From a4fd6c80ae012a1b0e971e19bc44729bfc8de4ec Mon Sep 17 00:00:00 2001 From: Denise sur sakamain Date: Sat, 13 Dec 2014 20:53:50 +0100 Subject: Version html --- aventuriers.html | 5183 ++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++ 1 file changed, 5183 insertions(+) create mode 100644 aventuriers.html (limited to 'aventuriers.html') diff --git a/aventuriers.html b/aventuriers.html new file mode 100644 index 0000000..c4bea60 --- /dev/null +++ b/aventuriers.html @@ -0,0 +1,5183 @@ + + +La compagnie d’aventuriers des Pieds Jaloux + + + + + + + + +
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La compagnie d’aventuriers des Pieds Jaloux

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... Ou une histoire qui n’a ni queue, ni tête, mais parce que. +
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Sélène +

Tenant à la main un bougeoir, elle s’avança dans l’immense pièce, +éclairée uniquement par quelques fentes de lumière sur les murs, et la lueur +de sa bougie. La jeune fille portait une longue robe de couleur crème, aux +longues manches et lacée sur le devant, avec des liserés dorés. Ses cheveux +longs étaient soigneusement attachés en deux nattes, entrelacées de +rubans. +

Elle sourit. Sa gouvernante ne supportait ni la poussière, ni les +araignées, voire parfois les rats, qu’on trouvait ici ; et Sélène était ravie de +s’en débarrasser pour quelques heures. Les greniers du château n’avaient pas +été rangés ou nettoyés depuis des générations, et on y trouvait de tout, +vieilles armes, tableaux, ustensiles divers, ... Tout ce qui n’avait pas été +considéré comme ayant suffisamment de valeur pour être stocké dans la + + +salle du trésor. +

Et il y avait des livres. Des tas de livres, oubliés et délaissés. +Comment pouvaient-ils ignorer ainsi leur valeur ? Son père était +assez occupé avec les affaires du fief dont il était le seigneur. Ses +deux parents avaient fait en sorte qu’elle soit éduquée comme une +future noble, délicate, douce, attentionnée, soumise. Ils n’avaient pas +retenu sa passion pour la lecture, se disant qu’au fond, en lisant, elle +n’abîmerait pas ses mains délicates au travail, et ne noircirait pas son teint +pâle au soleil. Et puis, elle aurait de la conversation avec son futur +époux. +

Elle soupira. Elle savait que ses parents espéraient la marier, plus tard, à +un riche seigneur voisin, pour gagner leur soutien et protection, et cette idée +ne l’enchantait guère. Mais que pouvait-elle faire d’autre ? S’évader dans +ces vieux livres, et rêver, seule, dans ce grenier poussiéreux. Elle avait +quatorze ans, et cela faisait presque un an qu’elle venait régulièrement lire +ici. +

Elle était arrivée devant l’une des vieilles armoires à moitié rongées par +les termites. Le dernier livre qu’elle avait lu parlait de plantes médicinales – +qu’elle ne connaissait que de nom et de description, le livre étant dépourvu +d’images–, celui d’avant était un journal de bord d’un grand tacticien +militaire, celui d’encore avant racontait une histoire de chevalerie, et le +précédent était un récit historique d’une grande bataille entre les elfes... +Il y avait de tout, dans le désordre. Elle lisait tout, s’intéressait à +tout. +

Alors qu’elle faisait un inventaire des livres déjà lus, l’étagère de +l’armoire qui les maintenait s’effondra brusquement. Elle sursauta et la +flamme de la bougie vacilla. Si l’armoire s’était écrasée sur elle... Mais à +part un tas de livres par terre, rien de grave ne s’était passé. C’est +alors qu’elle aperçut, sur le fond de l’armoire, là où se trouvaient les +livres quelques secondes plus tôt, un panneau de bois, comme si +l’armoire avait été réparée. Elle posa la bougie par terre, et tendit la +main. En fait, ce panneau avait été rajouté... pour cacher quelque +chose ? +

Le cœur battant, elle chercha à soulever le panneau de bois, et après + + +quelques minutes d’effort, y parvint. Derrière, il y avait un autre livre. Plus +grand, avec une reliure en cuir très épais, et aux feuilles encore plus jaunies +que les autres. Tremblante, elle le saisit, et s’assit à côté de la bougie pour +l’ouvrir. L’écriture, très ancienne, était difficile à déchiffrer, mais elle +parvint à lire les quelques premières pages. La peur la saisit. C’était un livre +de magie ! +

La magie était une chose très dangereuse, disait-on. Les sorciers, pour la +pratiquer, concluaient des pactes en vendant leur âme à des divinités +maléfiques, pour obtenir le pouvoir. Ils étaient chassés, torturés et brûlés +vifs. Un frisson la traversa. Ranger ce livre maudit ? Le brûler ? Le +ramener à ses parents ? ... Le lire ? +

Y avait-il un risque à simplement le lire ? Avait-elle déjà perdu son +âme en l’ouvrant ? Si c’était le cas, peut-être était-ce déjà trop +tard... +

Elle regarda autour d’elle, vérifiant une fois de plus qu’elle était seule, et +avec un sentiment d’excitation coupable, se mit à lire. +

+∼
+
+

Silwë +

La flèche venait de rater une fois de plus sa cible. Elle soupira.
— Encore raté...
— Un peu moins que la dernière fois, pourtant. Tu n’es pas si loin !
Elle regarda son frère, qui s’entraînait à côté. Il aimait la railler à +chaque fois qu’elle s’entraînait – avec un succès toujours mitigé – à +l’arc.
— Ouais, bien sûr. Avec un peu de chance, je pourrai tuer l’ennemi qui se +marre à cinq mètres, tu veux dire ?
— Par exemple, proposa-t-il en riant. Ou alors tu attends qu’il te fonce +dessus, et tu l’atteins à bout portant.
Elle pivota vers lui, tendant son arc et armant une flèche imaginaire, avec +un petit air de défi.
— Méfie-toi, je pourrais le confondre avec toi !
Elle lâcha la flèche imaginaire, qu’il fit mine d’esquiver de manière +spectaculaire. Puis elle prit son arc à une extrémité, et lui fit faire un grand +arc de cercle pour empêcher son frère d’avancer vers elle. Sur le retour, il +utilisa le sien pour bloquer son mouvement et tenta de passer sous sa garde. +Elle pivota autour du point de contact, et laissa glisser son arme contre +la sienne, de façon à se retrouver au contact de son frère. De la +main gauche, elle dégaina une dague imaginaire qu’elle plaça sur sa +gorge.
— Ah, ah !
— Les enfants, qu’est-ce que vous faites là ?
La voix de leur mère venait de résonner. Instantanément, ils se séparèrent, +et répondirent en regardant leurs pieds nus.
— On s’entraîne.
— Je vois ça. Silwë, tu peux venir avec nous s’il te plaît ?
Surprise, la jeune elfe leva les yeux. Sa mère était accompagné d’un homme +qu’elle ne connaissait pas. Il portait la longue tunique vert foncé, le +pantalon blanc et les bottes habituellement réservés aux soldats – c’était +également le cas de sa mère – mais les broderies dorées indiquaient qu’il +s’agissait vraisemblablement de quelqu’un d’important. Elle nota qu’à +sa ceinture pendait une longue épée, comme celles qu’utilisent les +humains, enfin c’était ce qu’on lui avait dit. Elle n’en avait jamais +vue en vrai jusqu’alors. L’homme sembla noter son regard supris, +et lui adressa un sourire bienveillant. Ses longs cheveux blancs et +son air sage semblaient témoigner d’un âge avancé et d’une grande +sagesse. +

Lui et sa mère la menèrent, d’échelle de corde en passerelle, près du +palais du roi, dans un bâtiment de taille moyenne, puis dans ce qui +ressemblait à une salle d’entraînement.
— Ta mère m’a dit que tu voulais devenir soldat, comme elle ?
— Oui. Mais je ne suis pas douée à l’arc... répondit-elle timidement.
Il lui sourit, et jeta un œil à sa mère, à quelques pas de là.
— Il est de toutes façons difficile d’être aussi bonne archère qu’elle. Mais +peut-être serais tu plus à l’aise avec autre chose ?
Il la regarda intensément pendant quelques secondes, comme s’il + + +l’évaluait.
— Quel âge as-tu ?
— Douze ans.
Il lui tourna le dos, et alla chercher une épée en bois.
— Essaie ça.
Elle prit l’arme, la soupesa, et hésita.
— Essayer, comment ?
— Comme ça.
L’homme avait saisi une seconde épée en bois, et s’était précipité sur elle. +Surprise, fit un pas de côté, et tenta de dévier l’épée d’un coup de la sienne. +Même en bois, l’épée était un peu lourde... L’homme attaqua de nouveau, +elle fléchit légèrement les genoux et plaça son épée pour tenter d’enchaisser +un choc qui ne vint pas... L’homme s’était arrêté à quelques centimètres +d’elle...
— Pas mal. Je pense que c’est bon.
— Qu’est-ce que vous voulez dire ?
Il s’assit, et fit signe à la jeune fille et à sa mère de faire de même.
— L’arc et la dague sont les armes par excellence des elfes, par tradition. +Mais ce ne sont pas les seules. Nous avons aussi besoin, pour nous protéger, +de gens sachant se battre avec d’autres armes, comme l’épée, très à la mode +chez les humains, la lance, la hache, le fléau ou même la magie. Je suis le +dirigeant de ces escouades spécifiques. Ta mère m’a parlé de tes difficultés à +l’arc...
Sa mère continua, alors qu’elle rougissait.
— Malgré cela, tu sais te battre et as l’air d’y prendre de l’intérêt. C’est +pourquoi j’en ai parlé autour de moi...
Elle souriait. Depuis le temps qu’elle était dans le groupe d’archers d’élite +de la garde royale, elle connaissait beaucoup de monde. Le vieil homme +reprit en souriant.
— À partir de maintenant, tu viendras t’entraîner régulièrement à l’épée, +ici. Cela te convient-t-il ?
Elle leva les yeux vers lui et hocha la tête. +

+∼
+
+

Uhr +

Les trois adolescents couraient dans la plaine. Ils étaient pieds nus, +vêtus de pagnes grossiers en cuir, et avaient chacun, glissée dans une +ceinture, une épée plus ou moins rouillée, qui semblait avoir subi de +nombreux coups. Leurs cheveux bouclés étaient sales et en bataille, +et bien qu’ils ne soient pas aussi grands et forts que les barbares +adultes de leur clan, leur musculature aurait pu impressioner plus d’un +citadin. +

Uhr, le plus jeune, était en tête. Lorsqu’ils arrivèrent au sommet de la +petite colline, il leur fit signe de s’arrêter.
— Là, regardez !
Devant eux s’étalait un troupeau d’aurochs sauvages, qui broutait +paisiblement.
— Pourquoi tu t’arrêtes ? demanda sa sœur en lui donnant un coup de +poing dans les côtes.
— Bah, on peut peut-être...
— On peut juste attaquer. Tu réfléchis trop, Uhr, ajouta son frère. On y +va !
Les deux jeunes gens tirèrent leurs épées, et commencèrent à dévaler la +colline en direction des aurochs. +

Uhr haussa les épaules. Il savait qu’il réfléchissait un peu trop et ne +tapait pas assez. Pourtant l’autre jour son hésitation à attaquer un fauve à +dents longues des plaines –pire, une mère protégeant ses petits– leur avaient +probablement sauvé la vie. Mais il n’avait pas besoin de se poser autant de +questions. Manger, boire, s’entraîner au combat, chasser, combattre, son +quotidien était pourtant simple, et laissait peu de place à la réflexion. +Alors pourquoi ? Quel destin facétieux, quel dieu blagueur avait +décidé de lui donner ce que sa famille considérait comme le pire des +défaut ? Il réalisa qu’il était encore en train de se poser une question +inutile, dégaina son épée, et courut à la suite de son frère et de sa +sœur. + + +

+∼
+
+

Irdann +

Cela faisait quelques heures qu’ils marchaient ensemble en silence. Le +prêtre qui l’accompagnait semblait de bonne humeur, mais il n’osait pas le +questionner. Il n’avait que onze ans, après tout, et s’il était fils de duc, il +savait qu’il ne fallait pas fâcher un prêtre de la déesse. On disait que leurs +pouvoirs étaient grands, et qu’ils pouvaient –entre autres– foudroyer +quelqu’un sur place en une parole. +

L’homme en question, qui devait avoir une quarantaine d’années, portait +une robe gris clair, munie d’une capuche qu’il avait laissée dans son dos. Un +pendentif d’or ornait sa poitrine, et une épée pendait à sa ceinture de cuir. +Il marchait en s’aidant d’un long bâton de bois et portait sur le dos un large +sac en cuir, visiblement rempli. +

— Hm... prêtre Khil ?
Le prêtre considéra un instant le jeune garçon, vêtu d’une tunique rouge, +d’un pantalon brun, et d’une paire de bottes en cuir épais. Une longue +épée, presque aussi grande que lui, était attachée dans son dos. Il lui +sourit.
— Tu peux m’appeler simplement Khil. Vas-y, je t’écoute Irdann.
— Qu’est-ce que je vais devoir faire, pour devenir paladin ?
— Hé bien, tu auras une éducation mêlant celle d’un prêtre et celle d’un +soldat. Tu deviendras donc un chevalier, non pas au service d’un seigneur ou +d’une dame, mais au service de la déesse.
— Ça veut dire que je vais apprendre les enchantements secrets de +Melna ?
— Cela dépendra surtout de si la déesse t’en juge digne, n’oublie pas... +
Il resta silencieux quelques instants. Tout ne serait pas simple...
— C’est vous qui allez m’apprendre à me battre à l’épée ?
— Probablement. As-tu déjà appris un peu ?
— Oui, avec mes deux frères. Comme le veut la tradition, mon frère aîné +est l’héritier du duc mon père, et le second est un futur grand général. Et +moi...
— Tu dois venir au service du temple, je connais. Mais donc tu sais déjà un +peu utiliser une arme... Tiens attrape ça.
Il lui lança son bâton de marche, qu’il saisit au vol. Le prêtre dégaina +ensuite son épée.
— Vas-y, attaque-moi.
Irdann hésita un instant. Mais après tout, c’était lui qui lui avait demandé, +n’est-ce pas ? +

Il fléchit légèrement les genoux, et affermissant sa prise à deux mains +sur le bâton, porta un premier coup, que Khil para habilement. Puis il saisit +son arme de fortune d’un bras, et porta plusieurs coups latéraux que son +adversaire dévia du plat de sa lame. Il parut surpris.
— Mais... tu es gaucher ?
Irdann rougit et changea rapidement son arme de main, enchaînant +plusieurs attaques aussi rapidement qu’il put. Après avoir paré avec une +facilité déconcertante, le prêtre fit un pas en arrière et lui fit signe de +s’arrêter.
— Tu t’en sors plutôt bien.
Il baissa les yeux, lui rendant son bâton.
— Merci.
— Tu sais donc tenir une épée des deux mains...
Il rougit à nouveau, gêné.
— ... C’est très intéressant !
— Ah ? Mes frères me disent que se battre de la main gauche, ce n’était +pas digne d’un chevalier, alors...
Il éclata de rire.
— Ne les écoute pas. La déesse se moque de savoir de quel bras tu te bats, +tant que c’est pour la bonne cause. Et qui sait, changer d’arme rapidement +pourrait être un atout en combat, non ?
Il leva les yeux, et osa sourire timidement.
— Vous avez eu à combattre contre des vrais adversaires ?
Il lui fit un clin d’œil.
— Oui. Depuis que je suis prêtre, j’ai beaucoup voyagé, et j’ai vécu de + + +nombreuses aventures... +

Irdann regarda à nouveau le prêtre. La robe qu’il portait dissimulait +assez efficacement une certaine carrure, et son rythme de marche +montrait son endurance. Le bâton de marche était-il là pour faire +semblant d’être inoffensif ? Il devait être redoutable sur un champ +de bataille, ou ailleurs... L’avoir comme maître d’armes serait un +honneur.
— Mais tu sais, je ne suis pas le meilleur épéiste qui soit, reprit Khil, +comme s’il devinait ses pensées. D’ailleurs, il me semble que la tradition +veut que les futurs paladins fassent une partie de leur apprentissage en +dehors du temple.
— Ah ? Comment ?
— Je ne sais pas. Tu es le premier depuis longtemps, mon garçon ! Nous +verrons bien.
Il lui sourit, et ils se remirent en route. Le chemin était long jusqu’à la +capitale. +

+∼
+
+

Farl +

Farl prit une grande inspiration et commença son ascension. Le +bâtiment était ancien, et très haut, et les interstices entre les pierres +formaient d’excellentes prises pour ses mains et ses pieds. Patiemment, +silencieusement, il gravit les étages. Vêtu de sombre de la tête aux pieds, il +était quasiment invisible dans la nuit. Ce n’était pas la première fois qu’il +s’adonnait à ce genre de sport, Ni la dernière d’ailleurs. À condition de ne +pas tomber. Écartant cette pensée, il se remémora ces dernières années, si +bien remplies... +

Il était né dans une famille très pauvre de la capitale, et avait +été laissé plus ou moins à l’abandon, sa pauvre mère n’ayant pas +les moyens de le nourrir. Il vivotait, de petits vols et de mendicité. +Il était très doué, et avec sa petite taille et sa rapidité, il arrivait + + +toujours à échapper aux ennuis. Mais un jour, il avait fini par se +faire prendre. À sa grande surprise, l’homme qui l’avait saisi la main +dans le sac ne l’avait pas dénoncé. À la place, cet étrange homme, +mince et aux cheveux blancs s’était présenté comme un assassin +professionnel, et lui avait proposé de devenir son apprenti. Il avait alors sept +ans. +

Depuis – il esquissa un sourire à l’évocation de ce souvenir –, sa vie avait +radicalement changé. Déjà parce qu’il était logé, nourri et habillé +par son maître, mais surtout parce qu’il passait ses journées – et +surtout ses nuits – à apprendre les ficelles du métier. Déplacement +furtif, combat avec une ou deux dagues, utilisation des divers dards +et stylets de contact ou de lancer, poisons et antidotes, et ce soir, +escalade. La ville était devenue un grand terrain d’entraînement et de +jeu. +

Arrivé au troisième étage du bâtiment, il regarda discrètement si +quelqu’un se trouvait à la fenêtre, et constatant que non, il s’assit sur le +rebord pour souffler quelques instants. Il aperçut, en bas, quelques passants +– fêtards, malfaiteurs, gardes ? – marcher dans la rue sans le voir. Il n’était +qu’une ombre parmi les ombres de la nuit. +

Il prit une grande inspiration et se releva. Ses doigts trouvèrent +naturellement une nouvelle prise sur le mur, et il reprit son ascension. +L’escalade de ce bâtiment n’était pas particulièrement difficile, avec toutes +ces pierres moyennement ajustées, mais restait longue et répétitive. Il +commençait à sentir la fatigue dans ses avant-bras. Il parvint au cinquième +étage, à partir duquel les briques étaient plus serrées. Il ne lui en restait +qu’un à grimper, et sur le toit, la gouttière ferait un point d’attache parfait. +Il sortit de son petit sac à dos en cuir une corde et un grappin, qu’il +lança avec habileté jusqu’au rebord du toit. Après avoir vérifié la +solidité de son attache, il grimpa lestement jusqu’au sommet du +bâtiment. +

Assis sur le faîte du toit, son maître l’attendait en souriant. +Était-il monté par l’escalier ? Avait-il escaladé ? Plus rien ne le +suprenait venant de lui de toutes façons. Il regarda une montre à +gousset.
— Bravo, tu as mis moins de temps que prévu.
Un peu essoufflé, Farl sourit en rangeant son grappin et sa corde.
— Je t’ai entendu faire un peu de bruit, en revanche, mais ça reste tout à +fait honorable.
Il soupira. « Tout à fait honorable », c’était un sacré compliment venant de +lui. Même si... ce n’était pas parfait. Jamais parfait avec lui. Son maître se +leva et s’étira calmement.
— Il ne te manque pas grand chose pour valider ta formation. Une première +mission.
Farl le regarda, les yeux brillants. +

+∼
+
+

Zach +

— Bon, allez, on fait une pause ?
À ces mots bénis, Zach se releva avec un soupir de soulagement, ruisselant +de sueur. Il avait arrêté de compter les bûches qu’il lui restait à fendre et +celles qu’il avait déjà débitées. Il se tourna vers ses deux frères, qui, comme +lui, posèrent leur hache, et se dirigèrent vers l’ombre fraîche et accueillante +d’un arbre. L’aîné des garçons sortit alors un petit pichet de vin, qu’il +partagea.
— On a bien avancé, encore quelques heures et on aura terminé je +pense.
— À part Zach, qui n’avance pas.
— Héé, je te permets pas !
— Je rigole, te fâche pas. T’as pas nos bras, c’est tout.
— En fait, t’es juste jaloux de Zach.
— Quoi ?
Son frère aîné sourit.
— Parce que c’est avec lui que la fille du cordonnier a bien voulu danser +l’autre soir.
— C’est avec son petit air d’elfe, ça plaît aux filles. Mais ça n’aide pas à + + +couper du bois. +

Zach sourit et haussa les épaules, puis reprit une gorgée rafraîchissante, +se remémorant la soirée de la veille. +

C’est vrai qu’il était un peu plus petit et nettement plus frêle que ses +deux frères, et leur ressemblait très peu. Tous deux étaient grands, roux, +aux épaules très larges, travaillées par toutes ces années à couper des +arbres, comme leur père. Et pour cause ! Zach, savait qu’il avait été trouvé +bébé sur le pas de la porte de cette famille de bûcherons. Ils l’avaient +adopté et élevé comme leur propre fils, mais ils ignoraient tout de ses +véritables origines. Il se demandait parfois ce qu’aurait été sa vie s’il n’avait +pas été déposé là, mais ne regrettait pas le moins du monde celle qu’il +vivait. +

Alors qu’ils s’apprêtaient à se remettre au travail, ils aperçurent un +carosse, richement décoré, escorté par trois soldats à cheval. Les soldats +portaient l’enseigne de leur seigneur, sire Assem, et se dirigaient vers la +forêt. Apercevant les trois adolescents, tous trois vêtus d’une simple +tunique, d’un pantalon et de vieilles bottes, ils se dirigèrent vers eux. Ils +étaient impressionnants, avec leurs cottes de mailles, leur casque et leurs +épées et boucliers au côté.
— Bonsoir jeunes gens. Nous cherchons un endroit où passer la nuit, pour +nous et la damoiselle que nous escortons.
Ils firent un geste de la tête vers le carosse, dont les épais rideaux de velours +masquaient l’intérieur.
— Vous pouvez vous rendre à la taverne du village, où vous trouverez de +quoi souper et dormir.
— Merci. L’un d’entre vous peut-il nous y conduire ? +

Zach se porta volontaire, et guida le convoi jusque dans le bourg. En +chemin, l’un des soldats l’interrogea :
— Dis moi, mon garçon, nous cherchons quelqu’un pour nous guider à +travers la forêt, demain. Sais-tu si quelqu’un peut le faire ? +

Il réfléchit quelques instants.
— Il n’y a personne qui fasse ce métier en ville. En revanche, beaucoup de +jeunes du village, dont mes frères et moi, connaissons très bien cette +forêt.
— Vous êtes les enfants du bûcheron, c’est ça ?
— Oui.
— Quel âge as-tu ?
— Seize ans.
— Tu me sembles assez grand pour cette tâche. Qu’en dis-tu ? +

Zach se sentit flatté de cette confiance, et hésita presque à accepter. +Était-il à la hauteur ? Puis à la réflexion, il ne voyait pas d’autre guide +possible. Il était, de ses frères, celui qui connaissait réellement le +mieux la forêt, puisqu’il y passait une bonne partie de son temps +libre.
— D’accord. +

+∼
+
+

Aldariel +

— Oui, Aldariel, tu voulais me voir ?
La jeune elfe fit quelques pas dans la salle du trône. Frêle, vêtue d’une robe +mi-longue blanche, pieds nus, un diadème argenté retenant ses longs +cheveux noirs emmêlés. Cet endroit était si impressionnant. Et son père +avait l’air si imposant quand il était assis sur son trône ! Et elle se sentait +toujours si petite face à lui dans ces conditions... Sentant sa gène, et +constatant qu’il était seul avec elle, il éclata de rire et vint prendre la petite +fille de dix ans dans ses bras.
— Papa, je voudrais apprendre à me battre.
Il fronça les sourcils.
— Pourquoi ? Il y a bien plus intéressant à faire, pourtant ! Quelque chose +te manque-t-il ?
Elle soupira.
— Je m’ennuie. J’ai déjà appris à m’occuper des poneys du clan, à soigner +les animaux et les autres elfes, je connais les secrets du tissage et du pain +elfique, et j’ai aussi appris à jouer de la harpe.
— Tu y parviens à merveille d’ailleurs, surtout le soin. Tu surpasserais + + +presque ton maître !
— Oui, et... c’est pour ça que j’ai envie de faire autre chose.
Il réfléchit. Ses grands frères et sœurs avaient fini par s’intéresser à la +politique du clan, ce qui en compliquait nettement la gestion, tout en créant +certaines tensions entre eux. Finalement, il valait peut-être mieux qu’elle +s’entraîne au combat. De toutes façons, elle ne verrait probablement aucun +champ de bataille de sa vie – ou alors que de loin –, du moins il l’espérait, +que risquait-il ?
— Papa, n’es-tu pas toi même un excellent archer ?
Il soupira.
— C’est vrai. Du moins, c’était vrai jusqu’à il n’y a pas si longtemps... +J’allais même disputer des tournois chez les humains.
Chez les humains... On disait tant de choses des humains ! Elle ne savait +même pas que son père y était déjà allé. Apercevant son air rêveur, son +père interrompit ses pensées. Il valait mieux la concentrer sur le tir à l’arc +plutôt que sur les humains, c’était nettement moins dangereux. — Soit. Je +t’enverrai dès demain un professeur de tir à l’arc : une des meilleures +archères de mon escouade d’élite.
Le visage d’Aldariel s’illumina. +

+∼
+
+

Samantha +

La grande salle du temple était immense, et tous les habitants du temple +–prêtres et prêtresses, novices, et même les serviteurs– y étaient présents. Il +y avait même un grand nombre de fidèles venus de la ville. Elle ne l’avait +jamais vu aussi pleine. Ils étaient tous là pour elle... C’était excitant, et +presque un peu effrayant. +

Le prêtre devant elle se mit à réciter les paroles rituelles d’intronisation. +Dix-sept ans, et elle était intronisée Grande Prêtresse... Déjà ! Mais cette +ascension n’avait pas été sans embûches. Lorsqu’elle avait huit ans, ses +parents –de modestes marchands– avaient été tués lors d’un raid barbare. + + +Trop petite pour être remarquée, elle avait été épargnée. Les quelques +survivants de son village, déjà trop démunis pour s’occuper d’une bouche +de plus à nourrir, l’avaient confiée à un prêtre itinérant de Melna, +qui avait emmené la pauvre orpheline au temple de la ville la plus +proche. +

Une fois la douleur et les difficultés d’adaptation passées, Samantha +avait révélé une forte connexion avec la déesse, et avait souhaité +devenir prêtresse, puis grande prêtresse. Elle avait, petit à petit, +appris les enchantements sacrés les plus difficiles, maîtrisé les secrets +divins les plus cachés, et surtout écarté avec subtilité toutes les +concurrentes. +

Et elle avait réussi. Elle se tenait droite, dans la lumière qui tombait de +la large ouverture du toit, au centre de la salle. Elle portait, pour la +première fois, la tenue des grandes prêtresses. Sa robe était longue, d’un +rouge vif, sans manches, aux larges bordures dorées, et mettait très bien +–peut-être un peu trop ?– en valeur sa féminité. Elle portait un large +collier d’or couvrant jusque ses épaules, ainsi que plusieurs bracelets, +aux poignets, bras et chevilles. Elle était fière de tout ce chemin +accompli. +

Le prêtre avait terminé son incantation, et s’écarta en se tournant vers +elle. Les quelques murmures qu’elle avait entendus de la foule se turent. +C’était son tour. Elle prit une grande inspiration, et fixa le sol, sous ses +pieds nus. Sous l’ouverture du toit, là où elle se trouvait, le marbre du +temple s’arrêtait pour laisser place à un large cercle de terre meuble. Elle +rejeta ses longs cheveux en arrière, ferma les yeux et entonna une douce +mélopée. +

Sous les yeux émerveillés du public, une pousse sortit de la terre, +puis se mit à grandir, lentement. Samantha leva lentement les bras, +et fit quelques mouvements, les yeux toujours clos, comme si elle +guidait les jeunes branches vers la lumière. Lorsque l’arbre l’eut +dépassée de plusieurs têtes, elle s’arrêta et ouvrit enfin les yeux pour le +regarder. +

Un tonnerre d’applaudissement retentit. Cet enchantement, un des plus +difficiles à maîtriser, devait être réalisé sous les yeux des témoins pour être + + +intronisée officiellement en tant que grande prêtresse... Et elle avait réussi, +avec brio. Elle poussa un soupir de soulagement. Le prêtre s’avança, tenant +entre les mains un cercle d’or qu’il déposa sur sa tête. Les applaudissements +redoublèrent. +

Elle était désormais Samantha, grande prêtresse de Melna. +

+∼
+
+

Uhr +

Prisonnier ! Il était légèrement blessé, mais surtout enchaîné, et +humilié. Sa tribu venait de subir une attaque surprise d’un clan ennemi, et +ils n’avaient rien pu faire. Ceux qui n’étaient pas morts au combat avait été +fait prisonniers, pour être revendus comme esclaves. Lui et ses comparses +enrageaient. C’était peut-être encore pire que de mourir libre, l’épée à la +main... +

Après une journée de marche intensive, sa colère brute s’était estompée, +contrairement à ses compagnons d’infortune, et il s’était mis à réfléchir. Il +allait se venger et venger sa famille, c’était sûr. Mais pour cela, il lui fallait +d’abord se libérer. Alors qu’ils étaient tous enfermés dans un enclos de +fortune, comme des animaux, Uhr observa ses chaînes. De simples +anneaux de métal peu travaillés, mais très épais. Avant de s’endormir, +épuisé, il les examina longuement. L’un des anneaux, le huitième qui +partait de ses poignets attachés et le reliait aux autres, semblait +un peu moins solide. Plus précisément, il n’était pas parfaitement +fermé, et permettait de laisser passer un ongle. Mais l’anneau restait +extrêmement dur. Comment pouvait-il espérer se libérer avec si +peu ? +

Les jours qui suivirent furent tout aussi difficiles. Uhr subissait les coups +sans broncher et ne cherchait pas à se rebeller contre ses ennemis, ce qui lui +permettait d’éviter de recevoir trop de coups de fouets. Peut-être +pensaient-ils briser sa volonté rapidement –il était plus jeune et moins +costaud que beaucoup de ses compagnons–, et dans ce cas tant pis pour + + +eux. +

Le cinquième jour, l’expédition sembla rejoignit camp nettement plus +important. Il avait du mal à compter, mais il semblait y avoir plus +d’ennemis qu’il n’avait de doigts et de doigts de pieds. Peut-être autant qu’il +y avait de doigts et de doigts de pieds sur tous les membres de son clan. Il +entr’aperçut même celui que ses ennemis appelaient le « roi », le chef de ce +grand clan barbare. +

Leur petit groupe rejoignit d’autres prisonniers, enchaînés eux aussi, +dans un grand enclos. Ils étaient encore mieux gardés que pendant le trajet, +et il se découragea un peu. Comment avait-il une chance de s’enfuir à +présent ? Soudain il sentit une vive douleur dans son pied gauche, et se +retint de hurler. D’abord parce qu’un barbare, ça ne crie pas de douleur, et +ensuite parce que ce n’était pas la peine d’attirer des coups de fouet ou de +bâton en plus. +

Une fois seul, il observa l’objet qui était rentré dans son pied nu. Il +s’agissait d’un clou, enfin, d’un morceau de métal pointu vaguement muni +d’une tête, dont le clan ennemi s’était servi pour assembler les rondins de +bois en barricade autour des prisonniers. Le métal était très dur... Il avait +peut-être une chance de s’en tirer, en fait. +

+∼
+
+

Farl +

Cela faisait deux jours qu’il marchait seul. Il était vêtu de gris sombre et +de noir, comme de coutume, avec une légère armure de cuir noir sous sa +tunique pour le protéger en cas de combat, et avait vérifié plusieurs fois son +équipement. Dagues, stylets, dards empoisonnés à diverses substances, tout +était bon. Les lames étaient toutes peintes en noir, ne laissant que la pointe +et le tranchant brillants, afin d’éviter tout reflet inutile. Il avait laissé un +peu en retrait, dans une cachette, son sac à dos, contenant de quoi survivre, +ainsi qu’un assortiment de poisons et antidotes. Il vérifia encore une fois le +fonctionnement de chaque accessoire, ainsi que des fourreaux de poignet, + + +qui lui permettaient de dégainer aussi vite que sa pensée. Il était +prêt. +

Devant lui, s’étendait le campement du roi Bloupy. Combien +étaient-ils ? Plusieurs centaines probablement. Certes, comme lui avait +expliqué son maître, ce n’était pas si inquiétant aux yeux du pays, mais si +le problème pouvait être réglé plus simplement qu’en envoyant une +armée... +

Il passa les quelques heures avant la nuit complète à observer les allées +et venues des barbares. Il observa notamment dans un coin, un enclos ou +semblaient se débattre des prisonniers, visiblement d’une tribu rivale. Il +nota cette information, cela pourrait faire une diversion efficace au +besoin. +

Il parvint à deviner que les quatre tentes au centre du campement, +visiblement bien gardées, devaient abriter des chefs ou sous-chefs de clan. +Mais il n’était pas tout à fait sûr de l’endroit où se trouvait leur roi. Il lui +faudrait encore observer la situation, ou les tuer tous, ce qui compliquerait +nettement la tâche. +

Alors que le jour diminuait encore, il distingua, parmi les prisonniers, un +jeune homme plus calme, plus posé. Au lieu de se débattre ou de s’effondrer +d’épuisement, il semblait très affairé à observer ses chaînes. Que faisait-il +donc ? Il s’approcha doucement, tout en restant à couvert. Il vit alors que le +jeune barbare s’efforçait d’ouvrir l’un des maillons de sa chaîne, en s’aidant +d’un vieux clou comme levier. Il progressait très lentement, mais il +persévérait, et se hâtait de cacher son ouvrage dès qu’un garde s’approchait +de lui. +

+∼
+
+

Uhr +

Libre, il était libre. Enfin, presque. Il lui fallait encore s’échapper de +l’enclos, esquiver les gardes ou s’en débarrasser, et gagner le petit + + +bois à côté. Là, il avait de bonnes chances de pouvoir conserver +sa liberté, et peut-être, revenir se venger... Mais pas tout de suite. +Quand il en aurait les moyens. De plus, s’il n’était plus attaché au sol, +ses mains étaient toujours liées, et ses mouvements étaient donc +limités. +

Cachant le maillon ouvert, il attendit que le garde soit relevé et que le +calme soit revenu. Puis, tenant le reste de la chaîne dans ses mains pour +éviter de faire du bruit, et profitant d’un instant où la lune se cachait +derrière un nuage complice, il escalada doucement la palissade. Le garde +regardait dans une autre direction. Encore une dizaine de mètres et tout +serait bon... Il marchait avec toutes les précautions possibles. Pourtant, ce +ne fut pas suffisant. Était-ce son pas ? Ses chaînes ? Son souffle ? Un +hasard ? Toujours est-il que le garde se retourna à ce moment là, et +après un quart de seconde de surprise, ouvrit la bouche pour crier +l’alerte. +

C’est alors qu’une fine silhouette, aussi noire que la nuit, bondit +sur le garde, lui trancha la gorge tout en l’empêchant de crier, et +l’accompagna au sol, le posant doucement en position assise contre la +balustrade. Tout s’était passé en très peu de temps, et pas le moindre +bruit n’avait filtré. Uhr était impressionné, et effrayé aussi. Ami ou +ennemi ? +

La silhouette lui fit signe de ne pas faire de bruit, et lui désigna le petit +bois. Décidant que, de toutes façons, il verrait ça plus tard, il se hâta vers le +petit bois, où l’étranger le rejoignit rapidement, sans faire le moindre +bruit.
— Qui es-tu ? Lui demanda-t-il.
— Je suis Uhr un guerrier du clan Bhasthon. Nous avons tous été tués ou +fait prisonniers. J’ai réussi à me libérer. Et toi, qui es-tu ?
Il montra à la silhouette, toujours aussi sombre, ses chaînes.
— Mon nom est Farl. Je suis envoyé pour assassiner le roi Bloupy. Je +suppose que tu aimerais te venger, non ? Peut-être pouvons-nous nous +entraider ?
Uhr se demanda un instant comment un homme aussi petit et frêle pouvait +se charger de cette tâche. Puis la vision de l’assassinat du garde lui revint en + + +mémoire, et il hocha la tête. De toutes façons, ce gars était dangereux, +mieux valait être de son côté. Et puis n’importe quel côté valait mieux que +celui de son ennemi.
— J’ai pu observer. Dans les quatre tentes qui sont là-bas, le roi dort dans +celle qui est la plus opposée à nous. Il y a deux gardes devant, mais c’est +tout. Il porte une couronne. Un bandeau de cuir autour du front, avec des +pierres précieuses rouges dessus.
Il reprit son souffle. Il n’avait pas l’habitude d’expliquer aussi longuement, +d’habitude ses camarades s’arrêtaient aux quatre premiers mots. Mais +l’étranger l’écoutait attentivement, tout en sortant un sac en cuir d’un arbre +creux, et en fouillant dedans.
— Dans la tente qui est du côté de la lune, il y a d’autres chefs barbares, en +dessous de lui. Celle qui est la plus proche de nous contient son trésor de +guerre, enfin je crois. La dernière, je crois qu’il y a des prisonniers +importants.
Le jeune homme le regarda, en sortant un outil de son sac.
— Comment as-tu vu tout ça ?
— Cela fait plusieurs jours que je les observe. Je voulais me venger, mais +seul, comment faire... +

Le jeune homme le regarda longuement, sans dire un mot.
— Donne moi tes poignets.
Il obéit, et l’étranger utilisa son outil pour ouvrir silencieusement et +rapidement les chaînes qui le retenaient.
— Maintenant, il va y avoir moyen de mettre cette vengeance en +pratique. +

Il lui sourit, et Uhr lui rendit son sourire. Ami. +

+∼
+
+

Farl +

Décidément, ce jeune barbare était hors du commun. Il n’avait pas l’air +si différent des autres, et pourtant il avait réfléchi et observé, espérant la + + +vengeance qu’il savait illusoire. Et sa patience pour ouvrir ses chaînes... +Sans compter qu’avec les informations qu’il avait, il allait enfin pouvoir +mettre en place l’assassinat. Et peut-être même plus. Il réfléchit quelques +instants, alors que le barbare jouait avec ses chaines défaites, savourant sa +liberté.
— Bon, voilà ce que nous allons faire.
Il dessina sur le sol, de la pointe de sa dague, un vague plan du campement. +Le barbare fronça les sourcils, jeta un oeil vers le camp, puis vers le plan, et +sembla comprendre.
— Je vais m’occuper de neutraliser les deux gardes du roi. Tu vas pouvoir +entrer dans la tente du roi, je te laisse le plaisir de l’assassiner, je crois que +tu en es parfaitement capable. Au besoin je viendrai t’aider. Pendant ce +temps, je vais aller libérer les prisonniers importants dans la tente d’à +côté.
— Mais on va être découverts, ils vont donner l’alerte, non ?
— Oui, évidemment. Mais la panique qui va se créer va nous aider à nous +enfuir.
— Si on a le temps, tu crois qu’on peut libérer les autres ?
— Éventuellement, on verra. Ça te va ? +

Le barbare réfléchit encore un instant.
— Je n’ai pas d’épée. Les chaînes, c’est bien pour donner des coups de +poing, mais pour tuer rapidement, ça ne marche pas.
— Tu as raison. L’homme que je viens de tuer, il avait une épée, je crois. +Cela te conviendrait ?
— Oui. D’ailleurs, il faudra se dépêcher avant qu’ils ne voient qu’il est mort. +Les gardes changent de temps en temps.
Il hocha la tête, et ils se levèrent. Le barbare lui tendit sa main. Il la serra, +et ils se sourirent. +

+∼
+
+

Uhr + + +

Il suivit en silence son nouveau compagnon. Malgré sa silhouette si frêle, +il n’eut aucun mal à maîtriser les quelques gardes qui le séparaient de son +objectif, la tente du roi. Et tout cela sans bruit... Il lui fit un signe de tête et +entra. +

Une faible lueur venant d’une lampe blafarde éclairait l’intérieur de la +tente. Divers objets, plus ou moins précieux semblaient traîner dans un +coin. Sur un lit fait de paille recouverte de tissus précieux –un luxe pour des +standarts barbares–, dormaient deux silhouettes. Celui qu’il reconnut +immédiatement comme le roi, avec sa silhouette et sa couronne, et une +jeune fille aux cheveux blonds emmêlés, entièrement nue. Il hésita +quelques instants. Devait-il la tuer aussi ? Elle portait des traces de +coups sur les bras et le dos. Vraisemblablement, on ne lui avait pas +laissé le choix de partager la couche du roi. Une prisonnière, comme +lui... +

Sans attendre, il trancha la gorge du roi endormi, tout en plaquant +brutalement sa main sur la bouche de la jeune fille. Celle-ci se réveilla en +sursaut, et se mit à paniquer. Il s’approcha pour lui murmurer à +l’oreille.
— Toi, pas un mot, pas un bruit. Sinon...
Elle vit la lame ensanglantée s’approcher de sa gorge, puis aperçut du coin +de l’œil le roi assassiné. Peur ou plaisir de vengeance ? Les deux ? Toujours +est-il qu’elle se calma rapidement. Il la lâcha, tout en la surveillant. +Elle le fixant avec méfiance et crainte, se demandant à qui elle avait +affaire... Mais après tout, c’était une barbare, tout comme lui, et elle +avait dû en voir d’autres. Elle se leva sans un bruit, et pointa du +doigt un tas d’objets divers. On y trouvait notamment les affaires du +roi. +

Il hocha la tête, et se saisit d’une belle épée, ornée de quelques pierres. +Si d’habitude il trouvait ces fioritures inutiles, il devait admettre que l’arme +était d’excellente facture et les coups sur la lame montraient qu’elle avait +servi maintes fois. Il la glissa dans sa ceinture. Il y avait aussi des bijoux, +avec des motifs divers et des formes variées. Des trophées de guerre, +probablement. Chez les barbares, quand un bijou n’était pas une preuve +d’un ennemi vaincu, c’était au pire une monnaie d’échange, leur aspect + + +décoratif étant très secondaire. +

— Aleeeerte !
Il sursauta, et la jeune fille aussi, cherchant à lui dire des yeux que non, elle +n’y était pour rien. Il ne réfléchit pas plus longtemps, saisit la couronne du +roi et se rua au dehors, son épée à la main. +

+∼
+
+

Farl +

Quatre chefs barbares étaient enfermés dans la tente. Malgré leurs +chaînes, ils étaient impressionnants. Ils étaient grands, particulièrement +musclés et portaient de longues cicatrices. Ces trois hommes et cette femme +avaient dans le regard une telle fierté et une telle colère d’être ainsi réduits +à l’état d’esclaves qu’il s’était demandé un instant s’il n’était pas encore +plus dangereux de les délivrer. +

Mais il s’était mis rapidement à l’œuvre, et les barbares, bien que très +surpris de voir un moustique en capacité de leur venir en aide, ne s’étaient +pas plaints. Il était en train de faire sauter la dernière serrure lorsqu’il +entendit un cri à l’extérieur. +

— Aleeeerte !
Les quatre chefs bondirent sur leurs pieds, et ramassant des armes, sortirent +rapidement en lui adressant un signe de reconnaissance. +

Dehors, il n’eut aucun mal à se fondre à nouveau dans la nuit, surtout +avec l’agitation qui démarrait. Les quatre combattants se retrouvèrent nez à +nez avec d’autres guerriers, et se défendirent farouchement. Dans la cohue, il +aperçut la silhouette d’Uhr, l’épée ensanglantée. Il eut un soupir de +soulagement. Ça, c’était fait. Il se glissa dans sa direction, et lui fit signe de +le suivre. Il fallait faire vite avant que tout le campement ne soit en +ébullition. +

Ils croisèrent soudain cinq barbares, l’épée à la main, visiblement alertés +par les cris. Il n’eut aucun mal à disparaître dans l’ombre d’une tente, mais + + +pas Uhr, à qui ils adressèrent un regard inquisiteur. Il hésita quelques +instants à le laisser et à filer vers les prisonniers, mais c’était le laisser courir +à sa perte, et eut des remors. Même s’il était armé, il était tout de même +plus petit que ses adversaires, et seul face à cinq... Il s’accroupit et s’apprêta +à bondir à sa défense. +

À sa grande surprise, au lieu de brandir son épée, le jeune barbare +se contenta de désigner du bras le centre du campement, d’où ils +venaient.
— Là-bas ! Il y a des intrus !
Les gardes se ruèrent dans la direction indiquée, sans réfléchir plus +longuement à la présence d’Uhr, ni à son butin. +

Ils se mirent à courir, et rapidement, arrivèrent près de l’enclos des +prisonniers. Il y avait deux gardes en alerte devant la barrière qui servait de +porte.
— Farl, va les libérer pendant que j’occupe ceux-là.
Il hocha la tête, et contournant l’entrée, il escalada lestement la palissade et +sauta au milieu des barbares enchaînés.
Ceux-ci avaient été réveillés par l’agitation du camp, et prirent un air +méfiant en le voyant.
— Les gars, couvrez-le, il va vous délivrer.
C’était la voix d’Uhr, de derrière la barrière. Les barbares se calmèrent +immédiatement, et il se mit à l’ouvrage. Les sortes de cadenas grossiers +retenaient plusieurs personnes à la fois, et étaient peu difficiles à crocheter, +ainsi la tâche allait très vite. Les premiers hommes et femmes libérés +saisirent leur chaînes, les enroulèrent dans leurs poings et se ruèrent vers +l’entrée de l’enclos en hurlant de rage. Il ne voyait pas ce qui s’y passait, +mais à l’agitation qu’il devinait, il semblait que les deux gardes avaient été +rejoints par des renforts. +

Dans la cohue, cependant, un des assaillants parvint à pénétrer au cœur +de l’enclos et l’aperçut, en train de faire sauter la dernière serrure. Surpris +de le voir, mais comprenant rapidement qui était à l’origine de l’échappée +des esclaves, il se rua sur lui. Farl esquiva habilement les coups violents et +extrêmement rapides, bien qu’heureusement imprécis que le barbare +engagea contre lui, mais dut reculer contre la palissade. Il savait manier ses + + +dagues courtes à la perfection, mais contre un adversaire alerte et avec une +telle allonge, le combat était plus complexe. Il devait escalader cette +barrière et trouver un abri rapidement pour pouvoir sortir une arme de +jet... +

C’est alors qu’une main se referma sur son bras, et le souleva. En un clin +d’œil il se retrouva juché au sommet de l’échafaudage, avec Uhr qui lui +souriait.
— Merci.
— On file et on discute après ?
Il lui rendit son sourire.
— Ça marche. +

+∼
+
+

Uhr +

Ils se mirent à courir en direction de la forêt. L’agitation causée par +les prisonniers qui se rebellaient et la mort du roi avait détourné +suffisamment l’attention, et ils atteignirent sans encombre l’abri des +arbres. Farl le regardait avec une certaine admiration. Il lui avoua qu’il +n’aurait pas osé lui-même parler aux gardes pour les éloigner, et +que c’était très intelligent de sa part, entre autres. Il fit une légère +moue.
— Ce n’est pas une qualité très appréciée chez moi...
L’étranger lui sourit.
— Comme tu peux le constater, ça n’a pas été inutile !
— Bah, on y dit aussi qu’il faut être grand et large pour être un bon +combattant. Et toi, tu es petit, tout frêle, et tu en as tué beaucoup, très +efficacement ce soir.
— Merci. +

Ils restèrent un instant silencieux, le temps de reprendre leur +souffle.
— Qu’est-ce que tu vas faire maintenant ?
— Je ne sais pas. Je n’ai plus vraiment de clan. Je ne sais pas trop +où aller. J’ai gardé quelques objets de valeur, ça peut peut-être +servir...
— Tiens, tu n’as pas gardé la couronne et l’épée du roi ?
Il secoua la tête.
— Non, ça aurait été compliqué à revendre, enfin je pense. Alors je les ai +donnés à des prisonniers. En plus, ça représente quelque chose pour +eux.
Farl sourit à nouveau.
— Ça aussi c’est plutôt malin.
Il se tut quelques instants, puis reprit.
— Tu sais quoi ? Tu pourrais presque venir à la capitale. Si tu le +souhaites bien sûr. Il y a toujours du boulot pour des gens costauds et +débrouillards...
Il n’avait pas osé proposer cette option. Aller vivre dans la grande +ville, celle dont il avait entendu parler plus jeune... Elle était parfois +décrite comme un endroit fantastique, où la nourriture et le luxe +coulaient à flots, et où on pouvait revendre des trophées et acheter des +armes. Et parfois méprisée, car les gens qui y vivaient –humains ou +autres races humaines– étaient moins costauds et ne savaient pas se +battre comme il faut. Et il s’y passait des choses très compliquées +parfois... +

Il sourit et hocha la tête. +

+∼
+
+

Farl +

Il pénétra dans la taverne, et aperçut Uhr, assis à une table. Il lui fit +signe en souriant, et se hâta de le rejoindre. Il portait une tunique grise sans +manches et un pantalon de toile sombre tenu par une ceinture de cuir. Il +avait l’air d’un habitant tout à fait normal de la capitale, hors sa +musculature imposante. + + +

Depuis leur rencontre improbable dans les plaines barbares, il avait +énormément changé. Il avait profité de l’argent de la vente des bracelets +trouvés pour se payer des vêtements normaux, et en suivant ses conseils, +avait trouvé un petit travail à charger et décharger des caisses de matériel +depuis les bateaux qui arrivaient par la rivière. C’était peu, mais assez +pour se payer une chambre modeste et se débrouiller. Il avait ensuite +appris, sur le tas mais avec une certaine facilité, à lire, écrire et +compter. Son employeur, pensant avoir affaire à un idiot, avait tenté +de l’arnaquer sur sa paie, en vain évidemment. Depuis, il avait fait +d’autres petits boulots, demandant généralement beaucoup de bras +et peu de réflexion, le dernier en date étant celui d’un videur de +taverne. +

Et malgré leurs différences, tous deux étaient rapidement devenus aussi +inséparables que deux frères. +

— Farl ! Mais... que fais-tu habillé comme cela ?
Il sourit. Il avait troqué les vêtements sobres qu’il portait la journée +contre une tunique orange vif à manches longues, et un pantalon +rouge.
— Je t’avais déjà parlé que je ne souhaitais pas être assassin toute ma +vie...
— Oui. Et donc ?
— J’ai décidé de devenir ménestrel.
Il éclata de rire.
— Sérieusement ?
— Oui. Je suis allé voir, avant hier, la guilde des troubadours et +ménest
Farl sourit. — Non, mais ils ont été impressionné par mes talents +acrobatiques, et ils pensent que je peux faire un très bon jongleur.
— Hé bien, ça promet ! Mais es-tu sûr de laisser tomber pour de bon la vie +de la nuit ?
Il haussa les épaules.
— Je pense, oui.
Uhr l’observa d’un air critique. Mais il savait que son ami n’avait pas besoin +de deviner, sous ses vêtements, quelques accessoires d’assassin dont il avait +du mal à se séparer pour comprendre qu’il n’était pas sûr du tout, en fait. Il + + +avait longuement hésité avant de prendre cette décision, et ne savait +toujours pas si il allait la tenir. Son ami parut comprendre, et lui fit un clin +d’œil.
— Bah, tu verras bien, n’est-ce pas ?
Ils burent quelques gorgées en silence, puis Uhr reprit la parole.
— D’ailleurs, moi aussi je vais changer de boulot d’ici peu.
Farl haussa les sourcils.
— Ah ?
— Je pense que je vais m’engager dans la garde de la capitale. Tenir une +épée me manque un peu trop...
— La garde a une certaine réputation, non ? Il n’est pas difficile d’y +entrer ?
— Certaines unités, oui. Mais je vais m’engager en simple soldat, et on +verra après. +

Il hocha la tête et prit une gorgée supplémentaire. Tout cela était +prometteur. +

+∼
+
+

Irdann +

Enfin, il avait le droit de sortir du temple ! À la fois émerveillé et +surpris, il observait les gens autour de lui. Ce n’est pas qu’il n’avait vu +personne dans le temple, mais l’attitude des gens y était fort différente. Par +crainte et respect de la déesse, ils y gardaient une attitude posée, presque +soumise. Dehors, il les voyait rire et pleurer, s’aimer et se détester, bref, être +humains. Sans compter qu’il n’avait jamais vu la capitale, qui était très +différente du château du duc son père, au moins dans ses souvenirs +d’enfant. +

La rue qu’il suivait était si animée, malgré l’heure très matinale, qu’il +regrettait de voir la distance le séparant du poste de garde diminuer. Allons, +il aurait d’autres occasions de voir la ville, se dit-il. Il avait rendez-vous avec +maître Ernest, qui devait lui enseigner l’art de l’épée. Il existait beaucoup + + +de maîtres d’armes, mais Khil, le prêtre qui s’occupait de son éducation +et lui avait appris les bases du combat, avait senti les capacités de +son élève, et avait décidé de l’envoyer chez le meilleur épéiste qui +soit. +

Il était arrivé devant le poste de garde. Il prit une grande inspiration, et +s’adressa au garde qui en gardait l’entrée.
— Excusez-moi, je dois voir maître Ernest.
L’homme l’observa quelques instants. Irdann portait une longue tunique +blanche, avec dans un écusson le symbole de sa déesse, le tout sur un +pantalon de lin gris clair. Des sandales en cuir complétaient sa tenue, ainsi +qu’une ceinture de laquelle pendait une épée assez ouvragée.
— C’est vous le novice du temple de Melna ? Il vous attend. Venez. +

Irdann suivit le garde à l’intérieur. Un homme d’une quarantaine +d’années, habillé en soldat, discutait tout en lisant une lettre avec un +archer, mince, aux cheveux longs, et aux oreilles pointes. Un elfe ! +C’était la première fois qu’il en voyait un. On lui avait dit qu’on +croiserait toutes sortes de types dans la capitale, il aurait pu s’y +attendre. L’archer était vêtu d’une tunique verte, d’un pantalon blanc +et d’une cape vert foncé, tous dans un tissu qui semblait très fin. +L’homme sourit à l’elfe, alors qu’il entendit quelques morceaux de +conversation.
— ...mon grand-père fut son maître d’escrime. À mon tour d’instruire son +élève ! Vous pouvez lui dire de me l’envoyer dès que possible.
L’elfe hocha la tête et sourit en retour, à l’instant où l’homme aperçut +Irdann.
— Ah, excusez-moi un instant.
Le garde qui l’accompagnait le présenta.
— Un autre élève ! Quelle heureuse coïncidence. Vous a-t-on expliqué les +modalités d’apprentissage ici ?
Irdann secoua la tête.
— C’est très simple. Je ne demande pas d’argent en échange de mon +enseignement. En revanche, pendant toute cette durée, les élèves sont +soldats de la garde de la ville. Ce service rendu est aussi formateur pour +vous, car on y apprend beaucoup de choses. Cela vous convient ?
Irdann hocha la tête et retint un sourire. Voilà qui allait changer de la vie + + +du temple ! Et puis, être traité comme un soldat, un garde comme les +autres, cela le changerait. Fini le fils du duc, fini l’apprenti paladin. Le +maître se tourna vers l’elfe, qui attendait en retrait.
— La règle sera la même pour tous les élèves, bien entendu.
L’archer hocha la tête en souriant, et quitta la pièce. Un autre élève comme +lui ? Un elfe ? Ça aussi, c’était nouveau et excitant. Il savait qu’il y avait +des elfes qui vivaient dans la capitale, et il en avait vu un ou deux dans le +temple de Melna. Mais il n’en avait jamais vraiment rencontré... Il se +demanda combien d’élèves avait ce maître, et lesquels. Il laissa le garde le +guider hors de la pièce. +

+∼
+
+

Uhr +

Six lits alignés, un coffre en bois brut sous chacun d’eux. Dans un coin, +une petite porte vers ce qui ressemblait à une salle de bains assez simple. +Sur un des côtés, un large rideau, qui pouvait potentiellement couper la +pièce en deux, derrière lequel se situaient deux autres lits, semblables aux +autres. Aucune décoration sur les murs, et une petite fenêtre apportait +un peu de lumière dans ce qui n’était qu’un dortoir pour gardes, +semblable à celui qu’il avait connu pendant un an, lorsqu’il s’était +engagé. +

Il choisit un lit qui avait l’air inoccupé, et posa les quelques possessions +qu’il avait dans le coffre. Puis il s’assit, pensif. Il avait réussi ! Maître +Ernest l’avait jugé digne de suivre son entraînement à l’épée, et d’intégrer +cette unité d’élite. Non seulement le boulot serait beaucoup mieux payé +qu’en tant que soldat de base, mais l’expérience serait sûrement très +enrichissante. Et il allait apprendre de nouvelles techniques de combat... Il +avait entendu dire que dans cette section, on trouvait beaucoup d’épéistes +qui venaient de loin et repartaient après avoir suivi son enseignement. Et +lui ? Resterait-il à la garde toute sa vie ? +

Ses pensées furent interrompues par l’entrée d’un jeune homme, l’air un + + +peu timide. Il portait une tenue de prêtre, ou ce qui y ressemblait, et avait +sous le bras son uniforme de garde. Comme lui, il sembla estimer la pièce, +puis désigna le lit à côté du sien.
— Celui-ci est libre ?
— Je crois oui. Tu es une nouvelle recrue ?
— Oui. Je m’appelle Irdann. +

Il lui tendit une poignée de main, que le dénommé Irdann serra. Le soir +allait tomber bientôt, et les autres gardes allaient rentrer sous peu, ils +allaient probablement dîner ensemble. Il restait une petite heure à tuer. La +tenue de novice l’intriguait.
— Tu viens d’un temple ?
— Oui, je suis apprenti paladin.
Il hocha la tête. Le premier, mais vraisemblablement pas le dernier, +songeait-il, des profils surprenants qu’il risquait de rencontrer ici. Combien y +en aurait-il ?
— Je suis Uhr. J’étais un simple soldat jusqu’à hier, et j’ai enfin eu le +droit d’intégrer cette unité et de suivre l’apprentissage de maître +Ernest. +

Le jeune homme lui sourit et posa un petit sac sur le lit à côté +du sien. Il remarqua son épée, ornée de gravures délicates et d’un +blason.
— D’où te vient cette arme ?
— De mon père. Il me l’a offerte quand je suis parti pour le temple, quand +j’avais onze ans.
— Tu sais, ils fournissent les armes ici.
— Je sais, c’était le cas au temple. Mais c’est essentiellement le seul objet +qui me vienne de ma famille. Alors je l’ai gardée.
Uhr lui sourit.
— Je peux comprendre. Tu viens de loin ?
— Du duché De Vane.
Il hocha la tête.
— En effet, c’est assez éloigné !
— Et si différent ! Là bas, on ne croise jamais de nains ou d’elfes par +exemple. Je te laisse imaginer la suprise que j’ai eue en en croisant dans les +rues...
— J’imagine, oui. Sais-tu qu’il y en a à la garde ?
— J’ai entendu parler d’un elfe qui arrive dans quelques jours...
Il hocha la tête. Un collègue garde lui avait donné à l’avance une liste des +éléments de cette unité. L’avantage de connaître déjà en partie la place. +
— Une elfe. Il y a aussi un nain.
Irdann parut surpris.
— Une elfe ? Une femme ?
— Oui. Il y a une autre femme aussi dans la garde. Elles ont cette partie du +dortoir, là-bas. Pourquoi ?
Le jeune homme sembla hésiter et réfléchir quelques secondes, visiblement +gêné.
— Mais ne sont-elles pas trop faibles ? Enfin, d’où je viens... ce n’est pas +vraiment courant. Voire pas du tout.
Uhr haussa les épaules.
— D’où je viens, les femmes se battent comme les autres hommes et ne sont +pas toujours les plus faibles.
Son interlocuteur, visiblement mal à l’aise avec la question d’une femme à +l’épée, profita de la diversion.
— D’où viens-tu, d’ailleurs ?
Ce fut son tour d’hésiter. Il n’avait pas tellement envie d’étaler son passé +dans les plaines barbares.
— J’ai des origines... modestes...
Irdann le regarda quelques instants, et lui sourit.
— De toutes façons, ça ne change pas grand chose. Nous sommes désormais +soldats, au même rang, n’est-ce pas ?
Soulagé de constater qu’il ne comptait pas insister sur le sujet, il lui rendit +son sourire. +

Du bruit se fit soudain entendre dans le couloir, et les autres recrues, en +tenue de soldat entrèrent dans le dortoir. +

+∼
+
+ + +

Silwë +

La ville humaine était si grande et impressionnante... Des centaines, +voire peut-être des milliers, de maisons faites de pierre et de bois, +construites à même le sol. Entre ces maisons, des rues pavées de pierre, +et bien peu d’arbres... Et il y avait tant d’humains ! Certes, elle +s’attendait à en voir, mais ici, il n’était même pas possible de les +éviter, tellement ils étaient nombreux, dans la rue, aux fenêtre des +maisons, dans des boutiques qui regorgeaient de produits humains +originaux... Ils les regardaient, elle et l’archer qui l’accompagnait, d’un air +curieux. Elle se rapprocha de lui, un peu inquiète. Ce qu’on disait sur +les humains n’était pas toujours très rassurant. Il sembla sentir sa +crainte.
— Ne t’inquiète pas. Maître Ernest est quelqu’un de très bien. Et +il y a parmi ses élèves toutes sortes de gens très différents. Nous +arrivons. +

+∼
+
+

Irdann +

Une grande plaine s’étalait devant lui. Sur la droite, une forêt épaisse, +et des montagnes au loin. Dans la plaine, quelques villages, et au +centre, un grand temple, dédié à sa déesse. Comment le savait-il ? Il +le savait. Une belle jeune femme apparut debout devant lui. Elle +portait la longue tunique rouge et or et les attributs des grandes +prêtresses de Melna. Elle était auréolée de lumière. Il s’agenouilla devant +elle.
— Irdann, tu es un futur grand paladin.
— Merci, ô grande prêtresse.
— J’ai besoin de toi pour une mission importante.
Il releva la tête, surpris.
— Mon nom est Samantha, et je vis dans ce temple que tu vois, près de la +ville de Touryre.
Elle désigna le temple au centre de la plaine.
— J’y suis la grande prêtresse, mais j’y vis enfermée. Le personnel du +temple croit qu’il est inconvenant pour une prêtresse de quitter l’endroit, +alors que tant de gens dans le monde pourraient profiter de mes +bénédictions. J’ai besoin de toi pour m’enfuir.
— Comment les raisonner ?
— Crois-moi, j’ai essayé, mais les gens de ce pays croient peu à la raison. En +revanche, ils croient volontiers aux légendes et aux histoires. Ce qu’il me +faut, c’est une légende. Et un héros pour m’enlever.
— Un héros ?
— Je sais que tu peux y arriver. Sois ce héros, ou trouve-le. Je compte sur +toi, Irdann.
La jeune femme sourit, et disparut subitement. Le décor vacilla quelques +secondes, puis disparut à son tour. +

Irdann ouvrit les yeux. Il faisait nuit, le dortoir était calme à +part quelques ronflements venant des lits voisins. Quel était ce rêve +étrange ? +

+∼
+
+

Samantha +

Elle se releva, et essuya son front. Cette invocation avait été épuisante. +C’était la première fois qu’elle envoyait un rêve à quelqu’un qu’elle +ne connaissait pas, c’est peut-être la raison de la difficulté de la +tâche.
— Vous allez bien, grande prêtresse ?
Une jeune novice, vêtue de blanc, le visage inquiet, s’approcha. Elle lui +sourit.
— Je te remercie. Juste un peu d’épuisement.
L’avantage d’être grande prêtresse, c’est qu’on lui posait peu de +questions sur ce qu’elle faisait dans le temple. L’inconvénient, c’est qu’on +ne la laissait pas sortir et qu’elle était surveillée tout le temps... + + +Ah quelle malchance elle avait eu de se retrouver prêtresse dans ce +trou perdu ! Elle avait discuté avec un prêtre venu de la capitale. Il +avait pu quitter son temple, et partir à l’aventure. Cela l’avait fait +rêver. Mais comment sortir du temple ? Ils étaient si bornés, si +butés... impossible de leur faire comprendre... Elle avait essayé, en +vain. +

Elle suivit la jeune novice, munie d’une bougie, qui la ramenait à sa +chambre. S’enfuir par elle-même, elle y avait pensé. Mais c’était difficile, les +prêtres étant pour une bonne partie d’entre eux formés au combat. Elle +avait appris le maniement de la dague, et ne quittait jamais la sienne – bien +cachée sous sa robe. Mais que pouvait-elle faire face à des dizaines +d’hommes armées d’épées ? Elle avait beaucoup réfléchi, et avait conclu +qu’il lui fallait un héros. Quelqu’un qui parviendrait à pénétrer dans le +temple, pour l’enlever. Et de façon suffisamment spectaculaire pour +impressionner tout le monde, et dissuader les prêtres de partir à sa +recherche. Construire une légende, voilà ce qu’il lui fallait. Une légende, rien +que ça... +

Elle avait envoyé un rêve à ce fameux aventurier prêtre de la capitale. +Lui était libre comme l’air, et pouvait lui trouver ce héros. Quelques jours +plus tard, il lui avait envoyé un rêve en retour, il était à présent beaucoup +trop loin pour ça. En revanche, il connaissait peut-être l’homme de la +situation : un jeune apprenti paladin du nom d’Irdann, qu’il avait formé à +l’épée quelques années plus tôt, et qui finissait sa formation dans la +garde de la capitale, auprès du plus grand épéiste connu, maître +Ernest. +

Elle se coucha alors que la jeune femme quittait respectueusement la +pièce en laissant la bougie sur sa table de chevet. Pourvu qu’il y parvienne... +Elle ne le connaissait pas du tout. En cherchant à le contacter par la voie +des rêves, elle avait juste senti son âme, celle d’un jeune homme courageux, +droit, et intelligent. Il pouvait réussir... +

À présent, elle ne pouvait qu’attendre qu’il se passe quelque chose. Dans +combien de temps ? Il pouvait mettre des jours, voire des semaines à +arriver... Cette attente allait être longue et insupportable, mais peut-être y +avait-il la liberté à la clé. Peut-être. + + +

+∼
+
+

Uhr +

Uhr appréciait les moments où il patrouillait dans la rue avec Irdann et +Silwë. Ils formaient un trio à la fois très disparate et redoutablement +efficace. Visuellement, ils incarnaient respectivement la force brute, +l’intelligence posée, et la subtilité. Cela les faisait sourire de savoir qu’en +réalité, la petite elfe à l’air fragile était tout autant capable que les autres +de manier l’épée, et que le barbare musculeux était bien plus intelligent +qu’il n’en avait l’air. Mais ce petit jeu d’apparences était à leur avantage, et +ils n’hésitaient pas à jouer avec. +

Ces patrouilles, lorsque tout se passait bien, étaient aussi l’occasion de +discuter tranquillement tous les trois. Uhr avait noté qu’Irdann n’était pas +dans son assiette depuis ce matin, mais n’avait pas osé aborder le +sujet. Une fois la routine mise en place, et quelques banalités sur +l’entraînement de la matinée échangées, ce fut finalement lui qui en +parla.
— J’ai fait un rêve louche, cette nuit.
— Raconte ?
— J’ai vu une grande prêtresse de Melna, qui me demandait de l’aide pour +la sortir de son temple.
— Et c’est la première fois que tu rêves de grandes prêtresses ? Pourtant, +tu as dû en voir beaucoup durant ton enfance, non ? Questionna Silwë +
— Oui mais... là j’ai l’impression que... c’était différent. Elle était +extrêmement nette, ainsi que le décor derrière elle.
— Les prêtres de Melna ont-ils la capacité d’envoyer des rêves ?
— Je crois. Il me semble que c’est une invocation très difficile, mais c’est +pour ça que ce rêve m’intrigue.
— Pourquoi une grande prêtresse aurait-elle besoin d’aide pour sortir de son +temple ?
— D’après elle, le personnel du temple ne veut pas qu’elle le quitte. Et elle + + +souhaite qu’on vienne l’enlever... de façon spectaculaire.
Alors que Silwë ouvrait des yeux incrédules, Uhr réfléchissait.
— Une prêtresse à enlever... de façon spectaculaire... hm. Tu veux bien tout +nous raconter en détails ? +

Alors qu’Irdann racontait tous les tenants de son rêve, Uhr se prit à +sourire.
— Tu as une idée en tête, c’est ça ? Demanda Irdann.
— Une petite. On se retrouve le soir au bar habituel, je vous explique tout +ça.
— On ne sait même pas si c’est un vrai rêve ou un message...
— Pour ça, proposa Irdann, tu peux toujours aller voir le temple de Melna +ce soir, et leur demander si la dénommée Samantha existe bien, et est bien +grande prêtresse du temple près de la ville en question. Ils doivent le savoir +non ?
— Certes. Bon, le tour arrive à sa fin. À ce soir ! +

+∼
+
+

Silwë +

Elle regarda aux alentours lorsqu’elle entra dans la taverne. Il y avait pas +mal de monde, comme d’habitude, mais ils appréciaient l’ambiance +détendue de cet endroit, où se côtoyaient toutes sortes d’humains. Certains +soirs, comme celui-ci, des ménestrels ajoutaient un peu d’animation. Elle +regarda d’un œil distrait un joueur de mandoline accompagner de sa +musique un jongleur de couteaux, tout en cherchant ses amis au milieu de la +foule. +

Elle finit par les apercevoir, à une table un peu à l’écart. Irdann, +visiblement essoufflé, venait d’entrer. Elle leur fit un geste et les +rejoignit.
— Je reviens tout juste du temple. Il y a bien une grande prêtresse du nom +de Samantha, dans la ville de Touryre, à quatre à cinq jours de marche d’ici. +Il y a trois ou quatre villages à côté, et une grande forêt qui jouxte le + + +temple.
Elle hocha la tête. Il ne s’agissait donc pas d’un rêve...
— Bon, maintenant il n’y a plus qu’à construire une légende.
Uhr avait pris un sourire à la fois amusé et mystérieux. Il continua.
— Que peut-on trouver de plus épique et légendaire qu’un mystérieux +barbare venu de nulle part, pénétrant dans le temple, éliminant ses ennemis +à mains nues, enlevant la belle prêtresse et s’enfuyant sur son cheval +blanc ?
Elle le regarda un instant, légèrement incrédule. Il avait le physique de +l’emploi, c’était évident, mais de là à réussir une telle tâche... Elle jeta un +œil à Irdann à côté, qui fronça les sourcils. Voyant leur air surpris, Uhr +éclata de rire.
— C’est ce que les prêtres et les habitants verront, évidemment. Il va +falloir mettre en scène tout cela, et on ne sera pas trop de trois, +croyez-moi.
Il prit une grande inspiration et se pencha vers l’avant de la table, abaissant +la voix.
— D’abord, il nous faudra obtenir la complicité de la prêtresse, et donc se +débrouiller pour lui parler d’une façon ou d’une autre. Ensuite, faire en +sorte de compliquer au maximum la tâche du personnel du temple. Par +exemple, les droguer pour les rendre un peu moins combattifs... Ce sera à la +fois impressionnant et moins dangereux. Puis il faut organiser la fuite, de +façon à ce qu’elle ait l’air la plus spectaculaire possible. Il y a bien sûr des +détails à régler...
Irdann hocha la tête et prit la parole.
— Les prêtres de Melna savent normalement se battre. Ils sont une +quinzaine dans ce temple, d’après ce que j’ai entendu dire. Le reste du +personnel ne devrait pas poser de soucis je pense... Mais ces prêtres, outre +des compétences à l’épée, peuvent lancer des enchantements, et c’est de ça +qu’il faudra se protéger.
— Peux-tu préciser ?
— Melna est la déesse-mère, créatrice de vie et protectrice des moissons... +De ce fait, les prêtres ne possèdent qu’un seul enchantement purement +offensif, il s’agit bien sûr de l’invocation de foudre. J’y suis moi-même +immunisé, tout comme l’intérieur du temple, mais tu ne l’es pas...
Silwë fronça les sourcils.
— Cette protection peut-elle s’étendre à d’autres personnes ?
— Seulement si je m’interpose entre le ciel et la cible, donc à moins d’être +sur le même cheval que vous deux, ça sera compliqué. Et ce serait dommage +pour la légende que je sois vu... Sans compter le poids que va devoir +supporter la pauvre bête.
— La grande prêtresse ne peut-elle pas l’immuniser elle-même ? Après +tout, elle souhaite qu’on l’enlève, si j’ai bien compris...
— Oui, à condition qu’elle puisse coopérer activement, et de plus c’est un +risque qu’on la voit l’aider...
Uhr avait écouté le morceau de conversation, en réfléchissant. Il reprit la +parole.
— Hé, vous m’avez donné une très bonne idée. Dans la fuite, il faut que +vous deux preniez ma place et celle de la prêtresse, d’une façon ou d’une +autre.
— En supposant je puisse me faire passer pour toi, effectivement, ça +règlerait le souci de l’immunité.
— En supposant que je réussisse à me faire passer pour la prêtresse, cela +permettrait aussi de te remplacer... N’oublions pas que la bataille dans le +temple ne sera pas simple, tu sera épuisé, et tu pourrais même être +blessé !
— Comment peut-on se faire passer pour vous deux ? Je ne te ressemble +pas beaucoup, et je t’assure que, dans mon rêve, la prêtresse n’est pas non +plus le style de Silwë...
Il hocha la tête.
— De nuit, à une distance raisonnable, je pense que personne ne verrait le +changement. Bien sûr, il faut faire l’échange hors de vue, et le plus +loin d’eux possible. On peut même en profiter pour leur faire croire +qu’on a pris une sacrée longueur d’avance, si vous partez de plus +loin...
— Tout ce qu’ils verront, finalement, c’est une silhouette masculine, sur un +cheval, portant dans ses bras une jeune femme dans une robe et ça leur +suffira ?
Uhr sourit.
— Exactement. En plus, si ça tourne mal, je peux vous faire confiance pour + + +vous défendre et vous cacher efficacement... +

Ils firent une petite pause pour commander à manger et à boire. Le plan +se dessinait lentement.
— Il reste l’introduction dans le temple pour parler à la prêtresse.
— Silwë, tu sais faire ça, n’est-ce pas ?
Elle secoua la tête.
— Dans une forêt, oui, je peux circuler à peu près partout sans être vue. +Mais dans un temple, c’est plus compliqué...
— Ne vous inquiétez pas, je connais quelqu’un qui peut nous aider pour +ça.
— Il faut se procurer des costumes de barbare, et un de grande prêtresse +aussi, mais ça ne doit pas être très compliqué.
— Surtout qu’il n’est pas nécessaire que les doublures aient un costume +parfait, il suffit que ça soit à peu près ressemblant de loin. Vous ne vous +approcherez pas des prêtres de toutes façons.
Irdann, qui semblait un peu gêné, fit part d’une remarque.
— Tout de même, j’aurais quelques scrupules à te voir tuer tous ces gens du +temple de Melna...
— C’est pour ça qu’on va essayer au maximum de les assommer, et de +s’enfuir rapidement. Pour ça, les droguer peut-être une solution.
— S’enfuir d’un temple endormi, ce n’est pas très héroïque, non ?
— Il faudra ajuster pour qu’ils soient juste assez sonnés pour être +peu résistants. Mais les prêtres pourront quand même invoquer des +enchantements pour se protéger...
Silwë fronça les sourcils.
— Irdann, Peux-tu nous faire la liste complète de ce que ces prêtres peuvent +invoquer, en fait ?
— Des charmes de protection, qui rendent la peau plus résistante +aux armes tranchantes. D’autres incluant la météo et la végétation, +mais ce sont plutôt les hauts prêtres qui en sont spécialistes. Je +me souviens aussi que certains prêtres de mon temple avaient des +charmes qui leur permettaient de détecter les êtres vivants autour +d’eux.
— Effectivement, cela peut nous compliquer la tâche. Il me faudra donc +faire vite, et que nous fassions l’échange rapidement. Que sais-tu faire, en + + +tant qu’apprenti paladin de la déesse ?
Il haussa les épaules.
— À part l’immunité dont je vous ai parlé, je ne vois rien qui puisse nous +aider. Mais c’est déjà pas mal...
— Quelle drogue pourrait fatiguer les prêtres juste assez pour qu’ils soient +moins efficaces sans s’en rendre compte ?
Uhr sourit.
— Je connais quelqu’un qui peut nous fournir ça, ne vous inquiétez +pas. +

Silwë soupira.
— Qui sont ces gens dont tu nous parles qui peuvent nous aider ? +Ou...
Elle vit son ami sourire de plus en plus.
— ... Ou cette personne, en fait ?
Il se mit à rire devant son air méfiant.
— Je vais vous présenter le type qu’il nous faut. Un ami à moi, +capable de s’introduire dans n’importe quel bâtiment, et spécialiste en +poisons.
— Un assassin ?
— Mieux encore. Disons... Un ménestrel. Je reviens, ne bougez pas.
Il se leva et se faufila dans la foule dense. Irdann et Silwë se regardèrent en +haussant les sourcils. +

+∼
+
+

Farl +

Farl terminait son assiette avec appétit. C’était effectivement une +excellente adresse, il regrettait de ne pas être venu ici plus tôt. Uhr lui avait +proposé de le retrouver ici pour un plan bien précis, sans lui donner de +détails. Tant qu’à venir, il avait proposé ses services et ceux de son ami +Eldon pour animer la taverne. Le cachet n’était pas énorme, mais le repas +était compris, et c’était déjà bien pour des ménestrels qui n’avaient pas + + +totalement terminé leur formation. De plus, l’ambiance était agréable, et le +public accueillant. La soirée commençait bien. Mais que lui voulait son +ami ? +

La gérante s’approcha en souriant et proposa aux deux artistes une +nouvelle ration. Eldon accepta volontiers, et il s’apprêtait à faire de même +lorsqu’il aperçut Uhr s’approcher de la table. Il souriait.
— Tu nous rejoins ?
Il se leva.
— Bien sûr. Tu vas me dire ce que tu prépares, enfin ?
— J’apporte une nouvelle assiette à la table au fond, si j’ai bien compris ? +demanda la gérante.
— Oui, merci !
— Tant qu’à y être, amenez-en quatre, ajouta Uhr. +

Il lui avait déjà parlé de ses compagnons de la garde, mais c’était la +première fois qu’il les rencontrait. Ils étaient habillés, tout comme Uhr, en +soldats –d’une tunique brune et cotte de maille–, mais ils étaient aussi +surprenants que différents. +

Le dénommé Irdann, l’apprenti paladin, était un grand brun, aux +cheveux mi-longs, plutôt mince, à moins que ce ne soit le contraste avec Uhr +qui lui donnait cet effet-là. Beaucoup d’hommes avaient l’air frêles à côté, +en fait. L’autre compagnon était une elfe aux longs cheveux clairs, nommée +Silwë. S’il ne connaissait pas la réputation de la garde et de maître +Ernest, il se serait sérieusement demandé ce qu’elle y faisait. Ils lui +sourirent et il s’assit à côté d’eux, pendant que Uhr lui détailla leur +plan. +

Les yeux ronds, il fixait les trois soldats à tour de rôle.
— Mais... c’est complètement insensé votre histoire.
Ils hochèrent la tête.
— S’introduire dans un temple qui se situe loin d’ici, enlever la grande +prêtresse, faire toute cette mise en scène, et s’enfuir, comme ça ? C’est +totalement fou.
Uhr sourit.
— Tu te joins à nous ?
Il éclata de rire.
— Bien sûr que je viens. Je ne voudrais pas rater ça !
Il vit ses interlocuteurs se détendre et lui sourire à leur tour.
— Bon, plus sérieusement, je peux me procurer un poison léger qui rend +légèrement apathique. Par contre, il en faudra une bonne quantité, et ça +peut prendre un petit moment. Je peux aussi trouver quelques fumigènes, +très pratiques pour se cacher. Et côté infiltration, vous pouvez compter sur +moi.
Il sourit devant leur regard incrédule. Il était toujours vêtu de sa tunique +orange décorée, plus adaptée à une scène de spectacle qu’à une mission +secrète. Il se pencha vers le centre de la table.
— Je vous expliquerai tout cela en détails plus tard, c’est un peu long à +raconter. Faites-moi confiance pour le moment.
Ils terminèrent leurs plats et se levèrent.
— Il se fait tard, il nous faut rentrer. On se retrouve demain pour mettre au +point les détails ?
— Quand partirons-nous ?
— Si maître Ernest nous accorde un congé rapidement, on peut partir d’ici +une dizaine de jours... le temps de tout préparer. Il faut compter le trajet +aussi.
Ils opinèrent, puis quittèrent la taverne après avoir payé la gérante. +

Farl rentra seul, son compagnon l’ayant quitté nettement plus tôt. +Avait-il eu raison d’embarquer dans cette histoire ? Ils n’y gagneraient +aucune gloire, puisqu’ils resteraient incognito... Peu d’argent, même s’ils +avaient convenu que, dans la mesure du possible, ils piocheraient dans les +réserves du temple pour au moins amortir le coût du trajet. Juste +une histoire folle... Il savait qu’il n’était pas des plus doués pour +écrire de belles sagas épiques digne d’un grand troubadour, mais +cette histoire le mériterait amplement. Peut-être pourrait-il se faire +aider ? +

Il ne savait quasiment rien des deux compagnons de Uhr... Que +valaient-ils ? S’ils étaient élèves de maître Ernest, ils étaient probablement +des virtuoses de l’épée, mais cela ne serait pas suffisant. Mais il avait +confiance en son ami, qui n’était pas du genre à tenter des projets insensés +sans avoir mûrement réfléchi aux risques. Lui connaissait ses amis depuis +quatre ans maintenant, et devait savoir ce qu’il faisait. + + +

Il se coucha en se demandant vaguement pourquoi il se demandait s’il y +avait quelque chose entre l’elfe et le jeune paladin, qui semblaient très +familiers l’un envers l’autre. Ils l’étaient aussi avec Uhr, en fait, et +cette question était stupide, il verrait assez rapidement de toutes +façons. +

+∼
+
+

Sélène +

Sélène jura intérieurement. Elle venait de rater le départ du convoi +public, composé d’une diligence et de quelques soldats, qui lui aurait permis +de rentrer chez elle seule. Elle en avait assez d’être escortée des gardes de +son château, qui ne lui laissaient absolument aucun champ libre, et elle avait +eu bien assez de mal à convaincre ses parents de la laisser se débrouiller +seule. La première partie du trajet s’était passée sans aucun problème, elle +avait même fait quelques rencontres intéressantes, et avaient rendu les +journées moins longues. +

Elle soupira. On était en milieu d’après-midi, et il fallait bien qu’elle +fasse quelque chose. Elle poussa la porte de la seule auberge du village, et +alla parler à la patronne, une jeune femme à peine plus âgée qu’elle, au +visage accueillant.
— Un repas et une chambre pour la nuit ? Bien sûr. Ce sera prêt ce soir. +Mais que fait donc une dame de votre rang seule dans ce modeste +village ?
— À vrai dire... j’ai subi un léger contretemps. D’ailleurs, peut-être +pouvez-vous me renseigner. Je cherche un moyen de traverser la forêt pour +me rendre en la seigneurie de Assem.
— Si vous savez monter, vous pouvez louer des chevaux et engager +des hommes pour vous protéger. Je peux vous indiquer quelques +contacts.
Sélène réfléchit quelques instants. Elle n’aimait pas voyager avec beaucoup +d’argent sur elle, et n’était pas sûre de pouvoir se payer un cheval et une + + +escorte armée de plusieurs hommes. La jeune femme sembla saisir son +embarras.
— En fait, si vous n’avez pas peur de marcher et que vous n’êtes pas +pressée, vous pouvez vous passer du cheval. Par contre, une bonne escorte +est vraiment nécessaire. Il y a beaucoup de bandits dans ces bois. Je peux +vous recommander...
La jeune femme sembla réfléchir quelques instants.
— Mince, maintenant que j’y pense, la plupart des hommes disponibles et +compétents sont déjà partis escorter d’autres convois à travers la forêt. Ils +rentreront dans quelques jours.
À sa mine déçue, elle ajouta :
— Il y a bien Zach, qui habite la petite cabane en bordure du village. Il est +parti plus tôt que les autres, et le connaissant, il sera très rapidement de +retour, peut-être même l’est-il déjà. Mais ne partez pas seule avec lui, il est +un peu...
— Un peu... quoi ?
La tenancière haussa les épaules.
— Oh ne vous inquiétez pas, il n’est pas méchant, et il ne vous arrivera rien +de vraiment grave avec lui. C’est même probablement le meilleur guide de la +région. Seulement, il est un peu brusque, un peu sauvage, et euh, très peu +délicat... Pas du tout convenable à une jeune fille de votre rang. Enfin, si je +puis me permettre.
— Merci pour vos conseils, je vais réfléchir. +

Aller ou ne pas aller voir ce fameux guide ? Elle hésitait. Attendre +quelques jours n’était pas mortel. Elle pouvait peut-être même faire +parvenir une missive à ses parents pour les prévenir de son retard. D’un +autre côté, le « jeune fille de votre rang » lui restait un peu en travers de la +gorge. Elle avait l’habitude, à l’université de magie, d’être traitée comme les +autres, et n’aimait pas, lorsqu’elle rentrait chez elle, redevenir une jeune +femme posée et douce, à l’attitude noble qui sied à son rang. Rien que pour +cela, l’idée de partir dans la forêt avec un sauvage était tentante. +Qu’avait-elle à perdre à aller voir ? Il n’était peut-être pas rentré de toutes +façons. +

Lorsqu’elle arriva près de la petite cabane, elle eut quand même un +instant d’hésitation. Cet endroit ressemblait plus à un abri précaire qu’à + + +une maison. Une partie d’elle-même sembla presque soulagée de ne voir +aucune lumière à l’intérieur. Elle s’approcha néanmoins de la porte, et +s’apprêta à y frapper. +

— Vous cherchez quelqu’un ?
Surprise, elle se retourna vivement. Elle n’avait pas entendu l’homme +approcher dans son dos.
— Je cherche un guide du nom de Zach. S’agit-il de vous ?
— C’est moi.
L’homme était très différent de ceux qu’elle avait déjà fréquentés. En fait il +était très différent de tous ceux qu’elle avait pu voir, qu’il s’agisse de nobles, +de serviteurs, de collègues magiciens ou de paysans. Son air fin et élancé +rappelait celui des elfes, mais sa barbe et ses oreilles le démentait. Il était +vêtu d’une tunique en lin gris et usée, d’un pantalon de toile épaisse brune, +et à son côté pendait une épée.
— Je cherche à me rendre dans la seigneurie de Assem.
— Vous êtes seule ? Vous avez une monture ?
— Je suis seule et à pied.
Le guide marqua un temps d’arrêt, hésitant. Il semblait la jauger du regard. +Peut-être ne la croyait-il pas capable de le suivre ?
— Alors ?
— Vous voulez traverser à pied ? Cela va durer six à sept jours.
— Ça ne m’effraie pas.
— Vue la saison, il faudra marcher hors des sentiers battus, pour +éviter les attaques. Donc il n’y aura pas d’auberge ou de refuge sur le +chemin, on devra dormir à la belle étoile. Le couvert sera spartiate +aussi.
Il essayait de la faire renoncer, c’est sûr. Mais le trajet ne l’effrayait pas. La +vie à la dure ne lui faisait pas peur, cela lui rappellerait sa première année +d’université, avec les paillasses inconfortables pour dormir et le chauffage +intermittent en plein hiver.
— D’accord.
Il hocha alors légèrement la tête, et fit un pas vers elle. Puis soudain, il +attrapa un pan de sa robe et le souleva. Elle poussa un cri de colère et de +surprise en même temps, tout en se dégageant et en reculant d’un pas. +Comment osait-il ?
— Les chaussures. Vous ne pouvez pas courir les chemins avec ça. +Trouvez-vous des bottes.
Furieuse, elle retint difficilement une gifle. L’homme en face était plus +grand, plus fort qu’elle, et armé qui plus est. Et puis elle ne comptait +pas renoncer maintenant. Ne serait-ce que pour ne pas perdre la +face.
— J’aurai les chaussures qu’il faut demain. D’autres... détails ?
Elle avait peut-être un peu trop insisté sur le mot « détails », mais c’était +sorti tout seul, d’agacement. Il ne releva pas, et se contenta de hausser les +épaules.
— Rendez-vous demain matin, dès les premières lueurs de l’aube. Je +m’occuperai des vivres. Le trajet coûtera cinq pièces d’or. Marché conclu, +mademoiselle... ?
Il lui tendit la main. Elle frappa dans la sienne.
— Marché conclu. Appelez-moi Sélène. +

+∼
+
+

Zach +

Le soir, sur sa paillasse, Zach réfléchissait. Il avait déjà accomagné des +voyageurs insolites, mais quelque chose lui disait que cette Sélène lui +réservait quelques surprises. +

Elle avait le teint pâle et délicat, une robe violette travaillée, aux +bordures dorées, qui semblait convenir à une noble plutôt qu’à une +voyageuse. L’air de défi qu’elle avait correspondait aussi, bien qu’il était +plus répandu chez les seigneurs que chez les dames, à qui on enseignait +douceur et obéissance. Alors que sur son geste –certes à la fois ambigü et +peu délicat de sa part– pour vérifier ses chaussures, la plupart des femmes +qu’il avait croisé auraient – selon la situation – hurlé de peur, manqué de +s’évanouir, ou gloussé ; elle avait plutôt donné l’impression de vouloir le +transpercer d’une épée. Heureusement qu’elle n’en avait pas à ce moment +là, en fait... + + +

Et puis elle était venue seule, et rien que ça, c’était étrange. +

Et il y avait ce nom, tout simple. Était-ce vraiment le sien ? D’habitude, +les nobles aimaient à étaler des noms à rallonge, comme si ce seul nom +faisait leur valeur. Était-elle vraiment sans prétention, ou avait-elle quelque +chose de louche à cacher ? +

À l’aube, elle était là, prête. Habillée comme la veille, aux bottines près, +avec un manteau brun, et munie d’un sac en cuir en bandoulière, en +apparence bien rempli. Lui avait ajouté à sa tenue son armure et ses +brassards de cuir, et avait lui aussi une besace chargée et une cape, gris +foncé. +

Il hocha la tête, lui tendit une gourde et une couverture, qu’elle mit dans +son sac sans dire un mot, et ils se mirent en route. +

+∼
+
+

Sélène +

Sélène regrettait un peu d’avoir accepté de le suivre. Zach avait un +rythme de marche très soutenu qu’il était difficile de suivre. De plus, elle se +prenait chaque branche, fougère, buisson, racine, comme si la forêt entière +avait décidé de l’empêcher d’avancer. Lui était tellement à l’aise qu’il +semblait que ces mêmes obstacles s’effaçaient devant lui. Sur une +racine particulièrement vicieuse, elle s’étala de tout son long dans des +branchages. Zach, qui marchait devant sans la regarder, s’arrêta pourtant +instantanément, et se retourna. Pourvu qu’il évite une remarque +sarcastique, c’était bien assez humiliant comme ça. Sans dire un mot, il lui +tendit simplement la main, et la releva. Elle n’avait pas osé croiser son +regard. +

Quelques heures plus tard, alors que ses pieds commençaient à la faire +sérieusement souffrir, et que son souffle se faisait de plus en plus court, il +décréta une pause. Elle se sentit à la fois soulagée et gênée. Faisait-il la +pause exprès pour elle ? Certes, il était midi, mais peut-être qu’il ne + + +s’arrêtait pas toujours, et mangeait en chemin.
— Comment vont vos pieds ?
— Ça va. Pourquoi ?
— Parce que vous boitez, depuis trois heures. Ampoules ?
Elle avait essayé de ne pas le montrer, pourtant. Et puis elle n’avait +pourtant rien dit, de quoi il se plaignait ? Elle garda le regard fixé sur le +liseré de la manche de sa robe, évitant son regard.
— Oui peut-être. Mais je peux continuer, hein.
Elle ôta ses bottes et ses chaussettes et retint un gémissement. C’était +encore pire que ce à quoi elle s’attendait.
— Allez tremper vos pieds dans le ruisseau juste là, pendant que je sors de +quoi manger.
Le ton s’était adouci. Venait-elle de passer une sorte de test ? Ou avait-il +pitié, finalement ? Elle releva les yeux et son regard croisa le sien le temps +d’une seconde. Il lui souriait. +

+∼
+
+

Zach +

Il était évident que Sélène n’avait quasiment jamais mis les pieds dans +une forêt. Elle trébuchait sur chaque branche, chaque racine, sursautait à +chaque bruit. Pourtant, il ne l’avait pas entendue se plaindre de la journée, +il évita donc quelques remarques amusées qui lui brûlaient les lèvres. Il +remarqua aussi très rapidement qu’elle n’avait pas l’habitude de marcher +tout court. Non seulement elle s’était mise à boiter, mais son souffle était de +plus en plus court et son visage de plus en plus rouge. Il maintint le rythme +jusqu’au soir, et quand les ombres s’allongèrent, il la sentit à bout. +Ayant repéré un endroit convenable, il s’arrêta et se tourna vers +elle.
— Reposez-vous ici, je vais chercher de quoi faire un feu.
Elle répondit immédiatement, d’un ton presque agacé.
— Merci, mais je vais bien, je peux rester debout, et vous aider.
Il lui sourit. Décidément, elle avait du cran, et ça lui plaisait.
— Pas la peine de me le cacher, je vois bien que vous êtes épuisée. Il n’y a +pas de mal à ça.
Elle fronça les sourcils. Il reprit plus doucement.
— Vous avez bien mérité un peu de repos. Tous les voyageurs à qui je fais +traverser cette forêt ne suivent pas mon rythme comme vous sans se +plaindre, croyez-moi.
Elle sembla hésiter, puis s’assit dos à un arbre, et posa son sac, laissant +échapper un léger soupir de soulagement. +

Il revint une dizaine de minutes plus tard. En plus du bois, il avait +trouvé quelques baies. La nuit était quasiment tombée, mais cela ne lui +avait jamais posé problème. Sélène était toujours assise, adossée au +même arbre, penchée en avant, immobile. Endormie ? Elle avait +vraiment l’air épuisée, c’est vrai... Elle avait ôté ses bottes, et ses mains +étaient posées sur ses pieds, laissaient entrevoir une peau intacte. Il +fronça les sourcils. Il se souvenait d’avoir vu ses pieds presque en +sang à midi. Peut-être que ses doigts cachaient les blessures, après +tout, ses chaussettes posées à côté d’elle en portaient toujours les +traces. +

+∼
+
+

Sélène +

— Vous allez bien ?
Elle sursauta et ouvrit les yeux. Il faisait noir autour d’elle. Elle cacha +rapidement ses pieds sous sa robe, en se redressant.
— Oui, oui. Je crois que je me suis assoupie, désolée...
Ah, pourquoi ce moment d’endormissement ? En fait, elle savait très bien. +Elle avait tellement mal aux pieds qu’elle avait profité de l’absence de +son guide pour lancer un léger sort. Un qui n’avait pas besoin de +son bâton pour être efficace. Un simple apaisement des blessures +mineures. Elle eut honte, pourtant ce n’était pas sa première blessure, et + + +d’habitude, elle savait tenir la douleur. Lorsqu’on s’entraîne à la magie, +c’est même très courant. En plus, c’était un risque, il aurait pu la +voir... Lancer un sort était rarement discret, elle le savait. Et ce +moment de sommeil... Oui, elle savait que la magie pouvait épuiser. +Mais ce n’était pas un si petit sort qui aurait dû l’endormir, tout de +même ! +

Elle regarda son guide, qui venait de réussir à allumer un feu. Il ne +semblait pas se douter de ce qui s’était passé. Ouf, elle n’était passée pas +loin de la catastrophe. La chaleur et la lumière lui rendirent un peu de +forces, et plus encore le repas qu’il lui tendit, composé essentiellement de +pain, de fromage et de lard.
— J’ai pu trouver quelques myrtilles pour le dessert. C’est toujours ça. +Peut-être que demain, j’aurai le temps de chasser quelque chose, ça +améliorera le repas.
Il semblait presque gentil avec elle, maintenant. Pitié ou sympathie ? Son +sourire semblait plutôt franc.
— Enroulez vous dans votre couverture, je vais baisser le feu pour la +nuit.
— Vous ne dormez pas ?
— Ce coin de forêt est assez calme, et j’ai vérifié les alentours. Il n’y a pas +de gros soucis, donc je dormirai aussi. Et ne vous en faites pas, ajouta-t-il en +voyant son air inquiet, je dors souvent seul en forêt et je sais me réveiller si +quelque chose d’anormal se passe. +

Elle sortit la couverture, s’enveloppa dedans, posa sa tête sur sa besace +et avant d’avoir le temps de constater que le sol était bien trop dur, elle +s’endormit profondément. +

+∼
+
+

Zach +

Pendant les quelques minutes où il s’occupait du feu, de façon à +s’assurer qu’il ne dégénère pas, il observa la jeune femme. Elle était + + +épuisée. Peut-être avait-il été un peu rude avec elle ? Finalement, elle +suivait à peu près son rythme, sans se plaindre, et sa compagnie n’était pas +désagréable. Ces cinq ou six jours de traversée ne s’annonçaient pas si mal. +Il écarta aussitôt une idée idiote qui lui traversa l’esprit. Non, pas +avec une noble. Surtout sa cliente. Ç’aurait été une paysanne, ou +une servante, il se serait peut-être posé la question, mais avec une +damoiselle de haut rang, c’était le meilleur moyen de s’attirer les pires +ennuis... +

Il se leva en s’étirant, fit un tour rapide du campement de fortune, puis +s’enroula dans sa propre couverture, de l’autre côté du feu, et s’endormit à +son tour. +

Le lendemain, il se réveilla de très bonne humeur. Habitué à dormir à +même le sol, il avait passé une très bonne nuit. À la grimace que fit Sélène +en se levant, il se rappela que ce n’était pas le cas de tout le monde. Si on y +ajoutait les courbatures dues à l’effort qu’elle avait fourni la veille, +le réveil était probablement beaucoup moins agréable pour elle. +Pourtant, elle suivit sans broncher le même rythme, et semblait un +peu plus détendue. Il se permit même quelques remarques amusées, +qu’elle ne prit pas trop mal. Vers le début de l’après-midi, elle lui +posa même quelques questions sur certaines plantes et arbres qu’ils +croisèrent. +

Alors que le soir approchait, il la laissa encore près du campement pour +aller chercher de quoi faire un feu. Avec un peu de chance, il trouverait +peut-être du petit gibier, et ils feraient un bon repas, pour changer. Ils +pouvaient se permettre de prendre un peu de temps, car ils avaient bien +avancé. Ce n’était pas parce qu’il avait une réputation de sauvage qu’il ne +savait pas apprécier quelques bons moments. +

Son sang se glaça soudain lorsqu’il entendit un cri. C’était sa voix. Si +elle avait été n’importe quelle autre fille, il aurait cru à une rencontre +inattendue avec une araignée. Mais là... Dégainant d’un même geste son +épée de sa ceinture et son couteau de sa botte, il se précipita vers le +camp. +

+∼
+
+

Sélène +

Elle recula lentement, de façon à garder toujours dans son champ de +vision les deux hommes. Leurs vêtements étaient sales et un peu déchirés, +ils étaient armés l’un d’un gourdin et l’autre d’une vieille épée. Ne pas +paniquer. À l’université de magie, elle s’était entraînée à combattre +physiquement, en utilisant son bâton de magicienne comme d’une arme +lorsqu’elle ne voulait ou ne pouvait pas utiliser la magie. Elle n’avait trouvé +à la place qu’une branche cassée, lourde et peu pratique à manier ; mais +elle comptait bien ne pas se laisser faire. Au pire, elle pouvait essayer de +gagner du temps. Pourvu que Zach arrive vite... mais était-il capable de +maîtriser ces deux brutes ? +

Elle était si concentrée qu’elle ne fit même pas attention à ce +qu’ils lui dirent. L’un d’eux, celui à l’épée, s’avança. Elle pivota +et plaça son arme si dérisoire dans sa direction. Ne pas le laisser +s’approcher, coûte que coûte. Qu’avait-elle à perdre ? Ces deux brigands +n’allaient pas se contentent du peu d’or qu’elle possédait de toutes +façons... +

À l’instant où le bandit leva son épée pour dégager le bâton, l’homme au +gourdin disparut soudainement de son champ de vision. Sentant la panique +monter, elle dirigea d’un mouvement brusque la branche vers le visage de +l’autre. Si elle touchait ses yeux avec les brindilles à son extrémité, elle +pouvait gagner encore un peu de temps... Il esquiva le coup, puis dégagea la +branche sur le côté du plat de sa lame, avant de s’avancer vers elle d’un +pas. +

Alors qu’il allait l’atteindre, il s’effondra brusquement, à ses pieds. Elle +n’eut pas le temps de comprendre ce qui se passait lorsqu’une main se +posa sur son épaule. Cette fois, elle ne put retenir un cri de panique. +Maintenant sa prise à deux mains sur son arme de fortune, ramenant les +bras vers elle, elle donna un grand coup dans son dos, de toutes ses +forces. Elle sentit un choc, entendit un bruit mat et un gémissement +étouffé.
— Hé, c’est moi !
Reconnaissant la voix, elle se retourna. Zach était là, sa main gauche posée +sur ses côtes, son épée couverte de sang dans la main droite, et un couteau +aussi sale glissé rapidement dans sa ceinture. Elle regarda alors autour +d’elle. Les deux hommes gisaient à terre. Elle lâcha la branche, en +tremblant. Il lui prit délicatement la main.
— Viens, il ne faut pas traîner ici. D’autres pourraient venir.
+

Zach ramassa leurs deux sacs, les passa en bandoulière, et l’emmena au +pas de course. Elle le suivit sans réfléchir. +

Combien de temps s’était passé lorsqu’elle reprit un peu ses esprits ? +Elle l’ignorait. Mais la nuit achevait de tomber, et ses jambes commençaient +à faiblir. Il n’avait pas lâché sa main.
— Où va-t-on ?
— Je connais un endroit où on est sûrs de passer une nuit en sécurité. Nous +y sommes presque.
Quelques minutes plus tard, ils arrivèrent devant un amas rocheux.
— C’est un peu escarpé, mais pas trop difficile. Ne lâche pas ma main, et +n’hésite pas à t’accrocher de l’autre à la roche ou à la végétation. +

L’ascension fut difficile, et tenait presque plus de l’escalade que de la +marche. Elle devait se tenir sans cesse à la paroi qu’elle voyait de plus +en plus mal. Sans compter qu’elle ne pouvait plus tenir sa robe, +et se prenait les pieds dedans. Comment lui faisait-il pour grimper +avec les deux sacs, en tenant sa main, et sans montrer le moindre +effort ? +

Une pierre se détacha subitement sous son pied gauche, dans un +léger craquement. Elle sentit son second pied glisser, et sa main +chercha –en vain– de quoi se raccrocher à la paroi. Par réflexe, son +autre main s’aggrippa encore plus fort à celle de Zach, en laissant +échapper un léger cri. Sa chute, qui lui parut durer une éternité, s’arrêta +une quarantaine de centimètres plus bas, retenue par cette main +salvatrice.
— Tout va bien. Reprends tes appuis, tranquillement. Attrape la racine, au +niveau de ta tête.
Ne pas regarder en bas. Ne pas regarder en bas. Tremblante, elle saisit la +prise qu’il lui avait désignée, et reposa ses pieds sur un rocher. Puis elle leva +les yeux vers lui. Il lui adressa un sourire encourageant.
— C’est presque fini. +

Quelques mètres plus loin, la paroi se fit carrément verticale et lisse. +Zach désigna un buisson au dessus de sa tête.
— C’est ici. Par contre, tu vas devoir lâcher ma main quelques instants.
Ell vit sa silhouette escalader lestement les derniers mètres et disparut +dans le buisson sombre. Puis ce buisson s’écarta légèrement, laissant +entrevoir une grande faille dans laquelle il se tenait assis. Il se mit à plat +ventre au bord, et tendit son bras. Elle le saisit, et il la hissa jusqu’à +lui. Le buisson se replaça sur l’entrée de la faille, coupant toute +lumière. +

— Où sommes-nous ?
— Dans une petite grotte cachée sur cette falaise. Fais attention, c’est un +peu bas de plafond. Il n’y a que moi qui connaisse cet endroit.
— Comment peux-tu en être sûr ?
— Je l’ai découverte il y a quelques années, je l’utilise parfois pour stocker +des choses. Jusqu’ici, hormis la nourriture, rien n’a jamais disparu. Mais en +général, c’est simplement un lieu de bivouac plutôt confortable. Enfin, +quand je suis seul.
— Quel est ce bruit ? De l’eau qui coule ?
— Il y a un petit ruisseau qui se déverse dans une vasque dans un coin de la +grotte. Ce léger bruit a l’avantage de masquer nos sons, déjà un peu +étouffés par la paroi et les buissons. D’ailleurs, je vais en profiter pour +remplir les gourdes d’eau fraîche. +

Elle l’entendit des bruits de pas s’éloigner rapidement vers le +fond de la grotte, tandis qu’elle-même s’éloignait de l’entrée de la +grotte, lentement, à quatre pattes et en essayant de ne pas se cogner. +
— Mais comment fais-tu pour t’y retrouver dans cette obscurité ? Et pour +ne pas te prendre la paroi ? Je ne vois absolument rien...
— Je connais cette grotte comme ma poche. Ça aide.
+ + +

Elle l’entendit revenir et s’asseoir face à elle. Il prit doucement sa main +et y déposa la gourde qu’il venait de remplir. L’eau était délicieusement +glacée. Puis il fit de même avec un morceau de pain. Qu’il connaisse sa +cachette les yeux fermés, d’accord, mais qu’il trouve directement sa +main...
— Tu vois dans le noir, n’est-ce pas ?
Ses doigts étaient encore en contact avec les siens, et elle le sentit, pour la +première fois, marquer un instant d’hésitation gêné.
— J’ai des yeux de chat, il paraît.
Le contact entre leurs doigts se rompit. +

Alors qu’ils mangeaient en silence, elle réfléchissait. Ainsi, il voyait dans +le noir... Ce genre de don était peu courant. Elle fit mentalement la liste des +êtres qui avaient cette capacité. Les elfes et les nains, déjà, bien que le +mécanisme soit totalement différent pour les deux races. Il y avait aussi les +loups-garous, et les vampires... Elle eut un léger frisson et passa +machinalement la main sur son cou, un peu soulagée de n’y sentir aucune +marque de blessure. +

Elle se rappela alors que si elle ne voyait rien, lui la distinguait +parfaitement, du moins semblait-il. Avait-il suivi sa pensée sur son visage ? +Voulait-il éloigner le sujet des « yeux de chat » ? Toujours est-il qu’il +reprit la parole.
— Désolé, on fait mieux question confort. Mais au moins on est en sécurité +ici.
— Tu penses vraiment qu’il peut y avoir d’autres brigands ?
Elle l’entendit soupirer.
— D’habitude, ce coin de forêt est plutôt calme, et ça m’a surpris d’en voir. +C’est ma faute, j’aurais dû mieux vérifier. Ces deux gars étaient peut-être +un cas isolé, mais dans le doute...
— Tu emmènes souvent des gens dans cette cachette ?
— Non. Tu es la première. +

+∼
+
+ + +

Zach +

Il la vit terminer de manger avec un air pensif. Les brigands, la fuite, +l’ascension, la chute, la cachette... Tout cela devait faire beaucoup pour +quelqu’un qui n’avait pas l’habitude. Elle semblait un peu choquée, mais elle +tenait étonamment bien le coup. Ou alors elle cachait-elle très bien son +trouble ? +

Il la vit frotter ses mains et ses bras. Avant qu’il ne fasse une remarque +sur la température, elle anticipa.
— Il fait froid dans cette grotte.
Il se rappela qu’elle ne voyait rien, contrairement à lui. Cela devait être +extrêment gênant pour elle, de se sentir observée sans pouvoir observer en +retour.
— On ne peut pas faire de feu, et l’humidité n’aide pas. Installe-toi sur le +lit, vers le fond, et couvre-toi le plus possible. Enfin, lit... le tas de bruyère. +Ce n’est pas très confortable, mais c’est mieux que la roche, et ça isole du +froid. +

Pendant qu’elle s’installait, il se rapprocha de l’entrée et écarta +légèrement le buisson qui la masquait. L’autre avantage de cette cachette, +c’est qu’elle faisait un excellent point d’observation. La forêt était calme. +Une lueur, très lointaine, dans la direction opposée à leur trajet. +Brigands ou voyageurs ? Rien d’inquiétant vue la distance de toutes +façons. +

Il revint vers le fond de la grotte, et ne put s’empêcher de remarquer que +Sélène tremblait.
— Tu as toujours froid ?
— Oui, un peu.
Il marqua une seconde d’hésitation, et se racla la gorge.
— Il reste un moyen de se réchauffer : se serrer l’un contre l’autre.
Il la vit froncer les sourcils et réfléchir quelques secondes. Puis elle se tourna +vers lui.
— Bon d’accord. Mais tu as intérêt à garder tes mains de ton côté, +sinon...
— Compris !
Il n’avait pas forcément envie d’entendre la liste des supplices qu’elle + + +prévoyait de lui faire subir s’il avait le malheur de laisser traîner une main +au mauvais endroit. De plus, son ton presque menaçant lui donnait +l’impression qu’elle allait mieux. Et pour être honnête avec lui-même, sans +cela, il aurait probablement eu froid lui aussi. Il défit sa ceinture qu’il +posa près de lui, de façons à garder son épée à portée de main en +cas de besoin, et s’enroula dans sa couverture, tout contre la jeune +femme. +

+∼
+
+

Sélène +

Zach sentait la transpiration et le cuir de son armure –qu’il n’avait +même pas enlevée–, mais elle réalisa subitement qu’elle-même ne devait pas +sentir bien meilleur. Elle ne l’aurait pas admis tout haut, mais elle était +soulagée de l’avoir près de lui. Non seulement il lui tenait chaud, mais sa +présence, son souffle calme, même cette odeur la rassurait. Elle avait un peu +de mal à réaliser tout ce qui s’était passé cette soirée. Il l’avait sauvée des +bandits, l’avait amenée dans cet endroit si bien protégé et connu de lui +seul... Était-il sincère lorsqu’il lui avait avoué qu’elle était la première à y +pénétrer ? +

Elle réalisa soudainement que si quelque chose se passait mal, elle était +incapable de s’enfuir de cet endroit sans se rompre le cou. Il pouvait la +garder prisonnière ici s’il le voulait. Que pourrait-elle faire, s’il décidait +d’abuser de la situation ? Elle chassa cette idée. Il n’aurait pas attendu ce +soir pour ça. +

— Sélène ? Ça va ?
— Oui, oui...
Son visage n’était pas tourné vers elle. Il avait dû sentir son trouble aux +battements de son cœur.
— Je peux te poser une question bête ?
— Euh, vas-y...
— Où tu as trouvé des bottes en si peu de temps, l’autre jour ?
Elle sourit.
— Ah, ça ! J’en ai discuté avec la tenancière de la taverne. Elle a été ravie +d’échanger mes jolies chaussures contre une paire de bottines à elle. Même +si elle m’a répété plusieurs fois que c’était une mauvaise idée de partir avec +toi.
Il se mit à rire.
— Ça ne m’étonne pas de ma sœur ça.
— Et elle avait parfaitement raison : c’était une mauvaise idée de partir +avec toi. Tu as vu dans quelle situation je me retrouve ?
Elle marqua une pause, puis se remémora la gérante de la taverne. +Charmante femme, au teint pâle et aux cheveux roux...
— Euh, attends... c’est ta sœur ?
Elle n’avait pas besoin de voir son visage pour savoir qu’elle venait de +pointer du doigt quelque chose. La tension dans son corps était explicite. +
— Oui...
Son ton de réponse semblait gêné. Lui, qu’elle avait toujours vu si assuré, si +calme, maître de lui-même, se trouvait si mal à l’aise sur ce genre de +question ? +

+∼
+
+

Zach +

Il n’avait pas besoin d’entendre ses question ou ses interrogations. Son +corps à côté du sien semblait lui crier qu’il se moquait d’elle. Pourtant elle +ne disait rien... N’osait pas poser la question ? Il soupira. Au point où il en +était...
— J’ai été abandonné bébé, sur le pas d’une porte. Les gens qui +vivaient là, des bûcherons, m’ont recueilli et élevé comme si j’étais le +leur. Mais effectivement, j’admets qu’il n’y a pas vraiment d’air de +famille.
Surprise, Sélène se tut quelques instants. Puis elle reprit, légèrement gênée + + +à son tour.
— Désolée...
— Il n’y a pas de mal. Tu ne pouvais pas savoir. +

Elle laissa passer un moment de silence. Elle semblait plus détendue +qu’au début. Il valait mieux qu’elle se pose des questions sur lui que sur +tout ce qui s’était passé ce soir, finalement... Pourtant il sentait +qu’elle réfléchissait encore. Elle reprit la parole quelques minutes plus +tard.
— Je peux te poser une question à mon tour ?
Il haussa les épaules et sourit dans le noir –l’avait-elle perçu ?
— C’est ton tour.
— Ta capacité à voir dans le noir... Ça m’intrigue beaucoup. Tu n’aurais pas +du sang elfe par hasard ?
Il soupira. Il aurait dû se douter qu’elle finirait par revenir là-dessus. Il +arrivait bien à cacher ce don, habituellement, mais en l’emmenant dans +cette grotte obscure, il était illusoire de s’imaginer le garder secret... Elle +dut sentir sa gêne, et reprit doucement.
— Tu ne veux peut-être pas en parler ?
— Non, non... En fait, je n’en sais pas plus que toi. Rapport à ce que je t’ai +dit plus tôt. Je ne connais pas mes géniteurs. Et puis tu sais, d’où je viens, +elfe, ce n’est pas vraiment un compliment.
— Je sais. Je ne disais pas ça pour me moquer, rassure-toi. Tu ne t’es +jamais posé la question ?
— Si, à vrai dire. Mais comment savoir ? Aller voir des elfes, et leur dire +« Bonjour, est-ce que tu penses que je peux être ton fils  ?
Il la sentit sourire à cette plaisanterie.
— Certes.
Il hésita à la questionner plus. Elle avait l’air de connaître un peu le sujet... +
— Comment tu ferais, toi, pour savoir ?
— En fait, il y a plusieurs façons de voir dans le noir. Peux-tu me décrire +exactement comment tu fais ?
— Je n’ai pas l’impression de voir différemment. En fait si je laisse mes yeux +s’accoutumer à l’obscurité, je finis par voir très bien. J’ai même été très +surpris de constater que j’étais le seul de ma fratrie à pouvoir faire ça, je + + +croyais ça tout à fait naturel... J’ai l’impression que s’il n’y avait aucune +source de lumière, je ne verrais rien. Mais ça n’arrive jamais, il y a toujours +un petit quelque chose...
Elle sembla réfléchir quelques instants, puis expliqua.
— Ça correspond bien à la vision d’un elfe. Les nains voient différemment : +ils ont l’infravision, c’est-à-dire la capacité de voir la chaleur dégagée par les +corps et les objets. Ce qui revient grosso-modo à voir dans le noir. Les +loups-garous, eux, ont l’odorat tellement développé qu’ils ont une aussi +bonne perception de leur environnement que s’ils avaient les yeux ouverts en +pleine lumière. Il reste les vampires, qui comme certains magiciens, ont une +vision nocturne parfaite grâce à leurs pouvoirs magiques. Ce qui n’a pas l’air +d’être ton cas. +

Zach était impressionné.
— D’où tu sais tout ça ?
— Je l’ai lu.
À ses battements de cœur et la très légère tension dans son corps, il sut +qu’elle ne disait pas tout à fait la vérité. Il hésitait à la questionner, mais il +risquait de la braquer. Or, il apprenait tout de même des choses +intéressantes... Ce fut elle qui reprit.
— Après, il y a aussi des gens, des humains je veux dire, qui naissent avec +une vision nocturne comme ça, sans explications, ni origines spécifiques. +C’est plutôt rare cela dit. Vue ta silhouette, il est plus probable que tu aies +des antécédents elfiques.
Elle avait ça d’un ton tout à fait neutre. Sans la moindre condescendance ou +animosité.
— C’est drôle, tu n’as pas l’air de considérer cela comme une tare.
Il la sentit hausser les épaules.
— D’où je viens aussi, c’est très mal vu. Personnellement, je ne vois guère +de différence. Les elfes sont des hommes comme les autres. +

Zach se demanda d’où elle tenait cet avis assez ouvert, pour quelqu’un +qui semblait venir du même coin que lui. Peut-être des lectures ? Ou... dans +ce qu’elle n’avait pas dit ? Il avait voyagé avec beaucoup de gens, au cours +de sa carrière ; certains étaient particulièrement virulents vis à vis des +autres races humaines, d’autres n’en avaient rien à faire, d’autres les +admiraient et les enviaient... Surtout les elfes, soi-disants plus beaux, + + +plus agiles, plus sages, plus tout un tas de choses... Il se gardait en +général de donner son avis sur le sujet, et personnellement, il attendait +d’en rencontrer avant de juger. Il n’avait jamais croisé de nain, et +avait entr’aperçu des elfes une fois. Bien sûr, ces derniers n’ayant +pas besoin de lui pour traverer la forêt, et les nains n’aimant pas +trop voyager, cela ne lui avait pas laissé beaucoup d’opportunités. +Pouvait-il lui-même avoir du sang elfique ? C’était une question qu’il +n’avait jamais envisagé sérieusement jusqu’alors. Mais Sélène semblait +bien connaître le domaine... et ça, il était sûr que ce n’était pas du +bluff. +

Il entendit sa respiration et son pouls se ralentir. Elle s’était endormie. +Bercé par ce rythme régulier et la chaleur de son corps à côté du sien, il ne +tarda pas à faire de même. +

+∼
+
+

Sélène +

Lorsqu’elle ouvrit les yeux, Sélène mit un petit moment à savoir où elle +était. La grotte était éclairée par la lumière du jour, qui filtrait largement à +travers le buisson masquant son entrée. Elle pouvait enfin voir à quoi +ressemblait cette fameuse cachette. Elle était plus petite que ce qu’elle +s’était imaginé : allongée sur le lit de bruyère, elle touchait le mur froid de +sa main droite alors que l’entrée n’était qu’à quelques mètres à sa +gauche. Elle s’assit sur le matelas, finalement pas si inconfortable que +cela. +

Zach n’était plus étendu près d’elle, et il avait laissé à côté sa ceinture +et son épée, sa tunique et son armure. Elle l’aperçut au fond de la grotte, +cinq mètres plus loin, agenouillé auprès de la vasque où s’écoulait un +mince filet d’eau. Son dos, fin et musclé, rappelait effectivement la +silhouette des elfes, même si ses épaules étaient plus carrées. Et +la force qu’il avait eue lorsqu’il fallait la hisser la veille au soir... +Un demi-elfe ? Possible... Il y en avait quelques-uns à l’université + + +de magie, mais elle n’avait pas forcément eu le loisir de les voir à +demi-nus. +

Elle réalisa soudainement que ce n’était peut-être pas très convenable +de l’observer ainsi, d’autant plus qu’il ignorait probablement qu’elle était +éveillée. Détournant le regard, elle se leva.
— Ouille !
Le plafond était effectivement bas. Entendant cela, Zach se retourna. Il lui +sourit.
— Bien dormi ?
— Oui, à part le choc du réveil...
Elle chercha tout d’abord à ne pas le regarder, puis constata qu’il ne +semblait nullement gêné d’être torse nu devant elle. Elle remarqua alors une +marque rouge, longue d’une dizaine de centimètres, sur son épaule +gauche.
— Qu’est-ce que tu as là ? Tu t’es blessé ?
Il regarda son épaule.
— Ah, ça... Je me suis pris un mauvais coup, il y a dix jours. Rien de +grave.
— Fais voir ?
+

+∼
+
+

Zach +

Sélène s’approcha, s’accroupit près de lui, et lui saisit le bras. Elle +examina la coupure d’un air critique. Certes, ce n’était pas un coup si +anodin... Même s’il avait déjà connu pire. Et la blessure était en bonne voie +de cicatrisation.
— Tu n’avais pas pu recoudre ?
— Pas vraiment...
— Ne bouge pas.
Elle lâcha son bras, et se leva pour aller fouiller dans son sac. Il entendit + + +quelques bruits de métal et de verre. Il avait entendu ces bruits, la veille, en +transportant ce même sac, et n’y avait pas prêté attention dans l’urgence. +Maintenant qu’il avait le temps de se poser la question, son contenu +l’intriguait. +

Elle revint rapidement, tenant une petite boîte métallique à la main +qu’elle ouvrit.
— Tu sais, ça va, ne t’en fais pas pour moi.
— Donne ton épaule.
Le ton était calme, mais ferme. Presque surpris lui-même, il obéit. Elle +étala délicatement un baume sur sa blessure. Il piquait légèrement, mais +son odeur était agréable.
— Ça va accélérer la cicatrisation, expliqua-t-elle.
— Euh, merci.
Il ne savait pas quoi répondre d’autre. Certes, il avait l’habitude de se +débrouiller seul, mais était-ce une raison pour ne pas accepter une +petite aide spontanée ? Et puis, le contact de sa main n’était pas +désagréable. +

Il se leva, et alla ramasser ses affaires.
— Si tu veux, tu peux profiter de la vasque au fond pour te rafraîchir. Je +vais faire un tour pendant ce temps.
Il lui adressa un sourire rapide, et sortit. Le soleil était déjà haut dans le +ciel, et il savait qu’ils allaient devoir repartir rapidement, mais après ce +qu’ils avaient vécu hier, prendre un peu de temps ne serait pas forcément +perdu. Adossé à la paroi, debout sur la petite corniche en dessous de +l’entrée de la grotte, il finissait de s’équiper tout en réfléchissant. Cette +Sélène était décidément hors du commun... Quels secrets cachait-elle ? +D’où tenait-elle tout ce savoir ? Quelles autres surprises l’attendait avec +cette étrange voyageuse ? Il réalisa alors qu’il s’était mis à la tutoyer depuis +la veille au soir. Elle aussi. S’en était-elle rendu compte ? Ça n’avait pas eu +l’air de la choquer... +

+∼
+
+ + +

Aldariel +

Elle entra dans la salle du trône. Cette salle était toujours aussi +magnifiquement décorée, mais l’impressionnait bien moins qu’avant, et son +air était décidé.
— Ah, Aldariel. J’ai réfléchi à ce que tu m’as dit.
Son père lui souriait. Avait-il l’intention d’accepter ?
— Nous savons tous les deux que ce serait un grand honneur pour le clan +d’avoir l’un des nôtres qui participe au grand tournoi humain de tir à l’arc, +organisé par le duc De Vane. Mon confrère appréciait particulièrement +ma venue, même bien après que ma blessure m’empêche de viser +droit. Cela entretient les bonnes relations entre humains et elfes +sylvains.
Aldariel n’ajouta rien. Pour le moment, ça se passait plutôt bien.
— J’ai discuté avec ton professeur de tir à l’arc, qui trouve que tu la +surpasses quasiment. Nous pensons que tu ferais honneur au clan en +participant à ce tournoi.
Elle sourit.
— Cependant... J’ai peur pour toi.
Son visage se ferma. Le convaincre allait être compliqué.
— Les humains n’aiment pas toujours les elfes, tu le sais.
— Mais tu as déjà été chez les humains non ? Ils sont si... différents ? Si +dangereux ?
Il soupira.
— C’est différent. Déjà c’était il y a plus de dix ans, et les choses ont pu +changer. Ensuite, tu es une femme.
— Ça change quoi ?
— Pour les humains, ça change beaucoup de choses. Tu sais, chez +les humains, les femmes sont souvent soumises, et doivent obéir à +leurs parents ou maris... on n’imaginerait pas les voir se promener +seules.
Aldariel ouvrit des yeux ronds d’incrédulité.
— Sérieusement ?
— Je l’ai observé de mes propres yeux, crois-moi. Ce n’est pas le cas dans +toutes les contrées humaines, évidemment, mais dans le fief du duc De +Vane, c’est le cas.
— Tu penses que c’est vraiment dangereux ?
Il sourit.
— Laisse-moi terminer. Je ne veux pas que tu y ailles seule, c’est tout. J’ai +cherché le compagnon idéal pour te protéger.
Aldariel leva les yeux au ciel. Si son père savait qu’elle n’était plus aussi +innocente qu’elle n’en avait l’air... Enfin bon, s’il fallait supporter un garde +ou deux pour avoir un peu de liberté, ça pourrait peut-être le faire. Et puis +il pourrait être sympathique, voire... plus ?
— Je te présente Silwë, une guerrière qui nous revient de chez les +humains. +

Une jeune femme entra. Elle était habillée comme les soldats elfes, +d’une tunique mi-longue verte, d’un pantalon blanc, et des bottes. +Ses cheveux étaient tressés derrière son dos. À son côté pendait un +fourreau ouvragé. Elle posa un genou en terre face au roi et à la +princesse.
— Merci. Silwë, je te présente ma fille, Aldariel.
— Tu ne viens pas de me parler du risque que couraient les femmes seules +chez les humains ?
— D’abord, vous serez deux. Ensuite, Silwë vient de passer cinq ans chez +les humains, et elle les connaît très bien. Enfin, elle y a appris le +maniement de l’épée chez le meilleur maître qui soit, donc elle pourra te +protéger.
— Ça veut dire que tu me laisses y aller ?
Il sourit.
— Oui. J’ai envoyé un oiseau portant le message au duc, l’invitant à vous +accueillir toutes les deux.
Aldariel retint un cri de joie. +

+∼
+
+

Silwë +

Silwë était debout face à une table où s’étalait une carte, dans un salon + + +du palais. Elle réfléchissait à cette nouvelle aventure. Elle ne s’attendait pas +à une telle responsabilité, à peine rentrée chez elle ! C’était un grand +honneur et une grande confiance, car le roi lui confiait rien de moins +que sa fille. Elle doutait presque de ses capacités à mener une telle +mission... +

Elle connaissait indirectement la princesse. Sa mère avait été son +professeur particulier de tir à l’arc, et elle lui avait décrit une jeune femme à +la fois déterminée et douée, mais aussi simple et sans complexes. Qu’en +était-il en réalité ? Que serait le trajet avec elle ? Allait-elle devoir jouer +les serviteurs en même temps que de garde du corps ? Elle n’était +certainement pas très douée pour la première des tâches, en tous cas. Et +savait-elle se défendre un minimum, ou allait-elle devoir la protéger à +chaque pas ? En tous cas, elle avait eu l’air vraiment heureuse de +partir à l’aventure. Pouvait-elle l’en blâmer ? Elle-même l’avait été +aussi... +

C’est alors que la princesse entra. Elle avait troqué sa longue robe contre +une plus courte, vert très pâle, et un pantalon blanc. Des bottes avaient +remplacé ses jolies sandales, et elle n’avait gardé pour bijou que son fin +diadème. Elle portait son arc et un carquois en bandoulière, et une dague à +la ceinture. Son avant-bras gauche était protégé par un bracelet d’archerie, +en cuir, décoré de quelques motifs argentés. Au moins elle semblait équipée +correctement. +

Elle s’apprêta à s’incliner devant elle, mais Aldariel lui fit signe de +s’abstenir. Elle s’approcha de la table.
— Quel est notre trajet ?
Silwë lui montra la carte étalée sur la table.
— D’abord nous allons sortir de la forêt des elfes par ici, en quelques jours +nous y serons. Après il nous faut traverser cette région des humains. Trois +ou quatre jours. C’est proche de la capitale humaine, où on trouve de tout, +et les gens y sont assez ouverts d’esprit, et plutôt accueillants. Attends-toi à +des regards curieux, ils ne voient pas des elfes tous les jours non +plus.
— On ne verra pas la capitale ?
La jeune princesse prit un air déçu.
— Non, désolée. Cela ferait un détour de plusieurs jours, et nous n’avons +pas tellement le temps...
— C’est dommage... On m’a dit que cette ville est très belle. N’est-ce pas là +que tu as vécu ?
Silwë sourit. Elle serait bien aussi passée par la capitale, voir certaines +personnes qui y vivent.
— Oui. Et croyez-moi, ça me ferait plaisir d’y retourner... Peut-être +pourrons-nous y passer au retour ?
— Comment dort-on chez les humains ?
— Nous irons dans des auberges.
— Cela veut dire qu’on va aussi manger de la nourriture des humains ? +C’est bon ?
— C’est différent, mais très bon aussi. Ne vous inquiétez pas pour ça. Elle +se retourna vers la carte.
— Nous passerons par cette autre forêt ensuite, nous y serons plus +à l’aise. Il faudra être prudentes, il y a parfois des bandits. Je ne +connais pas cette forêt directement, mais je pense que nous n’aurons +aucun mal à la traverser dans sa longueur. Une dizaine de jours je +dirais.
Aldariel pointa du doigt la zone de l’autre côté.
— Et cette région, c’est celle du duc De Vane ?
— Presque, c’est celle d’un de ses vassaux. Nous allons la traverser, et +encore celle-ci, avant d’arriver, après deux jours, au château du duc, enfin. +C’est cette région qui est particulière : ils n’aiment pas trop les elfes +et les autres races humaines, détestent la magie, et tout ce qui y +ressemble de près ou de loin, sauf en ce qui concerne la magie liée aux +dieux.
— Qu’est-ce qu’on fera ?
— Cela ne veut pas dire qu’ils vont nous attaquer, en principe, ils +respecteront ta couronne de princesse et ton rôle d’ambassadrice. Mais on +n’y sera pas forcément très bien vues. Au pire, on évitera les villages, et +c’est tout.
— Et le duc, ça ne le gène pas ?
— D’après votre père, non, mais il a du mal à convaincre ses pairs. Il espère +d’ailleurs que notre venue puisse changer –un petit peu– les choses... Mais + + +nous verrons bien. Je ne connais pas cette région non plus, pour tout vous +dire. +

Elle laissa la jeune princesse observer la carte, pendant qu’elle vérifiait +son équipement. Elle enfila par dessus sa tunique une armure légère en cuir, +qu’elle avait faite faire chez les humains, ajustée à sa taille. Sans manches, +elle ne couvrait que le buste et descendait à mi-cuisse, fendue sur les côté. +Elle ajouta sa ceinture, avec le fourreau de son épée et de sa dague. +Elle ajusta également les bandes de cuir à ses poignets, qui à la fois +protégeaient contre les coups, gardaient les articulations à chaud, et +fournissait un morceau de sangle en cas de besoin. Là encore, c’était un +souvenir pratique de chez les humains. Puis elle vérifia le contenu de +son sac. Tout était bon. Sauf peut-être de quoi se soigner en cas de +problèmes. D’accord, il n’y aurait probablement pas de problèmes. +Mais...
— Princesse ?
— Oui ?
Elle hésita une seconde. Est-ce que ce genre de chose se demande à une +princesse ?
— J’ai entendu dire que vous étiez une bonne soigneuse ?
La jeune princesse sourit.
— En effet. Je pensais d’ailleurs emmener quelques baumes et de quoi +panser des blessures. Penses-tu que ça puisse être utile ?
Elle poussa un soupir de soulagement.
— Oui, tout à fait.
La princesse sourit, puis ajouta.
— Est-ce que je peux te demander quelque chose d’un peu... inhabituel ?
— Euh... oui ?
— À l’instant où on quitte le village des elfes, arrête de m’appeler princesse. +Appelle-moi par mon prénom, et dis-moi tu. S’il-te-plaît.
Silwë se redressa, suprise et soulagée en même temps.
— D’accord. +

+∼
+
+

Aldariel +

Aldariel examinait la chambre avec intérêt. Une petite pièce, avec deux +lits humains et deux tables de chevet, une vieille armoire en bois, et dans un +angle de la pièce, un petit miroir et un baquet vide posé sur une meuble. +Une fenêtre de petite taille laissait entrer les dernières lueurs du soir. Elle +voulait poser des questions sur tout, mais Silwë n’était pas encore +montée. +

Trois jours qu’elle étaient parties. Elles avaient quitté la forêt en début +d’après-midi, et étaient arrivées dans un premier village humain. Un peu +effrayée, elle n’avait pas quitté sa compagne –qui semblait très à l’aise– +d’une semelle. Les gens les avaient regardées avec curiosité et bienveillance, +et elles s’étaient dirigées vers l’auberge. Le repas qui y avait été servi –une +soupe de légumes et de lard, avec du pain des humains– avait été une +nouvelle surprise. Sa compagne l’avait dévoré avec appétit, mais +elle-même avait eu un peu de mal avec ces nouveaux goûts et odeurs. Il +paraît qu’on s’y faisait rapidement... Difficile à croire, mais elle verrait +bien. +

À cet instant, Silwë entra dans la pièce.
— Désolée, quelques détails à régler avec le gérant... Tu n’es pas encore +couchée ?
— J’avoue que... ces lits m’intriguent...
Elle sourit.
— Si tu ne te sens pas à l’aise, tu peux toujours t’enrouler dans ta +couverture elfique. Les couvertures humaines ont besoin d’être plus épaisses +pour être aussi chaudes, c’est pourquoi leur aspect est plus grossier. Mais +elles sont très bien !
+

Sans attendre sa réponse, Silwë se déshabilla et se glissa rapidement +entre les draps. Un peu hésitante, elle l’imita. Ce n’était pas aussi +inconfortable qu’à première vue, finalement.
— Pourquoi y a-t-il une bougie sur la table de chevet ?
— Rappelle-toi que les humains voient très mal dans l’obscurité, ainsi ils +utilisent beaucoup plus de lampes que nous. Imagine-toi que là, pour lire, ils +ont besoin de lumière supplémentaire.
— Ça doit être difficile d’être un humain ! Comment font-ils ?
— Je me suis dit la même chose. Et pourtant ils arrivent à faire des choses +extraordinaires, alors... Peut-être cette difficulté les pousse à trouver des +solutions ? C’est incroyable ce que les humains peuvent être plein de +ressources et d’idées, parfois... +

Aldariel fixa le plafond de la chambre pendant un moment. Elle se +remémora les regards surpris des villageois en les voyant arriver. Beaucoup +leur avaient souri. Mais certains les avaient regardées en fronçant les +sourcils. Un homme s’était éloigné à la table la plus loin d’elles lorsqu’elles +étaient entrées dans la taverne.
— Pourquoi certains humains nous détestent ?
Elle l’entendit soupirer.
— Déjà parce que nous sommes différents. Pour certains, avoir des oreilles +pointues ou pas de barbe, ça suffit. Ensuite, je crois que certains +nous envient. Ils nous trouvent plus beaux, plus intelligents, plus +agiles. D’autres voient plutôt que nous sommes plus frêles, moins +forts physiquement, que nous vivons dans les arbres, et nous voient +comme des animaux sauvages. Il y a peut-être souvent un mélange des +deux...
Elle marqua une pause, puis reprit.
— Et il y a, surtout, la différence des mœurs. Tu sais, depuis mon retour, +j’ai un cousin qui m’ignore royalement, parce que soi-disant, je suis +« devenue humaine ». Comme quoi, il ne faut pas grand chose... Et +puis il y a autre chose aussi. Les humains ne contrôlent pas leur +fertilité.
— Sérieusement ?
— Oui. Ils ne choisissent pas. Et en plus, ils considèrent qu’il est très mal +d’avoir un enfant sans avoir un compagnon définitif.
— C’est un peu vrai chez nous, non ?
— Évidemment, mais eux ne peuvent pas le choisir. Résultat, ils sont assez +coincés sur le sujet... Ajoute à ça le fait que certains considèrent qu’une +femme doit être soumise, et je te laisse imaginer la réputation qu’on peut + + +avoir auprès d’eux...
— Forcément, vu comme ça...
— Cela dit, ne t’inquiète pas trop, ça ne veut pas dire qu’on est en danger +chez les humains. Je crois te l’avoir déjà dit, mais même s’ils ne +nous aiment pas, ils nous respectent en général. Que ce soit à cause +de nos armes, ou de crainte de créer des ennuis diplomatiques, ou +simplement parce qu’ils n’ont pas envie de s’en mêler. Donc pas +d’inquiétude. +

Les humains étaient décidément surprenants. Il y avait d’autres +questions qu’elle voulait poser. Et les autres races ? Les nains, par exemple, +en avait-elle croisé ? Mais elle entendit à sa respiration qu’elle s’était +endormie. Tant pis, elle aurait tout le temps de lui demander dans les jours +qui viennent. +

+∼
+
+

Silwë +

La forêt, enfin ! Elle avait beau être habituée à vivre chez les humains, +elle appréciait être au calme en forêt. Aldariel semblait elle aussi de +nouveau à son aise, bien qu’elle se soit accoutumée très rapidement. Elle +avait même mangé avec appétit la nourriture humaine de la taverne de ce +matin. Mais ne plus sentir tous ces regards curieux, plus ou moins +bienveillants, était reposant. De plus, la compagnie d’Aldariel était +vraiment agréable, et elle avait de plus en plus la sensation de voyager avec +une amie et non une princesse. +

C’est vers le début de l’après-midi qu’elles entendirent un bruit +inhabituel. Des cris, des bruits métalliques et de chevaux. Elles hésitèrent, +puis la curiosité étant plus forte, décidèrent de s’approcher prudemment. À +cet endroit, la végétation était très dense et les arbres très proches les uns +des autres, ce qui leur permit d’arriver de façon très discrète. Quelques +minutes plus tard, la scène s’étalait sous leurs yeux. +

Sur un sentier, deux carosses tirés par des chevaux, dont un richement + + +décoré, étaient arrêtés sur la route. Une dizaine de soldats à cheval +–certains avaient mis pied à terre– les défendaient contre un groupe de +pillards qui les avait pris en embuscade. Silwë observa la scène pendant +quelques secondes, surprise. Les soldats avaient fort à faire, avec les brigands +qui semblaient chercher à atteindre le carosse décoré en priorité. Il ne +restait qu’un garde pour défendre le second, d’où elle vit apparaître une +tête effrayée, et fermer précipitamment le panneau de bois qui servait de +fenêtre. Le soldat se défendait vaillamment contre trois brigands, mais +difficilement. +

Aldariel n’était plus à côté d’elle. Elle avait lestement escaladé un arbre, +et préparait déjà une flèche pour son arc. Avant de viser, hésitante, elle lui +jeta un regard interrogateur. Elle lui répondit en hochant la tête, et en +dégainant silencieusement son épée. Puis elle avança vers le champ de +bataille. +

Le trait fin et meurtrier, partant de l’arbre, toucha dans la nuque l’un +des brigands, qui s’effondra. L’un des survivants, méfiant, fit signe à +son comparse de rester face au garde pendant qu’il allait voir ce +qui se passait dans cet arbre. Avançant dans les broussailles, et se +retrouvant subitement face à Silwë, il poussa un cri de surprise, +qui ne dura que le temps nécessaire pour recevoir une épée dans la +poitrine. Elle enjamba son corps, et avança jusqu’à être au bord +du sentier. Le brigand restant, le plus fort des trois, avait acculé le +garde jusque contre la porte du carosse, et lui avait porté un coup +violent au bras droit, lui faisant lâcher son épée. Parant les coups +qu’il pouvait avec son écu, le garde, en très mauvaise posture, vit +soudainement une lame venue de nulle part traverser la gorge de son +adversaire. Derrière lui, la jeune elfe recula prudemment, cachée par la +carrure imposante de l’homme qui s’effondrait lentement, et disparut à +nouveau dans le buisson. Une seconde avant d’être parfaitement +dissimulée, elle aperçut, sur sa droite, venant de l’autre carosse, un +quatrième homme qui courait vers elle. Il l’aperçut, et ouvrit la +bouche pour crier. Avant que le moindre son ne sorte de sa gorge, un +second trait mortel, venant des arbres, toucha le brigand en plein dans +l’œil. + + +

Elle rejoignit Aldariel dans l’arbre et lui sourit.
— Merci, c’était tout juste.
Reprenant son souffle, elle observa avec elle le champ de bataille. Le soldat +seul et blessé reprenait ses esprits, et avait visiblement du mal à comprendre +ce qui s’était passé. À côté de l’autre carosse, les autres gardes avaient repris +le dessus sur les brigands, et les survivants étaient en fuite. Elle +remarqua alors que sa compagne, qui n’avait pas bougé, tremblait +légèrement.
— C’est la première fois que tu tires sur quelqu’un ?
— Oui...
Elle lui posa la main sur l’épaule, doucement.
— Allez viens, inutile de rester ici. On finirait par être vues. +

+∼
+
+

Aldariel +

Les deux jeunes femmes repartirent, par la voie des arbres dans un +premier temps, avant de continuer à pied. Elle avait agi d’instinct, sans trop +réfléchir. Était-ce une bonne idée de s’impliquer dans un combat d’humains +qui ne les concernait pas ? Pourtant son amie avait fait de même. +Elles avaient failli être vues d’ailleurs... Elle réalisa qu’elle avait +laissé quelques flèches... y feraient-ils attention ? Et qui étaient ces +gens dans les carosses ? Trop de questions se bousculaient dans son +esprit. +

Elles s’arrêtèrent face à une large rivière, qu’elles longèrent jusqu’à +trouver un moyen simple de la traverser. Arrivant près de ce qui ressemblait +à un gué, elle virent passer trois hommes, qui couraient eux aussi vers le +cours d’eau. Ils les aperçurent avant qu’elles n’aient le temps de se cacher. +D’abord surpris, les hommes dégainèrent leurs épées et se tournèrent +rapidement vers elles. Elle reconnut l’un des brigands qui avait attaqué les +voyageurs... Le premier souriait.
— Faute de riche carosse à dépouiller, on ne sera peut-être pas bredouilles + + +ce soir...
— Méfie-toi, elles sont armées quand même.
— Et alors ? Moi aussi.
Aldariel encocha une flèche et tendit son arc dans leur direction. Elle +entendit son amie dégainer son épée à côté d’elle, et s’adresser à +eux.
— Faute de riche carosse, vous pouvez aussi rester en vie ce soir. Faites +encore un pas, et vous êtes morts.
Deux des hommes hésitèrent. Le premier qui avait parlé ne sembla pas +prendre la menace au sérieux, et se mit à courir dans leur direction. Elle +prit une grande inspiration, ajusta sa cible et lâcha les doigts. Il s’effondra à +ses pieds, la poitrine transpercée d’une flèche. Silwë était restée en garde à +ses côté et n’avait pas bougé. Les deux autres brigands se regardèrent, et +s’éloignèrent rapidement. +

— Bien joué, Alda.
Son amie était aller rechercher sa flèche dans le corps étendu par terre, puis +était revenue près d’elle, et lui souriait. Il y avait du respect et de +l’admiration dans son regard.
— Bon, on la traverse cette rivière ?
— Oui, oui... Est-ce qu’on va croiser d’autres brigands dans cette +forêt ?
Silwë, qui s’avançait déjà dans l’eau, haussa les épaules.
— J’espère que non. Je ne pensais pas en croiser si tôt, tout de même... On +va s’éloigner des sentiers humains, ça va aider je pense. +

Elles traversèrent rapidement la rivière, puis marchèrent encore un +moment, sans rien dire.
— Ça va, Aldariel ?
— Oui... Un peu de mal à réaliser, en fait.
Son amie la prit par les épaules.
— Tu as fait exactement ce qu’il fallait faire. Tu es une vraie combattante, +maintenant.
Elle sourit. +

+∼
+
+

Samantha +

Elle se concentra sur le pot qu’elle tenait entre les mains, et murmura +une douce mélopée. Une pousse germa, sortit de la terre meuble, +grandit et une superbe fleur finit par éclore. Elle eut un petit sourire +satisfait. +

Elle posa le pot par terre et se redressa en soupirant. Connaître les +grands enchantements de la déesse et les utiliser pour être fleuriste, c’était +un peu triste, c’est vrai. Elle avait hâte de pouvoir à nouveau endosser le +rôle de prêtresse, et de quitter sa petite routine, mais pour cela il fallait +qu’on ait cessé de la chercher. En attendant, travailler ses enchantements +n’était pas inutile. +

Cela faisait presque deux ans qu’elle s’était enfuie avec Uhr et ses amis, +et les rumeurs qu’ils avaient entendues depuis étaient plutôt bonnes. +Si tout le monde parlait de ce mystérieux enlèvement, l’histoire se +modifiait petit à petit, et se ramifiait en de nombreuses versions toutes +plus ou moins crédibles. Encore un peu, et à force d’entendre des +récits différents, ils auraient oublié précisément qui ils étaient, elle et +lui, et personne ne les reconnaîtrait, même au sein de la ville de +Touryre. +

En attendant, elle avait repris contact avec Khil, qui était actuellement +installé à la capitale. Il avait beaucoup ri en entendant son histoire. En +même temps, il y avait de quoi... Elle sourit, puis quitta la petite cour +intérieure où elle faisait pousser ses plantes pour pénétrer dans la boutique. +Malgré l’heure tardive, quelqu’un venait d’y entrer. +

Un soldat se tenait dans l’entrée de la boutique. Grand, musclé, vêtu +d’une cotte de mailles sur d’une tunique brune et un pantalon gris, ainsi que +des solides bottes de cuir épais. Une ceinture à laquelle pendait une épée +complétait sa tenue. Elle lui sourit.
— Uhr ! Tu as fini ta journée ?
Il soupira.
— Oui, enfin. Ce n’était pas de tout repos...
— Quel genre de problème ?
— Oh, rien de très grave. Mais aller devoir annoncer à une femme la mort +tragique de son compagnon, ce n’est jamais drôle...
Il s’assit sur un petit siège, pendant qu’elle fermait la boutique.
— Elle devait être effondrée...
— Oui, et je t’avoue que j’étais plutôt mal à l’aise. Surtout que c’est plutôt +le genre magicienne spécialisée dans le combat que douce et délicate épouse +éplorée...
— Aïe. Elle n’a pas trop mal réagi ?
— Bah, comme quelqu’un qui apprend la mort de son compagnon, que +veux-tu...
— Il était magicien, lui aussi ?
— Oui. Il a eu une dispute avec un confrère. Tous deux ont péri dans un +incendie ravageur.
Samantha frissonna. Les disputes entre magiciens, ça ne plaisantait pas. Les +prêtres, au moins n’étaient pas comme ça... Enfin, à bien y réfléchir, il y +avait quand même des sacrées tensions parfois. Et puis, hm, son +« enlèvement » ne s’était pas fait dans la délicatesse... +

Elle prit un tabouret, s’assit à côté de lui et lui prit le bras.
— Sur quoi travaillaient ces magiciens, pour en venir aux mains comme +ça ? Enfin, aux mains... façon de parler. Juste par curiosité.
— Je ne suis pas chargé directement de l’enquête. Mais d’après ce que j’ai +compris, l’un travaillait sur des créatures exotiques fortement liées à la +magie. L’autre était un soigneur et métamorphe.
Elle fronça les sourcils. Elle ne s’intéressait pas vraiment aux différentes +branches de la magie, mais elle connaissait les grands axes de travail des +magiciens, et pourtant elle n’avait jamais entendu parler de métamorphose.
— Métamorphe ? Ça existe, ça ?
— Je ne sais pas, visiblement oui. +

+∼
+
+

Uhr + + +

Elle ne disait rien, mais il voyait bien que le sujet l’interpellait. +Depuis qu’il étaient revenus de Touryre, elle avait endossé le rôle +d’une fleuriste, d’une jeune femme modèle de la cité –elle portait +actuellement une jupe rouge sombre, un chemisier blanc et un petit corset +noir–, mais il savait bien que derrière, elle brûlait d’envie de faire +de grandes choses. Ils savaient tous deux qu’ils devaient attendre +encore un peu, que leurs visages soient oubliés, mais ensuite, que +feraient-ils ? +

Il avait pensé « que feraient-ils » et non « que fera-t-elle ». Encore. Il +savait que leur aventure les avait beaucoup rapprochés –et même plus–, +mais de là à penser de la sorte ? +

— Quand même, un métamorphe... Tu ne trouves pas ça bizarre ?
Il sursauta, interrompant le fil de ses pensées.
— Tu penses à quoi ?
— Déjà c’est surprenant qu’ils se soient tous les deux tués. Qu’il n’y en ait +pas un qui ait pris le dessus.
— Tu verrais l’incendie qu’il y a eu, tout l’appartement a été ravagé il +paraît...
— Oui, mais enfin, à force de manipuler le feu, ils devraient être habitués à +le gérer non ?
— Où tu veux en venir ?
Elle haussa les épaules.
— Je me demande si c’est vraiment un accident et s’ils sont vraiment +morts.
— Aucune idée. Mais tu sais, ce n’est pas à toi ni à moi que l’enquête a été +confiée... Et puis comment le vérifier ?
Elle se redressa et lui sourit.
— Je peux le faire.
— Comment ?
— Trouve moi un objet qui leur appartient. N’importe lequel, et je te donne +la réponse. +

Il considéra un instant cette proposition. Il devait admettre qu’il était +un peu curieux d’en savoir plus, mais ce n’était pas son travail... +
— Mais ça ne va pas être évident de se procurer de tels objets. Je te +rappelle que je ne suis pas chargé de l’enquête, et leurs appartements sont +sous scellés maintenant...
Elle lui sourit.
— Ne connais-tu pas quelqu’un qui pourrait y pénétrer discrètement ? +

Si, évidemment. Mais il n’avait pas vraiment envie de se mêler de cette +histoire, ni d’y inclure Farl. Il le voyait peu ces derniers temps, et avait noté +son humeur plutôt maussade. Depuis que Silwë avait quitté la garde, il y a +six mois, il voyait bien que celui-ci n’était plus aussi enthousiaste +qu’avant. Mais cela dit, une telle histoire lui changerait peut-être les +idées.
— Tu crois que Farl aimerait s’en mêler ?
— Bah, c’est un plan douteux. Bien sûr qu’il aimerait s’en mêler. +

+∼
+
+

Farl +

Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas revêtu les vêtements sombres +d’un assassin. Depuis qu’il avait décidé de changer de voie, il n’avait joué à +ce jeu là qu’à deux ou à trois occasions. Avait-il perdu la main ? Dès qu’il +avait une occasion, il s’efforçait de s’entraîner, discrètement, au +maniement de ses armes, à l’escalade, et à être furtif. Même en tunique +orange. Il n’était pas sûr de bien savoir pourquoi et dans quel but, +d’ailleurs. Il appréciait énormément son travail de ménestrel, mais... il +n’arrivait pas totalement à couper tous les ponts avec son ancienne +vie. +

Il sortit de chez lui par la fenêtre. Tout était calme, dans la rue. Il glissa +sans bruit au sol et se dirigea vers le centre-ville. Aller chercher un objet +personnel de ces deux mages... et les remettre en place après. Quelle drôle +d’idée ! Mais Samantha semblait savoir ce qu’elle faisait. Et puis, personne +ne le saurait... +

Il leva les yeux. Le bâtiment devant lui portait les traces fraîches du + + +terrible incendie. Cet immeuble de trois étages, abritant plusieurs locataires, +avait failli finir totalement en ruine. Au dernier étage, les fenêtres avaient +été scellées à l’aide de panneaux de bois. C’était là, dans l’appartement de +feu le mage Mortag qu’il devait aller. Tout en constatant que cette +expression était d’assez mauvais goût vue la situation, il escalada +rapidement le mur, débloqua aisément un des panneaux de bois et se glissa +à l’intérieur. +

Il dut allumer une petite bougie de main pour y voir, tellement +l’intérieur était sombre. Ah, s’il avait les yeux d’elfe de Silwë... Il secoua la +tête. Ce n’était pas tellement le moment de penser à ça. Toute la +pièce était carbonisée, et les deux traces de craie blanche au sol, +dessinant les contours des deux corps, ressortaient d’autant plus. Il +n’allait rien trouver ici. Il s’avança précautionneusement vers la pièce +qui devait être la chambre, et finit par trouver, sous un meuble, +une broche de métal à demi fondue. Il aurait peut-être du mal à +trouver mieux, et puis c’était toujours un objet personnel, même +abîmé. Samantha lui avait dit qu’elle se débrouillerait même dans ce +cas. +

Le second bâtiment qu’il devait visiter, la demeure du mage Septim, +était un immeuble à quelques rues de là, dans une zone un peu plus aisée. Il +semblait avoir plus de moyens. Fort heureusement, il n’était pas plus +surveillé, et la fenêtre ne lui résistèrent pas plus longtemps que les +panneaux de bois de l’autre. +

À l’intérieur, un salon propre, des affaires très bien rangées –pour +quelqu’un qui n’avait pas forcément prévu de mourir ce soir là– et +quelques décorations. Il ne fallait pas traîner. Il se saisit d’un bougeoir +ouvragé qui semblait avoir été utilisé récemment, et courut rejoindre +Samantha. +

+∼
+
+

Samantha + + +

— Alors ?
Elle s’avança dans la petite pièce, où l’attendaient Farl et Uhr avec +impatience et inquiétude.
— Tu en as mis du temps...
— Je voulais être sûre.
Elle s’assit à table avec les deux hommes, posant les deux objets au +centre.
— Ce type-là, Mortag, n’est plus de ce monde, c’est sûr.
Elle désigna la broche fondue.
— Par contre, l’autre est vivant.
— Quoi ?
Ils avaient sursauté en même temps lorsqu’elle avait désigné le bougeoir.
— J’ai bien vérifié plusieurs fois. Il est en vie, j’en suis certaine.
Ils marquèrent un instant de silence. Tous suivaient la même pensée.
— Donc ce n’est pas un accident, c’est un meurtre.
Elle hocha la tête.
— Cette histoire de métamorphose m’a donné envie de vérifier. Avec une +telle compétence, il doit être aisé de changer de visage, ou de changer celui +d’un cadavre...
— C’est bien beau, mais que fait-on ? Je ne peux pas débarquer à la garde +en leur expliquant ce qu’on a fait...
Farl se leva et ramassa les objets.
— D’ailleurs, je vais aller les remettre vite fait. Il ne faudrait pas qu’on +s’aperçoive qu’ils ont disparu... On ne sait jamais. Je vous laisse débattre +pendant ce temps. +

Il ouvrit la porte et la silhouette sombre disparut dans la nuit. Elle +regarda Uhr.
— Je me sens mal à l’aise de garder un tel secret. Si la garde le sait tôt, ils +auront peut-être une chance de retrouver le coupable avant qu’il ne +disparaisse pour de bon...
— C’est vrai, mais je risque ma carrière en faisant ça. J’hésite... Même si +effectivement il faudrait leur dire. Peut-être les aiguiller sur cette +piste ?
— Ils vont perdre trop de temps... C’est tellement bête... Pourquoi n’ont-ils +pas pensé à faire appel à un prêtre pour ça ?
— Parce qu’il fallait deviner que les prêtres ont ce genre de pouvoir ? Il me +semble que ce n’est pas de notoriété publique...
Elle soupira.
— Tu as raison. Attendons le retour de Farl, et nous discuterons de ça +ensuite. +

Elle rapprocha sa chaise de la sienne et posa sa tête sur son épaule. +

+∼
+
+

Farl +

De nouveau dans la chambre carbonisée, il prit bien soin de remettre la +broche à sa place, et d’effacer toutes ses traces. Il avait fait de même chez +Septim, tout était bon. Personne ne saurait qu’il était passé par +là. +

Il sursauta soudainement. De la lumière et des bruits de pas +lui parvinrent depuis la pièce principale, par laquelle il était entré. +Son sang se glaça. Quelqu’un était entré... Il éteignit rapidement sa +minuscule bougie, se plaqua contre le mur, et jeta un œil à l’autre +pièce. +

La lumière n’était pas celle, jaunâtre, d’une bougie ou d’une lampe. +C’était une lumière blanche, presque aveuglante, qui semblait sortir +des yeux d’une silhouette de taille moyenne. Un mage ! Ici ! Cela +confirmait que quelque chose de louche se passait ici. Allait-il venir +vers lui ? Allait-il le voir, l’entendre, ou le détecter d’une façon +quelconque ? +

La silhouette, qu’il finit par identifier comme celle d’une femme, passa +devant la porte derrière laquelle il se tenait et s’avança droit vers un pan +de mur. Elle semblait l’examiner avec précautions, et fit briller ses +yeux plus fort, vraisemblablement pour y voir plus clair. Un bruit +venant de l’extérieur la fit sursauter, et elle se retourna. Elle tenait un +bâton de mage à la main, qu’elle avait dirigé contre le bruit, en + + +tremblant légèrement. Pas très à l’aise visiblement... mais toujours aussi +dangereuse. +

Elle se mit à regarder aux alentours, effrayée. Si elle se mettait à fouiller +l’appartement, elle allait finir par le voir. Deux solutions : sortir et +s’échapper tout de suite, ou... être totalement fou.
— Puis-je savoir ce que vous cherchez ici ?
Elle sursauta, et dirigea son regard lumineux dans sa direction. Il sortit de +la chambre, et se posa devant elle, en tentant d’avoir l’air le plus calme +possible. Ne pas dégainer ses poignards. Ne pas avoir l’air –trop– +menaçant...
— Qui êtes vous ? Que faites vous ici ?
Elle semblait paniquée. Dans le même temps, des filaments aussi lumineux +que ses yeux se mirent à voler autour d’elle, de son bâton, et se concentrer +dans sa main. Un sort... Il frissonna et leva les mains.
— Calmez vous. Je doute que vous ayiez le droit d’être plus ici que moi. +Peut-on discuter calmement ?
Elle sembla marquer un instant d’hésitation. Dans sa main, les filaments +lumineux commençaient à prendre la teinte bleutée d’une étoile de glace +aux bords acérés... Elle se redressa.
— Je me donne ce droit. Je n’ai pas confiance dans les gardes. Je ne crois +pas à cette histoire d’accident qui a tué mon compagnon. Alors j’ai décidé +de venir par moi-même. Et vous ?
Elle avança sa main vers lui, dans laquelle, en lévitation, l’étoile mortelle +venait de prendre forme. Il n’avait jamais combattu de magicien, et ne +savait pas qui serait le plus rapide, mais ce n’était pas le moment de le +tester. Il s’avança et sourit.
— Hé bien, voyez-vous, je suis là pour à peu de choses près la même raison +que vous. Et j’ai de sérieuses raisons de ne pas croire non plus à un +accident.
Elle hésita, puis la lame de glace –visiblement très acérée– diminua +légèrement. Des filaments s’en échappèrent, comme si elle disparaissait peu +à peu comme elle était apparue.
— Expliquez vous.
Il eut du mal à retenir un soupir de soulagement.
— J’ai la certitude que Septim se fait passer pour mort, mais est + + +vivant.
— Quoi ?
— Je veux bien tout vous expliquer, mais ne pensez-vous pas qu’on serait +mieux ailleurs ? On pourrait finir par nous voir ou nous entendre... +

La magicienne le regarda en fronçant les sourcils. Elle ne semblait pas +tout à fait sûre de pouvoir lui faire confiance, ce qui était compréhensible en +fait... Lui non plus, à vrai dire. Elle finit par reprendre la parole.
— D’accord. Mais pas avant d’avoir récupéré ce que je suis venue chercher +ici.
Elle fit quelques pas, puis s’avança vers un angle de la pièce, qu’elle éclaira +de son regard luminescent. +

+∼
+
+

Zach +

Deux jours s’étaient écoulés depuis leur mésaventure. Deux jours qui +avaient été plutôt calmes. En s’éloignant encore des sentiers, ils n’avaient +pas recroisé de brigands, même si la forêt y était plus dense encore. Sélène +commençait à se sentir à l’aise en forêt –ou était-ce une aisance avec lui ?– +et avait beaucoup moins de difficultés à suivre son rythme. Il se surprit à la +considérer comme une amie et plus une cliente à transporter d’un point à +un autre. +

Elle marchait à côté de lui, un long bâton de marche à la main. Il lui +avait taillé une branche qui lui servait non seulement de support pour +avancer, mais aussi –potentiellement– de moyen de défense. Il avait été +impressionné par son courage face aux deux bandits, et avait proposé de lui +apprendre quelques techniques. +

Il lui sourit alors qu’elle passait à côté de lui. Il sentait encore le coup +qu’elle lui avait mis dans le côté droit. Heureusement qu’il n’avait pas +enlevé son armure... Ou peut-être aurait-il eu droit à une de ses potions +bizarres ? Sa coupure à l’épaule gauche était complètement guérie, grâce à +elle. Sans ça, il aurait probablement senti la blessure le tirailler plusieurs + + +semaines... Elle lui rendit son sourire. La soirée s’annonçait plutôt +bien. +

+∼
+
+

Sélène +

Sélène s’arrêta sur le lieu de bivouac. Depuis ces quelques jours, elle +était à présent très à l’aise en forêt. Ou était-elle très à l’aise avec son +guide particulier ? Elle essayait de l’imaginer accompagnant d’autres +voyageurs, mais elle doutait fort qu’il avait la même familiarité avec +d’autres... Entre eux s’était tissée une solide complicité. +

Alors qu’il s’accroupissaient tous les deux pour préparer le feu –elle +n’avait pas sa technique, mais elle apprenait vite–, elle aperçut, dans son +dos, quatre disques rouges, brillants, dans l’ombre. Elle se redressa +subitement.
— Zach ! Derrière toi...
Il pivota instantanément en entendant le ton de sa voix.
— Qu’est-ce que c’est que...
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase. Ce qui surgit des buissons lui +arracha un cri de surprise et d’horreur. La créature ressemblait à une +araignée, noire, de la taille d’un gros chat. Les lumières rouges étaient ses +yeux, qui brillaient dans les ombres de la forêt. Elle n’en avait vu +que dans des livres jusque là, et rien que le dessin était déjà peu +rassurant...
+

+∼
+
+

Zach + + +

— Une arakne !
Zach avait dégainé son épée. Lorsque la créature se jeta sur lui, il fit un pas +de côté, et d’un geste vif, planta son arme dans son corps. La bête roula au +sol, recroquevillant ses longues pattes, alors qu’un liquide noir coulait de sa +blessure. Rapidement, elle ne bougea plus et la lueur rouge de ses deux +paires d’yeux s’éteignit. Assez étrangement, le sang noir coula de sa lame +sans y laisser la moindre trace, comme s’il ne pouvait pas adhérer au +métal.
— Quelle est cette horreur ?
Il leva les yeux vers Sélène, aussi effrayée que lui.
— Une arakne. Je n’en avais vu que dans des livres jusque là... Je croyais +que ces créatures étaient éteintes, du moins sous nos contrées. Que fait-elle +ici, je n’en sais rien...
Du bout de son bâton, elle remua le cadavre de la bête, retenant un frisson +d’horreur. Il remercia ses réflexes, sans lesquels... il ne préféra pas imaginer +la suite.
— Elles attaquent rarement seules, il ne vaudrait mieux pas rester +ici...
— Attention !
Deux autres créatures venaient de sortir du sous-bois. Il se plaça entre elles +et Sélène, et sortit son couteau de sa botte. Deux adversaires humains, il +avait déjà fait, mais deux bestioles comme ça... +

La plus grosse des créatures bondit, et vint s’embrocher sur son épée et +y resta. D’un geste ample, il dégagea le corps inerte de la bête de son arme +–au moins, elles n’étaient pas très résistantes– et chercha du regard la +deuxième. Une douleur extrêmement vive le saisit dans la cuisse droite. +L’arakne venait d’y planter ses mandibules. +

Avant qu’il n’ait le temps de la frapper de son couteau, Sélène se +précipita, et au lieu d’utiliser son bâton contre la créature, elle lui déversa +le contenu de sa gourde. À sa grande surprise, la bête lâcha prise et fit un +bruit qui ressemblait à un cri de douleur. L’eau semblait la brûler, et une +fumée inquiétante semblait s’échapper de son corps. Elle s’écroula sans vie +à ses pieds.
— Les araknes ne supportent pas l’eau pure, expliqua-t-elle. Donc le +meilleur moyen de se mettre à l’abri, c’est de trouver une rivière ou un lac. + + +Et vite. Même un petit ruisseau suffira...
Zach regarda aux alentours, craignant de voir arriver une autre de ces +horreurs, mais pour le moment, rien. Il s’adossa à un arbre et jeta un œil à +sa jambe. +

+∼
+
+

Sélène +

— Assieds-toi.
Il obéit, en retenant difficilement une grimace de douleur. Elle examina la +plaie. Deux ouvertures profondes et larges, les traces des mandibules de +l’arakne. Heureusement, elle n’avait laissé aucun morceau, mais elle savait +que ce n’était pas suffisant, car elles étaient venimeuses...
— Première étape, nettoyer ça. Après, je vais te donner quelque chose pour +retarder la diffusion du poison...
— Poison ?
— Un poison qui paralyse lentement, et tue en une dizaine d’heures. Ne +bouge pas, je te dis !
L’inquiétude se lisait sur son visage. Elle essaya de le rassurer.
— Je sais fabriquer l’antidote pour ce genre de cas. Mais cela prend du +temps, et il faut trouver les bonnes plantes...
Il lui prit le bras.
— Donne-moi ce que tu peux, et mets-toi à l’abri de suite... Si tout se +passe bien, tu peux peut-être revenir à temps avec l’antidote. Sinon... +au moins tu seras en sécurité. Pas la peine d’être deux à mourir +ici.
Elle le regarda. Elle réalisa alors que pour rien au monde elle ne le laisserait +ici.
— Oh, et puis zut.
Il n’y avait qu’une seule solution, et elle le savait. Elle rejeta ses cheveux en +arrière, dégagea son bras de sa prise, et se releva. +

+ + +∼
+
+

Zach +

Il la vit se redresser, et son regard se mettre à briller. Plus précisément, +des filaments de lumière blanche, légèrement moirés, traversèrent son iris. +Elle lâcha son bâton de marche, et apparut alors dans sa main droite, à la +place, un long bâton, couleur bois, fait de deux branches entrelacées, +presque aussi grand qu’elle. Au sommet, les deux branches entouraient ce +qui ressemblait à une pierre, qui brillait de la même façon que ses +yeux. +

Une sorcière ! Il ne savait pas s’il devait hurler, ou s’enfuir en +courant. De toutes façons, vue sa jambe, elle le rattraperait vite. Et à +choisir, il préférait mourir de la main de Sélène que par un poison +lent... +

Ses yeux brillèrent plus fort alors qu’elle s’approchait de lui. D’autres +filaments de lumière semblaient voler, partant ou arrivant vers la pierre de +son bâton. Certains semblaient converger vers sa main gauche, qui devenait +de plus en plus lumineuse. Elle était magnifique ainsi. Magnifique et +terrible. +

Elle posa sa main sur sa cuisse. Stupéfait, il sentit la douleur s’apaiser, +les chairs se refermer, lentement. La lueur presque aveuglante de ses yeux +s’apaisa, les filaments lumineux disparurent. Sous sa main, toujours posée +délicatement, il savait que sa jambe était intacte. Les yeux de Sélène +étaient de nouveaux normaux. Quelques gouttes de sueur perlaient de son +front. Elle le regardait intensément. +

Tremblant, il posa sa main sur la sienne. Une partie de lui-même lui +criait de s’enfuir pendant qu’il en était encore temps. Qu’il risquait de +tomber sous son charme. Qu’elle était en train de l’ensorceler. Une autre +voix, plus raisonnable, lui posait des milliers de questions. Les sorciers +devaient-ils forcément être maléfiques, après tout ? Ne venait-elle pas de lui +sauver la vie ? Qu’avait-elle fait de mal ? Une troisième petite voix, mais +criant plus fort que les autres, lui proposait de ne rien dire, et de la serrer + + +dans ses bras. Les trois consciences finirent par se mettre d’accord sur le fait +que, s’il voulait éviter de tomber sous son charme, c’était déjà bien trop +tard. +

— Merci.
Elle lui sourit, puis son visage se ferma.
— Inutile de te dire que, désormais, tu partages un secret dangereux...
— Je sais. Tu risques d’être brûlée vive, et moi avec, rien que pour avoir +pris ta défense.
Elle sembla un peu rassurée de l’entendre dire qu’il la défendrait sans +conditions.
— J’espère que personne ne nous a vus, ou entendus...
Comme répondant à son interrogation, des éclats de voix leur parvinrent. Ils +sursautèrent tous les deux.
— Il y a des gens ! Je suis perdue !
À l’idée de devoir mourir de la main de ses pairs après avoir survécu aux +araknes, Zach ne réfléchit pas longtemps. Il ramassa son épée, et bondit +dans la direction des voix. +

+∼
+
+

Aldariel +

— Aldariel... C’est quoi ces horreurs ?
Les deux créatures gisaient sur le sol, devant elles. L’une était transpercée +d’une flèche, l’autre fendue en deux.
— Ça me dit quelque chose... je crois que j’ai vu ça dans un livre. Des +araknes, si mes souvenirs sont bons ? Attention, là !
Deux autres bêtes s’approchaient à grande vitesse. Silwë bondit, et cueillit +au vol la première. Aldariel voulut armer une flèche, mais elle était trop +près pour avoir le temps de viser. Elle fit deux pas rapides en arrière pour +tenter de gagner du temps. La créature avait bondi. Alors qu’elle tentait +d’esquiver, elle vit son amie, à sa gauche, s’interposer, et son épée la +transpercer d’un coup d’estoc. + + +

Elle recula encore de quelques pas, l’arc tendu. Plus d’autre arakne en +vue. Elle se tourna alors vers son amie, agenouillée au sol, le visage crispé +par la douleur.
— Sil !
L’épée avait si bien traversé la bête que son corps s’était enfoncé jusqu’à la +garde, et que ses mandibules s’étaient plantées profondément dans son +poignet. S’asseyant à ses côté, et tout en surveillant les environs, Aldariel +commença par dégager avec précaution les pinces de l’arakne. Son +avant-bras comportait deux entailles. L’une des mandibules avait +été amortie par la bande de cuir qui entourait son poignet, l’autre +s’était plantée directement dans la chair, et la plaie était inquiétante. +
— Avant toute chose, tu vas boire ça.
Elle sortit un petit flacon de son sac.
— Un antipoison. Il met un peu de temps à faire effet, donc bois-le de +suite.
Silwë obéit, tandis qu’elle cherchait dans son sac de quoi nettoyer la plaie. +C’est alors qu’elle aperçut, dans l’obscurité, une lueur vive derrière les +arbres, à une trentaine de mètres environ. D’autres araknes ? Ou pire +encore ?
— Qu’est-ce que c’est que ça ?
Elle ramassa son arc, et Silwë son épée, en grimaçant légèrement. Toutes +deux avancèrent vers la lueur qui s’estompait lentement.
— Ça ira ton bras, Sil ? murmura-t-elle en voyant le sang couler de la +plaie.
— On fera avec...
La lueur, qui diminuait, semblait venir de derrière un large arbre. Il y avait +des voix. Sentant le danger, Aldariel se mit à l’abri dans un buisson, tandis +que son amie, toujours devant elle, prit son épée à deux mains et +s’approcha de l’arbre. C’est alors qu’un homme surgit et se rua sur +Silwë. +

+∼
+                                                                
+                                                                
+
+

Zach +

Son adversaire était plus petit que lui, mais il parait ses coups avec +précision. Il ne devait pas le sous-estimer. Sur le troisième coup qu’il lui +porta, il sentit pourtant une certaine faiblesse dans la parade. Maintenant le +contact de sa lame contre la sienne, il força son adversaire à écarter son +épée vers la gauche. Dans le même mouvement, il lui donna un coup +d’épaule qui l’envoya contre l’arbre, tout en saisissant son poignet de sa +main libre. +

À sa grande surprise, l’adversaire lâcha son arme en laissant échapper un +léger gémissement de douleur. L’avant-bras qu’il maintenait était +couvert de sang. Il constata alors que celui qu’il avait pris, au vu de +sa silhouette, pour un adolescent, était en fait une jeune femme. +Une elfe, même, corrigea-t-il. Stupéfait, il laissa passer une seconde +qui faillit lui être fatale. De sa main gauche et valide, l’elfe avait +dégainé une fine dague, qu’il para de justesse, tandis qu’un violent +coup de genou le cueillit dans les côtes et le fit reculer de quelques +pas. +

Elle chercha à se dégager de sa prise sur son poignet blessé, mais il +garda les doigts serrés. Il esquiva un nouveau coup de dague en se +rapprochant d’elle. Il était de toutes façons un peu trop près pour utiliser +convenablement son épée. Entourant ses épaules de son bras droit, il la +souleva d’un coup de hanche et l’accompagna au sol. Sous le choc, le souffle +coupé, la jeune femme lâcha sa dague. Maintenant fermement son poignet +droit par terre, il posa son genou contre sa poitrine pour l’empêcher de se +relever. Elle cessa de chercher à se dégager lorsqu’il posa la lame de son +épée à plat sur sa gorge. +

C’était la première fois qu’il voyait une elfe de si près. Il l’observa avec +curiosité. Ses cheveux fins étaient retenus par une longue tresse, et ses yeux +bleus marquaient un mélange de colère et de peur. Mais à part ses oreilles +pointues, elle n’était pas si différente physiquement d’une humaine, +finalement... Elle portait une armure légère de cuir, qui ressemblait +beaucoup à la sienne. En revanche, la tunique en dessous était d’un tissu +étrange, en apparence très léger, qu’il n’avait jamais vu. Son regard + + +se porta vers son avant-bras. La blessure qui s’y trouvait rappelait +beaucoup une autre qu’il avait subie il y a très peu de temps... Elle +aussit s’était battue contre des araknes ? Le souvenir de la douleur +associée lui donna des frissons, et il desserra très légèrement son +étreinte. +

Reprenant ses esprits, il appuya légèrement la lame contre sa +gorge.
— Tu vas me dire qui tu es, ce que tu fais là, et pourquoi tu nous +espionnes.
Il n’eut pas le temps d’attendre sa réponse. Zach sentit soudainement une +pointe acérée se poser sur sa nuque. Il aurait dû se douter qu’elle n’était pas +seule...
— Je vais répondre à sa place. Elle, c’est le garde du corps de la princesse +elfe Aldariel Lalrilë, qui t’ordonne de la lâcher immédiatement si tu ne veux +pas que cette flèche traverse ton cou.
Le ton de la voix était impératif, et la pointe dans sa nuque l’était +tout autant. Un regard rapide en arrière lui laissa entrevoir une +silhouette délicate, vêtue de vert pâle, armée d’un arc tendu vers +lui. +

+∼
+
+

Silwë +

Elle n’avait rien pu faire. Elle enrageait d’être ainsi blessée, et à la merci +de son ennemi. Le brigand qui la maintenait au sol l’observait avec une +fascination inquiétante. Son arme était posée à plat sur sa gorge, +signe qu’il n’avait –apparemment– pas l’intention de la tuer tout de +suite. Peut-être comptait-il abuser d’elle avant ? Ce n’était guère +mieux...
— Tu vas me dire qui tu es, ce que tu fais là, et pourquoi tu nous +espionnes.
Son ton la suprit presque autant que sa phrase. Il y avait une note petite + + +d’inquiétude dans sa voix. Que voulait-il, finalement ? Elle tenta de +reprendre son souffle, mais le poids de son genou sur sa poitrine n’aidait pas. +Et son bras, qui la faisait souffrir... Elle s’apprêtait à répondre, quand elle +aperçut, derrière lui, la silhouette de sa compagne, son arc tendu, le +menacer à son tour. +

L’homme sembla hésiter. Si Aldariel décidait de le tuer, il avait de +toutes façons le temps de l’égorger avant de mourir. De même, il +pouvait choisir de la tuer elle, mais le payerait de sa vie. Il sembla +choisir la solution raisonnable. Elle le vit éloigner lentement son épée +de sa gorge, sans la quitter des yeux. Mais il ne l’avait pas encore +lâchée. +

C’est alors que de derrière l’arbre surgit une jeune femme, portant une +longue robe violette et un bâton de magie dans la main droite.
— Lâche-le immédiatement.
Ses yeux et son bâton se mirent à briller, et des filaments d’une lumière +presque aveuglante vinrent se concentrer juste au dessus de son autre main, +qu’elle tenait paume vers le ciel. Une sphère lumineuse s’y forma, d’abord +rouge sombre, puis qui s’éclaircit progressivement jusqu’à devenir quasiment +blanche. Une boule de feu... +

Toujours immobile, impuissante, elle vit Aldariel hésiter, tandis que +l’homme avait pris une expression mêlant soulagement, crainte et surprise. +C’est alors qu’elle remarqua des lueurs rouges, dans l’obscurité, derrière la +magicienne. Elle essaya de crier, mais avec le poids qui écrasait sa poitrine, +seuls quelques mots en sortirent. +

+∼
+
+

Zach +

Il sentit un mouvement venant de l’elfe qu’il tenait toujours plaquée au +sol. Son visage était tourné vers Sélène, mais son regard semblait focalisé, +non pas sur la jeune femme, mais derrière...
— Les... ara... Il porta son regard dans sa direction, essayant de ne + + +pas se faire aveugler par la lumière émise par la magicienne. Puis il +hurla.
— Sélène, écarte-toi !
Il entendit alors avec effroi, dans son dos, le bruit de la corde d’un arc qui se +détendait. +

+∼
+
+

Sélène +

Sélène obéit instinctivement et fit un pas rapide vers la droite. Une +énorme arakne bondit à l’endroit où elle se tenait quelques secondes +plus tôt, et y fut accueillie par une flèche droit dans un de ses yeux. +La bête continua sa course et s’effondra, inerte, aux pieds de Zach, +stupéfait. Une seconde créature, arrivant du même endroit, se dirigea +droit vers elle. Avant de lui laisser le temps de réagir, elle reprit le +contrôle de sa boule de feu –toujours suspendue dans les airs, là où elle +l’avait laissée– et la dirigea de toute la force de sa volonté vers la +bête, qui ne fut bientôt plus qu’un petit tas de cendres à l’odeur +désagréable. +

Elle tourna son regard vers les trois combattants. Zach avait lâché sa +prisonnière, et se tenait debout, l’épée à la main. L’archère armait une +nouvelle flèche, en observant les environs, tandis que l’autre elfe, blessée, se +redressait avec difficultés.
— Je suggère qu’on règle nos différents plus tard, une fois à l’abri des +araknes, proposa-t-elle calmement. Il pourrait très bien y en avoir +d’autres...
L’archère et Zach se fixèrent d’un air méfiant quelques instants, puis +hochèrent la tête. Sélène aperçut alors, à ses pieds, une épée. Celle de la +guerrière elfe. Elle hésita quelques instants. +

— D’autres araknes !
C’était la voix de l’archère, montrant d’un signe de tête un nouveau groupe +de créatures. Sélène cessa de se poser la question. S’ils devaient combattre + + +ces horreurs, ils allaient avoir besoin d’un bras supplémentaire. Au sens +propre... Elle ramassa l’épée et courut vers la jeune elfe, toujours au sol, +grimaçant de douleur.
— ’Bouge pas, je m’occupe de ça.
Elle posa délicatement sa main sur le poignet blessé, et se concentra sur son +sort. +

+∼
+
+

Aldariel +

Sans avoir besoin de se concerter, Aldariel et l’étrange homme +s’étaient placés de part et d’autre de la magicienne et de Silwë, pour +les protéger du mieux qu’ils pouvaient. Mais son arc n’était pas +l’arme idéale contre les araknes. Elles arrivaient vite, et elle devait +tirer quasiment à bout portant. Elle se demandait ce que faisait la +magicienne, dans son dos, mais elle ne pouvait pas s’en préoccuper +maintenant. Elle lâcha un trait sur une autre créature, de justesse. +Aurait-elle assez de flèches ? Ah, si Silwë était à leurs côtés pour +combattre... +

Comme répondant à sa pensée, elle vit la silhouette familière passer +entre elle et l’homme, et bondir, l’épée à la main, sur les créatures. Son +avant-bras était intact. D’un coup de taille, elle trancha littéralement en +deux une des araknes qui arrivait sur elle, et fit de même sur la +seconde, d’un retour rapide de lame. De l’autre côté, elle vit la jeune +magicienne préparer une petite boule de feu, qu’elle dirigea avec +précision sur une autre créature. Voir ces renforts arriver lui redonna +courage. +

Quelques instants plus tard, le calme se fit. Les quatre jeunes gens, +toujours dos à dos, laissèrent passer quelques secondes, reprenant leur +souffle. Des dizaines de cadavres d’araknes gisaient au sol.
— Il ne faut pas rester ici. On ne sait pas... combien il y en a.. Il faut... ooh +ma tête...
C’était la voix, affaiblie de la magicienne. Aldariel se tourna vers elle. Elle +était très pâle, des gouttes de sueur coulaient de son front, et elle +tremblait. Son compagnon l’avait déjà attrapée par les épaules pour la +soutenir.
— Sélène, tu vas bien ?
Sans répondre, la jeune femme s’effondra dans ses bras.
— Épuisement magique ? proposa-t-elle.
— Comment ça ?
L’humain semblait paniqué.
— Lorsque les mages invoquent beaucoup de sorts puissants d’affilée, ils +s’épuisent très vite, expliqua-t-elle.
Elle posa sa main sur le front de la jeune magicienne, et hocha la tête en +guise de confirmation. Elle connaissait très bien ce phénomène, très +classique chez les mages.
— Et on fait quoi ?
Aldariel haussa les épaules.
— Rien, elle a juste besoin de se reposer. Nous aussi de toutes façons, et il +faut qu’on se mette à l’abri, rien ne nous dit qu’il ne va pas y avoir d’autres +araknes.
— Elle avait dit... que ces bestioles ne supportaient pas l’eau pure, et qu’il +fallait trouver une rivière. De mémoire, il y en a une dans cette +direction.
Elle hocha la tête, tout en ramassant ses flèches aux alentours. Cela lui +revenait maintenant, elle avait bien lu quelque chose comme ça. +
— Transporte-la, on vous couvre.
L’homme les regarda toutes les deux. Il sembla hésiter une seconde, puis +rangea son épée, prit la magicienne inanimée dans ses bras ainsi que son +bâton, et se mit en route. +

+∼
+
+

Zach + + +

Ils avançaient en silence dans la forêt. L’archère était à sa gauche, et la +guerrière à sa droite. Tous trois scrutaient les environs avec inquiétude, +mais rien n’arrivait. Pouvaient-ils être venus à bout de ces horreurs, +finalement ? +

Il repensa à la bataille qu’ils venaient de mener. L’archère n’avait pas +raté une seule fois sa cible, même si elle n’était pas toujours dans la +meilleure des postures pour toucher les créatures. Quand à la guerrière... +Était-ce la rage d’être restée passive pendant toute une partie de l’action, +blessée ? Le contrecoup de la douleur ? L’efficacité meurtrière qu’elle avait +mise en œuvre, une fois guérie, était à la fois rassurante et inquiétante. +Rassurante parce qu’elle était à côté d’elle, son épée tirée, prête à +bondir sur le moindre danger les menaçant. Inquiétante, parce qu’elle +était à côté d’elle, son épée tirée... prête à bondir sur lui si l’envie +l’en prenait. Il savait qu’il n’aurait de toutes façons pas le temps de +dégainer son épée, et aucun espoir de s’enfuir avec Sélène dans ses +bras. +

Certes, ils avaient convenu d’une trêve, le temps de se mettre à l’abri des +araknes. Et c’est grâce à Sélène qu’elle était guérie. Mais... que se +passerait-il une fois qu’ils seraient en sécurité ? Lui pardonnerait-elle, entre +autres, de l’avoir plaquée au sol et menacée lorsqu’elle était blessée ? Et +si... les deux elfes ne tenaient pas leur parole ? Il détestait se sentir ainsi, +à la merci de ces deux inconnues. Mais avait-il le choix, de toutes +façons ? Il était le seul assez fort pour pouvoir porter facilement +Sélène. À bien y réfléchir, il n’aurait pas laissé quelqu’un d’autre le +faire. +

Le son de l’eau qui coule se fit rapidement entendre, et la large rivière, +calme, apparut sous leurs yeux.
— Nous y voici. Il n’y a plus qu’à traverser. Tu sauras nager avec +elle ?
C’était la voix de l’archère, qui s’était tournée vers lui. Il hocha la tête, +même si l’idée de se jeter à l’eau avec tout son équipement, et la jeune +femme inanimée ne l’enchentait guère.
— On n’est pas obligés de traverser tout de suite, proposa la guerrière. On +peut la longer jusqu’à trouver un gué. Il y a peu de chances que cette rivière + + +se transforme en torrent d’ici là, et rien ne nous empêche de nous jeter à +l’eau en cas de gros problème.
Ils acquiescèrent, et suivirent le cours d’eau vers l’aval. +

Ce n’est que quelques minutes plus tard qu’il remarqua que le lit de la +rivière s’était élargi, et qu’elle semblait nettement moins profonde. +Quelques rochers affleuraient même à la surface.
— Là, on peut peut-être traverser.
Sans répondre, l’archère s’avança dans l’eau. À mi-chemin, elle n’avait de +l’eau qu’à mi-mollet. Elle s’arrêta et lui sourit.
— Bien vu !
Il s’avança à sa suite. Soudain, alors qu’elle atteignait presque la rive +opposée, l’elfe s’arrêta brusquement et se retourna vers lui, les sourcils +froncés.
— Silwë... Tu ne m’avais pas dit que les humains voyaient très mal dans +l’obscurité ?
Sans avoir besoin de se retourner, il entendit la guerrière, qui le +suivait, s’arrêter à son tour. La nuit était tombée depuis presque une +heure.
— Si...
Il sentait leurs regards, interrogateurs, presque menaçants. Ce n’était +peut-être pas le moment de se lancer dans de longues explications...
— C’est une longue histoire, je vous explique après, promis. Est-ce qu’on +peut se mettre en sûreté d’abord ?
L’archère, devant lui, hocha la tête, et se remit en marche. +

— On peut peut-être s’arrêter là ?
Les deux elfes regardèrent les alentours, et hochèrent la tête. Ils étaient à +une trentaine de mètres de la rivière. Il vit les deux jeunes femmes le jauger +du regard, puis se jeter un regard entendu. Lentement, elles rangèrent leurs +armes. Il ne put retenir un léger soupir de soulagement. Il s’assit au sol, +déposa Sélène à côté de lui, délicatement, et fit quelques mouvement pour +soulager ses bras douloureux. +

Les deux elfes s’installèrent en face de lui, avec un air un peu méfiant. +L’archère prit la parole, d’une voix douce.
— Comment va-t-elle ?
— Elle respire calmement.
L’elfe se leva et posa une main délicate sur le front de la jeune femme +endormie.
— Elle a un peu froid. Tu devrais la couvrir.
Il prit leurs deux couvertures dans leurs sacs respectifs et l’enveloppa +doucement dedans. Un silence passa, puis il se décida.
— Je m’appelle Zach. Je suis guide, et j’escorte cette jeune personne, +Sélène, à travers la forêt, jusqu’à la seigneurie de Assem. Et... vous ?
— Silwë et moi-même, Aldariel, sommes des elfes sylvaines. Nous sommes +invitées par le duc De Vane, qui organise un grand tournoi de tir à +l’arc.
Zach allait demander s’il n’était pas dangereux pour deux femmes seules de +faire ce long trajet. Puis il se souvint des traits de l’archère et de l’épée de +la guerrière, et se ravisa. Cette dernière reprit.
— Pour répondre à ta question initiale, nous n’étions pas en train de vous +espionner. Nous avons été attaquées par les araknes, et nous avons vu de la +lumière... Je suppose que c’était elle ?
Elle désigna Sélène. Zach soupira et hocha la tête.
— En effet. Nous avons, comme vous, été attaqué par ces créatures... +J’étais gravement blessé, et elle a utilisé sa magie pour me soigner. +
Il montra sa cuisse, et le tissu déchiré encore tâché de sang. Il vit la +dénommée Silwë, en face de lui, marquer un léger frisson. Lentement, elle +défit la bande de cuir qui entourait son poignet droit. La peau était +intacte, mais le cuir marquait de profondes entailles. Il soupira et +continua.
— La magie fait très peur, dans nos contrées. Les magiciens sont +pourchassés et brûlés vifs... Jusqu’à ce moment, j’ignorais qu’elle +avait de tels pouvoirs, et si quelqu’un nous dénonce, nous sommes +en grave danger... J’ai eu peur. Désolé de ma réaction un peu... +brutale.
L’archère reprit.
— Nous avons tous eu peur, je crois. Et sans coopérer, nous ne serions pas +tous vivants maintenant. Il est temps de se restaurer un peu et de +dormir.
Elle sourit légèrement. La trève était prolongée au moins jusqu’au +lendemain, et c’était bon signe. Il sortit quelques vivres de son sac, et les vit +faire de même. Il hésita un peu. Le pain était rassis, la viande encore plus +séchée, mais il leur proposa tout de même.
— Désolé, ce n’est pas très frais, mais si vous en voulez...
Alors que, jusque là, la guerrière avait gardé un air légèrement méfiant, elle +sourit et se servit une tranche de pain et de lard qu’elle mangea avec +appétit. En retour, elle lui tendit une petite galette.
— Du pain elfique. C’est très bon et nourrissant, mais crois-moi, on s’en +lasse au bout d’un moment.
Il la remercia d’un sourire, et mangea quelques bouchées de la galette. Elle +avait un goût de miel, et effectivement, nourrissait bien malgré sa +finesse. Sa compagne prit quelques morceaux de pain rassis, et fit la +grimace.
— Excuse-moi, mais je n’ai pas encore l’habitude de la nourriture +humaine...
— C’est la première fois que vous venez en territoires humains ?
Silwë sourit entre deux bouchées de pain.
— Elle, oui. En ce qui me concerne, j’ai passé cinq ans chez les humains, +donc ce n’est pas une nouveauté pour moi...
Devant son regard supris, elle expliqua.
— J’y ai appris le maniement de l’épée. C’est d’ailleurs pour ça, et +pour mon expérience humaine, que j’ai eu l’honneur d’escorter notre +princesse.
Elle adressa un sourire amusé à Aldariel. Elle était donc bien une princesse, +comme elle lui avait annoncé –il eut un léger frisson– à la pointe de sa +flèche... Il se demanda s’il devait la traiter en tant que telle. Son +« garde du corps » ne semblait pas s’encombrer de protocole, mais +lui ?
— Je te préviens, ne t’avise pas de m’appeler « princesse » si tu ne veux +pas recevoir une flèche perdue.
Avait-elle suivi sa pensée ? Son ton était ferme, mais il y avait une petite +pointe de plaisanterie dans sa voix... +

Il ne put retenir un bâillement. La journée avait été longue, épuisante et +riche en émotions... Aldariel hocha la tête.
— Il est effectivement temps de se reposer.
— Peut-être serait-il prudent de se relayer pour monter la garde ? Je ne fais +pas ça d’habitude, mais le danger qui nous menace est assez inhabituel, +proposa-t-il.
— Pourquoi pas, répondit Silwë, puisque visiblement nous sommes tous les +trois capables de voir dans le noir.
Elle le pointa du doigt.
— D’ailleurs, à ce sujet, tu nous dois quelques explications...
Il avait presque oublié ce détail. Mais finalement, ce n’était pas forcément +plus mal. Maintenant qu’il avait enfin des elfes face à lui, il allait peut-être +savoir...
— Effectivement, j’ai la capacité de voir dans l’obscurité, mais j’ignore +pourquoi. Je suis un enfant trouvé sur le pas d’une porte et adopté... Sélène +pense que j’ai des antécédents elfiques.
Les deux jeunes femmes l’observèrent un moment. Puis se jetèrent un +regard entendu. Aldariel se leva et vint s’asseoir à côté de lui, une main sur +son épaule, puis pointa du doigt un arbre au loin.
— Tu vois la chouette sur sa branche, là-bas ?
— Celle qui tient dans ses serres un cadavre de mulot ? Ou celle qui est +quelques branches plus haut ?
— Mmm... Et dans ce buisson à droite, tu distingues quelque chose ?
— Il y a ce qui ressemble à une entrée de terrier, et un renard semble en +sortir avec prudence. Ah, il vient de rentrer...
Nouveau regard entendu, presque inquiet. Il avait l’impression d’avoir fait +quelque chose de mal, mais quoi ? Silwë reprit la parole.
— Est-ce qu’il t’arrive d’être gêné par la lumière du jour, en été ?
— Parfois, quand le soleil est haut dans le ciel et qu’il n’y a aucun nuage, +admit-il. Pourquoi ?
Les deux jeunes femmes semblaient mal à l’aise.
— Elfe noir ? murmura l’archère.
— Oui...
Il se racla la gorge, et fronça les sourcils.
— Est-ce que je peux savoir de quoi vous parlez ?
Aldariel prit une grande inspiration, et expliqua.
— Tu vois encore mieux que nous dans l’obscurité. Tout comme ta légère + + +sensibilité à la lumière, c’est typique des elfes noirs. Il faut que tu +saches que... nous ne sommes pas vraiment en bons termes avec +eux.
Elle semblait gênée. Son amie reprit, presque doucement.
— Tu n’y es pour rien. Mais je te conseille de cacher ce don face à des elfes +sylvains...
— J’ai déjà l’habitude de le cacher auprès des humains. Les elfes sont mal +vus, d’où je viens, et déjà qu’on me traitait d’elfe quand j’étais petit, parce +que j’étais soi-disant tout frêle...
Silwë sourit.
— De ce que j’ai pu voir, il y a des humains grands, petits, forts, frêles, à la +peau claire, sombre... Je ne me fierais pas à ta seule apparence pour en +juger. Mais il faut reconnaître que ton teint mat, tes cheveux sombres, ta +silhouette rappellent un peu un elfe noir. Avec la barbe en plus, et les +oreilles pointues en moins.
— Tu penses qu’il est un... hybride ? Un demi-elfe ?
— Oui.
L’archère parut considérer cette réponse.
— Mais... c’est courant, des liaisons entre elfes et humains ?
— Ça... arrive.
L’archère sembla considérer son amie avec curiosité et retenir une question. +Puis elle se leva.
— Bon, je prends la première garde. Allez dormir.
— D’accord, je prendrai la suivante, ajouta-t-il.
— Je m’occuperai de la dernière. +

Il commença à s’installer près de Sélène, qui à son grand soulagement, +semblait toujours dormir paisiblement. Aldariel lui tendit ce qui ressemblait +à un drap léger.
— Laisse-lui les deux couvertures, et prends la mienne pour dormir. Ne +t’inquiète pas, elle est assez chaude.
— Merci.
Il posa, comme à son habitude, sa ceinture à côté de lui et s’enroula dans la +couverture. Elle était effectivement très confortable et tenait chaud, malgré +sa finesse. Un mètre à sa droite, Silwë l’avait imitée. Son épée se +retrouvait posée non loin de la sienne. Ils échangèrent un regard. + + +Méfiance ou curiosité ? Il n’aurait pas su dire. Puis elle ferma les +yeux. Il vit, du coin de l’oeil, l’archère, perchée sur une branche, aux +aguets. Devait-il être rassuré ou inquiet ? Il n’eut pas le temps de se +poser plus longtemps la question, la fatigue l’envahit et il s’endormit +profondément. +

+∼
+
+

Aldariel +

Les heures s’étiraient longuement, et elle se sentait épuisée. Mais il +fallait rester éveillée. Le campement de fortune était calme, et aucune +menace ne semblait se profiler à l’horizon, même venant de la rivière. Elle se +leva, et fit quelques pas sur sa branche, pour se dégourdir les jambes et se +réchauffer. +

Un bien étrange personnage que ce Zach... Maintenant qu’elle y pensait, +il avait bien un petit air d’elfe, si elle l’imaginait sans barbe. Mais était-ce +important, finalement ? Il semblait plutôt sincère lorsqu’il avait +expliqué qu’il ne connaissait pas ses antécédents. Bien sûr, il aurait +pu mentir pour éviter d’être pris pour un elfe noir, surtout auprès +d’elles. Habituée à évoluer parmi la haute noblesse elfique, elle savait +assez bien décoder les expressions de ses congénères, et les humains +semblaient fonctionner de la même manière, même si l’étiquette +différait. Mais elle n’était pas aussi sûre qu’elle le voulait. Cela dit, dans +ce cas, pourquoi aurait-il répondu sincèrement à ses questions sur +sa vue ? Il aurait très bien pu prétendre voir un petit peu moins +bien... +

Il avait eu une attitude très... protectrice vis-à-vis de la magicienne. +Prenait-il son travail très au sérieux, ou était-il réellement attaché à elle ? +Si elle avait été sûre que le langage corporel des humains était le même que +celui des elfes, elle aurait parié sans hésiter pour le second cas. Elle était +curieuse d’observer l’attitude de Sélène en retour, quand celle-ci se +réveillerait. Sélène, qui avait soigné –presque– sans hésiter son amie... + + +Certes, d’un point de vue purement technique, cela leur permettait de lutter +plus efficacement contre les araknes, mais tout de même. Une façon de se +faire pardonner de l’avoir menacée ? Dommage qu’elle soit restée inanimée, +elle lui aurait bien posé toutes sortes de questions... Peut-être en aurait-elle +l’occasion le lendemain ? +

L’heure avançait, et elle allait bientôt devoir réveiller Zach pour monter +la garde à sa place. Était-il vraiment de confiance ? Il avait avoué avoir agi +par peur, lorsqu’il avait attaqué Silwë, mais qu’est-ce qu’il lui disait qu’il +n’agirait pas ainsi d’autres fois ? Si il les attaquait, toutes les deux, alors +qu’elles dormaient ? Ce serait bien un comportement irrationnel d’elfe noir +ça... Elle secoua la tête. C’était ridicule. Il avait grandi chez les +humains, et se comportait tout à fait comme un humain. Enfin, pour +ce qu’elle semblait comprendre des humains. Et puis, elle n’avait +jamais rencontré d’elfe noir, peut-être que tout ce qu’on disait sur eux +n’était que des rumeurs ridicules entretenant une haine séculaire ? +Elle se promit de demander à son amie, peut-être en avait-elle vu à +la capitale, après tout ? Tiens, maintenant qu’elle y pensait, elle +était persuadée d’avoir perçu une légère gêne de la part de Silwë +lorsqu’elle avait parlé de relations hybrides. Était-ce un sujet tabou, +là-bas ? Ou se pouvait-il que... ? Les humains étaient si différents +des elfes, elle avait du mal à imaginer une telle relation. Mais qui +sait... ? +

— Zach... Réveille-toi...
L’homme ouvrit les yeux et parut mettre quelques instants à réaliser ce qui +se passait.
— Que se passe-t-il ?
— Rien, c’est juste ton tour de veiller.
Il se leva, s’étira et ramassa son épée. Puis il lui tendit la couverture et +s’éloigna rapidement pour trouver un point d’où surveiller le campement. +

Allongée dans sa couverture –qui avait une odeur... d’humain ?–, elle +mit quelques minutes à s’endormir, malgré la fatigue. Le calme était revenu +sur le campement, et elle distinguait sa silhouette, debout, adossée à +un arbre. Ses capacités à monter la garde, elle n’en doutait pas. Il +voyait mieux qu’elle dans la nuit, et elle l’avait vu manier l’épée + + +avec une belle efficacité. Pour avoir déjà vu son amie à l’œuvre, elle +doutait que le premier brigand venu soit capable de venir à bout de +Silwë, même blessée. Il n’y avait pas de raison de s’inquiéter, se +répéta-t-elle... +

+∼
+
+

Zach +

Une partie de la nuit était déjà passée, et il n’avait pas –encore– eu la +gorge tranchée pendant son sommeil... jusque là, tout allait bien. Enfin, si +on exceptait les araknes, la révélation de Sélène, la rencontre –peu amicale +au premier abord– avec les elfes, la fuite... Il avait déjà vécu un certain +nombre de situations étranges, mais celle-ci les dépassait de très +loin. +

Sélène... Qui semblait si fragile, et si forte en même temps. Que +serait-il devenu sans elle... Que seraient-ils devenus, corrigea-t-il, si +elle n’avait pas été là pour soigner les morsures mortelles de ces +horreurs. Qu’est-ce qu’il lui avait pris de vouloir la serrer dans ses bras, +tout à l’heure, juste après avoir été guéri ? Le contre-coup de la +douleur ? La crainte de mourir qui s’était apaisée brutalement ? Le +choc d’apprendre qu’elle possédait des pouvoirs hors du commun ? +Le danger que ces mêmes pouvoirs représentaient ? Finalement, +heureusement qu’il avait entendu les elfes arriver, cela lui avait évité une +sacrée bêtise. Elle n’aurait probablement pas apprécié, et il se serait +vraisemblablement retrouvé avec une boule de feu dans la tête. Ou +ailleurs. +

Il porta son regard vers les deux jeunes elfes endormies. Jeunes +d’ailleurs ? Elles avaient l’air d’être un peu moins âgées que lui, mais +les elfes ayant la réputation d’avoir une grande longévité, ça ne +voulait peut-être pas dire grand chose... Elles dormaient l’une contre +l’autre. Pour le froid, ou y avait-il plus que de l’amitié entre elles ? Il +ne connaissait les mœurs des elfes que de réputation, et on disait + + +des choses bien étranges sur leur sujet... Il fit mentalement la liste +de ces on-dits, tout en rayant intérieurement toutes les questions +qu’il ne leur poserait jamais. Hem. Il ne restait plus grand chose... +Mieux valait peut-être s’en tenir à ce qu’il pouvait observer. Les +elfes sylvains sont beaux, agiles et rapides, et sont de redoutables +combattants. Ces points semblaient effectivement valides. Les elfes se +battent à l’arc. Raté en partie. Ils savent tisser des étoffes fines, légères +et chaudes. Ça, il avait effectivement validé. Ils parlent une langue +inconnue et étrange : raté encore. Ou alors ces deux voyageuses avaient +appris la langue des humains ? Il en doutait, sinon elles auraient +utilisé –au moins ponctuellement– leur langage pour parler dans son +dos. +

Il soupira. Après tout, s’il se posait des questions idiotes, c’est qu’il était +encore en vie. Enfin... il restait un tiers de la nuit. Pendant laquelle ce serait +Silwë, la guerrière, qui monterait la garde. Oh, elle le ferait sûrement très +bien... peut-être même trop bien. Elle n’avait pas apprécié d’avoir été +humiliée en étant immobilisée au sol et menacée d’une lame sur la +gorge, visiblement. En même temps, admit-il, lui n’aurait pas trop +aimé non plus... Chercherait-elle à se venger ? Cela dit, elle n’avait +rien tenté contre lui lorsqu’ils fuyaient les araknes, et qu’il était +désarmé et chargé, y compris après avoir traversé la rivière. Et elle +devait la vie à Sélène. Mais elle ne lui devait pas grand-chose, à +lui... +

Quand à la « princesse »... qui ne souhaitait pas qu’on la traite en tant +que telle. Que pouvait être le protocole, chez eux, d’ailleurs ? Comment +traitait-on les princesses là-bas ? Peut-être en avait-elle assez des +courbettes. Ou c’était peut-être tout simplement la situation d’urgence, qui +faisait passer au second plan ce genre de considérations. En tous cas, +elle était redoutable, elle aussi. Il n’avait jamais vu un archer aussi +efficace, rapide et précis. Il se remémora l’instant terrible où il avait +entendu le son de son arc se détendre dans son dos. Fort heureusement, +elle avait estimé que l’arakne était une meilleure cible que lui... Il +frissonna. +

Il y a quelques jours, il n’aurait jamais admis, ni même imaginé une + + +seule seconde avoir peur d’une femme. Et pourtant, les trois qui étaient +étendues sous ses yeux, toutes plus petites et plus fragiles que lui, +endormies, sans défense –ou presque– l’effrayaient. Mais... n’est-ce pas ce +qui les rendait si fascinantes ? Et puis... que pouvait-il dire, de son +côté ? Il avait déjà un style de vie atypique, passant plus de temps en +forêt plutôt que dans les villes. Et voilà qu’il apprenait qu’il était +peut-être un demi-elfe noir... Côté étrange, il n’était pas vraiment en +reste. +

L’heure avait tourné. Le campement était toujours aussi calme, et les +jeunes femmes dormaient toujours profondément, bercées par les bruits +nocturnes. Tout allait bien. Il s’approcha doucement de Silwë, et lui posa la +main sur l’épaule.
— Psst... Silwë ?
L’elfe se réveilla et sembla paniquer à sa vue. Sa main se tendit vers son +arme, posée à côté d’elle.
— Hé, ne t’affole pas. C’est moi, Zach.
Elle s’assit, et le reconnaissant, se calma.
— Ah, pardon. Je suppose que c’est mon tour de veiller ?
— Oui. Rien à signaler pour le moment.
Elle se leva, lui tendit sa couverture, s’équipa rapidement et s’éloigna. +

Il fallait dormir. Faire confiance à la guerrière. Il prit une grande +inspiration. Tout allait bien... La couverture de la guerrière était déjà +chaude, et confortable. Il tourna la tête vers Sélène, étendue tout contre lui. +Était-il dangereux de dormir si près d’une... sorcière ? De toutes façons, ce +n’était pas la première fois, et il était toujours en un seul morceau, +apparemment. Son visage délicat était si paisible, si doux... Dire qu’on lui +avait parlé de vieilles femmes hideuses avec des verrues sur le nez. En même +temps, si on décrivait, dans les histoires pour enfants, les sorcières comme +celle qu’il avait sous les yeux, il serait plus compliqué d’entretenir une telle +haine à leur sujet... À moins que ce ne soit justement ça qui fasse +peur ? +

La fatigue l’envahit à nouveau, interrompant ses pensées. Il ferma les +yeux, et s’endormit à son tour. +

+ + +∼
+
+

Silwë +

La nuit allait bientôt s’achever, sans qu’il se soit passé quoi que ce soit. +C’était plutôt rassurant... Pas d’autre menace venant de la rivière. Pas de +menace non plus de leurs compagnons d’infortune. La magicienne dormait +toujours, et à ses côté, Zach semblait s’être endormi. Il n’avait pas +tenté de les attaquer, ou de les voler pendant leur sommeil... Elle se +demandait s’il était vraiment un guide ou s’il était juste un brigand qui +avait inventé cette histoire pour se couvrir. L’un n’empêchait pas +l’autre après tout... Même si la jeune femme qui l’accompagnait +semblait lui accorder sa confiance. Lui révéler qu’elle était magicienne +n’était pas rien, dans cette région, même si c’était pour lui sauver la +vie... +

Elle se demandait, d’ailleurs, quelle était la relation réelle entre ces deux +jeunes gens. À voir Zach, en tous cas, il semblait évident qu’il y avait +plus qu’un simple contrat entre un guide et sa passagère. Mais elle +interprétait peut-être. Et puis... cela ne la regardait pas vraiment en +fait. +

Mais la magicienne l’avait quand même sauvée, elle... Alors qu’elle +l’avait menacée quelques instants plus tôt. Bon indirectement, via +l’épée de son guide, mais ça comptait quand même. Était-ce par +simple opportunisme, sachant qu’il leur fallait un bras de plus pour +combattre les araknes ? S’étaient-ils alliés à elles parce qu’ils se +savaient en danger seuls, et allaient ils se retourner contre elles une +fois la magicienne réveillée ? Elle secoua la tête. La nuit lui faisait +imaginer les pires scénarios. Ils étaient vraisemblablement, comme +elles, deux voyageurs supris par ces créatures, et avaient eu peur. +D’où venaient ces horreurs d’ailleurs ? Elle aurait payé cher pour le +savoir... +

Elle fit quelques pas, se hissa sur une branche, et fit jouer son épée dans +sa main pour se réchauffer légèrement. Ce soi-disant guide était plutôt doué + + +avec une épée d’ailleurs... Ah si elle avait été valide, elle ne se serait +pas retrouvée immobilisée aussi facilement. Elle prendrait bien sa +revanche, mais l’attaquer n’était pas forcément la meilleure façon de lui +montrer ses bonnes intentions... d’autant qu’il semblait se méfier +un peu d’elle. Et... aurait-elle le dessus, en fait ? Ce n’était pas +clair... +

+∼
+
+

Sélène +

Lorsque Sélène ouvrit les yeux, elle fut surprise de trouver Zach à côté +d’elle, encore assoupi. Elle eut un petit sourire, en le regardant dormir. Les +autres fois, il récupérait plus vite qu’elle et se levait avant... Peut-être +s’était-il plus fatigué hier ? Hier... Les évènements de la veille lui revinrent +brusquement en mémoire. Les araknes... La blessure de Zach. Le sort de +soin... il savait désormais. Et l’étrange rencontre avec les deux elfes, +leur alliance temporaire quand d’autres créatures avaient attaqué, +et... le trou noir. Elle avait lancé beaucoup de sorts en si peu de +temps, elle n’avait pas tenu le coup. Elle manquait encore tellement +d’entraînement. +

Elle se redressa. Elle avait les deux couvertures sur elle, et son +compagnon était enroulé dans un drap gris clair. Un peu plus loin, l’archère +elfe dormait profondément. Elle fronça les sourcils. Que s’était-il donc +passé ?
— Bien dormi ?
Elle sursauta et se retourna. L’autre elfe, la guerrière, était derrière elle, +adossée à un arbre, l’épée à la main. Elle lui souriait.
Elle se leva, ramassa son bâton de magie, posé à côté d’elle. Devait-elle se +méfier d’elle, ou pas ? La jeune elfe rangea son épée à sa ceinture –pour la +rassurer peut-être ?– et lui fit signe de s’approcher.
— Laisse les autres dormir. Ils sont épuisés.
Elle lui raconta tout ce qui s’était passé depuis son évanouissement. + + +
— Vous avez vraiment monté la garde toute la nuit ?
— Oui. Nous nous sommes relayés... C’est pourquoi Zach et Aldariel +dorment encore.
Elle hocha la tête. Beaucoup trop de questions lui venaient à l’esprit, elle ne +savait pas par où commencer. Peut-être par la plus critique ?
— Si je ne me trompe pas, vous êtes des elfes sylvaines ?
— En effet.
— La magie n’est pas interdite chez vous ?
— Non pas du tout. Mais je sais très bien que là où nous allons, c’est le cas, +et elle y est même pire qu’interdite... Je comprends que tu aies eu peur +d’être découverte. Tu ferais mieux de cacher ton bâton de magie, +d’ailleurs.
Il n’y avait pas besoin d’avoir à expliquer la situation, au moins. Elle poussa +un soupir de soulagement.
— Je suis désolée pour le malentendu hier... Sans vous deux, nous n’aurions +pas pu passer cette rivière vivants.
— C’est moi qui dois te remercier de toutes façons...
La guerrière lui montra son poignet, et sourit. +

+∼
+
+

Irdann +

Irdann savourait cette toute nouvelle liberté. Moins d’un mois qu’il avait +été adoubé paladin de la déesse, et qu’il pouvait sillonner le pays, +rendant divers services çà et là. Bien sûr, il savait qu’il ne ferait +pas fortune ainsi, mais il était libre comme l’air et accueilli plutôt +généreusement un peu partout. Que pouvait-il rêver de plus ? Peut-être +un peu de compagnie. Oh non, il était loin du cliché du chevalier +parcourant le pays avec sa Dame l’attendant dans son château, mais +ses anciens amis, de la garde lui manquaient un peu. Il ne les avait +pas vus depuis qu’il était reparti dans le temple pour finaliser sa + + +formation. Et ils avaient quitté la capitale entre deux... S’ils l’avaient vu +maintenant ! +

Il avait fière allure avec son tabar blanc, orné d’un écusson argent à +l’effigie de Melna. Dessous, un pantalon et une tunique gris clair, et une +cotte de mailles légère, ainsi que des solides gants de cuir. À sa ceinture, il +portait ses armes, flambant neuves, et sa tête était couverte d’un heaume +ouvragé. Il avait quitté la forêt le matin même, et s’approchait du château +du seigneur Assem, qui ferait une bonne étape pour la nuit. Peut-être +pouvait-il rester quelques jours pour se reposer, après la traversée épuisante +de cette forêt... Il avait promis à ses parents, qu’il n’avait pas vus depuis des +années, qu’il serait présent pour l’ouverture du grand tournoi de tir +à l’arc qui était organisé en leur domaine. Mais il avait le temps, +finalement. +

— Sieur Irdann, c’est un honneur de vous accueillir ici !
Il posa respectueusement un genou à terre devant le seigneur et sa dame, +qui étaient venus le saluer personnellement. La situation de paladin semblait +effectivement respectée ici, et il était tout de même le fils de leur suzerain, +bien que n’en portant pas le titre. Le seigneur se leva pour l’accompagner +lui-même à la chambre qui lui était préparée. Il ne s’attendait pas à un tel +accueil.
— Nous ferez-vous le plaisir de dîner avec nous ?
— Bien volontiers, d’autant que voilà plusieurs jours que je n’ai pas fait un +bon repas à table.
— Vous avez traversé la forêt ?
— En effet.
Le seigneur sembla prendre un air inquiet, comme si cela lui rappelait +quelque chose. Il sembla hésiter, puis s’arrêta au milieu du couloir.
— Irdann... En tant que paladin de la déesse Melna, vous êtes investi de +certains de ses secrets, n’est-ce pas ?
Il hocha la tête. Que cherchait-il à lui dire ?
— Nous aimerions, mon épouse et moi, vous charger d’une requête...
Ah, voilà une des raisons, peut-être, de leur attitude. Mais après tout, +pourquoi pas ?
— Mon épée est à votre service, seigneur.
L’homme soupira, puis lui montra un portrait dans le couloir.
— Voici notre fille, Sélène. Il y a quelques années, elle a épousé un riche +seigneur de la capitale, et nous la voyons peu.
Irdann observa le portrait. La damoiselle devait avoir une quinzaine +d’années quand le tableau avait été peint. Des longs cheveux châtains +tressés avec des rubans, de jolis yeux noisette, et une longue robe de couleur +crème, brodée d’or. Un air sage, convenable à une jeune fille de son +rang.
— Elle devait nous rendre visite, seule car son époux est très occupé, et a +préféré ne pas attendre le carosse et l’escorte de soldats que nous lui +envoyions d’habitude. Mais elle devrait déjà être arrivée, depuis plusieurs +jours déjà...
Le seigneur s’interrompit. Il semblait sincèrement inquiet.
— Nous n’avons eu aucune nouvelle, si ce n’est des rumeurs populaires sur +une recrudescence de brigands dans la forêt qu’elle devait traverser...
Irdann n’ajouta rien. Il aurait bien confirmé ces rumeurs, mais ce n’était +peut-être pas la peine d’accabler le seigneur.
— Elle est peut-être morte, ou enlevée par des bandits... Comment savoir ? +Vous, un paladin, vous pouvez peut-être la retrouver...
— Mais comment la trouver ? La forêt est immense, et si dense...
L’homme le regarda un instant.
— Les paladins de Melna sont instruits, dit-on, des secrets divins. Ceux qui +permettent de retrouver n’importe qui. Il y a ces légendes... Ce paladin qui +sut retrouver sa dame, même lorsque celle-ci se fit enlever dans le plus +grand secret et emmenée très loin de lui. On raconte qu’il chevaucha +droit vers elle. Et cette autre dame, qui attendant le retour de son +aimé, se jeta du haut de sa tour à l’instant où celui-ci mourait sous +les coups de l’ennemi, bien avant que les hérauts ne lui annoncent +sa mort... Il y en a d’autres comme celle-ci, je pense que vous les +connaissez.
Irdann hésita un instant. Oui, il connaissait un moyen, puissant, complexe +et dangereux, mais ne l’avait jamais mis en place jusqu’alors... Mais +peut-être était-ce le moment où jamais. Et puis, une quête héroïque, digne +d’un grand paladin... Cela serait excitant et enrichissant. Le regard inquiet +du seigneur acheva de le convaincre.
— Je ferai tout mon possible pour retrouver votre fille, seigneur Assem, + + +vous pouvez me faire confiance.
Il le vit esquisser un sourire plein d’espoir, et lui serrer le bras.
— Dites-moi tout ce que je puis faire pour vous aider dans votre tâche, +noble paladin. +

Il ferma soigneusement la porte de la chambre de Sélène, après avoir +demandé à n’être dérangé sous aucun prétexte. Puis il fit le tour de la +pièce. Ça n’allait pas être simple, et il le savait. Ne connaissant pas +personnellement la jeune femme, il lui fallait trouver un objet très +personnel, auquel elle était attachée émotionnellement. Mais lequel ? Un +vêtement ? Un bijou ? Un livre ? S’il devait invoquer l’enchantement +de Melna sur chaque objet qui lui semblait convenir, il n’avait pas +terminé. +

Il s’assit sur le lit, et réfléchit. La jeune dame ne vivait plus ici depuis de +nombreuses années, il y avait probablement peu d’objets auxquels elle tenait +réellement. S’il supposait qu’un tel objet existait, comment le trouver ? +Tout d’abord, elle n’a pas emmené cet objet chez son époux. Donc elle le lui +cache, et probablement à ses parents également. Cela ne lui facilitait pas la +tâche s’il devait en plus fouiller toutes les cachettes potentielles... Un bijou +offert par un amour d’adolescente ? Un journal intime ? Mais si elle est +réellement attachée à cet hypothétique objet, elle aurait pu tenter de +l’emmener avec elle, caché dans le grand coffre qu’elle emportait en tant que +trousseau. Donc... cet objet, s’il existe, n’est pas petit et discret. +Voilà qui le rendait un peu moins difficile à trouver. Enfin, d’un +point de vue purement logique, s’il devait chercher un objet petit et +caché, il n’avait probablement aucune chance. Mais un objet d’un +volume moyen et caché, il pouvait peut-être... Pourquoi ne pas le +chercher ? +

Il se leva et se mit à chercher. Au bout d’une vingtaine de minutes, il +finit par trouver un paquet, enveloppé dans un tissu, coincé entre le matelas +et le sommier. S’il était dissimulé ici, il y avait une bonne raison... Le cœur +battant, il le sortit et le déballa précautionneusement. +

C’était un grand livre, à la reliure en cuir ornée d’or, aux pages jaunies +par le temps. Il l’ouvrit et en lut quelques lignes. C’était un livre de +sorcellerie... Il en eut sueurs froides. Il avait grandi en apprenant que la + + +magie, si elle ne venait pas des dieux, était très dangereuse. Son père faisait +office d’avant-gardiste en considérant, au moins, les autres races humaines +avec une certaine bienveillance. Mais la magie, il n’en n’était pas question. +Et puis il avait commencé à vivre à la capitale... où se côtoyaient toutes +sortes d’êtres –presque– sans frictions et où la magie était une pratique +courante –il y avait même une université pour l’apprendre ! Le contraste +avec cette région était si saisissant... À la garde, maître Ernest ne +faisait même pas la différence entre les hommes et les femmes, alors +qu’ici... +

Il secoua la tête. Ce n’était pas le moment de faire revenir de vieux +souvenirs, il avait autre chose à s’occuper. Ce livre était plus qu’interdit ici, +il le savait, ce qui voulait dire que ladite Sélène n’était pas la jeune épouse +parfaite, douce et délicate qu’il aurait pu imaginer. Cela pouvait-il avoir un +lien avec sa disparition ? Avec son mariage avec le sieur de Quayle, si loin, à +la capitale ? Ce nom, d’ailleurs, ne lui disait rien. Certes, il ne connaissait +pas tout le gratin de la ville, mais il s’attendait à un nom un minimum +familier. +

Il sortit de sa poche un simple caillou qu’il avait ramassé dans la cour, et +le posa à côté du livre, et débuta son incantation. +

Combien de temps s’était passé ? Difficile à dire, mais de ce qu’il voyait +par la fenêtre, la nuit était tombée. Il ramassa délicatement la pierre posée +sur le sol. Dans sa main, elle pulsait doucement. Il avait réussi son +enchantement, et Sélène était vivante... L’enchantement du cœur, +ainsi dénommé par les paladins. Puissant et redoutable... La pierre +allait désormais pulser au rythme de ses battements de cœur. En se +concentrant, il pouvait également sentir dans quelle direction approximative +elle se trouvait, ce qui lui permettrait de la retrouver, où qu’elle se +trouve. +

Il se leva, rangea précautionneusement le livre dans sa cachette d’origine +et sortit de la chambre de la jeune femme. Il fit indiquer au seigneur qu’il se +mettrait en route dès le lendemain, à l’aube, et partit se coucher, +épuisé. +

Trois heures qu’il était en route. Trois heures qu’il sentait, au + + +fond de sa poche, ces battements incessants. Il savait qu’il voyageait +dans la bonne direction, mais au fur et à mesure qu’il avançait, il +se sentait de plus en plus mal à l’aise. Les pulsations indiquaient +qu’elle était toujours en vie, ce qui était rassurant, mais les variations +de rythme le perturbaient. Cette accélération soudaine, il y a une +demi-heure, était-elle due à un moment de peur ? Un effort physique +immédiat ? Un émoi ? Un danger ? Tout s’était calmé rapidement... +Impossible de savoir évidemment, mais cela donnait une sensation +étrange, voire vraiment gênante. L’impression d’être dans l’intimité +de quelqu’un, sans le voir ni l’entendre, juste à ses battements de +cœur. +

Il frissonna et sortit la pierre de sa poche. Entre de mauvaises mains, cet +enchantement pouvait être très dangereux. Avoir cet objet contre soi +tout en ayant la personne en face de soi permettait, avec un peu +d’entraînement et d’écoute, de tout savoir sur elle... ses émois, ses +sensations, quand bien même elle garderait un visage parfaitement +impassible. C’était une des raisons pour lesquelles cet enchantement était +tenu secret... +

De plus, il avait entendu lui aussi toutes les légendes de ces paladins +retrouvant leur bien-aimée. Sauf s’il en connaissait la face sombre. Celle qui +racontait que nombre d’entre eux, hantés, obsédés par ces battements +incessants, incapables de savoir ce qui arrivait à l’objet de leurs pensées tout +en ayant la sensation d’en être si proches, avaient fini par perdre +complètement la raison. +

Et ce caillou qui pulsait toujours... Heureusement pour lui, il n’avait +aucun lien affectif avec la personne qu’il recherchait, sinon, le même sort +l’attendait. Mais même malgré cela il était mal à l’aise. Il ouvrit les +sacoches cavalières de sa monture, découpa un morceau de sa couverture +dans laquelle il enveloppa la pierre, qu’il plaça au fond d’une des sacoches. +Étouffées par le tissu, les pulsations ne lui étaient –enfin– plus perceptibles. +Il poussa un soupir de soulagement. Il le sortirait dans quelques heures pour +vérifier sa direction, c’était bien suffisant. Et dès qu’il aurait retrouvé +dame Sélène, il faudrait qu’il se débarrasse de cet objet au plus +vite. + + +

+∼
+
+

Sélène +

Assise en tailleur, Sélène observait le contenu du petit chaudron, posé +sur un feu, qui se trouvait devant elle. Depuis la veille, ils avaient décidé de +faire route avec les deux elfes, qui s’étaient avérées d’agréables compagnes +de voyage. Elles étaient aussi à l’aise en forêt que des poissons dans l’eau, +plus encore que Zach. Aldariel, assise en face d’elle, lui avait parlé de +recettes de potions à base de plantes, et Sélène avait été enthousiaste à +l’idée de les partager.
— C’est une chance que tu aies ce petit chaudron avec toi.
Sélène sourit.
— Oui, même si je regrette celui que j’ai à l’université... Ah je pourrais te +montrer d’autres mélanges !
— J’aimerais beaucoup... si nous en avons l’occasion.
Aldariel remua doucement la mixture avec un petit morceau de bois.
— Ça s’épaissit, je pense que ça va bientôt être bon.
— Il faudra filtrer quand même, il y a plein de morceaux de feuilles... Tiens, +je me demande si on ne peut pas ajouter ça...
Elle fouilla dans son sac, et en sortit une petite fiole qu’elle tendit à l’elfe. +Celle-ci tenta de lire l’étiquette, fronça les sourcils. Puis elle l’ouvrit, renifla +légèrement le contenu.
— Ah, je connaissais. Mais pas sous cette forme...
Elle ajouta quelques gouttes du liquide dans le mélange, et lui rendit. — +J’avoue, j’ai toujours acheté les plantes chez l’herboriste, sous forme d’huile +ou de plantes séchées... C’est un vrai plaisir de les découvrir fraîches dans +la forêt !
— Et encore, il faudra que je te montre certaines qu’on ne trouve pas +ici...
— Tu veux dire, dans votre forêt elfique ?
— Oui, il y a des plantes médicinales spécifiques à notre région... Ça te +plaira ! + + +

Sélène ferma les yeux à demi, bercée par le léger bruit du mélange qui +frémissait et l’odeur agréable qui s’en dégageait. Il faisait beau, +et ils avaient profité d’un coin calme et d’un bras de rivière pour +faire une pause pour se laver. Zach, qui avait sagement attendu son +tour, devait encore y être. Elle l’avait aperçu, en allant remplir le +chaudron d’eau. Elle était restée quelques secondes à l’observer, +légèrement gênée de constater qu’elle n’avait pas du tout honte de le +faire. +

Elle détendit ses jambes. Sa robe n’était plus aussi impeccable qu’au +départ... Toutes les broderies du bas étaient sales ou abîmées à force de +marcher dans la forêt, et une longue déchirure verticale remontait jusqu’à +son genou gauche. Il y a une semaine, elle aurait trouvé ça presque +indécent, mais à présent elle s’en moquait. Ses courbatures et ampoules +du début s’étaient estompées, et elle suivait désormais quasiment +sans effort le rythme de marche de Zach. Et elle avait découvert la +forêt... qui lui semblait si hostile au début, et qui recelait tant de +suprises... +

Zach s’était approché. Ses cheveux étaient mouillés et encore plus en +bataille que d’habitude, et il finissait d’enfiler sa tunique.
— L’eau était bonne ?
— Excellente. Vous auriez dû venir.
Son sourire se figea soudain en voyant le petit chaudron et son contenu, d’un +jaune verdâtre, frémir doucement. Il fronça les sourcils.
— Qu’est-ce que vous faites ? +

— Aldariel me montre une recette de chez elle. Ne t’inquiète pas, ce n’est +pas dangereux.
Il s’approcha de l’étrange mixture, et prit un air dubitatif.
— Si tu le dis. Bon, je vais vous laisser... Je vais aller discuter chiffons et +quinquaillerie avec Silwë.
Il s’éloigna en direction de la guerrière, assise un peu plus loin. +

Une fois qu’il fut hors de portée de voix, Aldariel et Sélène se +regardèrent en souriant.
— Il ne faut pas lui en vouloir, il n’a pas l’habitude...
— C’est vrai, mais sa réaction est toujours aussi drôle.
— Est-ce qu’on lui dit que ce n’est qu’une recette de savon ?
— Oh non, surtout pas.
Elles éclatèrent de rire. +

+∼
+
+

Zach +

Ses longs cheveux lâchés autour d’elle pour les laisser sécher, assise dos à +un arbre avec son armure sur les genoux, visiblement très affairée, Silwë ne +leva même pas la tête lorsqu’il approcha.
— Qu’est-ce qui t’arrive ?
Elle lui montra son ouvrage. Une couture latérale, visiblement destinée à +ajuster la tunique de cuir à des formes féminines, avait rompu.
— J’essaie de réparer ça... Mais je n’ai pas tout à fait ce qu’il faut.
Au moins, il s’agissait d’une occupation plus rassurante que ce qu’il venait +de voir... Il s’assit à côté d’elle et observa l’armure. Elle ressemblait de +beaucoup à la sienne, même si le cuir n’était pas le même...
— Elle vient de chez les elfes, cette armure ?
— Non, je l’ai achetée à la capitale. Les bonnes armures elfiques sont très +rares. Par contre, ils ont dû faire quelques retouches qui n’ont pas très bien +tenu.
Il hocha la tête.
— Tu as appris l’épée durant ton séjour à la capitale, c’est ça ?
— Oui, chez maître Ernest. Tu le connais ?
— De réputation, mais je ne l’ai jamais rencontré directement. D’ailleurs... +
Il se leva et alla chercher son épée, posée avec sa ceinture quelques mètres +plus loin.
— Je suis curieux de voir ce que donne son enseignement.
Elle leva les yeux vers la lame, qu’il avait pointée sur elle en souriant.
— Tu en as déjà eu l’occasion, il me semble.
Était-ce une pointe d’amertume dans sa voix ? Elle n’avait toujours pas + + +bougé.
— Tu étais blessée. Il n’y avait aucun challenge.
— Quoi ? Comment ça ?
Vexée, voire même furieuse, elle s’était levée, et le fixait, les bras croisés. Il +avait peut-être un peu exagéré. En le voyant accentuer son sourire, et +comprendre son jeu, elle soupira.
— Tu as gagné. Tu réussi à me faire lever.
Elle ramassa tranquillement son épée, et se retourna rapidement vers lui, +son arme pointée, avec un léger sourire de défi.
— En garde ! +

+∼
+
+

Silwë +

Elle avait à la fois redouté et espéré ce moment. Mais elle s’était fait +piéger, et n’avait pas l’intention de reculer maintenant. Ils passèrent +quelques instants à se mesurer du regard. Zach tenait son épée, un peu plus +courte que la sienne, à une main. Sa position de garde était impeccable. Il +semblait hésiter à porter le premier coup. Était-il aussi sûr de lui +qu’il en avait l’air, finalement ? Elle prit une grande inspiration +et engagea un coup de taille, pour tester. Il le para avec efficacité +et précision, et contre-attaqua immédiatement, d’un coup qu’elle +dévia rapidement. Comme elle l’avait deviné, elle avait affaire à +un bon escrimeur. Mais cette fois, comme il l’avait effectivement +fait remarquer, elle n’était pas blessée. Le défi promettait d’être +intéressant... +

Ils échangèrent d’autres coups, plus agressifs et plus rapides. Un très +bon escrimeur, corrigea-t-elle mentalement. Pourtant... sur une passe un peu +inhabituelle, elle réussit à créer une faible ouverture dans sa garde. Faible, +mais suffisante... Son épée s’arrêta à quelques millimètres de sa poitrine. +Elle esquissa un léger sourire. +

+ + +∼
+
+

Zach +

— Ah !
Il soupira, un peu vexé, mais soulagé malgré tout qu’elle ait stoppé son +coup. Leur échange n’avait pas duré une quinzaine de secondes.
— Bien joué.
Il lui sourit et recula d’un pas. Il avait bien l’intention de ne pas en rester là +de toutes façons...
— On remet ça ?
Elle recula à son tour et hocha la tête. +

Ils reprirent le combat. L’épée de Silwë était légèrement plus longue que +la sienne, et elle la maniait à deux mains la plupart du temps. Sa main +gauche, alors placée près du pommeau, l’aidait à orienter plus rapidement +et plus précisément la lame. Mais contrairement à beaucoup de combattants +de ce style, elle savait aussi, et n’hésitait pas lâcher la seconde main pour +profiter de l’amplitude que seuls certains mouvements à une main +permettaient. +

Il n’arrivait pas à trouver de faille dans sa garde. Et il parait avec +difficulté les coups qu’elle lui rendait. Non, ce n’était pas parce que son +épée était mieux équilibrée, ou plus longue. Sa technique était juste +irréprochable. Sur les trois échanges qui suivirent, il ne parvint à en gagner +qu’un, de peu. +

Leurs lames s’entrechoquèrent à nouveau, et glissèrent jusqu’à la garde. +Il était tout proche d’elle. Des gouttes de sueur perlaient le long de ses +tempes et des mèches de ses cheveux –toujours détachés– étaient collées sur +son visage. Au moins, il n’était pas pour elle un adversaire facile... Et sur ce +genre de passe en force, il pouvait peut-être avoir un avantage. À l’instant +où elle allait céder sous la pression, elle fit pivoter brusquement sa +lame autour du point d’appui, et sa garde vint s’appuyer de l’autre +côté de la poignée de sa propre arme. L’élan qu’il avait pour tenter +de la faire reculer, combiné à l’effet de levier qu’elle appliquait, lui + + +fit lâcher son épée. Perdu encore... ou pas ? Il était toujours très +près d’elle, à une distance peu pratique pour manipuler une arme +longue. +

Alors que la lame de Silwë revenait vers lui, il marqua un infime instant +de pause, et au dernier moment se jeta sur elle, saisissant son poignet et +déviant son arme vers le haut. De l’autre bras, il lui entoura les épaules et +l’entraîna au sol.
— Hééé ! C’est de la triche, ça !
— Quelle triche ? Les ennemis contre qui tu combats respectent quelles +règles ? +

+∼
+
+

Silwë +

Elle était furieuse. Contre elle-même plus que contre Zach. De s’être fait +avoir si facilement, et puis, il avait raison...
— Certes.
Elle avait cru gagner, et avait relâché son attention. Elle aurait dû reculer +plus vite, et l’esquiver. Elle avait été bête, c’est tout... Alors qu’elle +cherchait à reprendre son souffle, elle vit qu’il lui souriait. Il jouait. +Pourquoi s’énerver ainsi ? Elle se détendit et lui rendit son sourire. Elle prit +quelques instants pour reprendre le contrôle de sa respiration, puis +brusquement, ramena sa jambe droite qu’elle utilisa pour repousser la +poitrine de son adversaire. Zach roula sur le côté, mais sans lâcher son +poignet qu’il maintenait toujours fermement, et la torsion infligée lui fit +lâcher son arme à son tour. Ils se redressèrent rapidement, en souriant +toujours. Le jeu continuait. +

Elle s’était déjà entraînée à lutter, y compris contre des adversaires +plus grands et forts qu’elle. Mais il était aussi très agile et rapide, plus +qu’elle ne l’aurait imaginé... surtout qu’il ne commettrait évidemment pas +l’erreur de la sous-estimer. Elle esquiva rapidement le bras qui tentait +d’attraper le sien, et plongeant vers son adversaire, le ceintura pour le faire + + +tomber au sol. Malgré de très bons appuis, il fut déséquilibré, et manqua de +tomber en arrière. Il fallait profiter de ce léger avantage... +

Sauf qu’au lieu de reculer d’un pas pour reprendre son équilibre, il se +laissa volontairement tomber en arrière, profitant de l’élan pour la faire +tomber à son tour. Il roulèrent tous les deux, chacun tentant de renverser +l’autre sur le dos. Malgré ses efforts, Zach eut rapidement le dessus. Après +l’avoir immobilisée, il plaça ses mains autour de son cou et fit mine de +l’étrangler. Elle sourit légèrement.
— Bien vu. +

+∼
+
+

Zach +

Il lui rendit son sourire et relâcha délicatement son cou. Puis il lui tendit +la main et l’aida à se relever. À peine sur pied, elle fit deux pas rapides +en arrière et fléchit légèrement les genoux. Alors qu’il s’avançait +vers elle, elle fit un saut rapide de côté et le cueillit d’un coup de +genou dans les côtes. Aïe. Il fit quelques pas sur le côté, le temps de +reprendre son souffle, puis tenta à nouveau de s’approcher pour lui +saisir un bras. Même saut latéral, mais cette fois il put anticiper et +esquiver habilement le coup de pied qui le menaçait. Il retenta la +même approche deux fois. Elle sautait avec légèreté, donnant presque +l’impression de danser en l’évitant, insaisissable. Mais elle s’épuiserait vite +ainsi. +

Elle marqua une pause, à quelques mètres de lui. Elle semblait +essoufflée... Profitant de l’occasion, il bondit et parvint à la ceinturer. Le +choc lui coupa le souffle pour de bon, et il n’eut aucun mal à saisir son bras +et à la bloquer d’une clé de bras dans son dos.
— Bien défendu, mais tu t’es fatiguée trop vite...
Elle ne répondit pas de suite, trop occupée à retrouver sa respiration. Puis +elle se tendit soudainement. Au même instant, il lui sembla entendre un +bruit inhabituel. Un cheval qui renâclait... Il recula rapidement dans un + + +buisson proche, entraînant Silwë avec lui.
— Quelqu’un vient... pas un bruit, murmura-t-il dans son oreille.
Ils restèrent silencieux quelques instants, écoutant le bruit des sabots qui se +rapprochaient.
— Euh, Zach ? chuchota-t-elle.
— Oui ?
— Tu peux quand même me lâcher, non ?
— Ah... euh oui désolé. +

Ils se dirigèrent alors silencieusement en direction du son, et se postèrent +de manière à voir l’intrus arriver sans être découverts. +

Le cavalier qui s’approchait était vêtu de blanc et portat un large +heaume masquant son visage. Un chevalier ! Il était seul, ce qui était +plutôt surprenant. Il stoppa sa monture et prit quelques instants +pour l’attacher à une branche voisine. Zach remarqua alors les armes +que l’homme portait à sa ceinture. Il n’était pas rare de voir des +combattants en possédant deux. Silwë avait une dague en plus de son +épée longue. Il avait lui-même un couteau en complément de sa +lame, même si celui-ci lui servait plus souvent à couper du pain +que des chairs. Ce chevalier-là possédait simplement deux épées +longues... +

Un frisson le parcourut. Il porta la main à sa ceinture, constatant avec +horreur qu’il l’avait laissée, ainsi que son armure près de Sélène et +d’Aldariel. Il tourna la tête vers Silwë, tout aussi démunie que lui. Et leurs +épées étaient à une quinzaine de mètres de là... +

Le chevalier, qui ne les avait visiblement pas remarqués, semblait +concentré à fouiller dans une des sacoches cavalières de sa monture. Puis +regarda aux alentours, semblant chercher sa direction.
— C’est moi ou il a l’intention d’aller droit vers le campement ?
Il avait à peine prononcé les mots, mais l’elfe semblait avoir compris. Ils se +regardèrent, inquiets. Puis elle secoua la tête, se leva et se pencha vers son +oreille.
— File chercher du renfort. Je vais essayer de lui parler pour le retenir.
Il lui attrapa le bras.
— Tu veux te faire tuer ?
Elle lui adressa un léger sourire qu’elle voulait probablement rassurant.
— C’est un paladin. En principe il a un code d’honneur. Il ne me tuera pas +tout de suite... En principe...
Il soupira et relâcha le bras.
— Au pire, tu peux toujours essayer de lui faire du charme...
Elle ne releva pas sa tentative désespérée d’humour pour se rassurer, et se +leva en direction de l’étranger. Sans perdre de temps, il se leva à son tour et +se mit à courir vers le campement. +

+∼
+
+

Irdann +

Il savait qu’il approchait du but. La pierre qui pulsait ne lui +donnait aucune indication de la distance à laquelle se trouvait dame +Sélène, mais la donnée de la direction depuis plusieurs endroits, +avec un peu de réflexion logique, lui avait permis de conclure. Il +réussissait à garder son sang-froid quand il la manipulait, désormais, +mais il se demandait toujours ce qu’il ferait lorsqu’il rencontrerait +la jeune femme en question... Et que faisait-elle en pleine forêt ? +Prisonnière quelque part ? Comment l’en sortirait-il si c’était le +cas ? +

Il vérifia que sa monture était bien attachée, puis se dirigea résolument +vers sa destination. Soudain, devant lui, une silhouette sortit des buissons si +rapidement et silencieusement qu’il eut l’impression de la voir se +matérialiser sous ses yeux. +

+∼
+
+

Silwë + + +

Le cœur battant, elle se planta à quelques mètres du paladin. Pourvu +qu’il fasse vite...
— Stop ! Où vous rendez-vous comme ça ?
L’homme, la voyant se placer sur son chemin, dégaina aussitôt ses armes, et +se plaça en position défensive.
— Je suis à la recherche de dame Sélène, et aucun obstacle ni aucun homme +ne m’éloignera de ma route.
Elle frissonna. Il avait dégainé l’épée de la main gauche juste avant la main +droite... Cela lui rappelait quelqu’un...
— Qu’est-ce que vous lui voulez ?
C’était idiot, elle le savait. Mais il fallait juste parler, pour gagner du temps. +Zach, dépêche-toi... +

À sa grande suprise, il ne répondit pas et se figea.
— Silwë ?
D’où connaissait-il son nom ? Et cette démarche, cette voix, bien que +modifiée par le port de ce casque... Est-ce que ça pouvait-être...
— Irdann ?
Le chevalier planta ses deux épées dans le sol à côté de lui. Puis il souleva +son casque, dévoilant son visage. C’était lui, aussi surpris qu’elle de le +voir. +

+∼
+
+

Irdann +

Il marqua une seconde de pause, incrédule. Il n’avait pas revu Silwë +depuis presque un an, ni même eu de nouvelles... Toute une foule de +souvenirs partagés lui revint à l’esprit, et il lui sourit. Elle se jeta sur lui +pour l’enlacer. +

À cet instant, trois silhouettes surgirent devant ses yeux, à demi cachés +par les cheveux en bataille de l’elfe. Son sourire se figea. +

La première était celle d’un homme armé d’une épée courte, une +seconde plus longue glissée dans sa ceinture. Son air menaçant et + + +concentré disparut instantanément lorsqu’il l’aperçut, et il sembla si +surpris qu’il manqua d’en lâcher son arme. La seconde silhouette +était celle, plus petite et frêle, d’une jeune elfe aux longs cheveux +noirs. Rapidement, elle dépassa l’homme, toujours immobile, et en +l’espace d’un battement de cils, elle avait armé une flèche et tendu son +arc dans sa direction. La troisième silhouette resta cachée derrière +l’homme, mais il put entrevoir les traits d’une jeune femme aux cheveux +détachés. Elle semblait inquiète, mais la prise qu’elle avait sur un +bâton semblait déterminée. Certaines explications risquaient d’être +compliquées... +

+∼
+
+

Sélène +

Qu’avait-il dit déjà ? Que Silwë tenterait de... discuter pour leur laisser +le temps d’arriver ? On ne pouvait nier son efficacité, l’homme ayant +visiblement lâché ses armes. Mais elle ne s’attendait pas vraiment à ce genre +de comportement. Devant elle, Zach n’avait pas bougé, et ce fut l’archère +qui se décida à rompre le silence. Elle fit deux pas dans la direction du +chevalier, son arc toujours pointé.
— Silwë, écarte-toi. Toi, qui es-tu et que viens tu faire ici ?
L’étranger lâcha l’elfe, et fit un pas en avant.
— Mon nom est Irdann, je suis paladin de la déesse Melna. Je suis à la +recherche de dame Sélène.
Elle ne put retenir une exclamation de surprise. Il l’aperçut, la dévisagea, +puis fit un pas dans sa direction, et posa un genou à terre devant +elle.
— C’est vous ? Vous êtes saine et sauve ?
Elle recula d’un pas, méfiante, serrant toujours son bâton de marche. Zach +sembla reprendre ses esprit et sa prise sur son épée, et s’interposa entre +eux.
— Qu’est-ce que vous me voulez ?
— Vos parents, le seigneur et la dame Assem se font un sang d’encre pour +vous. Ils m’ont donc envoyé vous retrouver. Ils craignaient que vous ne soyez +morte, ou enlevée par des brigands...
Elle écarta le bras de Zach et se planta devant le chevalier.
— Comme vous pouvez le voir, je vais très bien, je suis parfaitement libre de +mes mouvements, et je serai bientôt rendue à bon port. Pourquoi +s’inquiètent-ils à ce point ?
— Ils ont eu votre message lorsque vous partiez de chez votre époux, le sieur +de Quayle, mais d’après eux vous auriez dû être arrivée voilà déjà cinq +jours...
Elle croisa les bras, vexée. Il n’avait pas besoin de révéler tout cela devant +ses compagnons non plus...
— J’ai raté la diligence en arrivant dans un des villages. Alors j’ai engagé +un guide et protecteur, et je suis venue à pieds à travers la forêt. Vous +pouvez donc les rassurer, je vais très bien.
Le paladin se releva et hocha la tête en souriant légèrement.
— La déesse soit louée, c’est le cas.
À cet instant, Aldariel s’avança, son arc toujours pointé vers la tête de +l’étranger.
— Un instant. Qu’est-ce qui nous dit qu’on peut te faire confiance ?
— Moi. +

Silwë s’avança, et délicatement, posa la main sur le bras de l’archère, +pour lui faire détendre son arc. Elle fit signe à Zach de baisser également +son arme.
— Je connais très bien Irdann, depuis des années, et je réponds de +lui.
Elle la regarda, légèrement méfiante.
— Comment le connais-tu ?
— Lui et moi avons été élèves de maître Ernest, à la capitale. C’est un ami +que je craignais de ne jamais revoir d’ailleurs...
Le sourire qu’ils échangèrent semblait très naturel et sincère. Elle se +retourna vers elle à nouveau.
— Sélène, tu peux lui faire confiance autant qu’à moi. Je lui confierais ma +vie sans aucune hésitation. +

Zach et Aldariel avaient baissé leurs garde, mais restaient figés, + + +observant l’homme. Elle se tourna vers lui, bien décidée à en apprendre +plus.
— Que faisiez-vous chez mes parents ?
— J’ai été adoubé il y a quelques mois seulement, et je rentrais chez les +miens, après de longues années d’absence. Mon retour devrait d’ailleurs +coïncider avec l’ouverture d’un grand tournoi de tir à l’arc que mon père +organise régulièrement. Comptiez-vous vous y rendre ?
Elle fronça les sourcils.
— Vous êtes... le fils du duc De Vane ?
Il s’inclina légèrement.
— Leur troisième fils.
Elle réfléchit quelques instants. Il ne lui semblait pas l’avoir déjà +croisé, plus jeune, or elle avait déjà fait connaissance avec toute +l’aristocratie locale, incluant –surtout– les potentiels jeunes hommes à +marier.
— Mais... pourquoi n’ai-je jamais entendu parler de vous ?
— Dès l’âge de dix ans, j’ai été envoyé dans un temple de la capitale, pour +y devenir un paladin. Je n’ai presque pas revu ma famille depuis, et ai +conversé avec eux essentiellement par courrier.
Elle hocha la tête. Elle connaissait cette tradition d’envoyer les troisièmes +fils dans des temples, tradition qu’elle avait toujours trouvé idiote, +d’ailleurs. Elle tourna la tête vers Silwë, qui d’un signe de tête confirma la +version d’Irdann. Et puis il n’était pas responsable de la peur de ses +parents, finalement... et n’avait pas l’air si désagréable que cela. Elle se +détendit légèrement, sans arriver à mettre le doigt sur ce qui la mettait +mal à l’aise. C’était peut-être le moment de ranger les couteaux +tirés.
— Permettez-moi de vous présenter Zach, le meilleur guide de la région, +sans qui je ne serais pas en vie en ce moment...
La main tendue obligea Zach à ranger son épée pour le saluer. C’était le +but. Il lui serra la main, non sans lui lancer un regard méfiant.
— ... la princesse Aldariel Lalrilë, des elfes sylvains, ...
L’achère dut à son tour désarmer sa flèche pour se laisser baiser la main. +Elle sembla extrêmement surprise et rosit légèrement. C’est vrai que cette +façon de saluer les femmes n’était pas vraiment courante chez les + + +elfes...
— ... elle se rend également au château du duc votre père, pour ce grand +tournoi, accompagnée de son garde du corps, Silwë, que vous connaissez +déjà visiblement. Nous les avons croisées sur notre chemin, et faisons route +ensemble.
— Enchanté de faire votre connaissance, et je suis également soulagé de voir +que dame Sélène est en sécurité avec vous. Je suis certain d’ailleurs que le +seigneur Assem sera ravi d’accueillir les courageux compagnons qui ont +guidé leur fille jusqu’à eux.
Elle observa la réaction de ses trois amis. Aldariel semblait intéressée, prête +à accepter. Elle jeta un œil à sa compagne, qui haussa les épaules. Zach, en +revanche, semblait extrêmement réticent. +

+∼
+
+

Irdann +

La tension semblait s’être apaisée, même si le guide semblait encore très +mal à l’aise.
— Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée... Les châteaux, les +courbettes, ce n’est pas vraiment fait pour moi. Allez-y sans moi.
Sélène le regarda quelques instants. Puis elle reprit d’un ton ferme.
— Nous discuterons de cela plus tard. Allons d’abord nous restaurer et nous +reposer un peu plus loin. Il y a une rivière, votre monture pourra y +boire.
Elle désigna une direction, et lui fit signe de la suivre. La princesse +sembla alors se réveiller d’une longue apathie et jeta un regard à +Sélène.
— Je prends un peu d’avance, vous me rejoindrez...
Irdann ne put s’empêcher de regarder l’elfe s’éloigner rapidement, avec +légèreté et aisance. Les elfes sylvains étaient en forêt comme des poissons +dans l’eau... +

Ils partagèrent rapidement une collation au bord de la rivière. La + + +princesse semblait un peu gênée vis-à-vis de lui, mais voyant la familiarité +qu’il partageait avec Silwë, elle se détendit vite, et lui posa quelques +questions sur la fameuse capitale humaine, qu’elle semblait rêver de visiter. +Sélène semblait légèrement distante, mais lui sourit tout de même en lui +racontant brièvement leur trajet. Elle ne tarissait pas d’éloges pour son +guide, qui pourtant restait à l’écart et ne parlait que pour ajouter quelques +précisions. +

Ils finirent par convenir qu’elle partirait seule avec lui. Les elfes, qui +seraient bien accueillis au château du duc, seraient probablement mal venus +dans la seigneurie d’Assem, où ils risquaient d’être regardés de travers. Bien +qu’ils y seraient fort bien traités, les deux jeunes femmes préféraient un +trajet tranquille en rase campagne à des draps de soie et un accueil plus ou +moins froid. La jeune princesse ne semblait pas s’encombrer de protocole et +de belles paroles, était-ce le fait d’être en petit groupe en forêt, ou était-elle +toujours ainsi ? +

Ils se levèrent, et Irdann prit le sac de Sélène pour l’attacher solidement +à la selle du cheval. Celle-ci était en discussion avec Zach, un peu à l’écart. +Il se demandait bien ce qu’ils se disaient, mais par respect il l’attendit à +bonne distance. Il lui sembla qu’elle lui effleura le bras, puis tourna +le dos à son guide et se dirigea droit vers lui. Son visage semblait +impassible.
— Mettons-nous en route au plus vite, mes parents doivent s’inquiéter.
Il souleva la jeune femme par la taille, et la déposa sur la selle. Puis il +monta derrière elle, et ils se mirent en route. +

+∼
+
+

Aldariel +

Ils s’étaient mis en route quelque temps après le départ de Sélène et +Irdann. Elle avait posé quelques questions à son amie sur le fameux paladin, +auxquelles elle avait répondu avec enthousiaste. Ainsi, ils avaient appris +l’escrime auprès du même maître et avaient déjà vécu des tas de choses + + +ensemble... Quelle chance avait-elle ! +

Ils s’arrêtèrent au pied d’un grand arbre, que Silwë proposa d’escalader +pour vérifier leur chemin. Zach, qui n’avait pas dit un mot depuis que le +chevalier les avait quittés, haussa les épaules. Pourtant, c’était lui +qui connaissait bien le coin, normalement... Alors qu’il s’asseyait au +pied de l’arbre, elle se hissa sur une branche à peine au dessus de sa +tête.
— Hé, ne fais pas cette tête. Si tu voulais la revoir, tu n’avais qu’à aller +avec elle.
Il soupira.
— Je n’arrive juste pas à croire qu’elle ne m’ait rien dit...
Elle sourit. Elle avait réussi à le faire parler, déjà.
— Qu’elle ne t’ait pas dit pour sa magie ?
— Non, ça je comprends... Mais qu’elle soit la fille du seigneur Assem, et +qu’elle soit mariée ! Ce n’est pas rien tout de même, et ce n’est pas comme +si sa vie en dépendait !
— Bah, tu savais bien qu’elle était noble, non ?
Elle lui donna un petit coup de coude dans la tête, ce qui le fit lever.
— Oui mais... ce n’est pas pareil. J’ai grandi dans un petit village non loin +de son château... Techniquement, je suis, enfin j’étais, son fidèle +sujet...
Elle sourit et se mit accroupie sur la branche. Elle lui donna une petite +pichenette sur le front.
— Et alors ? Ça change quoi ?
Elle bondit sur une branche un peu plus loin, un peu plus haut. Il soupira, +et se hissa à son tour là où elle était assise quelques instants plus +tôt.
— Et puis... Mais elle est mariée de toutes façons, la question ne se pose +pas !
Elle ne dit rien, et le regarda en souriant. Il se redressa, et fronça les sourcils +en la voyant.
— Et elle ne m’a pas dit qu’elle était mariée, et elle n’a pas d’alliance. Que +je sache, même à la capitale, ils en mettent, non ?
Elle se tut, et se contenta de monter encore d’un cran, toujours en souriant. +Vexé, il s’élança lestement vers elle, et se rétablit sur la même branche. Sa + + +réaction était presque drôle, en fait...
— Qu’est-ce que ça veut dire, hein ? +

+∼
+
+

Zach +

L’archère le fixait toujours, semblant presque se retenir de rire. Il était +sur la même branche qu’elle, tout près, et ce sourire narquois lui donnait +presque envie de la frapper. C’était ridicule...
— Ça veut dire que tu es juste bête.
— Hééé !
Elle le poussa brusquement du coude, il perdit l’équilibre et se rattrapa de +justesse à une branche au dessus de sa tête.
— À ton avis, grand bêta, si elle ne te l’a pas dit, c’est qu’elle préférait que +tu l’ignores... non ?
Il reposa ses pieds sur une branche près de celle de l’archère, et s’accouda +sur une autre, face à elle. Il tenta de contenir la colère qui montait +en lui. Contre qui d’ailleurs ? Contre Aldariel, qui continuait de le +regarder d’un œil moqueur ? Contre Sélène ? Contre Irdann ? Contre +lui-même ? +

Il soupira et tenta de réfléchir.
— Elle peut avoir plein de raisons pour que je l’ignore, ne serait-ce que pour +ne pas révéler son identité complète. Ce n’est pas la première fois que +j’escorte des gens qui souhaitent rester discrets.
Elle s’accouda à la même branche que lui, et le poussa doucement à +l’épaule, du bout du doigt. Il savait bien que ce n’était pas la réponse +qu’elle attendait, ni celle que lui souhaitait donner et qui commençait à +naître dans son esprit.
— Non, tu délires, je n’ai jamais eu aucune chance avec elle.
Elle ne dit rien, et continua de le pousser du bout du doigt en souriant.
— Dis plutôt que tu n’as pas osé saisir cette chance.
Vexé, il attrapa vivement le poignet de l’archère. Elle ne chercha même pas + + +à se dégager.
— À ta place, je n’aurais pas hésité.
Il faillit lui répondre par une insulte sur les prétendues mœurs légères des +elfes, et se ravisa. Il soupira, et relâcha sa poigne.
— Facile à dire. C’est une noble dame, il lui faut un preux chevalier, pas un +sauvageon barbu et fauché.
Elle gagna à nouveau une branche un peu plus élevée. Il ne l’aurait pas +avoué, mais pouvoir vider son sac le soulageait un peu. Il continua son +ascension à son tour.
— Ce paladin, d’ailleurs... Tu lui fais confiance ?
Elle haussa les épaules. Son sourire s’était figé.
— Tu veux dire que son air de prince charmant, loyal, courageux, fort, et +j’en passe, est trop parfait pour être vrai ?
Il fit une moue.
— Je m’inquiète pour Sélène, c’est tout.
Elle eut un petit sourire et le rejoignit sur sa branche.
— Qu’est-ce qui t’inquiète ? Qu’il ne soit pas ce paladin loyal, courageux, +fort aux airs de prince charmant qu’il semble être, et qu’elle soit en danger +avec lui ? Ou... Est-ce que tu crains qu’il soit précisément un paladin loyal, +courageux, fort, aux airs de prince charmant ?
Vexé, il bouscula sans ménagement l’archère. Celle-ci tomba en arrière, +tendit le bras pour saisir une branche à peine plus bas, et gracieusement, se +rétablit sur celle-ci. Puis elle remonta à sa hauteur. Pour se faire pardonner +d’avoir été si peu délicat, il lui tendit la main.
— Tu grimpes sacrément bien pour, euh...
Il arrêta net sa phrase. Elle le fixa en fronçant les sourcils.
— Pour... une fille ? Une princesse ?
— Euh...
Refusant sa main, elle bondit à nouveau sur sa branche, et profita de son +élan pour le pousser à son tour. Déséquilibré, il se rattrapa des deux bras +à la branche sur laquelle il se trouvait un peu plus tôt. Aldariel, +toujours debout sur cette même branche, l’observait d’un air critique. Il +effectua une traction rapide, et se rétablit rapidement. Elle hocha la +tête.
— Ça va, tu t’en sors plutôt bien... pour un demi-humain. + + +

Elle se mit à rire devant son air vexé. Il se prit au jeu, et tenta de la +bousculer une fois encore. Elle esquiva son coup d’épaule en sautant avec +légèreté sur une branche à côté. Elle riait toujours. Il sourit et la suivit, +tentant encore une fois de la pousser, mais elle avait encore une fois bondi +un peu plus loin. Il n’y avait pas d’autre prise derrière elle, pouvait-elle lui +échapper cette fois-ci ? Il plia les genoux, et sauta dans sa direction, +cherchant à l’attraper à la taille. Elle fit un pas en arrière, se laissant +tomber verticalement, et saisit avec ses deux mains la branche sur laquelle +elle se trouvait une seconde plus tôt. Ses bras à lui n’attrapèrent que du +vide. Le temps de reprendre son équilibre, elle avait déjà posé les +pieds sur une fourche en contrebas, et le regardait d’un air narquois. +Il savait bien qu’il n’aurait pas dû jouer à ce jeu-là avec une elfe +sylvaine... +

+∼
+
+

Aldariel +

— Héé, les deux tourtereaux, vous ne voulez pas monter au lieu de +jouer ?
C’était la voix de Silwë. Malgré la plaisanterie, le ton de sa voix semblait +légèrement inquiet. Elle échangea un regard avec Zach, et ils escaladèrent +rapidement l’arbre, jusqu’à la rejoindre à la cime, qui surplombait une +bonne partie de la forêt. Debout sur une branche fine, qui ployait +légèrement sous son poids, elle fixait l’horizon qui s’assombrissait avec la +tombée de la nuit. +

Elle pointa du doigt la direction dans laquelle Irdann et Sélène étaient +partis. Une route –qu’ils avaient probablement rejointe depuis– se dessinait +à travers la forêt, à l’orée de laquelle se profilaient des champs et un petit +village. Dans une petite clairière, à mi-chemin, elle distinguait un +attroupement, vraisemblablement humain, ainsi que ce qui ressemblait à des +feux.
— Zach, toi qui vois encore mieux que nous...
Il avait plissé les yeux pour mieux distinguer la zone.
— Une douzaine d’hommes, qui campent dans la clairière. Ils n’ont pas +d’uniforme de soldat, mais sont armés apparemment... Pas des voyageurs +non plus apparemment. Je ne vois qu’une solution, ce sont probablement des +brigands.
— Si nombreux et près du village ? Comment est-ce possible ?
— Je n’en sais rien, et ce n’est pas rassurant. Ils ont l’air d’attendre quelque +chose...
Il pâlit.
— Sélène !
Silwë se mordit les lèvres.
— Irdann est très doué, mais il aura du mal face à tant de monde, surtout +s’il doit la protéger en même temps...
Zach n’avait pas écouté et avait commencé sa descente. Aldariel le rattrapa +par un bras.
— Hé, où tu cours comme ça tout seul ?
Son visage était paniqué.
— Je ne sais pas si j’ai une chance d’arriver à temps, mais je ne resterai pas +ici sans rien tenter.
Elle lui sourit.
— Évidemment qu’on ne va pas rester ici sans rien tenter. Évidemment +qu’on ne va pas te laisser y aller seul.
Elle lâcha son bras, et redressa.
— Ils n’ont pas énormément d’avance sur nous, surtout s’ils ont dû faire +avancer un cheval dans une forêt dense. Zach, tu es le plus rapide à la +course à pied, et le plus endurant. Pars devant, et n’oublie pas que +l’obscurité est ton alliée. Silwë et moi nous occuperons de prendre tes +affaires. Nous arriverons aussi vite que possible, un peu après toi. En +route !
Il lui adressa un sourire de reconnaissance, puis se rua en bas. +

+∼
+
+ + +

Irdann +

Il sentait que la jeune femme n’était pas très à l’aise avec lui. En même +temps, il pouvait la comprendre... Sans Silwë pour parler en sa faveur, elle +n’aurait probablement jamais accepté de venir avec lui, sans compter les +difficultés à s’expliquer avec ses compagnons. La situation était étrange +pour lui. Il avait tant entendu parler d’elle, mais sans jamais la voir. +Il avait pensé à elle, senti son cœur battre dans sa main tant de +fois, qu’il l’avait presque sentie familière. Mais que savait-elle de lui, +au fond ? Il se décida à entamer la conversation, pour tenter de la +rassurer.
— Nous sortirons probablement de la forêt en début de nuit. Nous pourrons +trouver une auberge où loger, et demain nous arriverons enfin chez vos +parents.
— Vous n’aurez pas de mal à trouver votre chemin, à la nuit tombante ?
— Je suis arrivé par là. Il suffit d’aller tout droit et de retrouver la route. +Même si la nuit tombe avant que nous ne sortions de la forêt, il sera facile +de la suivre.
— Parlant de ça... Comment m’avez-vous trouvée, au beau milieu de nulle +part ?
Il soupira. C’était la question qu’il souhaitait éviter justement...
— Les paladins connaissent un enchantement secret, qui leur permet de +retrouver une personne précise. Je ne puis vous en dire plus.
Elle sembla à demi satisfaite par la réponse. Elle prit une inspiration pour le +questionner, puis sentant sa gêne, se ravisa. Après quelques secondes de +silence, elle reprit.
— Pourquoi êtes-vous parti seul ?
Il la remercia intérieurement de ne pas insister plus que cela sur +l’enchantement.
— Vos parents m’avaient proposé une armée pour m’accompagner... Mais +d’une part je souhaitais éviter d’attendre plusieurs jours qu’elle soit prête, +et d’autre part, je vous savais dans la forêt. Or une armée, même petite, +dans une forêt, c’est extrêmement inefficace, lent et peu discret. Je comptais +vous repérer, et si l’intervention d’hommes armés était nécessaire, je +pouvais toujours revenir chercher de l’aide.
Elle hocha la tête.
— D’ailleurs... Est-ce que je peux vous demander quelque chose ?
— Oui, bien sûr.
Elle soupira.
— Je ne sais pas monter à cheval, et je ne suis pas très à l’aise en selle. Et +en plus, je crois qu’on fatigue inutilement votre monture, qui a déjà bien du +mal à avancer dans cette végétation dense. Vous ne croyez pas qu’on serait +tout aussi bien à pied ?
Surpris, il ne répondit pas tout de suite. Elle avait raison, la pauvre jument +avait du mal à progresser, et le poids des deux jeunes gens était difficile +pour elle. Il mit pied à terre, et se tourna vers elle.
— Vous êtes sûre que vous préférez marcher ?
Elle le regarda en souriant.
— Sieur Irdann, voilà presque six jours que je marche dans la forêt, avec +mon sac, et je suis toujours vivante. Je crois bien que je préfère +marcher.
Il l’attrapa délicatement par la taille et la déposa au sol. Ils se remirent en +route, marchant à côté de la jument, visiblement soulagée de n’avoir plus +tout ce poids à porter.
— Qu’est-ce qui vous a fait préférer la traversée à pieds ?
— Je devais prendre une diligence publique... mais je l’ai ratée. Je n’avais +pas assez d’argent sur moi pour engager une escorte complète et des +chevaux. Mais finalement, ce n’est pas désagréable, en fait.
Il la regarda avec surprise. La jeune dame semblait bien moins hautaine +que ce à quoi il s’attendait. Et en marchant ainsi, il pouvait voir +son visage, ce qui était nettement plus agréable que de parler à sa +nuque.
— Vous êtes partie avec ce guide... vous avez fait des mauvaises +rencontres ?
Elle hocha la tête, laissant échapper un léger frisson.
— Oui, des brigands. Heureusement qu’il était là d’ailleurs... Après cela, il a +préféré s’éloigner des sentiers battus pour éviter d’autres problèmes de ce +genre.
Il désigna du doigt l’ouverture dans les arbres.
— Voilà la route, nous pourrons avancer plus rapidement. Ça tombe bien, le +soir tombe.
+

+∼
+
+

Sélène +

La diversion de la route tombait à pic. Elle hésitait à aborder le sujet +des araknes avec lui. Pourtant, ils devaient en parler à quelqu’un, prévenir... +Mais qui, et comment ? Qui la croirait ? Il faudrait qu’elle explique aussi +comment elle savait tout cela sur ces créatures, et ce qui s’était passé... +Non, impossible de lui en parler. C’était presque rageant, de savoir autant +de choses importantes et de devoir les taire.
— Dame Sélène ? Vous allez bien ?
— Euh oui... Est-ce que je peux vous demander, au moins tant que nous +sommes seuls, de m’appeler simplement Sélène ?
Il lui sourit et hocha la tête.
— Gardons le protocole pour plus tard. Vous pouvez même me tutoyer et +m’appeler Irdann.
Elle poussa un soupir de soulagement et sourit. Ce paladin était plutôt +sympathique, finalement...
— Irdann ?
— Oui ?
— Tu as bien fait de laisser tomber le casque, tu as vraiment l’air effrayant +avec.
Il haussa les épaules.
— Silwë m’a dit ça. En plus, elle a raison sur le fait que, sans ce +casque qui limite ma vue, j’aurais eu une chance de les repérer, elle et +Zach.
— Tu sais vraiment te battre avec deux épées ou tu as ces armes pour +impressionner ?
— Je sais réellement les utiliser. J’ai appris chez maître Ernest, à la +capitale, le maniement de toutes sortes de lames, et comme j’étais +ambidextre, il m’a enseigné le maniement spécifique aux deux épées... + + +J’admets cependant que je joue beaucoup sur le côté imposant de ces deux +armes. Cela fait aussi partie du jeu.
Il lui sourit, puis son sourire se figea soudain. +

— Qu’est-ce que c’est que ça ?
Il lâcha la bride de la jument, qui sursauta. Un groupe d’hommes armés +arrivait en courant dans leur direction, armés. Elle se retourna vivement, +deux autres arrivaient dans leur dos. Elle retint un cri.
— Place-toi derrière moi.
En un clin d’œil, il avait dégainé ses armes, et s’était placé en garde, +surveillant les deux groupes s’approchant. Elle recula entre lui et la jument, +rageant de ne pouvoir l’aider. Elle n’avait même pas son bâton de marche +pour se défendre... +

Effectivement, Irdann était très doué, et ses épées fendaient l’air à une +vitesse impressionnante. Plusieurs des brigands tombèrent à ses pieds, et il +se déplaça aussi vivement pour la protéger d’autres hommes qui arrivaient. +Il y en avait beaucoup trop pour qu’il tienne le coup... Difficile à dire +combien, avec l’obscurité qui tombait, mais ils étaient en mauvaise +posture.
— Sélène, mets-toi à l’abri...
Il avait crié ça entre deux coups d’épée. Elle recula vers la jument. +Pourrait-elle tenir en selle et s’enfuir ? Et l’abandonner ? Elle repéra au sol +un coutelas, abandonné par un des brigands qui gisait au sol. Saurait-elle +s’en servir de toutes façons ? +

Elle sentit soudain un bras saisir son épaule, et poussa un cri. Irdann, +occupé par plusieurs adversaires à la fois, était trop loin d’elle pour +intervenir. L’homme approcha son épée de son visage, et elle se mit à +trembler. Elle enrageait intérieurement de ne pas savoir se défendre comme +Silwë ou Aldariel... Mais elle ne se laisserait pas tuer ou enlever sans +essayer quelque chose. Elle posa son autre main contre sa poitrine, et +poussant un léger gémissement, s’effondra. Elle n’avait pas besoin de +jouer beaucoup, ses jambes tenaient à peine son poids de toutes +façons... +

Elle entendit Irdann crier son nom. Y avait-il un écho dans sa voix, ou +avait-elle rêvé ? Les yeux fermés, elle sentit son bras s’approcher du sol, + + +tandis que l’homme la retenait vagument par un bras. Surpris, ou +simplement peu pressé ? Après tout, évanouie ou debout, ça ne devait pas +changer grand chose pour lui. Elle était juste le lot à ramasser. Elle sentit +ses doigts se refermer sur la poignée du coutelas, et une bouffée de courage +et d’énergie l’envahit. Elle reprit appui sur ses pieds, et en se redressant, +planta l’arme droit dans la poitrine de l’homme. Il eut un sursaut +et tomba au sol, le visage marqué d’un mélange de surprise et de +douleur. +

Elle n’eut pas le temps de de réfléchir plus à son geste. Irdann était +toujours en difficulté, et deux autres brigands s’approchait d’elle, l’arme +en avant. Cette fois, elle ne pourrait plus jouer le jeu de la jeune +fille effarouchée... Elle tremblait, mais serra malgré tout le coutelas +–couvert de sang– dans ses mains. Elle ne se laisserait pas tuer ou +enlever sans essayer de se défendre... Zach aurait été fier d’elle... +sûrement. +

+∼
+
+

Zach +

Il avait couru sans s’arrêter, son épée et son couteau à la main, jusqu’à +débouler sur le chemin. Il s’était figé un instant en apercevant le champ de +bataille. Le paladin, entouré de plusieurs hommes, peinait à se défendre +malgré son adresse aux épées. Les bandits semblaient plus occupés avec lui +et ne semblaient pas surveiller Sélène, attendant visiblement d’avoir éliminé +leur menace principale. +

Sauf un, qui s’était approché, et lui avait saisi le bras. Elle avait crié. +Malgré son épuisement, il se remit à courir aussi vite que possible. Elle pâlit +et s’effondra, lentement. Ou était-ce le temps qui s’était ralenti pour +lui ?
— Sélène !
Il avait l’impression qu’il n’arriverait jamais jusqu’à elle. Dans le soir qui +tombait, un dernier rayon de soleil se refléta sur une lame abandonnée au + + +sol. La main de la jeune femme apparemment évanouie venait de se refermer +sur la poignée... Il la vit soudainement se redresser, et poignarder de toutes +ses forces son agresseur. +

Il fut si surpris qu’il trébucha, et manqua de s’étaler par terre. Mais +ayant assisté à la scène, d’autres brigands s’approchaient déjà d’elle... Ce +n’était pas le moment de se poser des questions. Il atteignit enfin le premier +des deux hommes, qu’il transperça d’un coup d’épée. L’autre se +retourna vers lui, et un coup de masse lui effleura les cheveux. En un +instant, il fut près d’elle. Elle tenait toujours à la main le couteau +qui lui avait permis de se défendre. Ils échangèrent un regard, le +temps d’une fraction de seconde, et il se plaça entre elle et l’autre +brigand. +

+∼
+
+

Irdann +

— Sélène !
Il avait vu l’homme s’approcher, il l’avait vue se sentir mal, sans pouvoir +rien faire. Il avait toujours trois adversaires face à lui, et peinait à parer +leurs attaques... Il en avait mis deux au sol auparavant, et ces trois-là se +contentaient d’attaques prudentes, vraisemblablement dans le but de +l’épuiser lentement. S’il bondissait à son secours, il n’avait aucune chance... +ils n’attendaient que ça probablement. Et s’il le faisait tuer, alors qui +pourrait la protéger ? +

Il para quelques nouveaux coups, alors que, du coin de l’œil, il eut +l’impression de voir la jeune femme poignarder violemment son adversaire +d’un couteau. Ne s’était-elle pas évanouie quelques instants plus tôt ? Le +stress du combat, avec l’obscurité qui tombait, devait lui jouer des tours. Et +l’épuisement, aussi... Il ne tiendrait pas longtemps comme ça. Il +aperçut d’autres silhouettes arriver au loin, en courant, de différentes +directions. Il recula de quelques pas, jusqu’à un large tronc, à la fois +pour se donner quelques secondes de répit, et empêcher ses trois + + +adversaires –et les nouveaux– de le contourner. L’un sembla marquer un +instant d’hésitation, en regardant dans la direction de Sélène. Il en +profita pour s’en débarrasser, mais deux nouveaux adversaires le +remplacèrent quasiment immédiatement. Il continua à se défendre et à +distribuer des coups d’épée de tous les côtés, mais il se fatiguait +lentement. +

Soudain, une silhouette bondit depuis l’arbre au dessus de lui, en +poussant un cri de rage, et atterrit à ses côtés. Une silhouette féminine qu’il +reconnut immédiatement malgré l’obscurité.
— Silwë !
La jeune elfe avait revêtu une légère armure de cuir, attaché ses longs +cheveux, et surtout avait brandi son épée pour parer un coup qu’un des +brigands tentait de porter. Elle lui adressa un sourire rapide.
— Besoin d’un coup de main ?
— D’épée, plutôt.
Leurs adversaires semblèrent surpris une seconde de ce retournement de +situation. Il reprit courage. Il n’était plus seul... Ils se placèrent dos à dos, +et firent face aux brigands.
— Comme au bon vieux temps, Irdann ?
— Comme au bon vieux temps ! +

Ils retrouvèrent rapidement la coordination qu’ils avaient lorsqu’ils +combattaient ensemble, à la garde. Plusieurs des hommes tombèrent à leurs +pieds.
— Vite, il faut aller aider Sélène !
— Ne t’inquiète pas pour elle. On s’occupe de tout.
— On ?
— Zach et Alda sont là aussi.
D’un même geste, ils achevèrent leurs derniers adversaires. Il laissa passer +un instant pour reprendre son souffle, puis observa enfin le champ de +bataille. +

À peine plus loin, Sélène tenait un coutelas ensanglanté à la main. Elle +semblait effrayée, mais sa prise sur son arme était ferme et décidée. Zach +était à ses côtés, épée et couteau tirés, scrutant l’obscurité d’un air +inquiet. Plusieurs hommes gisaient à leurs pieds. À quelques pas de + + +là, sa jument Kahrafe piétinait sur place. Un brigand était couché +en travers de la selle, la poitrine transpercée d’une flèche. Avait-il +cherché à s’enfuir ? Il aperçut alors d’autres hommes au sol, le corps +transpercé d’une ou plusieurs flèches. Combien d’adversaires avaient-ils dû +affronter ? +

— Vous venez ?
C’était la voix de l’archère. Il fit quelques pas dans sa direction, avec +quelques difficultés. La lame d’un des brigands lui avait fait une belle +entaille au niveau du genou. Il l’aperçut alors, debout sur un des brigands, +toujours vivant –du moins pour le moment–, allongé à plat ventre. La botte +gauche de la jeune elfe lui maintenait la poitrine au sol, et elle avait son arc +pointé dans sa direction. Il eut un frisson en recomptant les hommes morts +de ses traits. D’ailleurs, il ne voyait aucune flèche qui semblait avoir +manqué sa cible... Ne jamais sous-estimer une elfe. Même –encore plus– +lorsqu’il s’agit d’une princesse à l’air innocent, délicat et fragile. +
— Je vous en ai gardé un. +

+∼
+
+

Aldariel +

Elle était essoufflée, par la course comme par la bataille. Alors que Zach, +arrivant avec une nette avance, avait couru protéger Sélène, Silwë avait +bondi dans la mêlée pour aider le paladin... En restant à couvert sous les +arbres, elle avait fait pleuvoir ses flèches mortelles sur les quelques hommes +restants, qui tentaient de s’approcher des combattants ou de s’emparer du +cheval, laissé à l’abandon. Voyant le dernier d’entre eux s’enfuir, elle avait +cherché à le capturer vivant. Si elle n’avait pas l’entraînement à la lutte de +Zach ou de Silwë, la surprise et un arc aux flèches pointues avaient très bien +fait l’affaire. +

Ses compagnons s’approchèrent, méfiants. Le jeune paladin la regardait +avec une expression mêmant suprise, crainte et admiration. L’aurait-il prise + + +pour une idiote sans défenses ?
— Qu’est-ce que vous voulez de moi ?
C’était la voix de son prisonnier.
— Je connais bien les habitudes des gens comme toi. Normalement, vous +ne prenez pas le risque de vous approcher si près des habitations. +Pourquoi ?
L’homme tourna péniblement la tête vers Zach, qui venait de poser la +question. Il avait pointé son épée sur lui, et lui fit signe de le lâcher. Elle +hésita, puis obéit, sans détourner son arc de sa cible. Le prisonnier se +redressa, et considéra ses adversaires, estimant ses chances. Apercevant +enfin le visage de celle qui l’avait mis hors combat, il marqua la suprise, puis +la peur.
— Je ne sais pas. Le chef a dit qu’il y aurait un paladin allant chercher une +dame riche qui passerait par ici.
N’osant pas faire un geste de la main, il désigna du menton Irdann et +Sélène. Nous avons vu le paladin à l’aller, et nous l’avons attendu à son +retour sur le sentier.
— Qui vous a dit ça ? interrogea Irdann.
— Je ne sais pas. Il fallait demander au chef. On lui a donné l’info. Moi je +ne sais rien ! Laissez-moi partir !
Tout en surveillant l’homme du coin de l’œil, les compagnons se +regardèrent. + + + + + + -- cgit v1.2.3