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\arc

\recit{\chloe}

\chloe jura intérieurement. Elle venait de rater le départ du convoi public, composé d'une diligence et de quelques soldats, qui lui aurait permis de rentrer chez elle seule. Elle en avait assez d'être escortée des gardes de son château, qui ne lui laissaient absolument aucun champ libre, et elle avait eu bien assez de mal à convaincre ses parents de la laisser se débrouiller seule. 
La première partie du trajet s'était passée sans aucun problème, elle avait même fait quelques rencontres intéressantes, qui avaient rendu les journées moins longues.

Elle soupira. On était en milieu d'après-midi, et il fallait bien qu'elle fasse quelque chose. Elle poussa la porte de la seule auberge du village, et alla parler à la patronne, une jeune femme à peine plus âgée qu'elle, au visage accueillant.\\
--- Un repas et une chambre pour la nuit ? Bien sûr. Ce sera prêt ce soir. Mais que fait donc une dame de votre rang seule dans ce modeste village ?\\
--- À vrai dire... j'ai subi un léger contretemps. D'ailleurs, peut-être pouvez-vous me renseigner. Je cherche un moyen de traverser la forêt pour me rendre en la seigneurie de \seigneurchloe.\\
--- Si vous savez monter, vous pouvez louer des chevaux et engager des hommes pour vous protéger. Je peux vous indiquer quelques contacts.\\
\chloe réfléchit quelques instants. Elle n'aimait pas voyager avec beaucoup d'argent sur elle, et n'était pas sûre de pouvoir se payer un cheval et une escorte armée de plusieurs hommes. La jeune femme sembla saisir son embarras.\\
--- En fait, si vous n'avez pas peur de marcher et que vous n'êtes pas pressée, vous pouvez vous passer du cheval. Par contre, une bonne escorte est vraiment nécessaire. Il y a beaucoup de bandits dans ces bois. Je peux vous recommander...\\
La jeune femme sembla réfléchir quelques instants.\\
--- Mince, maintenant que j'y pense, la plupart des hommes disponibles et compétents sont déjà partis escorter d'autres convois à travers la forêt. Ils rentreront dans quelques jours.\\
À sa mine déçue, elle ajouta :\\
--- Il y a bien \remi, qui habite la petite cabane en bordure du village. Il est parti plus tôt que les autres, et le connaissant, il sera très rapidement de retour, peut-être même l'est-il déjà. Mais ne partez pas seule avec lui, il est un peu...\\
--- Un peu... quoi ?\\
La tenancière haussa les épaules.\\
--- Oh ne vous inquiétez pas, il n'est pas méchant, et il ne vous arrivera rien de vraiment grave avec lui. C'est même probablement le meilleur guide de la région. Seulement, il est un peu brusque, un peu sauvage, et euh, très peu délicat... Pas du tout convenable à une jeune fille de votre rang. Enfin, si je puis me permettre.\\
--- Merci pour vos conseils, je vais réfléchir.

Aller ou ne pas aller voir ce fameux guide ? Elle hésitait. Attendre quelques jours n'était pas mortel. Elle pouvait peut-être même faire parvenir une missive à ses parents pour les prévenir de son retard. D'un autre côté, le «~jeune fille de votre rang~» lui restait un peu en travers de la gorge. Elle avait l'habitude, à l'université de magie, d'être traitée comme les autres, et n'aimait pas, lorsqu'elle rentrait chez elle, redevenir une jeune femme posée et douce, à l'attitude noble qui sied à son rang. Rien que pour cela, l'idée de partir dans la forêt avec un sauvage était tentante. Qu'avait-elle à perdre à aller voir ? Il n'était peut-être pas rentré de toutes façons.
 
Lorsqu'elle arriva près de la petite cabane, elle eut quand même un instant d'hésitation. Cet endroit ressemblait plus à un abri précaire qu'à une maison. Une partie d'elle-même sembla presque soulagée de ne voir aucune lumière à l'intérieur. Elle s'approcha néanmoins de la porte, et s'apprêta à y frapper.

\noindent--- Vous cherchez quelqu'un ?\\
Surprise, elle se retourna vivement. Elle n'avait pas entendu l'homme approcher dans son dos.\\
--- Je cherche un guide du nom de \remi. S'agit-il de vous ?\\
--- C'est moi.\\
L'homme était très différent de ceux qu'elle avait déjà fréquentés. En fait il était très différent de tous ceux qu'elle avait pu voir, qu'il s'agisse de nobles, de serviteurs, de collègues magiciens ou de paysans. Son air fin et élancé rappelait celui des elfes, mais sa barbe et ses oreilles le démentait. Il était vêtu d'une tunique en lin gris et usée, d'un pantalon de toile épaisse brune, et à son côté pendait une épée.\\
--- Je cherche à me rendre dans la seigneurie de \seigneurchloe.\\
--- Vous êtes seule ? Vous avez une monture ?\\
--- Je suis seule et à pied.\\
Le guide marqua un temps d'arrêt, hésitant. Il semblait la jauger du regard. Peut-être ne la croyait-il pas capable de le suivre ?\\
--- Alors ?\\
--- Vous voulez traverser à pied ? Cela va durer six à sept jours.\\
--- Ça ne m'effraie pas.\\
--- Vu la saison, il faudra marcher hors des sentiers battus, pour éviter les attaques. Donc il n'y aura pas d'auberge ou de refuge sur le chemin, on devra dormir à la belle étoile. Le couvert sera spartiate aussi.\\
Il essayait de la faire renoncer, c'est sûr. Mais le trajet ne l'effrayait pas. La vie à la dure ne lui faisait pas peur, cela lui rappellerait sa première année d'université, avec les paillasses inconfortables pour dormir et le chauffage intermittent en plein hiver.\\
--- D'accord.\\
Il hocha alors légèrement la tête, et fit un pas vers elle. Puis soudain, il attrapa un pan de sa robe et le souleva. Elle poussa un cri de colère et de surprise en même temps, tout en se dégageant et en reculant d'un pas. Comment osait-il ? \\
--- Les chaussures. Vous ne pouvez pas courir les chemins avec ça. Trouvez-vous des bottes.\\
Furieuse, elle retint difficilement une gifle. L'homme en face était plus grand, plus fort qu'elle, et armé qui plus est. Et puis elle ne comptait pas renoncer maintenant. Ne serait-ce que pour ne pas perdre la face.\\
--- J'aurai les chaussures qu'il faut demain. D'autres... détails ?\\
Elle avait peut-être un peu trop insisté sur le mot «~détails~», mais c'était sorti tout seul, d'agacement. Il ne releva pas, et se contenta de hausser les épaules.\\
--- Rendez-vous demain matin, dès les premières lueurs de l'aube. Je m'occuperai des vivres. Le trajet coûtera cinq pièces d'or. Marché conc\-lu, mademoiselle... ?\\
Il lui tendit la main. Elle frappa dans la sienne.\\
--- Marché conclu. Appelez-moi \chloe.

\recit{\remi}

Le soir, sur sa paillasse, \remi réfléchissait. Il avait déjà accomagné des voyageurs insolites, mais quelque chose lui disait que cette \chloe lui réservait quelques surprises. 

Elle avait le teint pâle et délicat, une robe violette travaillée, aux bordures dorées, qui semblait convenir à une noble plutôt qu'à une voyageuse. L'air de défi qu'elle avait correspondait aussi, bien qu'il était plus répandu chez les seigneurs que chez les dames, à qui on enseignait douceur et obéissance. Alors que sur son geste ---certes à la fois ambigü et peu délicat de sa part--- pour vérifier ses chaussures, la plupart des femmes qu'il avait croisé auraient ---selon la situation--- hurlé de peur, manqué de s'évanouir, ou gloussé~; elle avait plutôt donné l'impression de vouloir le transpercer d'une épée. Heureusement qu'elle n'en avait pas à ce moment là, en fait...

Et puis elle était venue seule, et rien que ça, c'était étrange.

Et il y avait ce nom, tout simple. Était-ce vraiment le sien ? D'habitude, les nobles aimaient à étaler des noms à rallonge, comme si ce seul nom faisait leur valeur. Était-elle vraiment sans prétention, ou avait-elle quelque chose de louche à cacher ? 

À l'aube, elle était là, prête. Habillée comme la veille, aux bottines près, avec un manteau brun, et munie d'un sac en cuir en bandoulière, en apparence bien rempli. Lui-même avait revêtu une armure et des brassards de cuir, et avait également pris une besace chargée et une cape, gris foncé.

Il hocha la tête, lui tendit une gourde et une couverture, qu'elle mit dans son sac sans dire un mot, et ils se mirent en route. 

\recit{\chloe}

\chloe regrettait un peu d'avoir accepté de le suivre. \remi avait un rythme de marche très soutenu qu'il était difficile de suivre. De plus, elle se prenait chaque branche, fougère, buisson, racine, comme si la forêt entière avait décidé de l'empêcher d'avancer. Lui était tellement à l'aise qu'il semblait que ces mêmes obstacles s'effaçaient devant lui. Sur une racine particulièrement vicieuse, elle s'étala de tout son long dans des branchages. \remi, qui marchait devant sans la regarder, s'arrêta pourtant instantanément, et se retourna. Pourvu qu'il évite une remarque sarcastique, c'était bien assez humiliant comme ça. Sans dire un mot, il lui tendit simplement la main, et la releva. Elle n'avait pas osé croiser son regard. 

Quelques heures plus tard, alors que ses pieds commençaient à la faire sérieusement souffrir, et que son souffle se faisait de plus en plus court, il décréta une pause. Elle se sentit à la fois soulagée et gênée. Faisait-il la pause exprès pour elle ? Certes, il était midi, mais peut-être qu'il ne s'arrêtait pas toujours, et mangeait en chemin.\\
--- Comment vont vos pieds ?\\
--- Ça va. Pourquoi ?\\
--- Parce que vous boitez, depuis trois heures. Ampoules ?\\
Elle avait essayé de ne pas le montrer, pourtant. Et puis elle n'avait pourtant rien dit, de quoi il se plaignait ? Elle garda le regard fixé sur le liseré de la manche de sa robe, évitant son regard. \\
--- Oui peut-être. Mais je peux continuer, hein.\\
Elle ôta ses bottes et ses chaussettes et retint un gémissement. C'était encore pire que ce à quoi elle s'attendait.\\
--- Allez tremper vos pieds dans le ruisseau juste là, pendant que je sors de quoi manger.\\
Le ton s'était adouci. Venait-elle de passer une sorte de test ? Ou avait-il pitié, finalement ? Elle releva les yeux et son regard croisa le sien le temps d'une seconde. Il lui souriait.

\recit{\remi}
 
Il était évident que \chloe n'avait quasiment jamais mis les pieds dans une forêt. Elle trébuchait sur chaque branche, chaque racine, sursautait à chaque bruit. Pourtant, il ne l'avait pas entendue se plaindre de la journée, il évita donc quelques remarques amusées qui lui brûlaient les lèvres. Il remarqua aussi très rapidement qu'elle n'avait pas l'habitude de marcher tout court. Non seulement elle s'était mise à boiter, mais son souffle était de plus en plus court et son visage de plus en plus rouge. Il maintint le rythme jusqu'au soir, et quand les ombres s'allongèrent, il la sentit à bout. Ayant repéré un endroit convenable, il s'arrêta et se tourna vers elle.\\
--- Reposez-vous ici, je vais chercher de quoi faire un feu.\\
Elle répondit immédiatement, d'un ton presque agacé.\\
--- Merci, mais je vais bien, je peux rester debout, et vous aider.\\
Il lui sourit. Décidément, elle avait du cran, et ça lui plaisait.\\
--- Pas la peine de me le cacher, je vois bien que vous êtes épuisée. Il n'y a pas de mal à ça.\\
Elle fronça les sourcils. Il reprit plus doucement.\\
--- Vous avez bien mérité un peu de repos. Tous les voyageurs à qui je fais traverser cette forêt ne suivent pas mon rythme comme vous sans se plaindre, croyez-moi.\\
Elle sembla hésiter, puis s'assit dos à un arbre, et posa son sac, laissant échapper un léger soupir de soulagement. 

Il revint une dizaine de minutes plus tard. En plus du bois, il avait trouvé quelques baies. La nuit était quasiment tombée, mais cela ne lui avait jamais posé problème. \chloe était toujours assise, adossée au même arbre, penchée en avant, immobile. Endormie ? Elle avait vraiment l'air épuisée, c'est vrai... Elle avait ôté ses bottes, et ses mains étaient posées sur ses pieds, laissaient entrevoir une peau intacte. Il fronça les sourcils. Il se souvenait d'avoir vu ses pieds presque en sang à midi. Peut-être que ses doigts cachaient les blessures, après tout, ses chaussettes posées à côté d'elle en portaient toujours les traces.

\recit{\chloe}

\noindent--- Vous allez bien ?\\
Elle sursauta et ouvrit les yeux. Il faisait noir autour d'elle. Elle cacha rapidement ses pieds sous sa robe, en se redressant.\\
--- Oui, oui. Je crois que je me suis assoupie, désolée...\\
Ah, pourquoi ce moment d'endormissement ? En fait, elle savait très bien. Elle avait tellement mal aux pieds qu'elle avait profité de l'absence de son guide pour lancer un léger sort. Un qui n'avait pas besoin de son bâton pour être efficace. Un simple apaisement des blessures mineures. Elle eut honte, pourtant ce n'était pas sa première blessure, et d'habitude, elle savait tenir la douleur. Lorsqu'on s'entraîne à la magie, c'est même très courant. En plus, c'était un risque, il aurait pu la voir... Lancer un sort était rarement discret, elle le savait.
Et ce moment de sommeil... Oui, elle savait que la magie pouvait épuiser. Mais ce n'était pas un si petit sort qui aurait dû l'endormir, tout de même !

Elle regarda son guide, qui venait de réussir à allumer un feu. Il ne semblait pas se douter de ce qui s'était passé. Ouf, elle n'était passée pas loin de la catastrophe. La chaleur et la lumière lui rendirent un peu de forces, et plus encore le repas qu'il lui tendit, composé essentiellement de pain, de fromage et de lard.\\
--- J'ai pu trouver quelques myrtilles pour le dessert. C'est toujours ça. Peut-être que demain, j'aurai le temps de chasser quelque chose, ça améliorera le repas.\\
Il semblait presque gentil avec elle, maintenant. Pitié ou sympathie ? Son sourire semblait plutôt franc.\\
--- Enroulez-vous dans votre couverture, je vais baisser le feu pour la nuit.\\
--- Vous ne dormez pas ?\\
--- Ce coin de forêt est assez calme, et j'ai vérifié les alentours. Il n'y a pas de gros soucis, donc je dormirai aussi. Et ne vous en faites pas, ajouta-t-il en voyant son air inquiet, je dors souvent seul en forêt et je sais me réveiller si quelque chose d'anormal se passe.

Elle sortit la couverture, s'enveloppa dedans, posa sa tête sur sa besace et avant d'avoir le temps de constater que le sol était bien trop dur, elle s'endormit profondément.

\recit{ \remi}

Pendant les quelques minutes où il s'occupait du feu, de façon à s'assurer qu'il ne dégénère pas, il observa la jeune femme. Elle était épuisée. Peut-être avait-il été un peu rude avec elle ? Finalement, elle suivait à peu près son rythme, sans se plaindre, et sa compagnie n'était pas désagréable. Ces cinq ou six jours de traversée ne s'annonçaient pas si mal. Il écarta aussitôt une idée idiote qui lui traversa l'esprit. Non, pas avec une noble. Surtout sa cliente. Ç'aurait été une paysanne, ou une servante, il se serait peut-être posé la question, mais avec une damoiselle de haut rang, c'était le meilleur moyen de s'attirer les pires ennuis... 

Il se leva en s'étirant, fit un tour rapide du campement de fortune, puis s'enroula dans sa propre couverture, de l'autre côté du feu, et s'endormit à son tour.

Le lendemain, il se réveilla de très bonne humeur. Habitué à dormir à même le sol, il avait passé une très bonne nuit. À la grimace que fit \chloe en se levant, il se rappela que ce n'était pas le cas de tout le monde. Si on y ajoutait les courbatures dues à l'effort qu'elle avait fourni la veille, le réveil était probablement beaucoup moins agréable pour elle. Pourtant, elle suivit sans broncher le même rythme, et semblait un peu plus détendue. Il se permit même quelques remarques amusées, qu'elle ne prit pas trop mal. 
Vers le début de l'après-midi, elle lui posa même quelques questions sur certaines plantes et arbres qu'ils croisèrent. 

Alors que le soir approchait, il la laissa encore près du campement pour aller chercher de quoi faire un feu. Avec un peu de chance, il trouverait peut-être du petit gibier, et ils feraient un bon repas, pour changer. Ils pouvaient se permettre de prendre un peu de temps, car ils avaient bien avancé. Ce n'était pas parce qu'il avait une réputation de sauvage qu'il ne savait pas apprécier quelques bons moments.

Son sang se glaça soudain lorsqu'il entendit un cri. C'était sa voix. Si elle avait été n'importe quelle autre fille, il aurait cru à une rencontre inattendue avec une araignée. Mais là... Dégainant d'un même geste son épée de sa ceinture et son couteau de sa botte, il se précipita vers le camp.

\recit{\chloe}

Elle recula lentement, de façon à garder toujours dans son champ de vision les deux hommes. Leurs vêtements étaient sales et un peu déchirés, ils étaient armés l'un d'un gourdin et l'autre d'une vieille épée. Ne pas paniquer. À l'université de magie, elle s'était entraînée à combattre physiquement, en utilisant son bâton de magicienne comme d'une arme lorsqu'elle ne voulait ou ne pouvait pas utiliser la magie. Elle n'avait trouvé à la place qu'une branche cassée, lourde et peu pratique à manier~; mais elle comptait bien ne pas se laisser faire. Au pire, elle pouvait essayer de gagner du temps. Pourvu que \remi arrive vite... mais était-il capable de maîtriser ces deux brutes ?

Elle était si concentrée qu'elle ne fit même pas attention à ce qu'ils lui dirent. L'un d'eux, celui à l'épée, s'avança. Elle pivota et plaça son arme si dérisoire dans sa direction. Ne pas le laisser s'approcher, coûte que coûte. Qu'avait-elle à perdre ? Ces deux brigands n'allaient pas se contentent du peu d'or qu'elle possédait de toutes façons...

À l'instant où le bandit leva son épée pour dégager le bâton, l'homme au gourdin disparut soudainement de son champ de vision. Sentant la panique monter, elle dirigea d'un mouvement brusque la branche vers le visage de l'autre. Si elle touchait ses yeux avec les brindilles à son extrémité, elle pouvait gagner encore un peu de temps... Il esquiva le coup, puis dégagea la branche sur le côté du plat de sa lame, avant de s'avancer vers elle d'un pas. 

Alors qu'il allait l'atteindre, il s'effondra brusquement, à ses pieds. Elle n'eut pas le temps de comprendre ce qui se passait lorsqu'une main se posa sur son épaule. Cette fois, elle ne put retenir un cri de panique. Maintenant sa prise à deux mains sur son arme de fortune, ramenant les bras vers elle, elle donna un grand coup dans son dos, de toutes ses forces. Elle sentit un choc, entendit un bruit mat et un gémissement étouffé.\\
--- Hé, c'est moi !\\
Reconnaissant la voix, elle se retourna. \remi était là, sa main gauche posée sur ses côtes, son épée couverte de sang dans la main droite, et un couteau aussi sale glissé rapidement dans sa ceinture. Elle regarda alors autour d'elle. Les deux hommes gisaient à terre. Elle lâcha la branche, en tremblant. Il lui prit délicatement la main.\\
--- Viens, il ne faut pas traîner ici. D'autres pourraient venir.

\remi ramassa leurs deux sacs, les passa en bandoulière, et l'emmena au pas de course. Elle le suivit sans réfléchir.

Combien de temps s'était passé lorsqu'elle reprit un peu ses esprits ? Elle l'ignorait. Mais la nuit achevait de tomber, et ses jambes commençaient à faiblir. Il n'avait pas lâché sa main.\\
--- Où va-t-on ?\\
--- Je connais un endroit où on est sûrs de passer une nuit en sécurité. Nous y sommes presque.\\
Quelques minutes plus tard, ils arrivèrent devant un amas rocheux.\\
--- C'est un peu escarpé, mais pas trop difficile. Ne lâche pas ma main, et n'hésite pas à t'accrocher de l'autre à la roche ou à la végétation.

L'ascension fut difficile, et tenait presque plus de l'escalade que de la marche. Elle devait se tenir sans cesse à la paroi qu'elle voyait de plus en plus mal. Sans compter qu'elle ne pouvait plus tenir sa robe, et se prenait les pieds dedans. Comment lui faisait-il pour grimper avec les deux sacs, en tenant sa main, et sans montrer le moindre effort ?

Une pierre se détacha subitement sous son pied gauche, dans un léger craquement. Elle sentit son second pied glisser, et sa main chercha ---en vain--- de quoi se raccrocher à la paroi. Par réflexe, son autre main s'aggrippa encore plus fort à celle de \remi, en laissant échapper un léger cri. Sa chute, qui lui parut durer une éternité, s'arrêta une quarantaine de centimètres plus bas, retenue par cette main salvatrice.\\
--- Tout va bien. Reprends tes appuis, tranquillement. Attrape la racine, au niveau de ta tête.\\
Ne pas regarder en bas. Ne pas regarder en bas. Tremblante, elle saisit la prise qu'il lui avait désignée, et reposa ses pieds sur un rocher. Puis elle leva les yeux vers lui. Il lui adressa un sourire encourageant.\\
--- C'est presque fini.

Quelques mètres plus loin, la paroi se fit carrément verticale et lisse. \remi désigna un buisson au dessus de sa tête.\\
--- C'est ici. Par contre, tu vas devoir lâcher ma main quelques instants.\\
Elle vit sa silhouette escalader lestement les derniers mètres et disparaître dans le buisson sombre. Puis ce buisson s'écarta légèrement, laissant entrevoir une grande faille dans laquelle il se tenait assis. Il se mit à plat ventre au bord, et tendit son bras. Elle le saisit, et il la hissa jusqu'à lui. Le buisson se replaça sur l'entrée de la faille, coupant toute lumière.

\noindent --- Où sommes-nous ?\\
--- Dans une petite grotte cachée sur cette falaise. Fais attention, c'est un peu bas de plafond. Il n'y a que moi qui connaisse cet endroit.\\
--- Comment peux-tu en être sûr ?\\
--- Je l'ai découverte il y a quelques années, je l'utilise parfois pour stocker des choses. Jusqu'ici, hormis la nourriture, rien n'a jamais disparu. Mais en général, c'est simplement un lieu de bivouac plutôt confortable. Enfin, quand je suis seul.\\
--- Quel est ce bruit ? De l'eau qui coule ?\\
--- Il y a un petit ruisseau qui se déverse dans une vasque dans un coin de la grotte. Ce léger bruit a l'avantage de masquer nos sons, déjà un peu étouffés par la paroi et les buissons. D'ailleurs, je vais en profiter pour remplir les gourdes d'eau fraîche.

Elle l'entendit des bruits de pas s'éloigner rapidement vers le fond de la grotte, tandis qu'elle-même s'éloignait de l'entrée de la grotte, lentement, à quatre pattes et en essayant de ne pas se cogner. \\
--- Mais comment fais-tu pour t'y retrouver dans cette obscurité ? Et pour ne pas te prendre la paroi ? Je ne vois absolument rien...\\
--- Je connais cette grotte comme ma poche. Ça aide.

Elle l'entendit revenir et s'asseoir face à elle. Il prit doucement sa main et y déposa la gourde qu'il venait de remplir. L'eau était délicieusement glacée. Puis il fit de même avec un morceau de pain. Qu'il connaisse sa cachette les yeux fermés, d'accord, mais qu'il trouve directement sa main...\\
--- Tu vois dans le noir, n'est-ce pas ?\\
Ses doigts étaient encore en contact avec les siens, et elle le sentit, pour la première fois, marquer un instant d'hésitation gêné.\\
--- J'ai des yeux de chat, il paraît.\\
Le contact entre leurs doigts se rompit. 

Alors qu'ils mangeaient en silence, elle réfléchissait. Ainsi, il voyait dans le noir... Ce genre de don était peu courant. Elle fit mentalement la liste des êtres qui avaient cette capacité. Les elfes et les nains, déjà, bien que le mécanisme soit totalement différent pour les deux races. Il y avait aussi les loups-garous, et les vampires... Elle eut un léger frisson et passa machinalement la main sur son cou, un peu soulagée de n'y sentir aucune marque de blessure.

Elle se rappela alors que si elle ne voyait rien, lui la distinguait parfaitement, du moins semblait-il. Avait-il suivi sa pensée sur son visage ? Voulait-il éloigner le sujet des «~yeux de chat~» ? Toujours est-il qu'il reprit la parole.\\
--- Désolé, on fait mieux question confort. Mais au moins on est en sécurité ici.\\
--- Tu penses vraiment qu'il peut y avoir d'autres brigands ?\\
Elle l'entendit soupirer.\\
--- D'habitude, ce coin de forêt est plutôt calme, et ça m'a surpris d'en voir. C'est ma faute, j'aurais dû mieux vérifier. Ces deux gars étaient peut-être un cas isolé, mais dans le doute...\\
--- Tu emmènes souvent des gens dans cette cachette ?\\
--- Non. Tu es la première.

\recit{ \remi}

Il la vit terminer de manger avec un air pensif. Les brigands, la fuite, l'ascension, la chute, la cachette... Tout cela devait faire beaucoup pour quelqu'un qui n'avait pas l'habitude. Elle semblait un peu choquée, mais elle tenait étonamment bien le coup. Ou alors elle cachait-elle très bien son trouble ?

Il la vit frotter ses mains et ses bras. Avant qu'il ne fasse une remarque sur la température, elle anticipa.\\
--- Il fait froid dans cette grotte.\\
Il se rappela qu'elle ne voyait rien, contrairement à lui. Cela devait être extrêment gênant pour elle, de se sentir observée sans pouvoir observer en retour.\\
--- On ne peut pas faire de feu, et l'humidité n'aide pas. Installe-toi sur le lit, vers le fond, et couvre-toi le plus possible. Enfin, lit... le tas de bruyère. Ce n'est pas très confortable, mais c'est mieux que la roche, et ça isole du froid.

Pendant qu'elle s'installait, il se rapprocha de l'entrée et écarta légèrement le buisson qui la masquait. L'autre avantage de cette cachette, c'est qu'elle faisait un excellent point d'observation. La forêt était calme. Une lueur, très lointaine, dans la direction opposée à leur trajet. Brigands ou voyageurs ? Rien d'inquiétant vue la distance de toutes façons.

Il revint vers le fond de la grotte, et ne put s'empêcher de remarquer que \chloe tremblait.\\
--- Tu as toujours froid ?\\
--- Oui, un peu.\\
Il marqua une seconde d'hésitation, et se racla la gorge.\\
--- Il reste un moyen de se réchauffer : se serrer l'un contre l'autre.\\
Il la vit froncer les sourcils et réfléchir quelques secondes. Puis elle se tourna vers lui.\\
--- Bon d'accord. Mais tu as intérêt à garder tes mains de ton côté, sinon...\\
--- Compris !\\
Il n'avait pas forcément envie d'entendre la liste des supplices qu'elle prévoyait de lui faire subir s'il avait le malheur de laisser traîner une main au mauvais endroit. De plus, son ton presque menaçant lui donnait l'impression qu'elle allait mieux. Et pour être honnête avec lui-même, sans cela, il aurait probablement eu froid lui aussi. Il défit sa ceinture qu'il posa près de lui, de façons à garder son épée à portée de main en cas de besoin, et s'enroula dans sa couverture, tout contre la jeune femme.

\recit{\chloe}


\remi sentait la transpiration et le cuir de son armure ---qu'il n'avait même pas enlevée---, mais elle réalisa subitement qu'elle-même ne devait pas sentir bien meilleur. Elle ne l'aurait pas admis tout haut, mais elle était soulagée de l'avoir près de lui. Non seulement il lui tenait chaud, mais sa présence, son souffle calme, même cette odeur la rassurait. Elle avait un peu de mal à réaliser tout ce qui s'était passé cette soirée. Il l'avait sauvée des bandits, l'avait amenée dans cet endroit si bien protégé et connu de lui seul... Était-il sincère lorsqu'il lui avait avoué qu'elle était la première à y pénétrer ?

Elle réalisa soudainement que si quelque chose se passait mal, elle était incapable de s'enfuir de cet endroit sans se rompre le cou. Il pouvait la garder prisonnière ici s'il le voulait. Que pourrait-elle faire, s'il décidait d'abuser de la situation ? Elle chassa cette idée. Il n'aurait pas attendu ce soir pour ça.

\noindent --- \chloe ? Ça va ?\\
--- Oui, oui...\\
Son visage n'était pas tourné vers elle. Il avait dû sentir son trouble aux battements de son c{\oe}ur.\\
--- Je peux te poser une question bête ?\\
--- Euh, vas-y...\\
--- Où tu as trouvé des bottes en si peu de temps, l'autre jour ?\\
Elle sourit.\\
--- Ah, ça ! J'en ai discuté avec la tenancière de la taverne. Elle a été ravie d'échanger mes jolies chaussures contre une paire de bottines à elle. Même si elle m'a répété plusieurs fois que c'était une mauvaise idée de partir avec toi.\\
Il se mit à rire. \\
--- Ça ne m'étonne pas de ma s{\oe}ur ça.\\
--- Et elle avait parfaitement raison : c'était une mauvaise idée de partir avec toi. Tu as vu dans quelle situation je me retrouve ?\\
Elle marqua une pause, puis se remémora la gérante de la taverne. Charmante femme, au teint pâle et aux cheveux roux...\\
--- Euh, attends... c'est ta s{\oe}ur ?\\
Elle n'avait pas besoin de voir son visage pour savoir qu'elle venait de pointer du doigt quelque chose. La tension dans son corps était explicite. \\
--- Oui...\\
Son ton de réponse semblait gêné. Lui, qu'elle avait toujours vu si assuré, si calme, maître de lui-même, se trouvait si mal à l'aise sur ce genre de question ?

\recit{\remi}

Il n'avait pas besoin d'entendre ses questions ou ses interrogations. Son corps à côté du sien semblait lui crier qu'il se moquait d'elle. Pourtant elle ne disait rien... Peut-être qu'elle n'osait pas poser la question ? Il soupira. Au point où il en était... \\
--- J'ai été abandonné bébé, sur le pas d'une porte. Les gens qui vivaient là, des bûcherons, m'ont recueilli et élevé comme si j'étais le leur. Mais effectivement, j'admets qu'il n'y a pas vraiment d'air de famille.\\
Surprise, \chloe se tut quelques instants. Puis elle reprit, légèrement gênée à son tour.\\
--- Désolée...\\
--- Il n'y a pas de mal. Tu ne pouvais pas savoir.

Elle laissa passer un moment de silence. Elle semblait plus détendue qu'au début. Il valait mieux qu'elle se pose des questions sur lui que sur tout ce qui s'était passé ce soir, finalement... Pourtant il sentait qu'elle réfléchissait encore. Elle reprit la parole quelques minutes plus tard.\\
--- Je peux te poser une question à mon tour ?\\
Il haussa les épaules et sourit dans le noir. L'avait-elle perçu ?\\
--- C'est ton tour.\\
--- Ta capacité à voir dans le noir... Ça m'intrigue beaucoup. Tu n'aurais pas du sang elfe par hasard ?\\
Il soupira. Il aurait dû se douter qu'elle finirait par revenir là-dessus. Il arrivait bien à cacher ce don, habituellement, mais en l'emmenant dans cette grotte obscure, il était illusoire de s'imaginer le garder secret... Elle dut sentir sa gêne, et reprit doucement.\\
--- Tu ne veux peut-être pas en parler ?\\
--- Non, non... En fait, je n'en sais pas plus que toi. Rapport à ce que je t'ai dit plus tôt. Je ne connais pas mes géniteurs. Et puis tu sais, d'où je viens, elfe, ce n'est pas vraiment un compliment.\\
--- Je sais. Je ne disais pas ça pour me moquer, rassure-toi. Tu ne t'es jamais posé la question ?\\
--- Si, à vrai dire. Mais comment savoir ? Aller voir des elfes, et leur dire «~Bonjour, est-ce que tu penses que je peux être ton fils ?» ?\\
Il la sentit sourire à cette plaisanterie.\\
--- Certes. \\
Il hésita à la questionner plus. Elle avait l'air de connaître un peu le sujet... \\
--- Comment tu ferais, toi, pour savoir ?\\
--- En fait, il y a plusieurs façons de voir dans le noir. Peux-tu me décrire exactement comment tu fais ?\\
--- Je n'ai pas l'impression de voir différemment. En fait si je laisse mes yeux s'accoutumer à l'obscurité, je finis par voir très bien. J'ai même été très surpris de constater que j'étais le seul de ma fratrie à pouvoir faire ça, je croyais ça tout à fait naturel... J'ai l'impression que s'il n'y avait aucune source de lumière, je ne verrais rien. Mais ça n'arrive jamais, il y a toujours un petit quelque chose...\\
Elle sembla réfléchir quelques instants, puis expliqua.\\
--- Ça correspond bien à la vision d'un elfe. Les nains voient différemment : ils ont l'infravision, c'est-à-dire la capacité de voir la chaleur dégagée par les corps et les objets. Ce qui revient grosso-modo à voir dans le noir. Les loups-garous, eux, ont l'odorat tellement développé qu'ils ont une aussi bonne perception de leur environnement que s'ils avaient les yeux ouverts en pleine lumière. Il reste les vampires, qui comme certains magiciens, ont une vision nocturne parfaite grâce à leurs pouvoirs magiques. Ce qui n'a pas l'air d'être ton cas.

\remi était impressionné.\\
--- D'où tu sais tout ça ?\\
--- Je l'ai lu.\\
À ses battements de c{\oe}ur et la très légère tension dans son corps, il sut qu'elle ne disait pas tout à fait la vérité. Il hésitait à la questionner, mais il risquait de la braquer. Or, il apprenait tout de même des choses intéressantes... Ce fut elle qui reprit.\\
--- Après, il y a aussi des gens, des humains je veux dire, qui naissent avec une vision nocturne comme ça, sans explications, ni origines spécifiques. C'est plutôt rare cela dit. Vu ta silhouette, il est plus probable que tu aies des antécédents elfiques.\\
Elle avait ça d'un ton tout à fait neutre. Sans la moindre condescendance ou animosité.\\
--- C'est drôle, tu n'as pas l'air de considérer cela comme une tare.\\
Il la sentit hausser les épaules.\\
--- D'où je viens aussi, c'est très mal vu. Personnellement, je ne vois guère de différence. Les elfes sont des hommes comme les autres.


\remi se demanda d'où elle tenait cet avis assez ouvert, pour quel\-qu'un qui semblait venir du même coin que lui. Peut-être des lectures ? Ou... dans ce qu'elle n'avait pas dit ? Il avait voyagé avec beaucoup de gens, au cours de sa carrière~; certains étaient particulièrement virulents vis-à-vis des autres races humaines, d'autres n'en avaient rien à faire, d'autres les admiraient et les enviaient... Surtout les elfes, soi-disants plus beaux, plus agiles, plus sages, plus tout un tas de choses... Il se gardait en général de donner son avis sur le sujet, et personnellement, il attendait d'en rencontrer avant de juger. Il n'avait jamais croisé de nain, et avait entr'aperçu des elfes une fois. Bien sûr, ces derniers n'ayant pas besoin de lui pour traverer la forêt, et les nains n'aimant pas trop voyager, cela ne lui avait pas laissé beaucoup d'opportunités. Pouvait-il lui-même avoir du sang elfique ? C'était une question qu'il n'avait jamais envisagée sérieusement jusqu'alors. Mais \chloe semblait bien connaître le domaine... et ça, il était sûr que ce n'était pas du bluff.

Il entendit sa respiration et son pouls se ralentir. Elle s'était endormie. Bercé par ce rythme régulier et la chaleur de son corps à côté du sien, il ne tarda pas à faire de même.

\recit{\chloe}

Lorsqu'elle ouvrit les yeux, \chloe mit un petit moment à savoir où elle était. La grotte était éclairée par la lumière du jour, qui filtrait largement à travers le buisson masquant son entrée. Elle pouvait enfin voir à quoi ressemblait cette fameuse cachette. Elle était plus petite que ce qu'elle s'était imaginé : allongée sur le lit de bruyère, elle touchait le mur froid de sa main droite alors que l'entrée n'était qu'à quelques mètres à sa gauche. Elle s'assit sur le matelas, finalement pas si inconfortable que cela. 

\remi n'était plus étendu près d'elle, et il avait laissé à côté sa ceinture et son épée, sa tunique et son armure. Elle l'aperçut au fond de la grotte, cinq mètres plus loin, agenouillé auprès de la vasque où s'écoulait un mince filet d'eau. Son dos, fin et musclé, rappelait effectivement la silhouette des elfes, même si ses épaules étaient plus carrées. Et la force qu'il avait eue lorsqu'il fallait la hisser la veille au soir... Un demi-elfe ? Possible... Il y en avait quelques-uns à l'université de magie, mais elle n'avait pas forcément eu le loisir de les voir à demi-nus.

Elle réalisa soudainement que ce n'était peut-être pas très convenable de l'observer ainsi, d'autant plus qu'il ignorait probablement qu'elle était éveillée. Détournant le regard, elle se leva. \\
--- Ouille !\\
Le plafond était effectivement bas. Entendant cela, \remi se retourna. Il lui sourit.\\
--- Bien dormi ?\\
--- Oui, à part le choc du réveil...\\
Elle chercha tout d'abord à ne pas le regarder, puis constata qu'il ne semblait nullement gêné d'être torse nu devant elle. Elle remarqua alors une marque rouge, longue d'une dizaine de centimètres, sur son épaule gauche.\\
--- Qu'est-ce que tu as là ? Tu t'es blessé ?\\
Il regarda son épaule.\\
--- Ah, ça... Je me suis pris un mauvais coup, il y a dix jours. Rien de grave.\\
--- Fais voir ?

\recit{\remi}

\chloe s'approcha, s'accroupit près de lui, et lui saisit le bras. Elle examina la coupure d'un air critique. Certes, ce n'était pas un coup si anodin... Même s'il avait déjà connu pire. Et la blessure était en bonne voie de cicatrisation.\\
--- Tu n'avais pas pu recoudre ?\\
--- Pas vraiment...\\
--- Ne bouge pas.\\
Elle lâcha son bras, et se leva pour aller fouiller dans son sac. Il entendit quelques bruits de métal et de verre. Il avait entendu ces bruits, la veille, en transportant ce même sac, et n'y avait pas prêté attention dans l'urgence. Maintenant qu'il avait le temps de se poser la question, son contenu l'intriguait.

Elle revint rapidement, tenant une petite boîte métallique à la main qu'elle ouvrit.\\
--- Tu sais, ça va, ne t'en fais pas pour moi.\\
--- Donne ton épaule.\\
Le ton était calme, mais ferme. Presque surpris lui-même, il obéit. Elle étala délicatement un baume sur sa blessure. Il piquait légèrement, mais son odeur était agréable.\\
--- Ça va accélérer la cicatrisation, expliqua-t-elle.\\
--- Euh, merci.\\
Il ne savait pas quoi répondre d'autre. Certes, il avait l'habitude de se débrouiller seul, mais était-ce une raison pour ne pas accepter une petite aide spontanée ? Et puis, le contact de sa main n'était pas désagréable.

Il se leva, et alla ramasser ses affaires.\\
--- Si tu veux, tu peux profiter de la vasque au fond pour te rafraîchir. Je vais faire un tour pendant ce temps.\\
Il lui adressa un sourire rapide, et sortit. Le soleil était déjà haut dans le ciel, et il savait qu'ils allaient devoir repartir rapidement, mais après ce qu'ils avaient vécu hier, prendre un peu de temps ne serait pas forcément perdu. Adossé à la paroi, debout sur la petite corniche en dessous de l'entrée de la grotte, il finissait de s'équiper tout en réfléchissant. Cette \chloe était décidément hors du commun... Quels secrets cachait-elle ? D'où tenait-elle tout ce savoir ? Quelles autres surprises l'attendait avec cette étrange voyageuse ? Il réalisa alors qu'il s'était mis à la tutoyer depuis la veille au soir. Elle aussi. S'en était-elle rendu compte ? Ça n'avait pas eu l'air de la choquer...