+<!--l. 647--><p class="noindent" ><span
+class="ecti-1095">Zach</span>
+<!--l. 649--><p class="indent" > Le repas avançant, Zach fut soulagé de constater que l’ambiance
+s’était petit à petit détendue. Si ses parents étaient toujours très
+respectueux envers Sélène et Irdann, ils semblaient avoir compris que ces
+nobles gens appréciaient la simplicité de leur accueil. Quand aux deux
+elfes, une fois passé l’effet de curiosité mêlée de crainte, elles furent
+traitées chaleureusement, presque comme si elles faisaient partie
+de la famille. Sa mère insista même pour qu’Aldariel se resserve
+plusieurs fois de la soupe, remarquant gentiment qu’elle était un peu
+frêle.
+<!--l. 651--><p class="indent" > Il y eut tout de même un moment un peu gênant, lorsqu’ils se levèrent
+
+
+de table. Son père, vraisemblablement enhardi par le vin et la bonne
+ambiance, lui donna un coup de coude en lui demandant comment « il s’en
+sortait » avec les deux elfes, tout en lui adressant un clin d’œil peu discret.
+Pris de court, il avait répondu qu’il ne se passait rien, mais il n’était pas sûr
+de l’avoir convaincu. Aldariel et Silwë, qui avaient entendu, avaient échangé
+un regard gêné, tandis qu’Irdann et Sélène avaient difficilement contenu un
+fou rire.
+<!--l. 653--><p class="indent" > Mais c’était probablement le seul « incident » qu’il pourrait déplorer. Il
+y avait pire. Par contre, au moment d’aller se coucher, ses parents avaient
+rappelé que la petite chaumière ne comportait que deux chambres. Ils
+avaient insisté pour que les deux « nobles » prennent la meilleure des deux,
+la leur, proposant aux trois autres la chambre qui hébergeait autrefois leurs
+enfants. Eux-mêmes dormiraient dans une paillasse au grenier. Il aurait bien
+suggéré un autre arrangement, mais il doutait fort que ses parents le
+laissent faire.
+<!--l. 655--><p class="indent" > Il fit quelques pas dans la pièce, qui l’avait abrité pendant toute
+son enfance. Elle n’avait pas tellement changé depuis, si ce n’est
+qu’elle paraissait vide sans ses trois frères et sa sœur. Trois lits sur les
+cinq avaient été faits. Il s’assit et posa son sac sur celui qui avait
+été le sien pendant toutes ces années. Il commençait à retirer ses
+bottes et son armure lorsque Silwë entra, une bougie à la main.
+Constatant qu’il n’y avait que lui, elle l’éteignit et la posa sur une table à
+côté.<br
+class="newline" />— Ce n’est pas comme si nous en avions besoin... Mais je n’ai pas osé
+refuser.<br
+class="newline" />Elle déposa son sac et celui d’Aldariel, puis vint s’asseoir à son tour sur un
+lit avec un sourire de satisfaction.<br
+class="newline" />— On a beau dire, les matelas humains sont quand même confortables.<br
+class="newline" />— Et c’est une elfe qui dit ça<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />Elle marqua une pause dans le démêlage de ses longs cheveux pour lui
+lancer un regard qu’elle aurait probablement voulu meurtrier. Constatant
+son échec, elle esquissa un sourire.<br
+class="newline" />— Tiens, j’y pense, d’où te vient une telle réputation<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />— Euh, de quoi tu parles<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />C’est le moment que choisit Aldariel pour entrer à son tour dans la chambre
+
+
+–ou peut-être avait-elle attendu ce moment pour se manifester<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Elle
+s’installa à son tour et sourit.<br
+class="newline" />— À propos de la remarque de ton père, tout à l’heure, tu sais bien.
+<!--l. 666--><p class="indent" > Il faillit répondre que son père avait juste un peu bu, puis il hésita à
+répliquer que tout cela venait de toutes façons des rumeurs qui couraient
+sur les elfes. Mais il savait bien qu’elles ne se contenteraient pas de
+ces esquives maladroites. Les quatre yeux bleus qui le fixaient dans
+l’obscurité lui donnaient l’impression de le clouer au mur derrière lui. Il
+abdiqua.
+<!--l. 668--><p class="indent" > Il finit d’ôter sa tunique et s’allongea, préférant regarder le plafond.<br
+class="newline" />— Quand j’étais adolescent, j’avais pas mal de succès auprès des filles, c’est
+vrai. Le petit air d’elfe marchait plutôt bien auprès de certaines... Donc,
+j’avoue, je n’ai pas volé ma réputation. Après...<br
+class="newline" />Il marqua une pause. Elle écoutaient toujours.<br
+class="newline" />— Après j’ai commencé à être un guide et à passer mon temps à
+traverser la forêt. Ce n’est pas tout à fait le genre de boulot qui accorde
+du temps pour « ce » genre de choses... Et puis qui voudrait d’un
+mari à moitié sauvage, qui dort plus souvent sur le sol que dans
+un lit, et qu’on ne voit jamais<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Certes, je rencontre beaucoup de
+gens très différents, et j’ai bien eu des... occasions. Mais au final...
+<br
+class="newline" />Il soupira.<br
+class="newline" />— ... Au final, je vis seul. Ma fiancée, c’est la forêt. Ma seule vraie
+compagne, fidèle et sincère, c’est mon épée.
+<!--l. 675--><p class="indent" > Il se tut. Pourquoi n’avait-il pas tout à fait l’impression de dire la
+vérité<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Le visage de Sélène était encore présent dans son esprit. Mais
+n’était-elle pas, finalement, qu’une de ces « occasions » comme les autres<span class="frenchb-thinspace"> </span>?
+Qu’il avait plus ou moins –à tort ou à raison– laissée passer. L’oublierait-il
+aussi facilement que les autres<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Comme si elle semblait saisir le fil de ses
+pensées, Aldariel s’approcha et posa doucement une main sur son
+épaule.<br
+class="newline" />— Je me suis moquée de toi, cet après-midi. Mais je n’imaginais pas à quel
+point les différences de classe sociale pouvaient être un tel obstacle dans des
+relations entre humains. Toutes ces choses sont tellement plus simples chez
+
+
+nous...<br
+class="newline" />Il ne répondit pas. Peut-être qu’elle avait raison, mais peut-être aussi que la
+situation était nettement plus simple quand on était une princesse. Et
+surtout une princesse comme Aldariel... Tout devait lui tomber au creux de
+la main, les hommes comme le reste.
+<!--l. 679--><p class="noindent" >— À ce propos, Alda, comment va la blessure d’Irdann<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />Et il fallait qu’elle parle du paladin, là, maintenant... Il faillit lui
+rétorquer que ce n’était pas la peine de retourner le couteau dans la
+plaie, quand il sentit, à la façon dont Aldariel lâcha son épaule,
+que la remarque ne lui était pas destinée. Mais alors pas du tout.
+<br
+class="newline" />— Oh, plutôt bien. Rien de crucial n’a été touché, je suis sûre qu’il se
+remettra très vite.<br
+class="newline" />— C’est plutôt une bonne nouvelle.<br
+class="newline" />Il aurait bien aimé voir ce qu’il y avait sur le visage de la jeune princesse,
+mais elle s’était tournée vers son amie. Il repassa dans sa tête la scène de
+bataille et la suite, remarquant alors ce que ses yeux avaient enregistré
+sans le voir. Le sourire amusé de Silwë sembla confirmer ce qu’il
+pensait.<br
+class="newline" />— D’ailleurs, qu’est-ce que tu m’as dit, un peu plus tôt aujourd’hui<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Qu’à
+ma place, tu n’aurais pas hésité<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />Elle se retourna brusquement vers lui, les sourcils froncés.<br
+class="newline" />— Qu’est-ce que tu veux dire<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />Il regarda le plafond, sans pouvoir retenir un sourire.<br
+class="newline" />— À ton avis<span class="frenchb-thinspace"> </span>?
+<!--l. 690--><p class="indent" > Aldariel semblait à la fois choquée et en colère. Silwë s’était glissée sous
+les draps et s’était tue. Soit elle était épuisée et voulait dormir, soit elle lui
+laissait volontairement le champ libre. Après tout, c’était bien son tour de
+se venger... <br
+class="newline" />— Non, je n’aurais pas hésité à ta place. Et<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />Il avait connu des attaques verbales plus difficiles à contrer. Son sourire
+s’élargit.<br
+class="newline" />— Et le « noble paladin aux airs de prince charmant », ça compte comme
+une hésitation<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />Elle marqua une pause, surprise.<br
+class="newline" />— Mais... qu’est-ce que tu imagines<span class="frenchb-thinspace"> </span>? C’est un humain. Un elfe, je ne dirais
+pas, mais c’est un humain<span class="frenchb-thinspace"> </span>!<br
+class="newline" />Belle tentative d’esquive, mais ratée. À moins que... sa surprise semblait
+sincère. C’était encore plus drôle en fait.<br
+class="newline" />— C’est ça. Et moi, je sors d’où, alors, si elfes et humains ne sont pas
+compatibles<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />Elle répliqua aussitôt, pointant son doigt dans sa direction.<br
+class="newline" />— Biologiquement compatibles, oui. Ça ne prouve pas grand chose pour le
+reste. Tu as dit toi même que tu ne savais rien d’eux, non<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />Il devait admettre que la contre-attaque tenait plutôt bien la route. De plus,
+il risquait de se laisser entraîner sur un terrain plutôt glissant. Il lui restait
+une botte secrète. À son tour, il pointa son doigt dans sa direction, venant
+effleurer le sien en souriant. Il lui chuchota.<br
+class="newline" />— Pourtant, j’ai bien l’impression que Silwë, elle, ne s’arrête pas à ce genre
+de détail.<br
+class="newline" />— Quoi<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Qu’est-ce que tu en sais<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />Son attaque avait donc touché. Il ne fallait pas baisser sa garde maintenant.
+<br
+class="newline" />— Elle a passé cinq ans chez les humains. Je pense qu’elle a dû avoir un
+certain succès auprès d’eux. Tu lui poseras la question...<br
+class="newline" />Cherchant désespérément un peu de soutien, Aldariel se tourna vers son
+amie, qui s’était visiblement endormie. Tout du moins, elle faisait
+suffisamment bien semblant. Il l’en remercia intérieurement.<br
+class="newline" />— ...sinon tu te rappelleras sa réaction quand, un soir, tu avais évoqué la
+question.<br
+class="newline" />Quelle chance il avait eu de retenir ce détail pourtant insignifiant, malgré la
+situation qui ne s’y prêtait guère... Ils étaient plus à un cheveu de
+s’entretuer que de jouer à ce jeu-là.
+<!--l. 709--><p class="indent" > Elle lui lança un dernier regard assassin, qu’il fit mine de ne pas
+remarquer. Mais il avait du mal à se retenir de sourire. Elle soupira,
+remonta ses draps sur ses épaules et ferma les yeux.
+<!--l. 711--><p class="noindent" ><span
+class="ecti-1095">Irdann</span>
+<!--l. 713--><p class="indent" > Il referma la porte de la petite chambre et posa le bougeoir sur la table
+de chevet.<br
+class="newline" />— Hé bien<span class="frenchb-thinspace"> </span>! Je m’attendais à ce que nos noms soient respectés, mais à ce
+point...<br
+class="newline" />Sélène sourit.<br
+class="newline" />— C’est vrai que c’était presque un peu trop... Et encore, personne ne leur
+a dit qu’Aldariel était la fille du roi des elfes.<br
+class="newline" />— Les pauvres. Déjà que voir des elfes pour la première fois de leur vie
+était un choc...<br
+class="newline" />Elle fit quelques pas dans la pièce, puis son sourire se figea.<br
+class="newline" />— Ah. Il y a un petit problème technique. Il n’y a qu’un lit.<br
+class="newline" />— Effectivement. En même temps, c’est assez logique, c’est leur
+chambre...<br
+class="newline" />— Tu crois qu’ils pensent qu’on...<br
+class="newline" />Il haussa les épaules. Il n’avait pas tellement envie de décevoir leurs hôtes et
+surtout, de leur demander du travail en plus alors qu’ils se donnaient déjà
+tellement de mal pour eux.<br
+class="newline" />— Bah, ne t’inquiète pas, je dormirai par terre. J’ai connu pire, tu
+sais<span class="frenchb-thinspace"> </span>!<br
+class="newline" />— Moi non plus ça ne me dérangerait pas de dormir par terre. Ça fait
+presque une semaine que je fais ça<span class="frenchb-thinspace"> </span>! Et en plus, toi, tu es blessé.<br
+class="newline" />— Ah mais ça n’a rien à voir<span class="frenchb-thinspace"> </span>!
+<!--l. 727--><p class="indent" > Ils se regardèrent en silence pendant quelques instants. Il lui aurait bien
+répondu qu’elle était une dame et c’était une histoire de code d’honneur,
+mais il doutait de l’efficacité de cet argument. Il n’avait pas affaire à une
+noble dame comme les autres, ça, il avait bien saisi. Ce fut finalement elle
+qui prit une décision.<br
+class="newline" />— Bon écoute, on ne va quand même pas dormir tous les deux par
+terre, ce serait vraiment stupide. Il y a de la place pour deux sur ce
+matelas. Chacun son côté, chacun sa couverture, ça te va comme
+compromis<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />— À condition que tu prennes quand même les draps prévus pour ça. Et
+moi je prends une couverture de voyage.<br
+class="newline" />Elle sourit en lui donnant un petit coup de coude.<br
+class="newline" />— Vendu<span class="frenchb-thinspace"> </span>!
+<!--l. 733--><p class="indent" > Ils s’installèrent rapidement, puis éteignirent la bougie, ce qui plongea la
+pièce dans l’obscurité. Il était épuisé, et il devait reconnaître que ce
+
+
+compromis avait du bon. Le matelas était vraiment confortable. Pourtant, le
+sommeil ne venait pas. Trop de choses s’étaient passées dans cette journée...
+À commencer par Sélène. La jeune femme qu’il devait chercher était saine et
+sauve, et plutôt bien entourée... Elle n’avait pas eu l’air si heureuse que
+cela de le voir arriver. Quelle relation l’unissait à son « guide »,
+d’ailleurs<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Leurs regards étaient tout de même assez éloquents... Mais
+poser ce genre de question ne se faisait pas. Cela ne le regardait
+pas.
+<!--l. 735--><p class="indent" > Il avait beau avoir quitté assez tôt le palais de son père, il connaissait
+assez bien la façon les mariages étaient conclus. Il s’agissait bien souvent
+d’un enjeu complexe d’alliances entre seigneurs et de cessions de
+terres, quand il ne s’agissait pas de guerres, toujours est-il qu’on ne
+laissait pas beaucoup de choix aux jeunes nobles. Bien sûr, on essayait
+généralement de faire en sorte qu’ils s’apprécient au moins un peu, et puis
+ils étaient bien souvent conditionnés pour aimer les gens de leur
+rang... mais au final, ce n’était pas eux qui décidaient sur ce plan-là.
+Certains s’en accomodaient plutôt bien, d’autres trouvaient leur
+bonheur ailleurs que dans les bras de celui ou celle qui leur était
+désigné. Bien sûr, rien de tout cela n’était officiel, mais une oreille
+attentive sur une tête d’enfant innocent pouvait entendre bien des
+choses...