+\noindent --- Il y a toujours autant de gens qui s'inscrivent au tournoi ? demanda \aure, accoudée à la fenêtre.\\
+--- Le dernier tournoi, il y a cinq ans, accueillait plus de deux cents participants, lui répondit dame \femmefrereis en s'approchant. Mais, admit-elle en voyant la nuée d'archers agglutinée dans la cour, il y en a encore plus cette année. Nulle doute que votre présence et celles de messire \elfenoir et dame \elfettenoire attire les foules.\\
+\elfenoir et \elfettenoire, les deux elfes noirs. Si on lui avait prononcé ces mots il y a à peine une semaine, elle n'aurait pas pu s'empêcher de sursauter. Mais comme elle s'y attendait, elle n'eut pas de mal à garder un visage détendu, et sourit.\\
+--- Je pense que nous pouvons en être flattés.
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+ Elle savait que la jeune épouse du frère aîné d'\ismael --et donc future duchesse-- avait fait cette remarque pour tester sa réaction. Étrange comme les gens de cette région ignoraient quasiment tout des elfes sylvains, mais s'il y a une chose qu'ils leur attribuaient sans hésiter, c'était la haine envers les elfes noirs. Cet aspect était même véridique, même si cette répulsion s'était un peu émoussée depuis le temps qu'il n'y avait eu aucun contact entre les deux peuples.
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+Et puis elle avait fait connaissance rapidement avec ces fameux invités --deux archers, frère et s{\oe}ur-- la veille au soir, et tout s'était bien passé. De toutes façons, à côté de la menace qui pesait sur elle et surtout sur \ismael et \chloe, de la surveillance quasi-constante du sosie d'\ismael ou de son serviteur, accueillir des elfes noirs lui paraissait presque agréable.
+
+En jetant un regard à la pièce dans laquelle elle se trouvait, elle ne fut pas surprise d'apercevoir \mageninja, adossé à un mur. Elle se demandait parfois si ce qu'avait dit \chloe à \denise était vrai, comme quoi il savait se rendre invisible par magie. Peut-être était-il juste très bon pour se fondre dans le décor, comme il le faisait là, en parfait valet discret et disponible. Il faut dire qu'il n'était pas le seul serviteur, le château du duc en était rempli. Elle pouvait comprendre que tous les invités de marque soient venus avec une petite escorte armée, mais ils avaient en plus amené chacun plusieurs serviteurs, dont ils avaient besoin pour leur \og confort personnel \fg. Sérieusement... les humains nobles étaient-ils capables d'aller au toilettes sans l'aide d'une femme ou d'un valet de chambre ? Ou alors était-ce encore un moyen de prouver qu'\og on \fg avait plus de moyens que l'autre, en amenant un personnel plus important ?
+
+\noindent --- Il y a aussi beaucoup de gens modestes.\\
+\aure sortit de sa rêverie et reporta son regard sur la cour, où défilaient les archers pour s'inscrire, et remarqua en effet que peu d'entre eux semblaient riches.\\
+--- Le voyage doit coûter cher à un simple soldat, pourtant. Et les chances de gagner sont minimes, pourquoi tant d'efforts quasi vains ?\\
+--- Ce tournoi ne sert pas qu'à gagner. Beaucoup cherchent à s'y faire remarquer d'un seigneur ou de leur capitaine, expliqua \femmefrereis en se tournant vers elle. La dernière fois, je me souviens notamment d'un jeune archer fils de paysans. Il a terminé troisième, et son seigneur, le vicomte \vicomtebla, a été grandement impressionné. Il l'a récompensé en faisant de lui le chef de ses archers, et en lui accordant la main d'une de ses filles.\\
+--- En effet, c'est une belle histoire pour lui, répondit \aure, tout en réprimant une remarque sur le fait que la damoiselle en question n'avait probablement pas eu voix au chapitre. \\
+--- De fait, la plupart des seigneurs encouragent les meilleurs éléments de leur armée à participer, quitte à les y aider, car une victoire rejaillirait évidemment sur eux et leur fief. Regardez, ces cinq-là en uniforme bordeaux sont des archers d'ici. Mais on y voit aussi des parfaits inconnus...
+
+Les deux femmes laissèrent errer leur regard sur les hommes qui, un à un, venaient payer les droits d'inscription, et repartaient avec un morceau de papier marqué du sceau du duc. On lui avait dit la veille que même les paysans savaient lire et écrire dans la région, mais à voir le regard concentré qu'avaient certains en parcourant leur certificat d'inscription, ils n'étaient pas tous très à l'aise avec la littérature.
+
+Un bruit de pas léger dans son dos la fit se retourner. Une jeune servante se tenait là, le regard baissé. Elle avait déjà vu son visage, ou la confondait-elle avec la multitude de jeunes employées du château ? Dire que chez elle, elle connaissait chaque membre du personnel par son prénom...\\
+--- Dame \aure, votre bain est prêt, dit la jeune fille en exécutant une révérence.