+
+\recit{\ismael}
+
+\noindent --- Et là, ça fait combien ? demanda \ismael.\\
+La petite regarda attentivement les morceaux de bois posés sur la table et se concentra.\\
+--- Dix-sept ?\\
+--- Oui, bravo. Plus dur, maintenant, répondit-il en souriant, et en replaçant d'autres morceaux de bois.
+
+Il laissa \titefille se concentrer sur son addition. Vu son état, il y avait si peu de choses qu'il pouvait faire pour remercier \femmeforgeron et son mari qui l'avaient recueilli, mais il faisait de son mieux. Il avait constaté que le petite peuple, dans cette région, savait lire et écrire très approximativement, alors il se faisait un point d'honneur à enseigner ce qu'il pouvait à leur fille de huit ans. Accessoirement, cela occupait un peu ses journées, et l'aidait à supporter la douleur.
+
+Maintenant que quelques jours s'étaient écoulés, il savait un peu mieux dans quel état il était. Une fois mis de côté les innombrables bleus, muscles froissés, coupures et autres conséquences bénignes de sa terrible chute, il pouvait faire le point sur ce qu'il lui restait comme sérieuses blessures. Son genou droit était toujours sérieusement gonflé et ne le portait plus. Son côté gauche le faisait toujours souffrir à chaque inspiration ---probablement quelques côtes fêlées. Et son épaule droite, qui avait été transpercée par un carreau d'arbalète, mettrait un bon moment à guérir. Il avait tout de même eu de la chance... la végétation dense de la forêt l'avait couvert d'égratignures et de petites plaies, mais lui avait évité le pire.
+
+La porte de la pièce s'ouvrit, et \femmeforgeron et son mari entrèrent. Il n'était pas très tard, d'habitude \forgeron travaillait à la forge jusqu'à la tombée du jour. Leurs expressions de visage étaient indéchiffrables.\\
+--- \titefille, veux-tu bien aller bercer ton petit frère pour qu'il s'endorme ?\\
+On n'entendait pas un bruit venant de la chambre, et il y avait fort à parier pour que le petit frère en question ---à peine plus d'un an--- soit déjà profondément assoupi. Mais la petite ne posa pas de question et, ramassant ses petits morceaux de bois, sortit de la pièce.
+
+Une fois la porte refermée, le couple échangea un regard, puis ils se campèrent comme un seul homme face à lui, les bras croisés.\\
+--- \ismael. Ou peu importe ton nom. Dis-nous vraiment qui tu es, commença \femmeforgeron.\\
+Il hésita un instant à répondre.\\
+--- Je sais que tu ne nous a pas tout dit, enchaîna son époux. Je veux bien croire qu'il y ait des bandits dans la région, et que tu aies eu la malchance de croiser leur route. La plupart du temps ce sont de pauvres gars que la misère a poussé à détrousser les voyageurs pour survivre. Il est rare qu'ils s'équipent d'arbalètes de qualité, comme celle qui t'a causé cette blessure, ajouta-t-il en pointant du doigt son épaule et son bras en écharpe.\\
+--- Et si tu es bien un noble chevalier ou quelque chose dans ce genre, comme semblent le témoigner tes bottes et tes vêtements... pourquoi personne n'est venu te chercher jusque-là ? Tu dois bien avoir une famille, des serviteurs qui te cherchent... Pourquoi ne nous as-tu pas demandé de leur faire porter un message de ta part par exemple ? Ou as-tu, peut-être, une bonne raison de ne pas vouloir être retrouvé... ?
+
+Elle laissa sa phrase en suspens. \ismael resta quelques secondes accablé. Il ne pouvait pas tout leur expliquer. Mais il pouvait comprendre leur méfiance... Méfiance qui se manifestait maintenant seulement, pourquoi ? Pourquoi aujourd'hui et pas le jour où ils avaient recueilli un étranger couvert de sang et de poussière ?
+
+\noindent --- Il y a des hommes qui te cherchent, reprit-elle.\\
+Son sang se glaça.\\
+--- Deux hommes sont venus discuter à l'auberge aujourd'hui. Ils se présentent comme des soldats d'un comté voisin. Ils recherchent un dangereux assassin qui, blessé ou mort, serait tombé il y a quelques jours dans la forêt avoisinante. Ils offrent une récompense à qui permettrait d'en apprendre plus, compléta \forgeron.\\
+--- Qui es-tu vraiment ? insista sa femme.
+
+Ils étaient debout face à lui. Le forgeron était un homme taille moyenne, aux épaules et bras taillés par le travail du métal ; quant à sa femme, même si elle ne bénéficiait pas de la même carrure imposante, ne semblait pas du genre à se laisser faire. De toutes façons ce n'était pas comme s'il avait la moindre chance de se défendre, alors qu'il ne pouvait même pas se lever seul de sa chaise. Il soupira.\\
+--- Je vais vous expliquer qui je suis et pourquoi je suis là. Même si je sais pertinemment que vous n'allez pas me croire.
+
+\femmeforgeron et \forgeron s'assirent à leur tour, de l'autre côté de la table, sans dire un mot.\\
+--- Mon nom est bien \ismael, et je suis le troisième fils du duc \seigneurismael. J'ai quitté le château familial à l'âge de douze ans, pour suivre l'enseignement long et difficile d'un paladin de \deesse, et je suis de retour pour la première fois depuis cette longue absence. Ceux qui m'ont tendu une embuscade n'étaient pas des brigands ordinaires, c'est certain... ils avaient pour but de m'enlever pour prendre ma place. Dans quel but, je l'ignore encore... mais parmi eux il y avait un homme, qui est mon sosie parfait. Ils m'ont dépouillé de mon tabard et de mes armes pour les lui donner. J'ai profité d'un moment de confusion pour m'enfuir en me jetant dans le ravin. Il me paraît évident que mon double avait besoin de me garder en vie dans la mesure du possible, pour se faire passer \og au mieux \fg pour moi. Je ne voulais pas leur laisser cet avantage.\\
+Il marqua une pause, puis reprit.\\
+--- J'étais accompagnée d'une noble dame du nom de \chloe, qui est la seule qu'ils ont épargnée de toute notre escorte. Elle est très probablement restée prisonnière entre leurs mains, et il ne se passe pas un instant où je ne tremble pas pour elle. Mais que puis-je faire ? À présent que mon sosie a rejoint ---je le suppose--- le palais du duc, personne ne me croirait. Surtout qu'après une si longue absence, se faire passer pour moi n'est pas si difficile. Et je ne suis hélas qu'à moitié surpris que ces hommes me cherchent encore, ne serait-ce que pour s'assurer que je suis bien mort.
+
+Un silence s'ensuivit. Tous les deux le regardaient avec un regard à moitié incrédule, à moitié abasourdi. Il soupira.\\
+--- Je sais que mon histoire vous paraît parfaitement absurde. Vous qui m'avez recueilli, soigné, nourri... Je ne peux pas vous demander, en plus, de me faire confiance à ce point. Si vous craignez que je puisse être un danger pour vous et votre famille, alors enfermez-moi quelque part. Ou faites venir la milice du village, s'il y en a une, ou encore des soldats du duc \seigneurismael.\\
+--- Te reconnaîtraient-ils ? demanda \forgeron.\\
+Il voulu hausser les épaules, mais la douleur l'en empêcha.\\
+--- Peut-être. Peut-être pas. Il y a de bonnes chances qu'on me mette en prison pour trahison ou folie. Mais ce sort est plus enviable que celui qui m'attend entre les mains de ces hommes. Dans tous les cas, je ne veux pas vous faire prendre le risque que ces mercenaires s'en prennent à vous parce que vous m'avez aidé.
+
+Un nouveau silence s'ensuivit. Les époux échangèrent un regard entendu et hochèrent la tête.\\
+--- Ton histoire est effectivement trop difficile à croire, commença \femmeforgeron. Mais nous n'allons pas te livrer à eux.\\
+--- Pour être honnête, je n'avais pas confiance du tout en ces étrangers, compléta \forgeron. Je n'ai pas reconnu le blason d'un seigneur, et quand on propose une \og forte récompense \fg, je me méfie. Alors que toi, le soi-disant dangereux assassin, tu es prêt à te rendre pour nous éviter des ennuis...\\
+--- Je suis sûre que tu ne ne nous a pas tout dit. Mais tu nous parais plus honnête que ces hommes, reprit-elle.\\
+--- Où sont-ils ? demanda \ismael d'une voix faible, ne sachant pas trop s'il devait être vraiment rassuré.\\
+--- Ils sont repartis. Ils ne savent vraisemblablement pas où tu es tombé, et il y a beaucoup de petits villages aux alentours, ajouta le forgeron, le visage un peu radouci. Mais ils risquent de revenir.\\
+--- Heureusement, nous avons eu la présence d'esprit de ne pas parler de toi, ajouta \femmeforgeron. Même \titefille devrait savoir tenir sa langue, et puis elle ne sort pas beaucoup. Mais tu ne dois pas te faire voir. Tu ne sors pas, bien sûr, mais ne te montre même pas aux fenêtres.\\
+Il hocha la tête.\\
+--- Avec un peu de chance, ils finiront par abandonner, ajouta son époux. Et nous verrons ensuite. D'ailleurs, je me serais attendu à ce que, si tu étais vraiment le fils de notre duc, tu nous promettes une récompense en échange de nos soins et de notre aide...\\
+--- Je ne veux pas promettre ce que je ne suis pas sûr d'avoir. Peut-être, si je m'en sors, si je parviens à retrouver ma place... mais il y a beaucoup trop de si. Et puis de telles promesses, n'importe qui peut en faire. Même, et surtout, un dangereux assassin. \\
+Cette fois, l'homme eut un sourire franc.\\
+--- Hé bien, je me demande bien qui tu es, mais j'aime ton honnêteté.\\
+Sa femme sourit à son tour et se leva pour sortir de la pièce.\\
+--- Et puis tu sais, \titefille t'aime bien.
+
+%\recit{\aure}
+
+%\aure prit une grande inspiration, et d'un geste théâtral, banda son arc. La cible était un petit cercle de métal recouvert de papier. L'atteindre même à cette distance ne devrait pas poser de problèmes, mais elle prit le temp d'ajuster lentement son tir. Elle sentait les regards peser sur elle par centaines, et savait pertinemment que sa prestation tenait plus du théâtre que de l'archerie.