, leur permettrait-ils de la localiser
+précisément<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Quelle serait leur réaction s’ils tombaient sur une elfe
+trempée et peu vêtue<span class="frenchb-thinspace"> </span>?
+<!--l. 396--><p class="noindent" ><span
+class="ecti-1095">Farl</span>
+<!--l. 398--><p class="indent" > Les suivre, les suivre... Plus facile à dire qu’à faire. Heureusement, même
+s’il ne voyait pas très bien, le bruit que faisaient les prêtres à cheval
+était facile à suivre. Il allait à pied, à moitié en courant, à moitié en
+marchant, une monture aurait été bien évidemment hors de question. Les
+prêtres n’avaient visiblement pas abandonné, il les entendait galoper
+encore. Ivres, certes, mais c’est peut-être justement ça qui les avait fait
+se lancer dans une poursuite en pleine nuit. À ce rythme, il ne les
+rattraperait jamais, même en prenant des raccourcis à travers les
+broussailles...
+<!--l. 400--><p class="indent" > Soudain, il entendit un grand fracas et des cris. Que se passait-il<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Il ne
+pouvait s’empêcher de trembler pour Silwë et Irdann. Surtout Silwë, petite
+
+
+et frêle... Il interrompit aussitôt ses pensées. Elle avait une épée, comme
+Irdann, et les rares fois où il l’avait vue s’entraîner avec ses compagnons,
+elle savait très bien s’en servir. À mesure qu’il se rapprochait, il lui sembla
+que le bruit ne s’éloignait plus. Était-ce bon ou mauvais signe<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Il n’était
+plus très loin lorsqu’il aperçut l’éclair illuminer le ciel d’une lueur
+bleutée. Il frissonna. Ce n’était clairement pas bon signe. Il se mit à
+courir.
+<!--l. 402--><p class="indent" > Une lueur était apparue, au loin. Il s’approcha avec précautions. C’était
+un feu, et deux prêtres s’y affairaient. Leurs chevaux étaient attachés un
+peu plus loin. Derrière eux se trouvait le pont sur la rivière, ou plutôt ce
+qu’il en restait. Que s’était-il passé<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Et où étaient les autres prêtres, et ses
+compagnons<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Il s’approcha encore, en essayant de ne pas faire de
+bruit.
+<!--l. 404--><p class="indent" > Les prêtres n’avaient pas l’air particulièrement rassurés. L’un d’eux
+s’était mis à genoux, et semblait prier. Il avança lentement, avec
+précautions. En ville, c’était différent. Il n’y avait pas des branches et
+feuilles par terre pour trahir ses pas, et puis l’invisibilité dans une cité
+consistait, la plupart du temps, à être juste assez visible et audible pour que
+personne n’ait envie de faire attention à lui.
+<!--l. 406--><p class="indent" > Soudain, le prêtre à genoux se redressa brusquement, dégainant son
+épée de sa ceinture, paniqué.<br
+class="newline" />— Quatre hommes<span class="frenchb-thinspace"> </span>!<br
+class="newline" />— Quoi, sursauta l’autre. Il y a quatre hommes autour de nous<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />Farl se figea. Quatre hommes<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Comment avait-il vu les yeux fermés<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Et
+où<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />— Euh non, quatre en nous comptant. Cela veut dire qu’il y en a deux qui
+nous menaçent<span class="frenchb-thinspace"> </span>!<br
+class="newline" />— Tu es sûr de toi<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Tu as bu. Si ça se trouve, tu as juste senti la présence
+des chevaux.<br
+class="newline" />Il haussa les épaules, hésitant.<br
+class="newline" />— Je ne pense pas... Je n’ai jamais entendu dire que cet enchantement
+pouvait faire ça...
+<!--l. 415--><p class="indent" > Un enchantement... Et deux hommes présents... Sauf si l’ivresse le faisait
+« sentir » double, c’est qu’il y avait quelqu’un d’autre. Où<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Et qui<span class="frenchb-thinspace"> </span>? En
+
+
+tous cas, à la réaction des prêtres, ce n’était pas un de leurs amis... Reste à
+savoir si c’était un des siens.
+<!--l. 417--><p class="indent" > Le petit feu de camp apportait un éclairage raisonnable, mais laissait
+tout de même des zones d’ombre. Il sortit de sa tunique deux dards
+impregnés d’un somnifère très puissant. Il n’arriverait pas à les planter sans
+être repéré du tout, mais en étant rapide, ils n’auraient probablement pas le
+temps de réagir. Il s’approcha le plus près possible d’eux, alors qu’ils
+regardaient aux alentours, l’air inquiet.