+
+\recit{\ismael}
+
+\noindent --- Et là, ça fait combien ? demanda \ismael.\\
+La petite regarda attentivement les morceaux de bois posés sur la table et se concentra.\\
+--- Dix-sept ?\\
+--- Oui, bravo. Plus dur, maintenant, répondit-il en souriant, et en replaçant d'autres morceaux de bois.
+
+Il laissa \titefille se concentrer sur son addition. Vu son état, il y avait si peu de choses qu'il pouvait faire pour remercier \femmeforgeron et son mari qui l'avaient recueilli, mais il faisait de son mieux. Il avait constaté que le petite peuple, dans cette région, savait lire et écrire très approximativement, alors il se faisait un point d'honneur à enseigner ce qu'il pouvait à leur fille de huit ans. Accessoirement, cela occupait un peu ses journées, et l'aidait à supporter la douleur.
+
+Maintenant que quelques jours s'étaient écoulés, il savait un peu mieux dans quel état il était. Une fois mis de côté les innombrables bleus, muscles froissés, coupures et autres conséquences bénignes de sa terrible chute, il pouvait faire le point sur ce qu'il lui restait comme sérieuses blessures. Son genou droit était toujours sérieusement gonflé et ne le portait plus. Son côté gauche le faisait toujours souffrir à chaque inspiration ---probablement quelques côtes fêlées. Et son épaule droite, qui avait été transpercée par un carreau d'arbalète, mettrait un bon moment à guérir. Il avait tout de même eu de la chance... la végétation dense de la forêt l'avait couvert d'égratignures et de petites plaies, mais lui avait évité le pire.
+
+La porte de la pièce s'ouvrit, et \femmeforgeron et son mari entrèrent. Il n'était pas très tard, d'habitude \forgeron travaillait à la forge jusqu'à la tombée du jour. Leurs expressions de visage étaient indéchiffrables.\\
+--- \titefille, veux-tu bien aller bercer ton petit frère pour qu'il s'endorme ?\\
+On n'entendait pas un bruit venant de la chambre, et il y avait fort à parier pour que le petit frère en question ---à peine plus d'un an--- soit déjà profondément assoupi. Mais la petite ne posa pas de question et, ramassant ses petits morceaux de bois, sortit de la pièce.
+
+Une fois la porte refermée, le couple échangea un regard, puis ils se campèrent comme un seul homme face à lui, les bras croisés.\\
+--- \ismael. Ou peu importe ton nom. Dis-nous vraiment qui tu es, commença \femmeforgeron.\\
+Il hésita un instant à répondre.\\
+--- Je sais que tu ne nous a pas tout dit, enchaîna son époux. Je veux bien croire qu'il y ait des bandits dans la région, et que tu aies eu la malchance de croiser leur route. La plupart du temps ce sont de pauvres gars que la misère a poussé à détrousser les voyageurs pour survivre. Il est rare qu'ils s'équipent d'arbalètes de qualité, comme celle qui t'a causé cette blessure, ajouta-t-il en pointant du doigt son épaule et son bras en écharpe.\\
+--- Et si tu es bien un noble chevalier ou quelque chose dans ce genre, comme semblent le témoigner tes bottes et tes vêtements... pourquoi personne n'est venu te chercher jusque-là ? Tu dois bien avoir une famille, des serviteurs qui te cherchent... Pourquoi ne nous as-tu pas demandé de leur faire porter un message de ta part par exemple ? Ou as-tu, peut-être, une bonne raison de ne pas vouloir être retrouvé... ?
+
+Elle laissa sa phrase en suspens. \ismael resta quelques secondes accablé. Il ne pouvait pas tout leur expliquer. Mais il pouvait comprendre leur méfiance... Méfiance qui se manifestait maintenant seulement, pourquoi ? Pourquoi aujourd'hui et pas le jour où ils avaient recueilli un étranger couvert de sang et de poussière ?
+
+\noindent --- Il y a des hommes qui te cherchent, reprit-elle.\\
+Son sang se glaça.\\
+--- Deux hommes sont venus discuter à l'auberge aujourd'hui. Ils se présentent comme des soldats d'un comté voisin. Ils recherchent un dangereux assassin qui, blessé ou mort, serait tombé il y a quelques jours dans la forêt avoisinante. Ils offrent une récompense à qui permettrait d'en apprendre plus, compléta \forgeron.\\
+--- Qui es-tu vraiment ? insista sa femme.
+
+Ils étaient debout face à lui. Le forgeron était un homme taille moyenne, aux épaules et bras taillés par le travail du métal ; quant à sa femme, même si elle ne bénéficiait pas de la même carrure imposante, ne semblait pas du genre à se laisser faire. De toutes façons ce n'était pas comme s'il avait la moindre chance de se défendre, alors qu'il ne pouvait même pas se lever seul de sa chaise. Il soupira.\\
+--- Je vais vous expliquer qui je suis et pourquoi je suis là. Même si je sais pertinemment que vous n'allez pas me croire.
+
+\femmeforgeron et \forgeron s'assirent à leur tour, de l'autre côté de la table, sans dire un mot.\\
+--- Mon nom est bien \ismael, et je suis le troisième fils du duc \seigneurismael. J'ai quitté le château familial à l'âge de douze ans, pour suivre l'enseignement long et difficile d'un paladin de \deesse, et je suis de retour pour la première fois depuis cette longue absence. Ceux qui m'ont tendu une embuscade n'étaient pas des brigands ordinaires, c'est certain... ils avaient pour but de m'enlever pour prendre ma place. Dans quel but, je l'ignore encore... mais parmi eux il y avait un homme, qui est mon sosie parfait. Ils m'ont dépouillé de mon tabard et de mes armes pour les lui donner. J'ai profité d'un moment de confusion pour m'enfuir en me jetant dans le ravin. Il me paraît évident que mon double avait besoin de me garder en vie dans la mesure du possible, pour se faire passer \og au mieux \fg pour moi. Je ne voulais pas leur laisser cet avantage.\\
+Il marqua une pause, puis reprit.\\
+--- J'étais accompagnée d'une noble dame du nom de \chloe, qui est la seule qu'ils ont épargnée de toute notre escorte. Elle est très probablement restée prisonnière entre leurs mains, et il ne se passe pas un instant où je ne tremble pas pour elle. Mais que puis-je faire ? À présent que mon sosie a rejoint ---je le suppose--- le palais du duc, personne ne me croirait. Surtout qu'après une si longue absence, se faire passer pour moi n'est pas si difficile. Et je ne suis hélas qu'à moitié surpris que ces hommes me cherchent encore, ne serait-ce que pour s'assurer que je suis bien mort.
+
+Un silence s'ensuivit. Tous les deux le regardaient avec un regard à moitié incrédule, à moitié abasourdi. Il soupira.\\
+--- Je sais que mon histoire vous paraît parfaitement absurde. Vous qui m'avez recueilli, soigné, nourri... Je ne peux pas vous demander, en plus, de me faire confiance à ce point. Si vous craignez que je puisse être un danger pour vous et votre famille, alors enfermez-moi quelque part. Ou faites venir la milice du village, s'il y en a une, ou encore des soldats du duc \seigneurismael.\\
+--- Te reconnaîtraient-ils ? demanda \forgeron.\\
+Il voulu hausser les épaules, mais la douleur l'en empêcha.\\
+--- Peut-être. Peut-être pas. Il y a de bonnes chances qu'on me mette en prison pour trahison ou folie. Mais ce sort est plus enviable que celui qui m'attend entre les mains de ces hommes. Dans tous les cas, je ne veux pas vous faire prendre le risque que ces mercenaires s'en prennent à vous parce que vous m'avez aidé.
+
+Un nouveau silence s'ensuivit. Les époux échangèrent un regard entendu et hochèrent la tête.\\
+--- Ton histoire est effectivement trop difficile à croire, commença \femmeforgeron. Mais nous n'allons pas te livrer à eux.\\
+--- Pour être honnête, je n'avais pas confiance du tout en ces étrangers, compléta \forgeron. Je n'ai pas reconnu le blason d'un seigneur, et quand on propose une \og forte récompense \fg, je me méfie. Alors que toi, le soi-disant dangereux assassin, tu es prêt à te rendre pour nous éviter des ennuis...\\
+--- Je suis sûre que tu ne ne nous a pas tout dit. Mais tu nous parais plus honnête que ces hommes, reprit-elle.\\
+--- Où sont-ils ? demanda \ismael d'une voix faible, ne sachant pas trop s'il devait être vraiment rassuré.\\
+--- Ils sont repartis. Ils ne savent vraisemblablement pas où tu es tombé, et il y a beaucoup de petits villages aux alentours, ajouta le forgeron, le visage un peu radouci. Mais ils risquent de revenir.\\
+--- Heureusement, nous avons eu la présence d'esprit de ne pas parler de toi, ajouta \femmeforgeron. Même \titefille devrait savoir tenir sa langue, et puis elle ne sort pas beaucoup. Mais tu ne dois pas te faire voir. Tu ne sors pas, bien sûr, mais ne te montre même pas aux fenêtres.\\
+Il hocha la tête.\\
+--- Avec un peu de chance, ils finiront par abandonner, ajouta son époux. Et nous verrons ensuite. D'ailleurs, je me serais attendu à ce que, si tu étais vraiment le fils de notre duc, tu nous promettes une récompense en échange de nos soins et de notre aide...\\
+--- Je ne veux pas promettre ce que je ne suis pas sûr d'avoir. Peut-être, si je m'en sors, si je parviens à retrouver ma place... mais il y a beaucoup trop de si. Et puis de telles promesses, n'importe qui peut en faire. Même, et surtout, un dangereux assassin. \\
+Cette fois, l'homme eut un sourire franc.\\
+--- Hé bien, je me demande bien qui tu es, mais j'aime ton honnêteté.\\
+Sa femme sourit à son tour et se leva pour sortir de la pièce.\\
+--- Et puis tu sais, \titefille aussi t'aime bien.
+
+\recit{\denise}
+
+\aure était debout au centre de l'arène, face à la cible, un petit anneau de métal recouvert de papier. Elle inspira profondément, et d'un geste lent et posé, banda son arc. Elle prit le temps d'ajuster son tir, pendant que tout le public retenait son souffle. \denise savait qu'en réalité, son amie n'avait pas besoin de tout ce temps pour viser, mais avait compris qu'il s'agissait plus d'une prestation de théâtre que d'archerie. La foule s'était tue, et pourtant, elle était nombreuse et tassée, derrière les palissades de bois qui entouraient l'arène. Même les plus modestes s'étaient libérés un peu de temps au milieu de leur dur labeur pour venir admirer les meilleurs archers venus des trois duchés, et de plus loin encore.
+
+\aure ouvrit brusquement les doigts. La flèche fila tout droit et déchira la cible de papier en traversant l'anneau. Les applaudissements éclatèrent, et \frereis s'avança à ses côtés, s'inclina et lui prit la main, en annonçant le début de cette nouvelle épreuve à tous les archers encore en lice. Et il y en avait, des épreuves variées. Des tirs sur les cibles mouvantes, en plein vol, des épreuves d'archerie à cheval... \aure ou l'un des deux archers elfes noirs \og présentait \fg l'épreuve par une démonstration avant de laisser place aux participants. La sélection avait été rude, et des centaines d'inscrits au départ il n'en restait plus qu'une trentaine, dont certains, déjà favoris pour le trophée, avaient droit à des encouragements particulièrement chaleureux de la foule.
+
+Depuis la tribune d'honneur, au milieu des grands nobles et invités d'honneur du duc, \denise n'avait pas grand chose d'autre à faire que de regarder le tournoi, et même si le spectacle était intéressant ---surtout une fois qu'il ne restait que les meilleurs---, elle s'ennuyait et mourait d'envie de se dégourdir les jambes. Les nobles dames et seigneurs autour d'elle discutaient entre eux, mais elle se sentait bien seule puisqu'\aure passait une bonne partie de son temps dans l'arène, à encourager les archers.
+
+\noindent --- Joli tir, vous ne trouvez pas ?\\
+\denise sursauta. C'était \elfettenoire, l'archère elfe noir, assise à côté d'elle. Elle lui souriait. Elle était grande et mince, à la peau noire et aux longs cheveux noirs lisses, à peine attachés. Elle portait une longue tunique bleu sombre qui lui arrivait aux genoux, fendue sur les côtés par dessus un pantalon noir comme son frère. Elle ne lui avait pas encore parlé depuis leur arrivée, seule \aure avait échangé avec eux à propos du tournoi.\\
+--- C'est vrai, répondit-elle. \aure est très douée pour ces tirs de précision fine. \\
+L'archère hocha la tête.\\
+--- C'est vrai qu'elle nous en a fait part lorsque nous avons choisi, avec elle et mon frère ---elle désigna l'autre archer, de l'autre côté---, quelles seraient les épreuves que nous aurions à présenter. Entre nous, reprit-elle en se penchant vers elle, je pense qu'elle est probablement la meilleure archère de nous trois, même si elle nous dit que c'est grâce à son arc de très bonne qualité.\\
+\denise ne put s'empêcher de sourire, reconnaissant bien là son amie.\\
+--- J'ai essayé son arc, je n'en reste pas moins une piètre archère, répondit-elle sur le même ton. Même si c'est vrai que son arc est très précis par rapport aux meilleurs arcs humains.\\
+--- Oh, à propos d'humains, interrompit \elfenoir, en se penchant par dessus sa s{\oe}ur, j'ai cru comprendre que vous connaissiez bien leurs coutumes ?\\
+--- Oui, répondit \denise, surprise. J'ai passé plusieurs années à la capitale de la région de \payscapitale, qui n'est pas très loin du royaume des elfes sylvains.\\
+--- Plusieurs années ? Vous devez bien connaître en effet... \\
+Il marqua une pause, et les deux elfes noirs échangèrent un regard. Puis il reprit.\\
+--- Nous aurions quelques questions à vous poser à propos des humains. Pouvez-vous, avec \aure, nous accorder quelques moments ?\\
+--- Oui bien sûr, répondit-elle. Que souhaitez-vous savoir précisément ?\\
+--- Pas tout de suite... Nous aimerions, continua-t-il en regardant à nouveau \elfettenoire avec insistance, que ce soit en privé. Loin des oreilles non pointues, ajouta-t-il avec un clin d'{\oe}il.\\
+\denise haussa les sourcils, un peu surprise. Quel genre de chose ne vou\-lait-il pas dire devant des humains ?\\
+--- Avant le repas, dans la cour intérieure, près du jardin de plantes aromatiques, par exemple ?\\
+--- Soit.
+
+\recit{\aure}
+
+La journée avait été plutôt agréable. Se concentrer sur le tir à l'arc était assez reposant, surtout quand cela lui permettait d'oublier toutes les menaces qui pesaient sur elle. Elle se demandait bien ce que pouvaient lui vouloir les elfes noirs, mais de toutes façons tout était mieux que de subir la présence du sosie d'\ismael ou de \mageninja. Elle n'avait pas pu retenir un sourire de satisfation quand \elfettenoire l'avait poliment mais fermement congédié afin qu'ils soient seuls pour discuter.
+
+L'endroit était un petit coin de jardin, avec des fleurs et buissons ornementaux, qui semblait contraster avec le côté très brut de la muraille de pierre juste à côté, et le côté utilitaire du jardin de plantes aromatiques non loin. Peut-être le duc et sa famille s'étaient aménagé ce petit endroit pour avoir un peu de tranquilité ?
+
+Elles s'assirent sur un petit banc de pierre, en face des deux elfes noirs.\\
+\noindent --- Je m'excuse tout d'abord si la situation vous paraît étrange, commença \elfenoir. Mais je souhaitais vous parler des humains... mais sans qu'ils nous entendent.\\
+\aure hocha la tête. Il reprit, un peu plus bas.\\
+--- Avant de venir, on nous a bien prévenus que la magie était fortement bannie dans cette région. Que savez-vous de plus sur les relations entre humains et magie ?\\
+Ce fut \denise qui commença.\\
+--- Dans le pays de \payscapitale, la magie est officiellement autorisée, depuis quelques centaines d'années je crois, mais beaucoup s'en méfient. À la capitale, ça va un peu mieux, mais l'université de magie n'existe que depuis à peine plus d'un siècle, et les gens l'acceptent peu à peu. Il n'est quand même pas rare qu'un mage soit regardé de travers dans les rues.\\
+\elfenoir hocha la tête.\\
+--- Et vous ne savez pas trop comment ça se passe ici ? Je n'ai pas osé aborder le sujet avec les gens locaux...\\
+--- Nous avons eu la chance de pouvoir le faire, compléta \aure en pensant à \chloe et \remi. Les circonstances étaient un peu particulières...\\
+Elle échangea un regard avec \denise, qui comprit sa pensée.\\
+--- ... Et la magie n'est pas \og que \fg bannie. De ce que nous avons compris, il est arrivé, et cela pourrait encore se produire, que des personnes soupçonnées de sorcellerie soient torturées à mort ou brûlées vives... Je ne sais pas d'où vient cette peur maladive, mais mieux vaut ne pas évoquer le sujet devant n'importe qui.\\
+Elle nota que les deux elfes noirs réprimèrent un frisson et se regardèrent un moment. Étaient-ils mages eux-mêmes pour craindre ce genre de fin, ou étaient-ils juste horrifiés ? \elfettenoire regarda son frère qui hocha la tête. \\
+--- Il faut savoir, reprit-elle, que la magie est une tradition omniprésente par chez nous. Tous les jeunes elfes apprennent à l'utiliser, et si moi et \elfenoir ne sommes pas mages à proprement parler, nous connaissons un ou deux sorts simples. Mais nous avons l'habitude de vivre sans, et c'est pourquoi nous avons été choisis pour venir ici. Certains elfes noirs utilisent la magie quotidiennent, quasiment sans réfléchir, et auraient eu beaucoup de difficultés à se retenir de s'en servir...\\
+--- Je pense qu'on n'oserait pas s'en prendre à vous si jamais on vous découvrait des pouvoirs de mage, répondit \aure sur un ton qu'elle voulait rassurant. Vous êtes les invités du duc après tout, les premiers elfes noirs à venir officiellement sur ses terres... ce statut d'ambassadeur vous protègerait.\\
+--- Peut-être, mais c'est un risque que nous ne voulons pas prendre. Mais bref. Ce n'était pas de cela que je souhaitais parler. En tant que mages, même médiocres, nous sommes donc capables de sentir lorsqu'un sort est lancé près de nous. Le saviez-vous ?\\
+--- Oui, répondit \aure. Même si nous ne sommes pas tous mages comme chez vous, un certain nombre d'elfes sylvains étudient la magie. Ce n'est pas mon cas, mais j'ai connu un mage elfe qui m'a expliqué cela.\\
+Elle lança un regard en diagonale à \denise qui cachait un sourire derrière sa main, ayant probablement deviné ce qu'elle voulait dire par \og connaître \fg. Elle se retint de lui envoyer un coup de pied, et se reconcentra sur cette affaire. Si ces elfes noirs pouvaient \og sentir \fg la magie autour d'eux, alors ils avaient dû se rendre compte de quelque chose...\\
+--- Et, c'est là que je souhaitais en venir, reprit \elfenoir puisqu'\aure ne semblait pas répondre, nous sommes certains qu'il y a des sorts qui ont été lancés ces derniers temps. Si j'en juge par notre conversation, il ne s'agit pas de vous, n'est-ce pas ?\\
+\aure regarda son amie, qui redevenue sérieuse, semblait avoir compris la situation. Que pouvaient-elles dire ? Elles savaient parfaitement pourquoi et même qui lançait ces sorts. Elles restèrent quelques instants sans savoir quoi répondre. Elle aurait bien voulu attraper son amie pour discuter encore plus en privé, pour savoir quoi leur répondre tout en étant cohérent, mais c'était évidemment impossible.\\
+--- C'est étrange en effet, répondit-elle en premier, en espérant que \denise la suive dans son histoire. Ni moi ni \denise n'avons étudié la magie, donc nous ne pouvons même pas confirmer vos observations... \\
+--- Et vous comprenez que nous ne pouvons pas en discuter ouvertement.\\
+--- En effet. Et je me demande bien ce que cela peut signifier, ajouta \aure en gardant l'air le plus surpris possible. Quand avez-vous... senti ces sorts ?\\
+--- Durant la soirée ou la nuit. Hier soir, et il y a quelques jours, lorsque nous sommes arrivés.\\
+\aure vit, du coin du regard, \denise froncer les sourcils, concentrée. Mieux valait la laisser à ses calculs et lui poser la question plus tard. Elle espérait juste que sa nervosité serait interprétée comme de la surprise spontanée.\\
+--- Mon ami mage me disait qu'avec de la pratique, il était capable de situer assez précisément l'endroit du sort et le type de sort. En êtes-vous capable ?\\
+\elfenoir secoua la tête.\\
+--- Comme je vous disais, nous ne sommes pas de vrais mages, seuls les meilleurs chez nous en seraient capables. Principalement parce que la magie y est tellement présente qu'il devient difficile de distinguer un sort particulier au milieu de tous ces sorts mineurs lancés quotidiennement par la grande majorité des elfes... Ici il n'y a rien d'autre, donc j'arrive à les sentir. Mais je ne peux même pas vous dire s'il s'agit d'un, ou de plusieurs sorts faciles ou très complexes à lancer. Simplement, ça me trouble beaucoup.\\
+--- Mon frère s'inquiète facilement, interrompit \elfettenoire. Puisqu'il y a des mages dans la région de \payscapitale, il se peut que l'un soit là en secret, voilà tout.\\
+Malgré son ton rassurant, \aure remarqua qu'elle était nerveuse elle aussi.\\
+--- C'est bien possible, il y a un certain nombre d'archers invités qui ne sont pas de la région des trois duchés, répondit \denise. À quelle distance pensez-vous que ce sort soit lancé ?\\
+--- Pas d'idée précise, mais si c'était significativement en dehors des bornes du château, je ne saurais pas qu'un sort est lancé.\\
+\denise fronça encore une fois les sourcils en regardant ailleurs.\\
+--- Si je suis bien votre pensée, reprit \elfenoir, en effet, aucun de ces archers n'est logé au château. Mais il y a de nombreuses auberges très proches.\\
+\denise ne répondit pas, plongée dans des réflexion qui devaient aller bien plus loin que ne l'imaginait l'elfe noir.\\
+--- Il y a sûrement des gens qui maîtrisent la magie en secret dans ces régions, malgré l'interdiction. Le contraire me surprendrait, reprit \aure, prudemment.\\
+--- Oui, c'est ce que j'essayais de te dire, compléta \elfettenoire à l'intention de son frère. Sans compter ceux qui sont réellement originaires de \capitale, il y a tous ceux qui y ont passé une partie de leur vie... pourquoi n'y auraient-ils pas appris un peu de magie, en cachette ? Nous-mêmes trouvons cela si utile... Prenons, par exemple, le fils du duc \seigneurismael, celui qui est de retour après tant d'années d'absence... quelque chose ne va pas, \denise ?\\
+--- C'est... ce n'est rien. J'avais l'impression qu'on nous écoutait, mais j'ai dû rêver, dit-elle en reprenant ses esprits et en regardant ailleurs.\\
+--- Ah, c'est vrai qu'à accuser le fils même du duc de sorcellerie, on finirait par avoir de sacrés ennuis, répondit \elfenoir en riant presque.\\
+\aure dut mobiliser toute sa force de caractère pour rire à son tour. Les autres suivirent. Pourvu que tout cela ait l'air naturel.\\
+--- Au fond, ce n'est pas si inquiétant pour nous, de savoir qu'il y a un mage qui s'entraîne en secret dans le château, conclut \elfettenoire en se levant. Nous savons que la magie n'est pas plus dangereuse, que, par exemple, une flèche perdue au milieu d'un tournoi de tir à l'arc...\\
+\aure se leva à son tour en acquiescant. Elle n'était pas sûre de trouver la phrase réellement rassurante en fait.
+
+Après avoir pris congé des deux archers, sur le couloir menant à la salle à manger, les deux jeunes elfes purent enfin échanger quelques mots à voix basse.\\
+--- La première fois qu'ils ont senti la magie... c'était le soir où tu as été emmenée non ? demanda-t-elle.\\
+--- Oui, répondit \denise. Je pense que \mageninja a utilisé un... quelque chose pour nous rendre invisibles et sortir du palais. Il a dû utiliser le même hier soir.\\
+--- Pourquoi le même ?\\
+--- J'avais pensé à peut-être \chloe qui lancerait un sort... Mais au vu de ce que \elfenoir dit, c'est trop loin. Même ma \og marche \fg en dehors du château aurait suffi à me rendre hors de portée. Bref, elle est très probablement trop loin. Il doit donc s'agir de \mageninja toujours, puisque c'est le seul que nous avons vu faire de la magie jusque là. Ensuite, c'est toi qui m'as dit que même les meilleurs mages connaissaient rarement des dizaines de sorts différents. Surtout que visiblement il n'utilise pas la magie en continu. Il doit donc se garder pour des cas spéciaux.\\
+--- Tu as un truc en tête ?\\
+--- Il doit bien y avoir un moyen secret pour lui d'être en contact fréquent avec les \og autres \fg. Ceux qui tiennent \chloe en otage. Pouvoir se rendre invisible est l'idéal non ? Il peut alors quitter le château en toute tranquilité. Même si je vois des moyens plus simples de faire passer un message discrètement... Il y a peut-être une autre raison.\\
+\aure lui donna un coup de coude en souriant.\\
+--- Si j'avais un tel pouvoir, honnêtement, je ne chercherais pas un autre moyen. Tu as beaucoup plus d'imagination que lui, c'est tout.\\
+\denise haussa les épaules.
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