From: Denise sur Lya Date: Wed, 24 Feb 2016 13:09:28 +0000 (+0100) Subject: enlevé les fichiers finaux X-Git-Url: https://git.immae.eu/?p=perso%2FDenise%2Faventuriers.git;a=commitdiff_plain;h=5e1b9c48ac20e5bfed8c056b3da682f5771e8a5e enlevé les fichiers finaux --- diff --git a/.gitignore b/.gitignore index 3f580e5..4c2f467 100644 --- a/.gitignore +++ b/.gitignore @@ -10,3 +10,6 @@ *.lg *.out *.xref +*.pdf +*.html +*.png diff --git a/aventuriers.pdf b/aventuriers.pdf deleted file mode 100644 index 5a6ab1c..0000000 Binary files a/aventuriers.pdf and /dev/null differ diff --git a/html/aventuriers.html b/html/aventuriers.html deleted file mode 100644 index e36bc6a..0000000 --- a/html/aventuriers.html +++ /dev/null @@ -1,8721 +0,0 @@ - - -La compagnie d’aventuriers des Pieds Jaloux - - - - - - - - -
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La compagnie d’aventuriers des Pieds Jaloux

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... Ou une histoire qui n’a ni queue, ni tête, mais parce que. -
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Sélène -

Tenant à la main un bougeoir, elle s’avança dans l’immense pièce, -éclairée uniquement par quelques fentes de lumière sur les murs et la lueur -de sa bougie. Elle portait une longue robe de couleur crème, aux longues -manches et lacée sur le devant, avec des liserés dorés. Ses cheveux -longs étaient soigneusement attachés en deux nattes, entrelacées de -rubans. -

Elle sourit. Sa gouvernante ne supportait ni la poussière, ni les -araignées, ni les rats qu’on y trouvait parfois ; et Sélène était ravie de s’en -débarrasser pour quelques heures. Les greniers du château n’avaient pas été -rangés ou nettoyés depuis des générations, et on y trouvait de tout, vieilles -armes, tableaux, ustensiles divers, ... tout ce qui n’avait pas été considéré -comme ayant suffisamment de valeur pour être stocké dans la salle du -trésor. -

Et il y avait des livres. Des tas de livres, oubliés et délaissés. -Comment pouvaient-ils ignorer ainsi leur valeur ? Son père était -assez occupé avec les affaires du fief dont il était le seigneur. Ses -deux parents avaient fait en sorte qu’elle soit éduquée comme une -future noble, délicate, douce, attentionnée, soumise. Ils n’avaient pas -retenu sa passion pour la lecture, se disant qu’au fond, en lisant, elle -n’abîmerait pas ses mains délicates au travail, et ne noircirait pas son teint -pâle au soleil. Et puis, elle aurait de la conversation avec son futur -époux. -

Elle soupira. Elle savait que ses parents espéraient la marier, plus tard, à -un riche seigneur voisin, pour gagner leur soutien et protection, et cette idée -ne l’enchantait guère. Mais que pouvait-elle faire d’autre ? S’évader dans -ces vieux livres, et rêver, seule, dans ce grenier poussiéreux. Elle avait -quatorze ans, et cela faisait presque un an qu’elle venait régulièrement lire -ici. -

Elle était arrivée devant l’une des vieilles armoires à moitié rongées par -les termites. Le dernier livre qu’elle avait lu parlait de plantes médicinales – -qu’elle ne connaissait que de nom et de description, le livre étant dépourvu -d’images –, celui d’avant était un journal de bord d’un grand tacticien -militaire, celui d’encore avant racontait une histoire de chevalerie, et le - - -précédent était un récit historique d’une grande bataille entre les elfes... Il y -avait de tout, dans le désordre. -

Alors qu’elle faisait un inventaire des livres déjà lus, l’étagère de -l’armoire qui les maintenait s’effondra brusquement. Elle sursauta et la -flamme de la bougie vacilla. Si l’armoire s’était écrasée sur elle... Mais à -part un tas de livres par terre, rien de grave ne s’était passé. C’est -alors qu’elle aperçut, sur le fond de l’armoire, là où se trouvaient les -livres quelques secondes plus tôt, un panneau de bois, comme si -l’armoire avait été réparée. Elle posa la bougie par terre, et tendit la -main. En fait, ce panneau avait été rajouté... pour cacher quelque -chose ? -

Le cœur battant, elle chercha à soulever le panneau de bois, et après -quelques minutes d’effort, y parvint. Derrière, il y avait un autre livre. Plus -grand, avec une reliure en cuir très épais, et aux feuilles encore plus jaunies -que les autres. Tremblante, elle le saisit, et s’assit à côté de la bougie pour -l’ouvrir. L’écriture, très ancienne, était difficile à déchiffrer, mais elle -parvint à lire les quelques premières pages. La peur la saisit. C’était un livre -de magie ! -

La magie était une chose très dangereuse, disait-on. Les sorciers, -pour la pratiquer, concluaient de terribles pactes en vendant leur -âme à des divinités maléfiques. Pour s’en protéger, on les chassait, -les torturait et parfois, on les brûlait vifs. Un frisson la traversa. -Ranger ce livre maudit ? Le brûler ? Le ramener à ses parents ? ... Le -lire ? -

Y avait-il un risque à simplement le lire ? Avait-elle déjà perdu son -âme en l’ouvrant ? Si c’était le cas, peut-être était-ce déjà trop -tard... -

Elle regarda autour d’elle, vérifiant une fois de plus qu’elle était seule, et -avec un sentiment d’excitation coupable, se mit à lire. -

Silwë -

La flèche venait de rater une fois de plus sa cible. Elle soupira.
— Encore raté...
— Un peu moins que la dernière fois, pourtant. Tu n’es pas si loin !
Elle regarda son frère, qui s’entraînait à côté. Il aimait la railler à -chaque fois qu’elle s’entraînait – avec un succès toujours mitigé – à -l’arc.
— Ouais, bien sûr. Avec un peu de chance, je pourrai tuer l’ennemi qui se -marre à cinq mètres, tu veux dire ?
— Par exemple, proposa-t-il en riant. Ou alors tu attends qu’il te fonce -dessus, et tu l’atteins à bout portant.
Elle pivota vers lui, tendant son arc et armant une flèche imaginaire, avec -un petit air de défi.
— Méfie-toi, je pourrais le confondre avec toi !
Elle lâcha la flèche imaginaire, qu’il fit mine d’esquiver de manière -spectaculaire. Puis elle prit son arc à une extrémité, et lui fit faire un grand -arc de cercle pour empêcher son frère d’avancer vers elle. Sur le retour, il -utilisa le sien pour bloquer son mouvement et tenta de passer sous sa garde. -Elle pivota autour du point de contact, et laissa glisser son arme contre -la sienne, de façon à se retrouver au contact de son frère. De la -main gauche, elle dégaina une dague imaginaire qu’elle plaça sur sa -gorge.
— Ah, ah !
— Les enfants, qu’est-ce que vous faites là ?
La voix de leur mère venait de résonner. Instantanément, ils se séparèrent, -et répondirent en regardant leurs pieds nus.
— On s’entraîne.
— Je vois ça. Silwë, tu peux venir avec nous s’il te plaît ?
Surprise, la jeune elfe leva les yeux. Sa mère était accompagné d’un homme -qu’elle ne connaissait pas. Il portait la longue tunique vert foncé, le -pantalon blanc et les bottes habituellement réservés aux soldats – c’était -également le cas de sa mère – mais les broderies dorées indiquaient qu’il -s’agissait vraisemblablement de quelqu’un d’important. Elle nota qu’à -sa ceinture pendait une longue épée, comme celles qu’utilisent les -humains, enfin c’était ce qu’on lui avait dit. Elle n’en avait jamais -vue en vrai jusqu’alors. L’homme sembla noter son regard supris, -et lui adressa un sourire bienveillant. Ses longs cheveux blancs et -son air sage semblaient témoigner d’un âge avancé et d’une grande - - -sagesse. -

Lui et sa mère la menèrent, d’échelle de corde en passerelle, près du -palais du roi, dans un bâtiment de taille moyenne, puis dans ce qui -ressemblait à une salle d’entraînement.
— Ta mère m’a dit que tu voulais devenir soldat, comme elle ?
— Oui. Mais je ne suis pas douée à l’arc... répondit-elle timidement.
Il lui sourit, et jeta un œil à sa mère, à quelques pas de là.
— Il est de toutes façons difficile d’être aussi bonne archère qu’elle. Mais -peut-être serais-tu plus à l’aise avec autre chose ?
Il la regarda intensément pendant quelques secondes, comme s’il -l’évaluait.
— Quel âge as-tu ?
— Douze ans.
Il lui tourna le dos, et alla chercher une épée en bois.
— Essaie ça.
Elle prit l’arme, la soupesa, et hésita.
— Essayer, comment ?
— Comme ça.
L’homme avait saisi une seconde épée en bois, et s’était précipité sur elle. -Surprise, elle fit un pas de côté, et tenta de dévier l’épée d’un coup de la -sienne. Même en bois, l’épée était un peu lourde... L’homme attaqua de -nouveau, elle fléchit légèrement les genoux et plaça son épée pour tenter -d’encaisser un choc qui ne vint pas... L’homme s’était arrêté à quelques -centimètres d’elle.
— Pas mal. Je pense que c’est bon.
— Qu’est-ce que vous voulez dire ?
Il s’assit, et fit signe à la jeune fille et à sa mère de faire de même.
— L’arc et la dague sont les armes par excellence des elfes, par tradition. -Mais ce ne sont pas les seules. Nous avons aussi besoin, pour nous protéger, -de gens sachant se battre avec d’autres armes, comme l’épée, très à la mode -chez les humains, la lance, la hache, le fléau ou même la magie. Je suis le -dirigeant de ces escouades spécifiques. Ta mère m’a parlé de tes difficultés à -l’arc...
Sa mère continua, alors qu’elle rougissait.
— Malgré cela, tu sais te battre et as l’air d’y prendre de l’intérêt. C’est - - -pourquoi j’en ai parlé autour de moi...
Elle souriait. Depuis le temps qu’elle était dans le groupe d’archers d’élite -de la garde royale, elle connaissait beaucoup de monde. Le vieil homme -reprit en souriant.
— À partir de maintenant, tu viendras t’entraîner régulièrement à l’épée, -ici. Cela te convient-t-il ?
Elle leva les yeux vers lui et hocha la tête. -

Uhr -

Les trois adolescents couraient dans la plaine. Ils étaient pieds nus, vêtus -de pagnes grossiers en cuir, et avaient chacun, glissée dans une ceinture, une -épée plus ou moins rouillée, qui semblait avoir subi de nombreux -coups. Leurs cheveux bouclés étaient sales et en bataille, et bien -qu’ils ne soient pas aussi grands et forts que les barbares adultes -de leur clan, leur musculature aurait pu impressionner plus d’un -citadin. -

Uhr, le plus jeune, était en tête. Lorsqu’ils arrivèrent au sommet de la -petite colline, il leur fit signe de s’arrêter.
— Là, regardez !
Devant eux s’étalait un troupeau d’aurochs sauvages, qui broutaient -paisiblement.
— Pourquoi tu t’arrêtes ? demanda sa sœur en lui donnant un coup de -poing dans les côtes.
— Bah, on peut peut-être...
— On peut juste attaquer. Tu réfléchis trop, Uhr, ajouta son frère. On y -va !
Les deux jeunes gens tirèrent leurs épées, et commencèrent à dévaler la -colline en direction des aurochs. -

Uhr haussa les épaules. Il savait qu’il réfléchissait un peu trop et ne -tapait pas assez. Pourtant l’autre jour son hésitation à attaquer un fauve à -dents longues des plaines – pire, une mère protégeant ses petits – leur -avaient probablement sauvé la vie. Mais il n’avait pas besoin de se poser -autant de questions. Manger, boire, s’entraîner au combat, chasser, -combattre, son quotidien était pourtant simple, et laissait peu de place à la - - -réflexion. Alors pourquoi ? Quel destin facétieux, quel dieu blagueur avait -décidé de lui donner ce que sa famille considérait comme le pire des -défauts ? Il réalisa qu’il était encore en train de se poser une question -inutile, dégaina son épée, et courut à la suite de son frère et de sa -sœur. -

Irdann -

Cela faisait quelques heures qu’ils marchaient ensemble en silence. -Le prêtre qui l’accompagnait semblait de bonne humeur, mais il -n’osait pas le questionner. Il n’avait que onze ans, après tout, et -s’il était fils de duc, il savait qu’il ne fallait pas fâcher un prêtre -de la déesse. On disait que leurs pouvoirs étaient grands, et qu’ils -pouvaient – entre autres – foudroyer quelqu’un sur place en une -parole. -

L’homme en question, qui devait avoir une quarantaine d’années, portait -une robe gris clair, munie d’une capuche qu’il avait laissée dans son dos. Un -pendentif d’or ornait sa poitrine, et une épée pendait à sa ceinture de cuir. -Il marchait en s’aidant d’un long bâton de bois et portait sur le dos un large -sac en cuir, visiblement rempli. -

— Hm... prêtre Khil ?
Le prêtre considéra un instant le jeune garçon, vêtu d’une tunique rouge, -d’un pantalon brun, et d’une paire de bottes en cuir épais. Une longue -épée, presque aussi grande que lui, était attachée dans son dos. Il lui -sourit.
— Tu peux m’appeler simplement Khil. Vas-y, je t’écoute Irdann.
— Qu’est-ce que je vais devoir faire, pour devenir paladin ?
— Hé bien, tu auras une éducation mêlant celle d’un prêtre et celle d’un -soldat. Tu deviendras donc un chevalier, non pas au service d’un seigneur ou -d’une dame, mais au service de la déesse.
— Ça veut dire que je vais apprendre les enchantements secrets de -Melna ?
— Cela dépendra surtout de si la déesse t’en juge digne, n’oublie pas... -
Il resta silencieux quelques instants. Tout ne serait pas simple...
— C’est vous qui allez m’apprendre à me battre à l’épée ?
— Probablement. As-tu déjà appris un peu ?
— Oui, avec mes deux frères. Comme le veut la tradition, mon frère aîné -est l’héritier du duc mon père, et le second est un futur grand général. Et -moi...
— Tu dois venir au service du temple, je connais. Mais donc tu sais déjà un -peu utiliser une arme... Tiens attrape ça.
Il lui lança son bâton de marche, qu’il saisit au vol. Le prêtre dégaina -ensuite son épée.
— Vas-y, attaque-moi.
Irdann hésita un instant. Mais après tout, c’était lui qui lui avait demandé, -n’est-ce pas ? -

Il fléchit légèrement les genoux, et affermissant sa prise à deux mains -sur le bâton, porta un premier coup, que Khil para habilement. Puis il saisit -son arme de fortune d’un bras, et porta plusieurs coups latéraux que son -adversaire dévia du plat de sa lame. Il parut surpris.
— Mais... tu es gaucher ?
Irdann rougit et changea rapidement son arme de main, enchaînant -plusieurs attaques aussi rapidement qu’il put. Après avoir paré avec une -facilité déconcertante, le prêtre fit un pas en arrière et lui fit signe de -s’arrêter.
— Tu t’en sors plutôt bien.
Il baissa les yeux, lui rendant son bâton.
— Merci.
— Tu sais donc tenir une épée des deux mains...
Il rougit à nouveau, gêné.
— ... C’est très intéressant !
— Ah ? Mes frères me disent que se battre de la main gauche, ce n’était -pas digne d’un chevalier, alors...
Il éclata de rire.
— Ne les écoute pas. La déesse se moque de savoir de quel bras tu te bats, -tant que c’est pour la bonne cause. Et qui sait, changer d’arme rapidement -pourrait être un atout en combat, non ?
Il leva les yeux, et osa sourire timidement.
— Vous avez déjà combattu des vrais adversaires ?
Il lui fit un clin d’œil.
— Oui. Depuis que je suis prêtre, j’ai beaucoup voyagé, et j’ai vécu de -nombreuses aventures... -

Irdann regarda à nouveau le prêtre. La robe qu’il portait dissimulait -assez efficacement une certaine carrure, et son rythme de marche -montrait son endurance. Le bâton de marche était-il là pour faire -semblant d’être inoffensif ? Il devait être redoutable sur un champ -de bataille, ou ailleurs... L’avoir comme maître d’armes serait un -honneur.
— Mais tu sais, je ne suis pas le meilleur épéiste qui soit, reprit Khil, -comme s’il devinait ses pensées. D’ailleurs, il me semble que la tradition -veut que les futurs paladins fassent une partie de leur apprentissage en -dehors du temple.
— Ah ? Comment ?
— Je ne sais pas. Tu es le premier depuis longtemps, mon garçon ! Nous -verrons bien.
Il lui sourit, et ils se remirent en route. Le chemin était long jusqu’à la -capitale. -

Sélène -

Debout devant elle, ils tremblaient de tous leurs membres. Surprise ? -Colère ? Peur ? Incrédulité ? Panique ? Probablement un peu de tout -cela. Le grenier dans lequel elle les avait amenés était dans un sale état, -mais c’était le seul endroit où elle pouvait pratiquer la magie sans être vue -ou entendue... -

Suivant pas à pas les conseils du livre, elle avait découvert qu’elle avait -un certain don pour cela. Avec de la persévérance, elle avait réussi à -lancer son premier sort, paraît-il le plus simple, une boule de feu, et -elle avait manqué de brûler la bibliothèque. Le livre disait aussi -qu’il était très difficile de contrôler sa propre énergie magique... De -nombreuses traces noires couvraient désormais les murs et le sol -du grenier, et un certain nombre de vieux meubles en bois avaient -brûlé. -

À ses pieds, deux ou trois vieilles planches finissaient de se consumer en - - -crépitant. Ses parents n’avaient pas bougé, toujours sous le choc après sa -démonstration spectaculaire.
— Ce n’est pas possible...
— Notre propre fille, une sorcière...
Elle se tenait entre eux et la porte du grenier. Elle ne cherchait pas -particulièrement à les empêcher de sortir, mais elle voulait qu’ils l’écoutent -avant.
— Arrêtez avec vos histoires. Les sorciers ne sont pas maléfiques, en tous -cas pas tous. Vous ne croyez quand même pas à toutes ces histoires de -démons ?
— Ils avouent tout de même...
Elle secoua la tête d’un air rageur.
— Avec les tortures qu’on leur inflige ? N’importe qui avouerait n’importe -quoi. Ne soyez pas idiots.
Elle disait ces mots en essayant de s’en persuader elle-même. Il y avait -quand même des légendes et récits parlants de sorciers maudits... Mais -peut-être n’était-ce pas le cas de tous ?
— Regardez-moi. Suis-je devenue un monstre en apprenant un peu de -magie ? -

Ils l’observèrent un moment. Elle n’avait pas vraiment changé ces -dernières années, à part un peu grandi, mais ce n’était vraisemblablement -pas une histoire de magie. Pourtant... ils avaient la sensation que leur -fille leur échappait, qu’elle n’était pas la jeune fille qu’ils auraient -voulu qu’elle soit, qu’elle ne pensait pas comme ils auraient voulu -qu’elle pense. Peut-être était-ce juste cela, être une sorcière ? Ne -pas être celle que les autres attendaient ? Était-ce maléfique pour -autant ? -

Elle soupira, et interrompant leurs pensées, fit apparaître lentement une -seconde boule de feu dans sa main gauche. Ses parents firent un pas en -arrière, effrayés.
— Écoutez, si vous comptez me dénoncer, je lance cette boule de feu par la -fenêtre. Toute la ville la verra et vous serez aussi embêtés que moi vis-à-vis -de votre peuple.
La boule de feu grandissait, se nourrissant de sa colère et de sa frustration. -Elle sentait sa chaleur de plus en plus intense, alors que la panique - - -grandissait dans les yeux de ses parents. Elle tourna la tête vers la flamme. -Reprendre le contrôle, ne pas la laisser grandir trop, respirer...
— Mais si vous me laissez tranquille avec ma magie, alors personne à part -vous ne le saura.
La taille de la flamme diminua lentement, à mesure qu’elle se calmait.
— Si vous me laissez étudier la magie comme je le souhaite, je ferai tout -pour garder sauf l’honneur de la famille. Je ferai tout ce que vous voudrez. -J’épouserai qui vous voudrez. S’il vous plaît...
Un silence passa, durant lequel ils semblèrent considérer cette idée.
— Aaaïe !
La boule de feu, même après avoir considérablement décru en taille et en -énergie, avait fini par se poser sur sa main. Elle secoua son bras en se -mordant les lèvres. Son père fit un pas en avant, et lui parla d’une voix – -presque – apaisée.
— Montre ton bras ?
Sa main et son poignets étaient rouges, et des cloques commençaient à se -former.
— Je peux... m’en occuper.
Elle se concentra, malgré la douleur vive. Il y avait cet autre sort qu’elle -avait appris. Un sort pour soigner... Il était, d’après le livre, plus complexe -que celui du feu, et elle avait beaucoup moins d’occasions de le pratiquer. -Mais les quelques fois où elle avait essayé, le résultat n’avait pas été si -mauvais. Elle prit une grande inspiration et ouvrit les yeux. La douleur avait -considérablement diminué, et les cloques avaient disparu, même si -la peau restait un peu rouge et sensible. Elle lâcha un soupir de -soulagement.
— Vous voyez, la magie peut être bénéfique, aussi.
Son père observa tour à tour sa main, son visage, et celui de son épouse, qui -semblait réfléchir, un peu en retrait. Celle-ci finit par s’approcher -également.
— J’ai peut-être une idée... -

Farl -

Farl prit une grande inspiration et commença son ascension. Le -bâtiment était ancien, et très haut, et les interstices entre les pierres - - -formaient d’excellentes prises pour ses mains et ses pieds. Patiemment, -silencieusement, il gravit les étages. Vêtu de sombre de la tête aux pieds, il -était quasiment invisible dans la nuit. Ce n’était pas la première fois qu’il -s’adonnait à ce genre de sport, ni la dernière d’ailleurs. À condition de ne -pas tomber. Écartant cette pensée, il se remémora ces dernières années, si -bien remplies... -

Il était né dans une famille très pauvre de la capitale, et avait été laissé -plus ou moins à l’abandon, sa pauvre mère n’ayant pas les moyens de -le nourrir. Il vivotait de chapardages et de mendicité. Il était très -doué, et avec sa petite taille et sa rapidité, il arrivait toujours à -échapper aux ennuis. Mais un jour, il avait fini par se faire prendre. -À sa grande surprise, l’homme qui l’avait saisi la main dans le sac -ne l’avait pas dénoncé. À la place, cet étrange personnage, grand, -mince et aux cheveux blancs s’était présenté comme un assassin -professionnel, et lui avait proposé de devenir son apprenti. Il avait alors sept -ans. -

Depuis – il esquissa un sourire à l’évocation de ce souvenir –, sa vie avait -radicalement changé. Déjà parce qu’il était logé, nourri et habillé -par son maître, mais surtout parce qu’il passait ses journées – et -surtout ses nuits – à apprendre les ficelles du métier. Déplacement -furtif, combat avec une ou deux dagues, utilisation des divers dards et -stylets de contact ou de lancer, poisons et antidotes, et comme ce soir, -escalade. La ville était devenue un grand terrain d’entraînement et de -jeu. -

Arrivé au troisième étage du bâtiment, il regarda discrètement si -quelqu’un se trouvait à la fenêtre, et constatant que non, il s’assit sur le -rebord pour souffler quelques instants. Il aperçut, en bas, quelques passants -– fêtards, malfaiteurs, gardes ? – marcher dans la rue sans le voir. Il n’était -qu’une ombre parmi les ombres de la nuit. -

Il prit une grande inspiration et se releva. Ses doigts trouvèrent -naturellement une nouvelle prise sur le mur, et il reprit son ascension. -L’escalade de ce bâtiment n’était pas particulièrement difficile, avec toutes -ces pierres moyennement ajustées, mais restait longue et répétitive. Il -commençait à sentir la fatigue dans ses avant-bras. Il parvint au cinquième - - -étage, à partir duquel les briques étaient plus serrées. Il ne lui en restait -qu’un à grimper, et sur le toit, la gouttière ferait un point d’attache parfait. -Il sortit de son petit sac à dos en cuir une corde et un grappin, qu’il -lança avec habileté jusqu’au rebord du toit. Après avoir vérifié la -solidité de son attache, il grimpa lestement jusqu’au sommet du -bâtiment. -

Assis sur le faîte du toit, son maître l’attendait en souriant. -Était-il monté par l’escalier ? Avait-il escaladé ? Plus rien ne le -suprenait venant de lui de toutes façons. Il regarda une montre à -gousset.
— Bravo, tu as mis moins de temps que prévu.
Un peu essoufflé, Farl sourit en rangeant son grappin et sa corde.
— Je t’ai entendu faire un peu de bruit, en revanche, mais ça reste tout à -fait honorable.
Il soupira. « Tout à fait honorable », c’était un sacré compliment venant de -lui. Même si... ce n’était pas parfait. Jamais parfait avec lui. Son maître se -leva et s’étira calmement.
— Il ne te manque pas grand chose pour valider ta formation. Une première -mission.
Farl le regarda, les yeux brillants. -

Zach -

— Bon, allez, on fait une pause ?
À ces mots bénis, Zach se releva avec un soupir de soulagement, ruisselant -de sueur. Il avait arrêté de compter les bûches qu’il lui restait à fendre et -celles qu’il avait déjà débitées. Il se tourna vers ses deux frères, qui, comme -lui, posèrent leur hache, et se dirigèrent vers l’ombre fraîche et accueillante -d’un arbre. L’aîné des garçons sortit alors un petit pichet de vin, qu’il -partagea.
— On a bien avancé, encore quelques heures et on aura terminé je -pense.
— À part Zach, qui n’avance pas.
— Héé, je te permets pas !
— Je rigole, te fâche pas. T’as pas nos bras, c’est tout.
— En fait, t’es juste jaloux de Zach.
— Quoi ?
Son frère aîné sourit.
— Parce que c’est avec lui que la fille du cordonnier a bien voulu danser -l’autre soir.
— C’est avec son petit air d’elfe, ça plaît aux filles. Mais ça n’aide pas à -couper du bois. -

Zach sourit et haussa les épaules, puis reprit une gorgée rafraîchissante, -se remémorant la soirée de la veille. -

C’est vrai qu’il était un peu plus petit et nettement plus frêle que ses -deux frères, et leur ressemblait très peu. Tous deux étaient grands, roux, -aux épaules très larges, travaillées par toutes ces années à couper des -arbres, comme leur père. Et pour cause ! On l’avait trouvé, bébé, sur le pas -d’une porte du village. Un couple de bûcherons du village l’avaient alors -adopté et élevé comme leur propre fils, mais ils ignoraient tout de ses -véritables origines. Il se demandait parfois ce qu’aurait été sa vie s’il n’avait -pas été déposé là, mais ne regrettait pas le moins du monde celle qu’il -vivait. -

Alors qu’ils s’apprêtaient à se remettre au travail, ils aperçurent un -carosse, richement décoré, escorté par trois soldats à cheval. Les soldats -portaient l’enseigne de leur seigneur, sire Assem, et se dirigaient vers la -forêt. Apercevant les trois adolescents, tous trois vêtus d’une simple -tunique, d’un pantalon et de vieilles bottes, ils se dirigèrent vers eux. Ils -étaient impressionnants, avec leurs cottes de mailles, leur casque et leurs -épées et boucliers au côté.
— Bonsoir jeunes gens. Nous cherchons un endroit où passer la nuit, pour -nous et la damoiselle que nous escortons.
Ils firent un geste de la tête vers le carosse, dont les épais rideaux de velours -masquaient l’intérieur.
— Vous pouvez vous rendre à l’auberge du Renard Vif, au milieu du village, -où vous trouverez de quoi souper et dormir.
— Merci. L’un d’entre vous peut-il nous y conduire ? -

Zach se porta volontaire, et guida le convoi jusque dans le bourg. En -chemin, l’un des soldats l’interrogea :
— Dis-moi, mon garçon, nous cherchons quelqu’un pour nous guider à - - -travers la forêt, demain. Sais-tu si quelqu’un peut le faire ? -

Il réfléchit quelques instants.
— Il n’y a pas de guide disponible. Mais beaucoup de jeunes du village, dont -mes frères et moi, connaissent très bien cette forêt.
— Vous êtes les enfants du bûcheron, c’est ça ?
— Oui.
— Quel âge as-tu ?
— Seize ans.
— Tu me sembles assez grand pour cette tâche. Qu’en dis-tu ? -

Zach se sentit flatté de cette confiance, et hésita presque à accepter. -Était-il à la hauteur ? Puis à la réflexion, il ne voyait pas qui d’autre. Il -était, de ses frères, celui qui connaissait réellement le mieux la forêt, -puisqu’il y passait une bonne partie de son temps libre.
— D’accord. -

Aldariel -

— Oui, Aldariel, tu voulais me voir ?
La jeune elfe fit quelques pas dans la salle du trône. Elle était petite et -frêle, vêtue d’une robe mi-longue blanche, pieds nus, un diadème -argenté retenant ses longs cheveux noirs emmêlés. Cet endroit était si -impressionnant. Et son père avait l’air si imposant quand il était assis sur -son trône ! Et elle se sentait toujours si petite face à lui dans ces -conditions... Sentant sa gène, et constatant qu’il était seul avec elle, -il éclata de rire et vint prendre la petite fille de dix ans dans ses -bras.
— Papa, je voudrais apprendre à me battre.
Il fronça les sourcils.
— Pourquoi ? Il y a bien plus intéressant à faire, pourtant ! Quelque chose -te manque-t-il ?
Elle soupira.
— Je m’ennuie. J’ai déjà appris à m’occuper des poneys du clan, à soigner -les animaux et les autres elfes, je connais les secrets du tissage et du pain -elfique, et j’ai aussi appris à jouer de la harpe.
— Tu y parviens à merveille d’ailleurs, surtout le soin. Tu surpasserais - - -presque ton maître !
— Oui, et... c’est pour ça que j’ai envie de faire autre chose.
Il réfléchit. Ses grands frères et sœurs avaient fini par s’intéresser à la -politique du clan, ce qui en compliquait nettement la gestion, tout en créant -certaines tensions entre eux. Finalement, il valait peut-être mieux qu’elle -s’entraîne au combat. De toutes façons, elle ne verrait probablement aucun -champ de bataille de sa vie – ou alors que de loin –, du moins il l’espérait, -alors que risquait-il ?
— Papa, n’es-tu pas toi-même un excellent archer ?
Il soupira.
— C’est vrai. Du moins, c’était vrai jusqu’à il n’y a pas si longtemps... -J’allais même disputer des tournois chez les humains.
Chez les humains... On disait tant de choses des humains ! Elle ne savait -même pas que son père y était déjà allé. Apercevant son air rêveur, son -père interrompit ses pensées. Il valait mieux la concentrer sur le tir à l’arc -plutôt que sur les humains, c’était nettement moins dangereux. — Soit. Je -t’enverrai dès demain un professeur de tir à l’arc : une des meilleures -archères de mon escouade d’élite.
Le visage d’Aldariel s’illumina. -

Samantha -

La grande salle du temple était immense, et tous les habitants du temple -– prêtres et prêtresses, novices, et même les serviteurs – y étaient présents. -Il y avait même un grand nombre de fidèles venus de la ville. Elle ne l’avait -jamais vue aussi pleine. Ils étaient tous là pour elle... C’était excitant, et -presque un peu effrayant. -

Le prêtre devant elle se mit à réciter les paroles rituelles d’intronisation. -Dix-sept ans, et elle était intronisée Grande Prêtresse... Déjà ! Mais cette -ascension n’avait pas été sans embûches. Lorsqu’elle avait huit ans, ses -parents – de modestes marchands – avaient été tués lors d’un raid barbare. -Trop petite pour être remarquée, elle avait été épargnée. Les quelques -survivants de son village, déjà trop démunis pour s’occuper d’une bouche -de plus à nourrir, l’avaient confiée à un prêtre itinérant de Melna, -qui avait emmené la pauvre orpheline au temple de la ville la plus -proche. - - -

Une fois la douleur et les difficultés d’adaptation passées, Samantha -avait révélé une forte connexion avec la déesse, et avait souhaité -devenir prêtresse, puis grande prêtresse. Elle avait, petit à petit, -appris les enchantements sacrés les plus difficiles, maîtrisé les secrets -divins les plus cachés, et surtout écarté avec subtilité toutes les -concurrentes. -

Et elle avait réussi. Elle se tenait droite, dans la lumière qui tombait de -la large ouverture du toit, au centre de la salle. Elle portait, pour la -première fois, la tenue des grandes prêtresses. Sa robe était longue, d’un -rouge vif, sans manches, aux larges bordures dorées, et mettait très bien -–peut-être un peu trop ?– en valeur sa féminité. Elle portait un large -collier d’or couvrant jusque ses épaules, ainsi que plusieurs bracelets, -aux poignets, bras et chevilles. Elle était fière de tout ce chemin -accompli. -

Le prêtre avait terminé son incantation, et s’écarta en se tournant vers -elle. Les quelques murmures qu’elle avait entendus de la foule se turent. -C’était son tour. Elle prit une grande inspiration, et fixa le sol, sous ses -pieds nus. Sous l’ouverture du toit, là où elle se trouvait, le marbre du -temple s’arrêtait pour laisser place à un large cercle de terre meuble. Elle -rejeta ses longs cheveux en arrière, ferma les yeux et entonna une douce -mélopée. -

Sous les yeux émerveillés du public, une pousse sortit de la terre, -puis se mit à grandir, lentement. Samantha leva lentement les bras, -et fit quelques mouvements, les yeux toujours clos, comme si elle -guidait les jeunes branches vers la lumière. Lorsque l’arbre l’eut -dépassée de plusieurs têtes, elle s’arrêta et ouvrit enfin les yeux pour le -regarder. -

Un tonnerre d’applaudissement retentit. Cet enchantement, un des plus -difficiles à maîtriser, devait être réalisé sous les yeux des témoins pour être -intronisée officiellement en tant que grande prêtresse... Et elle avait réussi, -avec brio. Elle poussa un soupir de soulagement. Le prêtre s’avança, tenant -entre les mains un cercle d’or qu’il déposa sur sa tête. Les applaudissements -redoublèrent. -

Elle était désormais Samantha, grande prêtresse de Melna. - - -

Zach -

— Là-bas, je vois l’orée !
Les soldats laissèrent échapper une exclamation de joie. Après quatre jours -dans la forêt, ils n’étaient pas mécontents de retrouver la civilisation. De -son côté, Zach, installé à côté du cocher, rêvassait. Il se demandait bien qui -était l’occupante du carosse, qu’il n’avait pas le droit de voir, en théorie. En -pratique, la damoiselle ayant tout de même besoin de sortir de temps en -temps, il avait pu entr’apercevoir, à plusieurs reprises, une silhouette de -petite taille, couverte de la tête aux pieds d’un long manteau bleu marine -richement orné. -

— Hé, gamin !
Sortant de sa rêverie, il tourna la tête vers le soldat, qui lui adressa un -grand sourire.
— Tu as fait du bon boulot en nous guidant jusque là. Tu auras bien gagné -ta paie !
Il rougit légèrement.
— Merci.
— Ton chemin parallèle pour éviter le sentier embourbé était le bienvenu... -Nous aurions perdu beaucoup de temps à nous traverser cette partie avec le -carosse !
Il haussa les épaules en souriant.
— Nous allons parfois livrer du bois par là, et ce n’est pas la première fois -que ce chemin est inondé...
Le cocher, à côté de lui, lui donna un coup de coude.
— Tu sais que dans la région, il y a des gens qui en font leur boulot ?
— Dans mon village, il y a le vieux Tom. Enfin, il y avait, parce que cela -fait longtemps qu’il est un peu trop âgé pour ça.
Il lui fit un clin d’œil.
— Tu devrais aller le voir, et y réfléchir. Tu y serais meilleur que bûcheron, -à mon avis.
Il allait répondre, lorsqu’un des soldats lui adressa la parole.
— On approche de midi. Il y a une taverne, dans le village où on -arrive ?
— Oui. Sur la grand’rue, vous ne pouvez pas la rater.
— Allez, gamin, viens boire un verre avant de repartir. Je te l’offre. Tu l’as - - -bien mérité ! -

-[
-
-

-

Uhr -

Prisonnier ! Il était légèrement blessé, mais surtout enchaîné, et -humilié. Sa tribu venait de subir une attaque surprise d’un clan ennemi, et -ils n’avaient rien pu faire. Ceux qui n’étaient pas morts au combat avait été -fait prisonniers, pour être revendus comme esclaves. Lui et ses comparses -enrageaient. C’était peut-être encore pire que de mourir libre, l’épée à la -main... -

Après une journée de marche intensive, sa colère brute s’était estompée, -contrairement à ses compagnons d’infortune, et il s’était mis à réfléchir. Il -allait se venger et venger sa famille, c’était sûr. Mais pour cela, il lui fallait -d’abord se libérer. Alors qu’ils étaient tous enfermés dans un enclos de -fortune, comme des animaux, Uhr observa ses chaînes. De simples -anneaux de métal peu travaillés, mais très épais. Avant de s’endormir, -épuisé, il les examina longuement. L’un des anneaux, le huitième qui -partait de ses poignets attachés et le reliait aux autres, semblait -un peu moins solide. Plus précisément, il n’était pas parfaitement -fermé, et permettait de laisser passer un ongle. Mais l’anneau restait -extrêmement dur. Comment pouvait-il espérer se libérer avec si -peu ? -

Les jours qui suivirent furent tout aussi difficiles. Uhr subissait les coups -sans broncher et ne cherchait pas à se rebeller contre ses ennemis, ce qui lui -permettait d’éviter de recevoir trop de coups de fouets. Peut-être -pensaient-ils briser sa volonté rapidement – il était plus jeune et moins -costaud que beaucoup de ses compagnons –, et dans ce cas tant pis pour -eux. -

Le cinquième jour, l’expédition rejoignit un camp nettement plus - - -important. Il avait du mal à compter, mais il semblait y avoir plus -d’ennemis qu’il n’avait de doigts et de doigts de pieds. Peut-être autant qu’il -y avait de doigts et de doigts de pieds sur tous les membres de son clan. Il -entr’aperçut même celui que ses ennemis appelaient le « roi Kourhk », le -chef de ce grand clan barbare. -

Leur petit groupe rejoignit d’autres prisonniers, enchaînés eux aussi, -dans un grand enclos. Ils étaient encore mieux gardés que pendant le trajet, -et il se découragea un peu. Comment avait-il une chance de s’enfuir à -présent ? Soudain il sentit une vive douleur dans son pied gauche, et se -retint de hurler. D’abord parce qu’un barbare, ça ne crie pas de douleur, et -ensuite parce que ce n’était pas la peine d’attirer des coups de fouet ou de -bâton en plus. -

Une fois seul, il observa l’objet qui était rentré dans son pied nu. Il -s’agissait d’un clou, enfin, d’un morceau de métal pointu vaguement muni -d’une tête, qui avait vraisemblablement servi à assembler les rondins de bois -en barricade autour des prisonniers. Le métal était très dur... Il avait -peut-être une chance de s’en tirer, en fait. -

Farl -

Cela faisait deux jours qu’il marchait seul. Il était vêtu de gris sombre et -de noir, comme de coutume, avec une légère armure de cuir noir sous sa -tunique pour le protéger en cas de combat, et avait vérifié plusieurs fois son -équipement. Dagues, stylets, dards empoisonnés à diverses substances, tout -était bon. Les lames étaient toutes peintes en noir, ne laissant que la pointe -et le tranchant brillants, afin d’éviter tout reflet inutile. Il avait laissé un -peu en retrait, dans une cachette, son sac à dos, contenant de quoi survivre, -ainsi qu’un assortiment de poisons et antidotes. Il vérifia encore une fois le -fonctionnement de chaque accessoire, ainsi que des fourreaux de poignet, -qui lui permettaient de dégainer aussi vite que sa pensée. Il était -prêt. -

Devant lui, s’étendait le campement du roi Kourhk. Combien -étaient-ils ? Plusieurs centaines probablement. Certes, comme lui avait -expliqué son maître, ce n’était pas si inquiétant aux yeux du pays, mais si -le problème pouvait être réglé plus simplement qu’en envoyant une - - -armée... -

Il passa les quelques heures avant la nuit complète à observer les allées -et venues des barbares. Il observa notamment dans un coin, un enclos ou -semblaient se débattre des prisonniers, visiblement d’une ou deux tribus -rivales. Il nota cette information, cela pourrait faire une diversion efficace au -besoin. -

Il parvint à deviner que les quatre tentes au centre du campement, -visiblement bien gardées, devaient abriter des chefs ou sous-chefs de clan. -Mais il n’était pas tout à fait sûr de l’endroit où se trouvait leur roi. Il lui -faudrait encore observer la situation, ou les tuer tous, ce qui compliquerait -nettement la tâche. -

Alors que le jour diminuait encore, il distingua, parmi les prisonniers, un -jeune homme plus calme, plus posé. Au lieu de se débattre ou de s’effondrer -d’épuisement, il semblait très affairé à observer ses chaînes. Que faisait-il -donc ? Il s’approcha doucement, tout en restant à couvert. Il vit alors que le -jeune barbare s’efforçait d’ouvrir l’un des maillons de sa chaîne, en s’aidant -d’un vieux clou comme levier. Il progressait très lentement, mais il -persévérait, et se hâtait de cacher son ouvrage dès qu’un garde s’approchait -de lui. -

Uhr -

Libre, il était libre. Enfin, presque. Il lui fallait encore s’échapper de -l’enclos, esquiver les gardes ou s’en débarrasser, et gagner le petit -bois à côté. Là, il avait de bonnes chances de pouvoir conserver -sa liberté, et peut-être, revenir se venger... Mais pas tout de suite. -Quand il en aurait les moyens. De plus, s’il n’était plus attaché au sol, -ses mains étaient toujours liées, et ses mouvements étaient donc -limités. -

Cachant le maillon ouvert, il attendit que la garde soit relevée et que le -calme soit revenu. Puis, tenant le reste de la chaîne dans ses mains pour -éviter de faire du bruit, et profitant d’un instant où la lune se cachait -derrière un nuage complice, il escalada doucement la palissade. Le garde -regardait dans une autre direction. Encore une dizaine de mètres et tout -serait bon... Il marchait avec toutes les précautions possibles. Pourtant, ce - - -ne fut pas suffisant. Était-ce son pas ? Ses chaînes ? Son souffle ? Un -hasard ? Toujours est-il que le garde se retourna à ce moment là, et -après un quart de seconde de surprise, ouvrit la bouche pour crier -l’alerte. -

C’est alors qu’une fine silhouette, aussi noire que la nuit, bondit -sur le garde, lui trancha la gorge tout en l’empêchant de crier, et -l’accompagna au sol, le posant doucement en position assise contre la -balustrade. Tout s’était passé en très peu de temps, et pas le moindre -bruit n’avait filtré. Uhr était impressionné, et effrayé aussi. Ami ou -ennemi ? -

La silhouette lui fit signe de ne pas faire de bruit, et lui désigna le petit -bois. S’il restait sur place, il serait repéré à un moment où à un autre. Il -n’avait donc pas grand chose à perdre à suivre le mystérieux inconnu. Il se -hâta vers le petit bois, où l’étranger le rejoignit rapidement, sans faire le -moindre bruit.
— Qui es-tu ? lui demanda-t-il.
— Je suis Uhr, un guerrier du clan Bhasthon. Nous avons tous été tués ou -fait prisonniers. J’ai réussi à me libérer. Et toi, qui es-tu ?
Il montra à la silhouette, toujours aussi sombre, ses chaînes.
— Mon nom est Farl. Je suis envoyé pour assassiner le roi Kourhk. Je -suppose que tu aimerais te venger, non ? Peut-être pouvons-nous nous -entraider ?
Uhr se demanda un instant comment un homme aussi petit et frêle pouvait -se charger de cette tâche. Puis la vision de l’assassinat du garde lui revint en -mémoire, et il hocha la tête. De toutes façons, ce gars était dangereux, -mieux valait être de son côté. Et puis n’importe quel côté valait mieux que -celui de son ennemi.
— J’ai pu observer. Dans les quatre tentes qui sont là-bas, le roi dort dans -celle qui est la plus opposée à nous. Il y a deux gardes devant, mais c’est -tout. Il porte une couronne. Un bandeau de cuir autour du front, avec des -pierres précieuses rouges dessus.
Il reprit son souffle. Il n’avait pas l’habitude d’expliquer aussi longuement, -d’habitude ses camarades s’arrêtaient aux quatre premiers mots. Mais -l’étranger l’écoutait attentivement, tout en sortant un sac en cuir d’un arbre -creux, et en fouillant dedans.
— Dans la tente qui est du côté de la lune, il y a d’autres chefs barbares, en -dessous de lui. Celle qui est la plus proche de nous contient son trésor de -guerre, enfin je crois. La dernière, je crois qu’il y a des prisonniers -importants.
Le jeune homme le regarda, en sortant un outil de son sac.
— Comment as-tu vu tout ça ?
— Cela fait plusieurs jours que je les observe. Je voulais me venger, mais -seul, comment faire... -

Le jeune homme le regarda longuement, sans dire un mot.
— Donne-moi tes poignets.
Il obéit, et l’étranger utilisa son outil pour ouvrir silencieusement et -rapidement les chaînes qui le retenaient.
— Maintenant, nous avons moyen de mettre cette vengeance en pratique. -

Il lui sourit, et Uhr lui rendit son sourire. Ami. -

Farl -

Décidément, ce jeune barbare était hors du commun. Il n’avait pas l’air -si différent des autres, et pourtant il avait réfléchi et observé, espérant la -vengeance qu’il savait illusoire. Et sa patience pour ouvrir ses chaînes... -Sans compter qu’avec les informations qu’il avait, il allait enfin pouvoir -mettre en place l’assassinat. Et peut-être même plus. Il réfléchit quelques -instants, alors que le barbare jouait avec ses chaînes défaites, savourant sa -liberté.
— Bon, voilà ce que nous allons faire.
Il dessina sur le sol, de la pointe de sa dague, un vague plan du campement. -Le barbare fronça les sourcils, jeta un œil vers le camp, puis vers le plan, et -sembla comprendre.
— Je vais m’occuper de neutraliser les deux gardes du roi. Tu vas pouvoir -entrer dans la tente du roi, je te laisse le plaisir de l’assassiner, je crois que -tu en es parfaitement capable. Au besoin je viendrai t’aider. Pendant ce -temps, je vais aller libérer les prisonniers importants dans la tente d’à -côté.
— Mais on va être découverts, ils vont donner l’alerte, non ?
— Oui, évidemment. Mais la panique qui va se créer va nous aider à nous - - -enfuir.
— Si on a le temps, tu crois qu’on peut libérer les autres ?
— Éventuellement, on verra. Ça te va ? -

Le barbare réfléchit encore un instant.
— Je n’ai pas d’épée. Les chaînes, c’est bien pour donner des coups de -poing, mais pour tuer rapidement, ça ne marche pas.
— Tu as raison. L’homme que je viens de tuer, il avait une épée, je crois. -Cela te conviendrait ?
— Oui. D’ailleurs, il faudra se dépêcher avant qu’ils ne voient qu’il est mort. -Les gardes changent de temps en temps.
Il hocha la tête, et ils se levèrent. Le barbare lui tendit sa main. Il la serra, -et ils se sourirent. -

Uhr -

Il suivit en silence son nouveau compagnon. Malgré sa silhouette si frêle, -il n’eut aucun mal à maîtriser les quelques gardes qui le séparaient de son -objectif, la tente du roi. Et tout cela sans bruit... Il lui fit un signe de tête et -entra. -

Une faible lueur venant d’une lampe blafarde éclairait l’intérieur de la -tente. Divers objets, plus ou moins précieux semblaient traîner dans un -coin. Sur un lit fait de paille recouverte de tissus précieux – un luxe pour -des standards barbares –, dormaient deux silhouettes. Celui qu’il reconnut -immédiatement comme le roi, avec sa carrure et sa couronne, et une -jeune fille aux cheveux blonds emmêlés, entièrement nue. Il hésita -quelques instants. Devait-il la tuer aussi ? Elle portait des traces de -coups sur les bras et le dos. Vraisemblablement, on ne lui avait pas -laissé le choix de partager la couche du roi. Une prisonnière, comme -lui... -

Sans attendre, il trancha la gorge du roi endormi, tout en plaquant -brutalement sa main sur la bouche de la jeune fille. Celle-ci se réveilla en -sursaut, et se mit à paniquer. Il s’approcha pour lui murmurer à -l’oreille.
— Toi, pas un mot, pas un bruit. Sinon...
Elle vit la lame ensanglantée s’approcher de sa gorge, puis aperçut du coin - - -de l’œil le roi assassiné. Peur ou plaisir de vengeance ? Les deux ? Toujours -est-il qu’elle se calma rapidement. Il la lâcha, tout en la surveillant. -Elle le fixait avec méfiance et crainte, se demandant à qui elle avait -affaire... Mais après tout, c’était une barbare, tout comme lui, et elle -avait dû en voir d’autres. Elle se leva sans un bruit, et pointa du -doigt un tas d’objets divers. On y trouvait notamment les affaires du -roi. -

Il hocha la tête, et se saisit d’une belle épée, ornée de quelques pierres. -Si d’habitude il trouvait ces fioritures inutiles, il devait admettre que l’arme -était d’excellente facture et les coups sur la lame montraient qu’elle avait -servi plus d’une fois. Il la glissa dans sa ceinture. Il y avait aussi des bijoux, -avec des motifs divers et des formes variées. Des trophées de guerre, -probablement. Chez les barbares, quand un bijou n’était pas une preuve -d’un ennemi vaincu, c’était au pire une monnaie d’échange, leur aspect -décoratif étant très secondaire. -

— Aleeeerte !
Il sursauta, et la jeune fille aussi, cherchant à lui dire des yeux que non, elle -n’y était pour rien. Il ne réfléchit pas plus longtemps, saisit la couronne du -roi et se rua au dehors, son épée à la main. -

Farl -

Quatre chefs barbares étaient enfermés dans la tente. Malgré leurs -chaînes, ils étaient impressionnants. Ils étaient grands, particulièrement -musclés et portaient de longues cicatrices. Ces trois hommes et cette femme -avaient dans le regard une telle fierté et une telle colère d’être ainsi réduits -à l’état d’esclaves qu’il s’était demandé un instant s’il n’était pas encore -plus dangereux de les délivrer. -

Mais il s’était mis rapidement à l’œuvre, et les barbares, bien que très -surpris de voir un moustique en capacité de leur venir en aide, ne s’étaient -pas plaints. Il était en train de faire sauter la dernière serrure lorsqu’il -entendit un cri à l’extérieur. -

— Aleeeerte !
Les quatre chefs bondirent sur leurs pieds, et ramassant des armes, sortirent -rapidement en lui adressant un signe de reconnaissance. - - -

Dehors, il n’eut aucun mal à se fondre à nouveau dans la nuit, surtout -avec l’agitation qui démarrait. Les quatre combattants se retrouvèrent nez à -nez avec d’autres guerriers, et se défendirent farouchement. Dans la cohue, il -aperçut la silhouette d’Uhr, l’épée ensanglantée. Il eut un soupir de -soulagement. Ça, c’était fait. Il se glissa dans sa direction, et lui fit signe de -le suivre. Il fallait faire vite avant que tout le campement ne soit en -ébullition. -

Ils croisèrent soudain cinq barbares, l’épée à la main, visiblement alertés -par les cris. Il n’eut aucun mal à disparaître dans l’ombre d’une tente, mais -pas Uhr, à qui ils adressèrent un regard inquisiteur. Il hésita quelques -instants à le laisser et à filer vers les prisonniers, mais c’était le laisser courir -à sa perte, et eut des remords. Même s’il était armé, il était tout de même -plus petit que ses adversaires, et seul face à cinq... Il s’accroupit et s’apprêta -à bondir à sa défense. -

À sa grande surprise, au lieu de brandir son épée, le jeune barbare -se contenta de désigner du bras le centre du campement, d’où ils -venaient.
— Là-bas ! Il y a des intrus !
Les gardes se ruèrent dans la direction indiquée, sans réfléchir plus -longuement à la présence d’Uhr, ni à son butin. -

Ils se mirent à courir, et rapidement, arrivèrent près de l’enclos des -prisonniers. Il y avait deux gardes en alerte devant la barrière qui servait de -porte.
— Farl, va les libérer pendant que j’occupe ceux-là.
Il hocha la tête, et contournant l’entrée, il escalada lestement la palissade et -sauta au milieu des barbares enchaînés.
Ceux-ci avaient été réveillés par l’agitation du camp, et prirent un air -méfiant en le voyant.
— Les gars, couvrez-le, il va vous délivrer.
C’était la voix d’Uhr, de derrière la barrière. Les barbares se calmèrent -immédiatement, et il se mit à l’ouvrage. Les sortes de cadenas grossiers -retenaient plusieurs personnes à la fois, et étaient peu difficiles à crocheter, -ainsi la tâche allait très vite. Les premiers hommes et femmes libérés -saisirent leur chaînes, les enroulèrent dans leurs poings et se ruèrent vers - - -l’entrée de l’enclos en hurlant de rage. Il ne voyait pas ce qui s’y passait, -mais à l’agitation qu’il devinait, il semblait que les deux gardes avaient été -rejoints par des renforts. -

Dans la cohue, cependant, un des assaillants parvint à pénétrer au cœur -de l’enclos et l’aperçut, en train de faire sauter la dernière serrure. Surpris -de le voir, mais comprenant rapidement qui était à l’origine de l’échappée -des esclaves, il se rua sur lui. Farl esquiva habilement les coups violents et -extrêmement rapides, bien qu’heureusement imprécis que le barbare -engagea contre lui, mais dut reculer contre la palissade. Il savait manier ses -dagues courtes à la perfection, mais contre un adversaire alerte et avec une -telle allonge, le combat était plus complexe. Il devait escalader cette -barrière et trouver un abri rapidement pour pouvoir sortir une arme de -jet... -

C’est alors qu’une main se referma sur son bras, et le souleva. En un clin -d’œil il se retrouva juché au sommet de l’échafaudage, avec Uhr qui lui -souriait.
— Merci.
— On file et on discute après ?
Il lui rendit son sourire.
— Ça marche. -

Uhr -

Ils se mirent à courir en direction de la forêt. L’agitation causée par -les prisonniers qui se rebellaient et la mort du roi avait détourné -suffisamment l’attention, et ils atteignirent sans encombre l’abri des -arbres. Farl le regardait avec une certaine admiration. Il lui avoua qu’il -n’aurait pas osé lui-même parler aux gardes pour les éloigner, et -que c’était très intelligent de sa part, entre autres. Il fit une légère -moue.
— Ce n’est pas une qualité très appréciée chez moi...
L’étranger lui sourit.
— Comme tu peux le constater, ça n’a pas été inutile !
— Bah, on y dit aussi qu’il faut être grand et large pour être un bon -combattant. Et toi, tu es petit, tout frêle, et tu en as tué beaucoup, très - - -efficacement ce soir.
— Merci. -

Ils restèrent un instant silencieux, le temps de reprendre leur -souffle.
— Qu’est-ce que tu vas faire maintenant ?
— Je ne sais pas. Je n’ai plus vraiment de clan. Je ne sais pas trop -où aller. J’ai gardé quelques objets de valeur, ça peut peut-être -servir...
— Tiens, tu n’as pas gardé la couronne et l’épée du roi ?
Il secoua la tête.
— Non, ça aurait été compliqué à revendre, enfin je pense. Alors je les ai -donnés à des prisonniers. En plus, ça représente quelque chose pour -eux.
Farl sourit à nouveau.
— Ça aussi c’est plutôt malin.
Il se tut quelques instants, puis reprit.
— Tu sais quoi ? Tu pourrais presque venir à la capitale. Si tu le -souhaites bien sûr. Il y a toujours du boulot pour des gens costauds et -débrouillards...
Il n’avait pas osé proposer cette option. Aller vivre dans la grande -ville, celle dont il avait entendu parler plus jeune... Elle était parfois -décrite comme un endroit fantastique, où la nourriture et le luxe -coulaient à flots, et où on pouvait revendre des trophées et acheter des -armes. Et parfois méprisée, car les gens qui y vivaient – humains ou -autres races humaines – étaient moins costauds et ne savaient pas se -battre comme il faut. Et il s’y passait des choses très compliquées -parfois... -

Il sourit et hocha la tête. -

Farl -

Il pénétra dans la taverne, et aperçut Uhr, assis à une table. Il lui fit -signe en souriant, et se hâta de le rejoindre. Il portait une tunique grise sans -manches et un pantalon de toile sombre tenu par une ceinture de cuir. Il -avait l’air d’un habitant tout à fait normal de la capitale, hors sa - - -musculature imposante. -

Depuis leur rencontre improbable dans les plaines barbares, il avait -énormément changé. Il avait profité de l’argent de la vente des bracelets -trouvés pour se payer des vêtements normaux, et en suivant ses conseils, -avait trouvé un petit travail à charger et décharger des caisses de matériel -depuis les bateaux qui arrivaient par la rivière. C’était peu, mais assez -pour se payer une chambre modeste et se débrouiller. Il avait ensuite -appris, sur le tas mais avec une certaine facilité, à lire, écrire et -compter. Son employeur, pensant avoir affaire à un idiot, avait tenté -de l’arnaquer sur sa paie, en vain évidemment. Depuis, il avait fait -d’autres petits boulots, demandant généralement beaucoup de bras -et peu de réflexion, le dernier en date étant celui d’un videur de -taverne. -

Et malgré leurs différences, tous deux étaient rapidement devenus aussi -inséparables que deux frères. -

Il s’installa à sa table, et ils commandèrent des boissons. Son ami était -radieux, il y avait probablement quelque chose de nouveau dans sa -vie.
— Quelles nouvelles, Uhr ?
— Je vais changer de métier.
— Encore ?
Il lui sourit.
— J’ai décidé de m’engager dans la garde de la capitale. Tenir une épée me -manque trop, décidément...
— Sérieusement ?
— Hé oui !
— La garde a une bonne réputation, ce n’est pas trop compliqué d’y -entrer ?
— Il y a des unités d’élite, qu’il est difficile d’intégrer. Mais il y a de la -place pour y être simple soldat, et après, qui sait...
Il lui sourit.
— C’est vrai que tu pourrais bien t’en sortir.
— J’espère en tous cas ! Ça promet d’être intéressant. Et toi, comment va -ton boulot ? - - -

Il prit un moment pour boire une gorgée de bière. Il ne savait pas -comment aborder le sujet.
— Hé bien... moi aussi, j’hésite à changer de métier.
Uhr eut un regard surpris.
— Vraiment ? Pourtant, tu avais l’air de te plaire dans celui d’assassin...
— Oui, je m’y plaisais... Mais...
— Le fait de tuer te gène ?
— Plutôt celui de tuer froidement, sans envie, de n’être qu’une lame bien -payée.
Son ami réfléchit un moment avant de répondre.
— Tu sais, en tant que soldat de la garde, je vais me poser un jour ou -l’autre les mêmes questions... en moins bien payé, par contre.
Uhr lui donna une pichenette sur l’épaule. Il répondit par un sourire.
— Et ton maître assassin, il ne va pas apprécier, non ?
— Oh, ça, ça va. En fait c’est plus ou moins lui qui m’en a parlé en -premier. Il m’expliquait qu’un bon assassin devait avoir un métier -relativement normal à côté, pour lui servir de couverture. Il m’a parlé de -quelques cas d’assassins qui avaient progressivement choisi leur seconde vie -à leur première. Il ne parlait pas d’eux en traîtres. Je me demande s’il -se doute de mes sentiments, en fait... Peut-être a-t-il évoqué cela -exprès ? -

Il marqua une pause.
— La question est, que vas-tu faire à la place ?
— Je ne sais pas encore. C’est bien le problème.
Uhr sourit, et termina sa chope.
— Tu trouveras bien quelque chose qui te plaît.
Il lui rendit son sourire, et termina la sienne à son tour. Il trouverait bien, -oui... -

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Irdann -

Enfin, il avait le droit de sortir du temple ! À la fois émerveillé et -surpris, il observait les gens autour de lui. Ce n’est pas qu’il n’avait vu -personne dans le temple, mais l’attitude des gens y était fort différente. Par -crainte et respect de la déesse, ils y gardaient une attitude posée, presque -soumise. Dehors, il les voyait rire et pleurer, s’aimer et se détester, bref, être -humains. Sans compter qu’il n’avait jamais vu la capitale, qui était très -différente du château du duc son père, au moins dans ses souvenirs -d’enfant. -

La rue qu’il suivait était si animée, malgré l’heure très matinale, qu’il -regrettait de voir la distance le séparant du poste de garde diminuer. Allons, -il aurait d’autres occasions de voir la ville, se dit-il. Il avait rendez-vous avec -maître Ernest, qui devait lui enseigner l’art de l’épée. Il existait beaucoup -de maîtres d’armes, mais Khil avait décidé de l’envoyer chez le meilleur -épéiste qui soit. -

Il était arrivé devant le poste de garde. Il prit une grande inspiration, et -s’adressa au garde qui en gardait l’entrée.
— Excusez-moi, je dois voir maître Ernest.
L’homme l’observa quelques instants. Irdann portait une longue tunique -blanche, avec dans un écusson le symbole de sa déesse, le tout sur un -pantalon de lin gris clair. Des sandales en cuir complétaient sa tenue, ainsi -qu’une ceinture à laquelle pendait une épée assez ouvragée.
— C’est vous le novice du temple de Melna ? Il vous attend. Venez. -

Irdann suivit le garde à l’intérieur. Un homme d’une quarantaine -d’années, habillé en soldat, discutait tout en lisant une lettre avec un -archer, mince, aux cheveux longs, et aux oreilles pointes. Un elfe ! C’était la -première fois qu’il en voyait un. On lui avait dit qu’on croiserait -toutes sortes de types dans la capitale, il aurait pu s’y attendre. -L’archer était vêtu d’une tunique verte, d’un pantalon blanc et d’une -cape vert foncé, tous dans un tissu qui semblait très fin. L’homme -souriait.
— ...mon grand-père fut son maître d’escrime. À mon tour d’instruire son -élève ! Vous pouvez lui dire de me l’envoyer dès que possible.
L’elfe hocha la tête et sourit en retour, à l’instant où l’homme aperçut - - -Irdann.
— Ah, excusez-moi un instant.
Le garde qui l’accompagnait le présenta.
— Un autre élève ! Quelle heureuse coïncidence. Vous a-t-on expliqué les -modalités d’apprentissage ici ?
Irdann secoua la tête.
— C’est très simple. Je ne demande pas d’argent en échange de mon -enseignement. En revanche, pendant toute cette durée, les élèves sont -soldats de la garde de la ville. Ce service rendu est aussi formateur pour -vous, car on y apprend beaucoup de choses. Cela vous convient ?
Irdann hocha la tête et retint un sourire. Voilà qui allait changer de la vie -du temple ! Et puis, être traité comme un soldat, un garde comme les -autres, cela le changerait. Fini le fils du duc, fini l’apprenti paladin. Le -maître se tourna vers l’elfe, qui attendait en retrait.
— La règle sera la même pour tous les élèves, bien entendu.
L’archer hocha la tête et quitta la pièce. Un autre élève comme -lui ? Un elfe ? Ça aussi, c’était nouveau et excitant. Il savait qu’il y -avait des elfes qui vivaient dans la capitale, et il en avait vu un ou -deux dans le temple de Melna. Mais il n’en avait jamais vraiment -rencontré... -

Tout en se laissant guider hors de la pièce, Il se demanda combien -d’élèves avait ce maître, et lesquels. -

Uhr -

Six lits alignés, un coffre en bois brut sous chacun d’eux. Dans un coin, -une petite porte vers ce qui ressemblait à une salle de bains assez simple. -Sur un des côtés, un large rideau, qui pouvait potentiellement couper la -pièce en deux, derrière lequel se situaient deux autres lits, semblables aux -autres. Il n’y avait aucune décoration sur les murs, et une petite fenêtre -apportait un peu de lumière dans ce qui n’était qu’un dortoir pour gardes, -semblable à celui qu’il avait connu pendant un an, lorsqu’il s’était -engagé. -

Il choisit un lit qui avait l’air inoccupé, et posa les quelques possessions -qu’il avait dans le coffre. Puis il s’assit, pensif. Il avait réussi ! Maître - - -Ernest l’avait jugé digne de suivre son entraînement à l’épée, et d’intégrer -cette unité d’élite. Non seulement le boulot serait beaucoup mieux payé -qu’en tant que soldat de base, mais l’expérience serait sûrement -très enrichissante. Un collègue garde l’avait un peu renseigné sur -les différentes recrues de cette section. Des profils très variés, dont -beaucoup venaient de loin, et avaient prévu de repartir après avoir -suivi son enseignement. Il se demandait si lui y resterait toute sa -vie... -

Ses pensées furent interrompues par l’entrée d’un jeune homme, l’air un -peu timide. Il portait une tenue de prêtre, ou ce qui y ressemblait, et avait -sous le bras son uniforme de garde. Comme lui, il sembla estimer la pièce, -puis désigna le lit à côté du sien.
— Celui-ci est libre ?
— Je crois oui. Tu es une nouvelle recrue ?
— Oui. Je m’appelle Irdann. -

Il lui tendit une poignée de main, que le dénommé Irdann serra. Le -soir allait tomber bientôt, et les autres gardes allaient rentrer sous -peu, ils allaient probablement dîner ensemble. La tenue de novice -l’intriguait.
— Tu viens d’un temple ?
— Oui, je suis apprenti paladin. Et toi ?
Il hocha la tête. Le premier, mais vraisemblablement pas le dernier, -songeait-il, des profils surprenants qu’il risquait de rencontrer ici. Combien y -en aurait-il ?
— Je suis Uhr. J’étais un simple soldat jusqu’à hier, et j’ai enfin eu le -droit d’intégrer cette unité et de suivre l’apprentissage de maître -Ernest. -

Le jeune homme lui sourit et posa un petit sac sur le lit à côté -du sien. Il remarqua son épée, ornée de gravures délicates et d’un -blason.
— D’où te vient cette arme ?
— De mon père. Il me l’a offerte quand je suis parti pour le temple, quand -j’avais onze ans.
— Tu sais, ils fournissent les armes ici.
— Je sais, c’était le cas au temple. Mais c’est essentiellement le seul objet -qui me vienne de ma famille. Alors je l’ai gardée.
Uhr lui sourit.
— Je peux comprendre. Tu viens de loin ?
— Du duché De Vane.
Il hocha la tête.
— En effet, c’est assez éloigné !
— Et si différent ! Là bas, on ne croise jamais de nains ou d’elfes par -exemple. Je te laisse imaginer la suprise que j’ai eue en en croisant dans les -rues...
— J’imagine, oui. Sais-tu qu’il y en a à la garde ?
— J’ai entendu parler d’un elfe qui arrive dans quelques jours...
Il hocha la tête. Le collègue lui en avait parlé.
— Une elfe. Il y a aussi un nain.
Irdann parut surpris.
— Une elfe ? Une femme ?
— Oui. Il y a une autre femme aussi dans la garde. Elles ont cette partie du -dortoir, là-bas. Pourquoi ?
Le jeune homme sembla hésiter et réfléchir quelques secondes, visiblement -gêné.
— Mais ne sont-elles pas trop faibles ? Enfin, d’où je viens... ce n’est pas -vraiment courant. Voire pas du tout.
Uhr haussa les épaules.
— D’où je viens, les femmes se battent comme les autres hommes et ne sont -pas toujours les plus faibles.
Son interlocuteur, visiblement mal à l’aise avec la question d’une femme à -l’épée, profita de la diversion.
— D’où viens-tu, d’ailleurs ?
Ce fut son tour d’hésiter. Il n’avait pas tellement envie d’étaler son passé -dans les plaines barbares.
— J’ai des origines... modestes...
Irdann le regarda quelques instants, et lui sourit.
— De toutes façons, ça ne change pas grand chose. Nous sommes désormais -soldats, au même rang, n’est-ce pas ?
Soulagé de constater qu’il ne comptait pas insister sur le sujet, il lui rendit - - -son sourire. -

Du bruit se fit soudain entendre dans le couloir, et les autres recrues, en -tenue de soldat entrèrent dans le dortoir. -

Silwë -

C’était la première fois qu’elle voyait une grande ville humaine. Des -centaines, voire peut-être des milliers, de maisons faites de pierre et de bois, -construites à même le sol. Entre ces maisons, des rues pavées de pierre, et -bien peu d’arbres... Et il y avait tant d’humains ! D’accord, c’était idiot, -elle s’attendait à en voir ; mais ici, il n’était même pas possible de les -éviter, tellement ils étaient nombreux, dans la rue, aux fenêtres des -maisons, dans des boutiques qui étalaient leurs produits... Ils les -observaient, elle et l’archer qui l’accompagnait, d’un air curieux. Elle se -rapprocha de lui, un peu inquiète. Ce qu’on disait sur les humains n’était -pas toujours très rassurant.
— Hé, ne panique pas. Les humains ne sont pas méchants. Et maître -Ernest est quelqu’un de très bien. D’ailleurs, nous arrivons. -

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Irdann -

Une grande plaine s’étalait devant lui. Sur la droite, une forêt épaisse, -et des montagnes au loin. Dans la plaine, quelques villages, et au -centre, un grand temple, dédié à sa déesse. Comment le savait-il ? Il -le savait. Une belle jeune femme apparut debout devant lui. Elle -portait la longue tunique rouge et or et les attributs des grandes -prêtresses de Melna. Elle était auréolée de lumière. Il s’agenouilla devant -elle.
— Irdann, tu es un futur grand paladin.
— Merci, ô grande prêtresse.
— J’ai besoin de toi pour une mission importante.
Il releva la tête, surpris.
— Mon nom est Samantha, et je vis dans ce temple que tu vois, près de la -ville de Touryre.
Elle désigna le temple au centre de la plaine.
— J’y suis la grande prêtresse, mais j’y vis enfermée. Le personnel du -temple croit qu’il est inconvenant pour une prêtresse de quitter l’endroit, -alors que tant de gens dans le monde pourraient profiter de mes -bénédictions. J’ai besoin de toi pour m’enfuir.
— Comment les raisonner ?
— Crois-moi, j’ai essayé, mais les gens de ce pays croient peu à la raison. En -revanche, ils croient volontiers aux légendes et aux histoires. Ce qu’il me -faut, c’est une légende. Et un héros pour m’enlever.
— Un héros ?
— Je sais que tu peux y arriver. Sois ce héros, ou trouve-le. Je compte sur -toi, Irdann.
La jeune femme sourit, et disparut subitement. Le décor vacilla quelques -secondes, puis disparut à son tour. -

Irdann ouvrit les yeux. Il faisait nuit, le dortoir était calme à -part quelques ronflements venant des lits voisins. Quel était ce rêve -étrange ? -

Samantha -

Elle se releva, et essuya son front. Cette invocation avait été épuisante. -C’était la première fois qu’elle envoyait un rêve à quelqu’un qu’elle -ne connaissait pas, c’est peut-être la raison de la difficulté de la -tâche.
— Vous allez bien, grande prêtresse ?
Une jeune novice, vêtue de blanc, le visage inquiet, s’approcha. Elle lui -sourit.
— Je te remercie. Juste un peu d’épuisement.
L’avantage d’être grande prêtresse, c’est qu’on lui posait peu de -questions sur ce qu’elle faisait dans le temple. L’inconvénient, c’est qu’on -ne la laissait pas sortir et qu’elle était surveillée tout le temps... -Ah quelle malchance elle avait eu de se retrouver prêtresse dans ce - - -trou perdu ! Elle avait discuté avec un prêtre venu de la capitale. Il -avait pu quitter son temple, et partir à l’aventure. Cela l’avait fait -rêver. Mais comment sortir du temple ? Ils étaient si bornés, si -butés... impossible de leur faire comprendre... Elle avait essayé, en -vain. -

Elle suivit la jeune novice, munie d’une bougie, qui la ramenait à sa -chambre. S’enfuir par elle-même, elle y avait pensé. Mais c’était difficile, les -prêtres étant pour une bonne partie d’entre eux formés au combat. Elle -avait appris le maniement de la dague, et ne quittait jamais la sienne – bien -cachée sous sa robe. Mais que pouvait-elle faire face à des dizaines -d’hommes armées d’épées ? Elle avait beaucoup réfléchi, et avait conclu -qu’il lui fallait un héros. Quelqu’un qui parviendrait à pénétrer dans le -temple, pour l’enlever. Et de façon suffisamment spectaculaire pour -impressionner tout le monde, et dissuader les prêtres de partir à sa -recherche. Construire une légende, voilà ce qu’il lui fallait. Une légende, rien -que ça... -

Elle avait envoyé un rêve à ce fameux aventurier prêtre de la capitale. -Lui était libre comme l’air, et pouvait lui trouver ce héros. Quelques jours -plus tard, il lui avait envoyé un rêve en retour, il était à présent beaucoup -trop loin pour ça. En revanche, il connaissait peut-être l’homme de la -situation : un jeune apprenti paladin du nom d’Irdann, qu’il avait formé à -l’épée quelques années plus tôt, et qui finissait sa formation dans la -garde de la capitale, auprès du plus grand épéiste connu, maître -Ernest. -

Elle se coucha alors que la jeune femme quittait respectueusement la -pièce en laissant la bougie sur sa table de chevet. Pourvu qu’il y parvienne... -Elle ne le connaissait pas du tout. En cherchant à le contacter par la voie -des rêves, elle avait juste senti son âme, celle d’un jeune homme courageux, -droit, et intelligent. Il pouvait réussir... -

À présent, elle ne pouvait qu’attendre qu’il se passe quelque chose. Dans -combien de temps ? Il pouvait mettre des jours, voire des semaines à -arriver... Cette attente allait être longue et insupportable, mais peut-être y -avait-il la liberté à la clé. Peut-être. - - -

Uhr -

Uhr appréciait les moments où il patrouillait dans la rue avec Irdann et -Silwë. Ils formaient un trio à la fois très disparate et redoutablement -efficace. Visuellement, ils incarnaient respectivement la force brute, -l’intelligence posée, et la subtilité. Cela les faisait sourire de savoir qu’en -réalité, la petite elfe à l’air fragile était tout autant capable que les autres -de manier l’épée, et que le barbare musculeux était bien plus intelligent -qu’il n’en avait l’air. Mais ce petit jeu d’apparences était à leur avantage, et -ils n’hésitaient pas à jouer avec. -

Ces patrouilles, lorsque tout se passait bien, étaient aussi l’occasion de -discuter tranquillement tous les trois. Uhr avait noté qu’Irdann n’était pas -dans son assiette depuis ce matin, mais n’avait pas osé aborder le -sujet. Une fois la routine mise en place, et quelques banalités sur -l’entraînement de la matinée échangées, ce fut finalement lui qui en -parla.
— J’ai fait un rêve louche, cette nuit.
— Raconte ?
— J’ai vu une grande prêtresse de Melna, qui me demandait de l’aide pour -la sortir de son temple.
— Et c’est la première fois que tu rêves de grandes prêtresses ? Pourtant, -tu as dû en voir beaucoup durant ton enfance, non ? questionna -Silwë.
— Oui mais... là j’ai l’impression que... c’était différent. Elle était -extrêmement nette, ainsi que le décor derrière elle.
— Les prêtres de Melna ont-ils la capacité d’envoyer des rêves ?
— Je crois. Il me semble que c’est une invocation très difficile, mais c’est -pour ça que ce rêve m’intrigue.
— Pourquoi une grande prêtresse aurait-elle besoin d’aide pour sortir de son -temple ?
— D’après elle, le personnel du temple ne veut pas qu’elle le quitte. Et elle -souhaite qu’on vienne l’enlever... de façon spectaculaire.
Alors que Silwë ouvrait des yeux incrédules, Uhr réfléchissait.
— Une prêtresse à enlever... de façon spectaculaire... hm. Tu veux bien tout -nous raconter en détail ? - - -

Alors qu’Irdann racontait tous les tenants de son rêve, Uhr se prit à -sourire.
— Tu as une idée en tête, c’est ça ? demanda Irdann.
— Une petite. On se retrouve ce soir à la taverne habituelle, je vous -explique tout ça.
— On ne sait même pas si c’est un vrai rêve ou un message...
— Pour ça, proposa Irdann, tu peux toujours aller voir le temple de Melna -ce soir, et leur demander si la dénommée Samantha existe bien, et est bien -grande prêtresse du temple près de la ville en question. Ils doivent le savoir -non ?
— Certes. Bon, le tour arrive à sa fin. À ce soir ! -

Silwë -

Elle regarda aux alentours lorsqu’elle entra dans la taverne. Il y avait pas -mal de monde, comme d’habitude, mais ils appréciaient l’ambiance -détendue de cet endroit, où se côtoyaient toutes sortes d’humains. Certains -soirs, comme celui-ci, des ménestrels ajoutaient un peu d’animation. Elle -regarda d’un œil distrait un joueur de mandoline accompagner de sa -musique un jongleur de couteaux, tout en cherchant ses amis au milieu de la -foule. -

Elle finit par les apercevoir, à une table un peu à l’écart. Irdann, -visiblement essoufflé, venait d’entrer. Elle leur fit un geste et les -rejoignit.
— Je reviens tout juste du temple. Il y a bien une grande prêtresse du nom -de Samantha, dans la ville de Touryre, à quatre à cinq jours de marche d’ici. -Il y a trois ou quatre villages à côté, et une grande forêt qui jouxte le -temple.
Elle hocha la tête. Il ne s’agissait donc pas d’un rêve...
— Bon, maintenant il n’y a plus qu’à construire une légende.
Uhr avait pris un sourire à la fois amusé et mystérieux. Il continua.
— Que peut-on trouver de plus épique et légendaire qu’un mystérieux -barbare venu de nulle part, pénétrant dans le temple, éliminant ses ennemis -à mains nues, enlevant la belle prêtresse et s’enfuyant sur son cheval -blanc ?
Elle le regarda un instant, légèrement incrédule. Il avait le physique de - - -l’emploi, c’était évident, mais de là à réussir une telle tâche... Elle jeta un -œil à Irdann à côté, qui fronça les sourcils. Voyant leur air surpris, Uhr -éclata de rire.
— C’est ce que les prêtres et les habitants verront, évidemment. Il va -falloir mettre en scène tout cela, et on ne sera pas trop de trois, -croyez-moi.
Il prit une grande inspiration et se pencha vers l’avant de la table, abaissant -la voix.
— D’abord, il nous faudra obtenir la complicité de la prêtresse, et donc se -débrouiller pour lui parler d’une façon ou d’une autre. Ensuite, faire en -sorte de compliquer au maximum la tâche du personnel du temple. Par -exemple, les droguer pour les rendre un peu moins combattifs... Ce sera à la -fois impressionnant et moins dangereux. Puis il faut organiser la fuite, de -façon à ce qu’elle ait l’air la plus spectaculaire possible. Il y a bien sûr des -détails à régler...
Irdann hocha la tête et prit la parole.
— Les prêtres de Melna savent normalement se battre. Ils sont une -quinzaine dans ce temple, d’après ce que j’ai entendu dire. Le reste du -personnel ne devrait pas poser de soucis je pense... Mais ces prêtres, outre -des compétences à l’épée, peuvent lancer des enchantements, et c’est de ça -qu’il faudra se protéger.
— Peux-tu préciser ?
— Melna est la déesse-mère, créatrice de vie et protectrice des moissons... -De ce fait, les prêtres ne possèdent qu’un seul enchantement purement -offensif, il s’agit bien sûr de l’invocation de foudre. J’y suis moi-même -immunisé, tout comme l’intérieur du temple, mais tu ne l’es pas...
Silwë fronça les sourcils.
— Cette protection peut-elle s’étendre à d’autres personnes ?
— Seulement si je m’interpose entre le ciel et la cible, donc à moins d’être -sur le même cheval que vous deux, ça sera compliqué. Et ce serait dommage -pour la légende que je sois vu... Sans compter le poids que va devoir -supporter la pauvre bête.
— La grande prêtresse ne peut-elle pas l’immuniser elle-même ? Après -tout, elle souhaite qu’on l’enlève, si j’ai bien compris...
— Oui, à condition qu’elle puisse coopérer activement, et de plus c’est un - - -risque qu’on la voit l’aider...
Uhr avait écouté le morceau de conversation, en réfléchissant. Il reprit la -parole.
— Hé, vous m’avez donné une très bonne idée. Dans la fuite, il faut que -vous deux preniez ma place et celle de la prêtresse, d’une façon ou d’une -autre.
— En supposant je puisse me faire passer pour toi, effectivement, ça -règlerait le souci de l’immunité.
— En supposant que je réussisse à me faire passer pour la prêtresse, cela -permettrait aussi de te remplacer... N’oublions pas que la bataille dans le -temple ne sera pas simple, tu sera épuisé, et tu pourrais même être -blessé !
— Comment peut-on se faire passer pour vous deux ? Je ne te ressemble -pas beaucoup, et je t’assure que, dans mon rêve, la prêtresse n’est pas non -plus le style de Silwë...
Il hocha la tête.
— De nuit, à une distance raisonnable, je pense que personne ne verrait le -changement. Bien sûr, il faut faire l’échange hors de vue, et le plus -loin d’eux possible. On peut même en profiter pour leur faire croire -qu’on a pris une sacrée longueur d’avance, si vous partez de plus -loin...
— Tout ce qu’ils verront, finalement, c’est une silhouette masculine, sur un -cheval, portant dans ses bras une jeune femme dans une robe et ça leur -suffira ?
Uhr sourit.
— Exactement. En plus, si ça tourne mal, je peux vous faire confiance pour -vous défendre et vous cacher efficacement... -

Ils firent une petite pause pour commander à manger et à boire. Le plan -se dessinait lentement.
— Il reste l’introduction dans le temple pour parler à la prêtresse.
— Silwë, tu sais faire ça, n’est-ce pas ?
Elle secoua la tête.
— Dans une forêt, oui, je peux circuler à peu près partout sans être vue. -Mais dans un temple, c’est plus compliqué...
— Ne vous inquiétez pas, je connais quelqu’un qui peut nous aider pour - - -ça.
— Il faut se procurer des costumes de barbare, et un de grande prêtresse -aussi, mais ça ne doit pas être très compliqué.
— Surtout qu’il n’est pas nécessaire que les doublures aient un costume -parfait, il suffit que ça soit à peu près ressemblant de loin. Vous ne vous -approcherez pas des prêtres de toutes façons.
Irdann, qui semblait un peu gêné, fit part d’une remarque.
— Tout de même, j’aurais quelques scrupules à te voir tuer tous ces gens du -temple de Melna...
— C’est pour ça qu’on va essayer au maximum de les assommer, et de -s’enfuir rapidement. Pour ça, les droguer peut être une solution.
— S’enfuir d’un temple endormi, ce n’est pas très héroïque, non ?
— Il faudra ajuster pour qu’ils soient juste assez sonnés pour être -peu résistants. Mais les prêtres pourront quand même invoquer des -enchantements pour se protéger...
Silwë fronça les sourcils.
— Irdann, Peux-tu nous faire la liste complète de ce que ces prêtres peuvent -invoquer, en fait ?
— Des charmes de protection, qui rendent la peau plus résistante -aux armes tranchantes. D’autres incluant la météo et la végétation, -mais ce sont plutôt les hauts prêtres qui en sont spécialistes. Je -me souviens aussi que certains prêtres de mon temple avaient des -charmes qui leur permettaient de détecter les êtres vivants autour -d’eux.
— Effectivement, cela peut nous compliquer la tâche. Il me faudra donc -faire vite, et que nous fassions l’échange rapidement. Que sais-tu faire, en -tant qu’apprenti paladin de la déesse ?
Il haussa les épaules.
— À part l’immunité dont je vous ai parlé, je ne vois rien qui puisse nous -aider. Mais c’est déjà pas mal...
— Quelle drogue pourrait fatiguer les prêtres juste assez pour qu’ils soient -moins efficaces sans s’en rendre compte ?
Uhr sourit.
— Je connais quelqu’un qui peut nous fournir ça, ne vous inquiétez -pas. - - -

Silwë soupira.
— Qui sont ces gens dont tu nous parles qui peuvent nous aider ? -Ou...
Elle vit son ami sourire de plus en plus.
— ... Ou cette personne, en fait ?
Il se mit à rire devant son air méfiant.
— Je vais vous présenter le type qu’il nous faut. Un ami à moi, -capable de s’introduire dans n’importe quel bâtiment, et spécialiste en -poisons.
— Un assassin ?
— Mieux encore. Disons... un ménestrel. Je reviens, ne bougez pas.
Il se leva et se faufila dans la foule dense. Irdann et Silwë se regardèrent en -haussant les sourcils. -

Farl -

Farl terminait son assiette avec appétit. C’était effectivement une -excellente adresse, il regrettait de ne pas être venu ici plus tôt. Uhr lui avait -proposé de le retrouver ici pour un plan bien précis, sans lui donner de -détails. Tant qu’à venir, il avait proposé ses services et ceux de son ami -Eldon pour animer la taverne. Le cachet n’était pas énorme, mais le repas -était compris, et c’était déjà bien pour des ménestrels qui n’avaient pas -totalement terminé leur formation. De plus, l’ambiance était agréable, et le -public accueillant. La soirée commençait bien. Mais que lui voulait son -ami ? -

La gérante s’approcha en souriant et proposa aux deux artistes une -nouvelle ration. Eldon accepta volontiers, et il s’apprêtait à faire de même -lorsqu’il aperçut Uhr s’approcher de la table. Il souriait.
— Tu nous rejoins ?
Il se leva.
— Bien sûr. Tu vas me dire ce que tu prépares, enfin ?
— J’apporte une nouvelle assiette à la table au fond, si j’ai bien compris ? -demanda la gérante.
— Oui, merci !
— Tant qu’à y être, amenez-en quatre, ajouta Uhr. - - -

Il lui avait déjà parlé de ses compagnons de la garde, mais c’était la -première fois qu’il les rencontrait. Ils étaient habillés, tout comme Uhr, en -soldats – d’une tunique brune et cotte de maille –, mais ils étaient aussi -surprenants que différents. -

Le dénommé Irdann, l’apprenti paladin, était un grand brun, aux -cheveux mi-longs, plutôt mince, à moins que ce ne soit le contraste avec Uhr -qui lui donnait cet effet-là. Beaucoup d’hommes avaient l’air frêles à côté, -en fait. L’autre compagnon était une petite elfe, aux yeux bleus et aux longs -cheveux clairs, nommée Silwë. S’il ne connaissait pas la réputation de la -garde et de maître Ernest, il se serait sérieusement demandé ce qu’elle y -faisait. Ils lui sourirent et il s’assit à côté d’eux, pendant que Uhr lui -détailla leur plan. -

Les yeux ronds, il fixait les trois soldats à tour de rôle.
— Mais... c’est complètement insensé votre histoire.
Ils hochèrent la tête.
— S’introduire dans un temple qui se situe loin d’ici, enlever la grande -prêtresse, faire toute cette mise en scène, et s’enfuir, comme ça ? C’est -totalement fou.
Uhr sourit.
— Tu te joins à nous ?
Il éclata de rire.
— Bien sûr que je viens. Je ne voudrais pas rater ça !
Il vit ses interlocuteurs se détendre et lui sourire à leur tour.
— Bon, plus sérieusement, je peux me procurer un poison léger qui rend -légèrement apathique. Par contre, il en faudra une bonne quantité, et ça -peut prendre un petit moment. Je peux aussi trouver quelques artifices, très -pratiques pour se cacher. Et côté infiltration, vous pouvez compter sur -moi.
Il sourit devant leur regard incrédule. Il était toujours vêtu de sa tunique -orange décorée, plus adaptée à une scène de spectacle qu’à une mission -secrète. Il se pencha vers le centre de la table.
— Je vous expliquerai tout cela en détails plus tard, c’est un peu long à -raconter. Faites-moi confiance pour le moment.
Ils terminèrent leurs plats et se levèrent.
— Il se fait tard, il nous faut rentrer. On se retrouve demain pour mettre au - - -point les détails ?
— Quand partirons-nous ?
— Si maître Ernest nous accorde un congé rapidement, on peut partir d’ici -une dizaine de jours... le temps de tout préparer. Il faut compter le trajet -aussi.
Ils opinèrent, puis quittèrent la taverne après avoir payé la gérante. -

Farl rentra seul, son compagnon l’ayant quitté nettement plus tôt. -Avait-il eu raison d’embarquer dans cette histoire ? Ils n’y gagneraient -aucune gloire, puisqu’ils resteraient incognito... Peu d’argent, sauf s’ils -volaient de l’or au temple... Juste une histoire folle... Il savait qu’il n’était -pas des plus doués pour écrire de belles sagas épiques digne d’un grand -troubadour, mais cette histoire le mériterait amplement. Peut-être -pourrait-il se faire aider ? -

Il ne savait quasiment rien des deux compagnons de Uhr... Que -valaient-ils ? S’ils étaient élèves de maître Ernest, ils étaient probablement -des virtuoses de l’épée, mais cela ne serait pas suffisant. Mais il avait -confiance en son ami, qui n’était pas du genre à tenter des projets insensés -sans avoir mûrement réfléchi aux risques. Lui connaissait ses amis depuis -quatre ans maintenant, et devait savoir ce qu’il faisait. -

Il se coucha en se demandant vaguement pourquoi il se demandait s’il y -avait quelque chose entre l’elfe et le jeune paladin, qui semblaient très -familiers l’un envers l’autre. Ils l’étaient aussi avec Uhr, en fait, et -cette question était stupide, il verrait assez rapidement de toutes -façons. -

Irdann -

Irdann et Farl s’avançaient dans les rues de Touryre, se dirigeant vers le -temple. Ils avaient tous les deux revêtu des vêtements sobres, et se -fondaient assez bien dans la population, même si un léger accent révélait -qu’ils n’étaient pas de la région. Ils avaient mis une bonne semaine à venir -de Talecombe, même à cheval. -

Il avait suggéré d’aller rencontrer la prêtresse de jour, en sachant qu’elle -le reconnaîtrait probablement. Farl avait décidé de l’accompagner, en en -profitant pour repérer la configuration du temple. Les deux autres avaient - - -préféré rester discrets. Si le visage de Uhr devait rester caché jusqu’à -l’enlèvement, celui de Silwë pouvait susciter une certaine curiosité – les elfes -étant peu courants dans cette région – dont ils pouvaient se passer. Ils -étaient donc tous deux restés en dehors de la ville, à installer un -campement discret dans la forêt. -

Il avait d’ailleurs remarqué la façon dont le ménestrel regardait Silwë. -Oh, il n’était pas le premier, c’était certain. La petite elfe, avec ses yeux -bleus et son air innocent – malgré l’uniforme de soldat – attirait les regards. -Mais à voir sa réaction, peut-être serait-il le premier à obtenir une réponse -positive... Enfin, le premier à sa connaissance, corrigea-t-il mentalement. Et -depuis qu’elle était arrivée à la capitale. Après tout, qui sait ce qu’elle avait -connu avant, chez les elfes sylvains ? -

— Irdann ? On arrive au temple !
Il secoua la tête et sortit de sa rêverie. Le grand bâtiment s’étendait devant -eux. Exactement comme dans son rêve... Il adressa un petit hochement de -tête à Farl, et ils gravirent lentement les marches qui menaient à -l’entrée. -

Samantha -

Elle avait hâte que l’après-midi se termine. La journée avait été -épuisante. Dans trois jours avait lieu l’anniversaire de son intronisation, et -le personnel du temple était en effervescence. À cela s’ajoutait une -file incessante de fidèles, venus offrir des cadeaux, demander des -conseils à la déesse, ou quémander son pardon. Il était rare qu’elle -ait besoin d’invoquer de réels enchantements, souvent un sourire -encourageant et quelques paroles redonnaient confiance à la plupart des -villageois. -

Les deux derniers visiteurs – qu’elle n’avait jamais vus en ville, mais -celle-ci était grande – s’avancèrent et s’agenouillèrent, conformément aux -usages. Pourtant, lorsque l’un d’eux releva la tête pour lui adresser les -paroles habituelles, elle eut un sursaut de surprise. C’était comme si elle le -connaissait sans l’avoir jamais vu... Se pouvait-il... -

Elle s’avança vers lui. En approchant sa main de son visage, elle ferma -les yeux. Elle reconnut immédiatement son aura. C’était lui ! Le fameux - - -apprenti paladin qu’elle avait imploré de venir...
— Irdann ? murmura-t-elle.
Le jeune homme lui sourit, et répondit à voix basse.
— Je suis venu à votre demande, Grande Prêtresse. Avec des compagnons.
Elle jeta un œil au second jeune homme, plus petit, qui sous ses airs -sages, semblait étudier avec intérêt les lieux. Il n’y avait personne qui -puisse les entendre maintenant, mais d’autres prêtres et prêtresses -circulaient régulièrement autour d’eux, et la grande salle du temple -ne se prêtait guère à une longue discussion, encore moins discrète. -
— Vous avez... préparé quelque chose ?
— Nous aimerions vous en parler plus longuement. Mon compagnon Farl ici -présent peut s’introduire discrètement dans le temple, cette nuit. Où et -quand peut-il vous trouver seule ?
Elle releva la tête, observant le dénommé Farl, surprise. Après un instant de -silence, elle répondit, plus bas encore.
— Vers minuit. Dans la partie nord du temple, où sont mes appartements. -J’allumerai une bougie à la fenêtre quand je serai seule. -

Puis elle fit quelques pas en arrière. Ils se relevèrent et la saluèrent -respectueusement, et sortirent. En les observant quitter la grande salle du -temple, elle sentait son cœur battre. Il était arrivé... et non seulement il -avait une idée, mais en plus il n’était pas seul ! Qui étaient ces fameux -compagnons ? -

Farl -

La silhouette sombre, quasi-invisible dans la nuit, escalada lestement le -mur du temple. Arrivé à son sommet, elle s’arrêta pour observer la -cour intérieure. Le bâtiment était calme, et de l’une des fenêtres, au -rez-de-chaussée, on voyait vaciller la lueur d’une bougie. Farl observa -silencieusement les alentours, et après avoir constaté qu’il n’y avait -personne, désescalada le mur et s’approcha de la fenêtre. -

La prêtresse était assise à son lit, vêtue d’une longue tunique blanche, -seule. Elle semblait attendre quelque chose. Sans un bruit, il sauta à -l’intérieur. - - -

Elle sursauta, et retint un cri.
— N’ayez pas peur, c’est moi, Farl ! murmura-t-il.
Elle reprit son souffle en l’observant. Il avait revêtu la tenue gris sombre des -gens de la nuit, mais elle n’eut aucun mal à reconnaître le jeune homme qui -accompagnait Irdann.
— Personne ne vous a vu ?
— Non, rassurez-vous.
Elle jeta un regard aux alentours, comme pour vérifier que personne n’avait -été alerté par son arrivée. Puis elle hocha la tête.
— Alors, qui êtes-vous ? Et qui vous accompagne ? Que prévoyez-vous de -faire ? -

Il commença ses explications. Samantha l’écouta attentivement, en -l’interrompant de temps en temps pour poser une question pratique. À la fin, -elle s’était assise, le regard dans le vide.
— C’est... insensé. J’étais presque résignée à renoncer à un enlèvement -spectaculaire, et me contenter d’une évasion discrète... Mais tel que vous -le préparez, c’est possible. Et je vais pouvoir vous aider de mon -mieux.
Elle rejeta ses cheveux en arrière et se leva.
— Tout d’abord, commença-t-elle, je ne suis pas sûre qu’il soit nécessaire de -droguer les prêtres. Dans trois jours, c’est l’anniversaire de mon -intronisation, et le vin coulera à flots. Le soir, tout le personnel sera -passablement ivre. Par contre, tu peux utiliser un tel statagème pour -droguer leurs chevaux.
— Les prêtres de Melna ont des chevaux ? Ce n’était pas prévu...
— Oui, et nul doute qu’ils les enfourcheront pour partir à notre poursuite. -Mais il est relativement simple d’introduire un produit dans leur abreuvoir. -Tu sauras préparer ce qu’il faut ?
— Je pense, même si je ne connais pas la quantité exacte pour un cheval... -j’improviserai.
— Très bien.
Elle se mit à marcher dans la chambre, l’air décidé.
— Je vais surtout pouvoir vous aider avec des enchantements. Ça tombe -bien, lors de ce jour spécial, ils seront plus puissants encore. Le premier -visera à protéger le barbare des coups blessants. Pour cela, il suffira que je - - -le touche... Cela ne devrait pas poser de problèmes. Un autre servira à -couvrir notre fuite.
Farl hocha la tête.
— Trois jours, c’est peu mais c’est tout à fait envisageable. Je vous apporte -la drogue demain, à la même heure. D’autres recommandations ?
Elle réfléchit quelques instants.
— Méfiez-vous de Feyne. C’est mon second, il est très intelligent et assez -puissant. Vous le reconnaîtrez au pendentif brillant qu’il porte, insigne de -son rang. D’ailleurs, puisque j’y pense...
Elle se leva et alla chercher, dans une jarre, un sac de toile, de taille -moyenne, visiblement lourd.
— Je m’étais dit qu’un soldat apprenti-paladin ne roulait pas nécessairement -sur l’or, alors peut-être que ça amortira vos frais.
Il ouvrit le sac qu’elle lui tendit. Il était rempli de pièces d’or.
— En effet... Pourquoi ne pas nous en avoir parlé plus tôt ?
Elle sourit et lui fit un clin d’œil.
— Je préférais ne pas voir arriver un héros uniquement attiré par l’appât -du gain. -

Il lui sourit en retour, prit le sac et sortit silencieusement. -

Samantha -

Le grand jour était arrivé. La fête était grandiose, le temple rempli de -chants, de louanges et de victuailles. Elle avait enchanté le public en faisant -fleurir devant tous l’arbre qui poussait au centre de la grande salle. Le jour -touchait à sa fin, et les rayons du soleil couchant, entrant par la porte du -temple, donnaient une teinte orangée, presque enflammée, aux statues qui -entouraient la pièce. -

Tout à coup, elle entendit quelques cris de surprise, venus de dehors, et -le bruit d’un cheval lancé en plein galop. Elle se redressa, et prit le même -air surpris que ses compagnons. Le bruit de sabots frappant le marbre -s’approcha, jusqu’à ce qu’à la surprise et la peur générale, un cavalier -surgisse dans la grande salle. -

Elle avait beau s’y attendre, il fallait reconnaître qu’il était -impressionnant. L’homme qui descendit alors de cheval était grand, musclé, - - -vêtu d’un long pagne de cuir et de solides bottes. Quelques bracelets -rudimentaires en cuivre ornaient ses bras, et il faisait tournoyer dans les airs -une épée presque aussi grande que lui, comme s’il s’agissait d’une -brindille. -

Quelques prêtres, un peu moins abasourdis que les autres, tentèrent de -s’interposer. Il les envoya bouler d’un coup de poing ou de pommeau -d’épée, puis courut vers elle. C’était le moment de jouer le grand -jeu... -

À l’instant où il allait l’attraper, elle poussa un grand cri de terreur, et fit -mine de s’évanouir dans ses bras. -

Uhr -

Au moment où la prêtresse tomba dans ses bras, il sentit immédiatement -une douce chaleur l’envahir. Comme si le soleil réchauffait sa peau. Il eut -même l’impression que celle-ci brillait de reflets d’or, mais peut-être était-ce -une illusion due au crépuscule, et à l’huile qu’il s’était mise sur le -corps pour paraître plus impressionnant – huile au final bien inutile, -car la transpiration aurait eu le même effet. La bénédiction de la -déesse... -

Il poussa un grand cri de rage, mit la jeune femme sur son épaule, -enfourcha sa monture, et se rua vers l’entrée de la salle. Les prêtres s’étaient -ressaisis, plusieurs avaient empoigné une épée et certains semblaient en -train d’invoquer des enchantements. -

Les prêtres étaient-ils vraiment ivres, ou étaient-ils si peu doués que -cela au combat ? L’enchantement de protection de la grande prêtresse -était-il si efficace ? Le sentiment d’être un héros de légende lui donnait-il -des ailes ? Ou peut-être un peu de tout cela à la fois ? Toujours est-il qu’il -n’eut aucun mal à parer les coups d’épée et à les rendre. Il mit ainsi hors -combat sept ou huit hommes, à coups de poings et d’épée, avant d’arriver -en bas des escaliers. -

C’est alors qu’il sentit un frémissement, venant de la prêtresse, toujours -sur son épaule. Elle semblait... chanter. Ou invoquer ? Il ne réfléchit pas -plus et lança sa monture à toute vitesse dans les rues de la ville, faisant - - -mouliner son épée pour faire dégager, de peur, les quelques passants qui -risquaient de se mettre sur son chemin. -

Alors que le soleil était en train de disparaître et que l’obscurité -tombait sur l’entrée de la ville, un brouillard se leva, aussi soudain que -dense.
— Voilà. Avec ça, ils vont avoir plus de mal à nous suivre...
Il sursauta presque. La jeune prêtresse s’était redressée, et le regardait en -souriant. -

Farl -

Tapis à l’entrée de la forêt, dans une cachette soigneusement aménagée -par leurs soins, Farl, Silwë et Irdann attendaient l’arrivée d’Uhr. Il vérifia -une dernière fois ses artifices qui leur permettrait de faire l’« échange » -efficacement, même si l’arrivée du brouillard divin simplifierait grandement -ces opérations. -

Irdann s’était vêtu, comme Uhr, d’un pagne et de bottes, et même s’il -n’avait pas la carrure du jeune barbare, il était plutôt crédible de loin. Silwë -avait enfilé une longue robe rouge et or, que lui avait fourni auparavant la -prêtresse, et qui l’aurait beaucoup mieux mise en valeur si elle avait été à sa -taille. Tous deux avaient néanmoins gardé leurs épées, et s’apprêtaient à -enfourcher leur monture. -

Dans quelques minutes, ils allaient débouler, et il faudrait faire vite. Il -ajusta le foulard qui couvrait son nez et son visage, et vérifia le tas -d’herbes exotiques à ses pieds. Des herbes dont la fumée brouillaient les -sens... -

Après un petit moment qui lui parut durer une éternité, il entendit enfin -le grand cri de rage d’Uhr, ainsi que le galop de son cheval. Le signal ! -Rapidement, il mit le feu aux herbes et à l’instant où la monture épuisée -passa devant lui, il agita un tissu pour diriger la fumée vers l’entrée du -chemin. -

Uhr mit rapidement pied à terre, suivi de la prêtresse, et tous deux -descendirent avec leur cheval dans le fossé, endroit parfait pour être -invisible depuis le sentier, et surtout, pour masquer les sons. À l’abri derrière - - -le brouillard, la nuit et la fumée des herbes, ils entendirent passer des -chevaux au galop, sans s’arrêter. Ils poussèrent tous les trois un léger soupir -de soulagement.
— Vous allez bien ? Vous êtes blessés ? murmura Farl.
— Quelques entailles, rien de critique.
— Mais je ne suis pas sûre qu’ils s’en sortent seuls. Même un peu ivres, ils -sont tout de même six. On devrait peut-être aller les aider...
C’était la voix de la prêtresse. Il soupira et hocha la tête.
— Allez vous mettre à l’abri et vous reposer. Je vais les suivre. -

Irdann -

La nuit était à peine tombée, mais la forêt était déjà très sombre, sans -compter le brouillard. Heureusement que Silwë, devant lui, tenait -les rênes et avait l’air de savoir à peu près où aller... Il tourna la -tête. Les silhouettes des prêtres à cheval étaient lointaines, mais -présentes.
— Nous avons une bonne avance, et ils nous suivent. Ils n’ont pas vu le -changement apparemment. Tout va bien pour le moment.
Irdann savait qu’il disait cela à moitié pour se rassurer lui-même.
— C’est étrange qu’ils n’aient pas encore essayé de nous foudroyer ? -demanda-t-elle.
— Je suppose qu’ils ont peur de blesser leur grande prêtresse. Cela ne veut -pas dire qu’ils n’essaieront pas plus tard... -

Ils se turent pendant quelques instants, se concentrant sur la route. Il -avaient beau être tous deux de bons cavaliers, il n’était pas très confortable -d’être à deux sur le dos nu d’un cheval. Petit à petit, le brouillard avait -diminué, peut-être que les prêtres l’avaient fait se dissiper en partie ? Ou -bien l’enchantement de la prêtresse était-il limité dans l’espace ou -le temps... Un doute lui parvint, qu’il finit par émettre à hautre -voix.
— Est-ce que mes oreilles me trompent, ou ils se rapprochent ?
Silwë tourna la tête pour regarder derrière eux. Ce qu’il pouvait lire de son -visage dans l’obscurité n’était pas particulièrement rassurant.
— J’ai peur que tu aies raison. Il va falloir trouver un autre moyen de les -semer, notre monture va fatiguer rapidement.
Il hocha la tête. Quelque chose lui revenait à l’esprit.
— Lorsque nous avons traversé une partie de la forêt, tu m’avais montré -une rivière et un pont un peu vieux...
— Exact. Précise ton idée ?
— Tu penses qu’avec quelques bons coups d’épée dans les cordes et les -vieux morceaux de bois, il s’effondrerait ?
Son amie resta tournée vers la route quelques instants, sans rien -dire. Puis brusquement, elle fit tourner à gauche leur monture, si -bien qu’il dut presque s’accrocher à sa taille pour ne pas tomber. Le -pauvre cheval tentait désormais de courir de son mieux dans les -broussailles.
— On va rejoindre le sentier qui mène au pont. Pas d’inquiétude pour la -vitesse, ils seront aussi ralentis que nous, s’ils nous suivent. Si tu suis le -sentier après le pont, tu débouches en dehors de la forêt, je ne sais plus -trop ce qu’il y a mais tu devrais retrouver ton chemin sans trop de -soucis.
— Hé, tu vas me laisser saboter ce pont et tu seras mieux pour galoper dans -la nuit !
Elle secoua la tête.
— Tu es meilleur cavalier que moi, Irdann. Je peux voir les cordes à couper -dans la nuit, et s’il faut se cacher dans la forêt, je me débrouille mieux -que toi. Ils te trouveraient trop facilement s’ils se mettaient à te -chercher...
Il soupira. Elle n’avait pas tort. Sauf que...
— Même avec une longue robe rouge et or ?
Elle marqua une pause.
— Effectivement. Tiens-moi ça deux secondes.
Il tendit le bras et saisit les rênes qu’elle lui tendit dans sa main -gauche, tandis qu’à sa grande surprise, elle ôtait sa robe, qu’elle lui -tendit.
— Problème réglé. Et en agitant ça vaguement dans la nuit, ils croiront que -je suis toujours avec toi.
Elle rajusta sa ceinture et son épée par dessus la tunique courte qui lui -restait.
— Nous revoilà sur le sentier. Le pont est là-bas, tu le vois ?
— Bonne chance...
— Tu en auras besoin aussi ! -

La jeune elfe sauta du cheval et disparut dans un épais buisson. -

Silwë -

Elle se rappela à cet instant pourquoi il ne fallait pas sauter d’un -cheval au galop – même quand ce cheval, épuisé, ne courait plus -très vite. Avec le peu de vêtements qu’elle portait, elle se retrouvait -couverte de coupures, de bleus et d’égratignures. Mais rien de grave, -heureusement. -

Elle n’avait que peu de temps. Aussi vite qu’elle le put, elle se glissa sous -le pont et dégaina son épée, tout en essayant désespérément de reprendre -son souffle. Les cordes qui le tenaient étaient certes vieilles, mais épaisses et -de bonne qualité. Et en réalité, une épée, même bien affûtée, n’est pas le -meilleur des outils pour trancher une corde humide sur laquelle a poussé de -la mousse et du lierre. -

Le galop des chevaux des prêtres se rappochaient. Elle n’avait pas tout à -fait terminé...
— Désolée, Irdann, mais il va falloir que tu te débrouilles, murmura-t-elle. -

Elle prit une grande inspiration et plongea dans l’eau. -

Le courant aidant, elle refit surface une vingtaine de mètres plus loin, à -l’abri des joncs. Les deux cavaliers en tête étaient en train de franchir le -pont quand les cordes usées par les coups d’épées finirent par céder. Dans -un grand fracas de craquement, de cris et de hennissements, le pont -s’effondra. -

Un silence suivit, dans lequel elle commença à s’éloigner doucement et -silencieusement de la rivière, tout en essayant de limiter le bruit que ses -vêtements et cheveux faisaient en dégoulinant. Fort heureusement, les -prêtres semblaient assez occupés à leurs affaires. L’un des cavaliers avait -réussi à franchir de justesse la rivière. Le second était tombé, avec son -cheval, dans l’eau, et ses compagnons l’aidaient à en sortir. La rivière ne -faisait que quelques mètres de large et n’était pas très profonde, mais aucun -des chevaux épuisés n’avait très envie de se mouiller. Malgré cela, les - - -prêtres tentèrent de faire traverser le cours d’eau à leurs montures, avec -plus ou moins de succès.
— Prends de l’avance, et essaie de les rattraper ! cria l’un d’eux au -chanceux qui les attendait de l’autre côté.
Le prêtre hocha la tête et se lança à la poursuite d’Irdann. -

Irdann -

Silwë avait réussi... Il n’avait pas vraiment vu ce qui s’était passé, mais -il avait entendu le bruit du pont se fracassant, et le son obsédant du galop -de ses poursuivants avaient cessé. Il avait maintenant mis une distance -suffisante avec eux. Il soupira, mit sa monture épuisée au pas, et -l’accompagna, pied à terre. Avaient-ils abandonné pour de bon ? Il valait -mieux continuer à s’éloigner. -

Il n’avait pas vraiment regardé où il allait, mais il était peut-être temps. -Il n’y avait plus de brouillard, et les arbres étaient suffisamment espacés -maintenant pour qu’il arrive à distinguer son chemin à la lumière de la lune. -À sa droite, s’élevait une haute falaise, interdisant toute sortie par là, mais -un vieux sentier la longeait. S’il s’éloignait encore un peu de la rivière, il -serait enfin invisible, à l’abri... -

Alors qu’il commençait un peu à se rassurer, le bruit d’un galop tant -redouté parvint à ses oreilles. Oh non. Ils ne laisseraient donc jamais -tomber ? Il soupira, se remit en selle – ou plutôt à cru – et repartit, malgré -les protestations de sa monture. Tournant la tête, il remarqua alors que son -poursuivant était seul. Pourquoi ? Il n’eut pas le temps de réfléchir à cette -question qu’il déboucha brusquement dans une clairière à l’extrémité -de laquelle se trouvait... la falaise. Il pouvait essayer de chercher -un chemin vers la gauche, mais ne risquait-il pas de tomber encore -sur un cul-de-sac ? Et son cheval était vraiment épuisé. Il allait -falloir trouver une autre solution. Une cachette, peut-être ? Ou bien -escalader la falaise ? Ça allait être compliqué avec un cheval... Il mit -mied à terre, et, plus par habitude qu’autre chose, dégaina son épée. -Combattre le prêtre ? Cette idée ne l’enchentait guère, mais avait-il le -choix ? Son regard tomba alors sur la robe aux bordures d’or de la -prêtresse, qui se reflétaient dans la lueur de la lune, et resta une seconde - - -figé, réfléchissant. Cela pouvait peut-être marcher... Il tourna la -tête. Le prêtre n’était pas tout près, son cheval devait être fatigué -lui aussi. Il avait tout juste le temps. Un sourire se dessina sur son -visage. -

Silwë -

Se cacher dans la forêt était-il un don vraiment spécifique aux elfes -sylvains ? Les cinq prêtres restants faisaient un tel bruit, en essayant de -faire traverser leurs montures réticentes, que ce n’était pas bien difficile. Et -même sans cela, une forêt n’était jamais silencieuse, de jour ou de nuit. -Ce n’était pas pourtant si compliqué de faire moins de bruit que -ça... -

— Dépêchez vous, il faut aller aider Odal ! ordonna l’un d’eux, qui semblait -visiblement en charge.
— Pas la peine de crier si fort, Feyne. Et je crois que mon cheval -boîte.
Le dénommé Feyne soupira. Un autre prêtre hocha sa tête encapuchonnée. -La pauvre bête était celle qui était tombée dans la rivière quand -le pont s’était effondré. De plus, elle tremblait encore plus que les -autres.
— Alors venez m’aider à faire traverser celui-là ! Vite ! -

Se cacher était d’autant plus efficace qu’ils ne cherchaient personne en -particulier. Elle aurait presque pu passer à côté et leur demander l’heure -qu’ils n’auraient pas fait attention à elle. Elle prit une seconde pour -imaginer cette scène totalement absurde dans sa tête, et ramena ses -bras contre son corps. Elle commençait à avoir froid, dans la nuit, -avec sa tunique trempée collée contre son corps. Elle avait bougé -pour s’éloigner d’eux, mais ce n’était pas suffisant pour lui tenir -chaud... -

— Là bas, on dirait qu’il est de retour !
Un prêtre montrait du doigt la silhouette d’Odal, qui revenait au galop en -leur faisant un geste. Arrivé à une dizaine de mètres de ses compagnons, -celui-ci désigna du doigt la direction d’où il revenait.
— Ils se sont arrêtés dans une clairière, au pied de la falaise. La prêtresse - - -est seule, je pense qu’il y a un piège...
Silwë fronça les sourcils. Cette voix sonnait étrange à ses oreilles. Et elle -n’était pas la seule à réagir comme ça. Brusquement, Feyne murmura -quelques mots et tendit un bras vers lui. -

Un éclair bleu d’une lueur aveuglante jaillit du ciel sombre, et se -dirigea droit vers Odal. Elle plaqua ses mains sur sa bouche pour -ne pas crier, et manqua de tomber de sa branche. Juste au dessus -de l’homme, l’éclair se sépara en deux, puis en quatre, et ainsi de -suite, et finit par contourner entièrement le prêtre et sa monture, -comme si une sphère invisible l’avait protégé. Il lui sembla que même -les insectes et animaux se turent pendant les quelques instants qui -suivirent. -

— Mais tu es fou, pourquoi tu as cherché à le foudroyer ? questionna un -des prêtres à côté de Feyne.
Celui-ci haussa les épaules.
— J’ai eu un doute... De toutes façons, il est immunisé, non ? Allez, en -route.
— Mais nous sommes deux à n’avoir pas pu faire traverser nos montures !
— Alors restez ici et soyez sur vos gardes ! -

Feyne et les deux autres qui avaient traversé enfourchèrent leurs chevaux -et se lancèrent à la suite dudit Odal. Silwë, toujours sur son arbre, les -regarda s’éloigner en réfléchissant. Il avait eu un doute sur son identité, au -point de tenter de le foudroyer... Puis elle reconcentra son attention sur les -deux prêtres restants, qui discutaient tout en attachant leurs chevaux à une -branche voisine.
— Il est fou, Feyne, ou quoi ?
— Bah, il a cru que c’était quelqu’un d’autre. Il a trop bu je te -dis.
— Parle pour toi, tu empestes le vin !
Le prêtre haussa les épaules.
— Toi aussi. Tiens, tu n’aurais pas une lampe ? Il fait de plus en plus -sombre, je n’aime pas ça...
L’autre fouilla ses poches.
— Non, par contre j’ai des allumettes. On peut allumer un petit - - -feu. -

Une petite flamme à la lueur aveuglante apparut bientôt au pied du -pont.
— Au moins, on voit quelque chose, maintenant ! dit l’un des prêtres avec -un sourire satisfait.
Silwë serra les dents. Non seulement, avec cette lumière, elle perdait son -avantage, mais en plus à cause du contraste, elle distinguait moins -bien les ombres alentours. Et en plus, ce petit feu, qui avait l’air de -l’appeler de sa chaleur douce, lui rappelait encore à quel point elle avait -froid.
— Et si quelqu’un arrive, nous le verrons arriver de loin, renchérit -l’autre.
— Tu crois qu’on craint quelque chose ?
Le prêtre haussa les épaules, et se leva, droit dans la direction de Silwë. -Celle-ci sentit son sang se glacer autant que ses doigts. Il ne pouvait tout de -même pas l’avoir vue, si ? Elle serra dans sa main la poignée de son épée. -S’il fallait en venir là... -

L’homme s’approcha de l’arbre dans lequel elle se tenait, sans lui jeter le -moindre regard. Il releva sa robe et se soulagea contre le tronc. Elle -laissa échapper un léger soupir de soulagement. Il revint ensuite vers -son compagnon. Celui-ci s’était assis et observait les environs, peu -rassuré.
— Tu crains vraiment que quelqu’un n’arrive ? lui demanda-t-il..
— Bah, si le barbare n’est plus dans la clairière... Tu ne veux pas aller jeter -un œil aux alentours ?
— Je suis peut-être assez sobre pour invoquer un enchantement de -détection, si ça peut te rassurer... -

Un enchantement de détection... Voilà autre chose. Ces enchantements -marchaient-ils même quand le prêtre était un peu ivre ? Détectaient-ils les -elfes ? Elle avala sa salive. Si oui, leur permettrait-ils de la localiser -précisément ? Quelle serait leur réaction s’ils tombaient sur une elfe -trempée et peu vêtue ? -

Farl - - -

Les suivre, les suivre... Plus facile à dire qu’à faire. Heureusement, même -s’il ne voyait pas très bien, le bruit que faisaient les prêtres à cheval -était facile à suivre. Il allait à pied, à moitié en courant, à moitié en -marchant, une monture aurait été bien évidemment hors de question. Les -prêtres n’avaient visiblement pas abandonné, il les entendait galoper -encore. Ivres, certes, mais c’est peut-être justement ça qui les avait fait -se lancer dans une poursuite en pleine nuit. À ce rythme, il ne les -rattraperait jamais, même en prenant des raccourcis à travers les -broussailles... -

Soudain, il entendit un grand fracas et des cris. Que se passait-il ? Il ne -pouvait s’empêcher de trembler pour Silwë et Irdann. Surtout Silwë, petite -et frêle... Il interrompit aussitôt ses pensées. Elle avait une épée, comme -Irdann, et les rares fois où il l’avait vue s’entraîner avec ses compagnons, -elle savait très bien s’en servir. À mesure qu’il se rapprochait, il lui sembla -que le bruit ne s’éloignait plus. Était-ce bon ou mauvais signe ? Il n’était -plus très loin lorsqu’il aperçut l’éclair illuminer le ciel d’une lueur -bleutée. Il frissonna. Ce n’était clairement pas bon signe. Il se mit à -courir. -

Une lueur était apparue, au loin. Il s’approcha avec précautions. C’était -un feu, et deux prêtres s’y affairaient. Leurs chevaux étaient attachés un -peu plus loin. Derrière eux se trouvait le pont sur la rivière, ou plutôt ce -qu’il en restait. Que s’était-il passé ? Et où étaient les autres prêtres, et ses -compagnons ? Il s’approcha encore, en essayant de ne pas faire de -bruit. -

Les prêtres n’avaient pas l’air particulièrement rassurés. L’un d’eux -s’était mis à genoux, et semblait prier. Il avança lentement, avec -précautions. En ville, c’était différent. Il n’y avait pas des branches et -feuilles par terre pour trahir ses pas, et puis l’invisibilité dans une cité -consistait, la plupart du temps, à être juste assez visible et audible pour que -personne n’ait envie de faire attention à lui. -

Soudain, le prêtre à genoux se redressa brusquement, dégainant son -épée de sa ceinture, paniqué.
— Quatre hommes !
— Quoi, sursauta l’autre. Il y a quatre hommes autour de nous ?
Farl se figea. Quatre hommes ? Comment avait-il vu les yeux fermés ? Et -où ?
— Euh non, quatre en nous comptant. Cela veut dire qu’il y en a deux qui -nous menaçent !
— Tu es sûr de toi ? Tu as bu. Si ça se trouve, tu as juste senti la présence -des chevaux.
Il haussa les épaules, hésitant.
— Je ne pense pas... Je n’ai jamais entendu dire que cet enchantement -pouvait faire ça... -

Un enchantement... Et deux hommes présents... Sauf si l’ivresse le faisait -« sentir » double, c’est qu’il y avait quelqu’un d’autre. Où ? Et qui ? En -tous cas, à la réaction des prêtres, ce n’était pas un de leurs amis... Reste à -savoir si c’était un des siens. -

Le petit feu de camp apportait un éclairage raisonnable, mais laissait -tout de même des zones d’ombre. Il sortit de sa tunique deux dards de -lancer, imprégnés d’un somnifère très puissant, et s’approcha encore. À -cette distance, il devrait pouvoir les toucher... s’avancer plus le ferait repérer -de toutes façons. Il prit une grande inspiration et lança les deux projectiles -aussi vite et précisément que possible. -

En l’espace de quelques secondes, les deux hommes s’étaient effondrés. Il -poussa un soupir de soulagement, et s’avança dans la lumière pour -récupérer ses armes. Personne aux alentours, parfait. Soudain, il entendit un -bruit dans son dos. -

C’était Silwë. Elle n’avait plus la robe rouge, mais une simple tunique -courte beige, sans manches, trempée comme ses cheveux. Des éraflures -couvraient son épaule et son bras droit. -

Silwë -

Farl s’était retourné brusquement, et elle ne put s’empêcher de noter -avec un léger frisson qu’il tenait dans ses mains deux couteaux à la lame -noire, qui étaient apparus encore plus vite qu’il n’avait bougé. Il resta figé -quelques instants, immobile, à la fixer.
— C’est moi...
Le son de sa voix sembla le réveiller. Il se redressa et désigna le feu et ce qui - - -restait du pont.
— Qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi es-tu trempée et... ?
— J’ai saboté le pont pour donner de l’avance à Irdann, coupa-t-elle. Je suis -restée cachée ici. Quelques prêtres ont malgré tout traversé, il a peut-être -besoin d’aide... Elle fit une pause, puis désigna les deux hommes -endormis.
— Merci, au fait.
Il esquissa un léger sourire, puis se figea en même temps qu’elle. Des -bruits de sabot... Ils échangèrent un regard, et sans avoir besoin -de se concerter, se jetèrent hors du sentier et s’aplatirent dans un -buisson. -

Les mystérieux sabots passèrent du galop au trot, puis au pas, et -s’arrêtèrent à une quinzaine de mètres du pont. Le bruit d’un cavalier -mettant pied à terre se fit entendre. Qui était-ce ? Elle se redressa -doucement, fit signe à Farl de ne pas bouger, et s’approcha. -

C’était un prêtre, qui s’avançait prudemment, en regardant aux -alentours, l’épée dégainée. Sa capuche était tombée, et elle le reconnut -immédiatement. -

Irdann -

— Irdann !
C’était la voix de Silwë. Soulagé, il la vit émerger des sous-bois, suivie -bientôt de Farl. Il poussa un soupir de soulagement.
— La déesse soit louée, vous êtes tous les deux vivants !
— Qu’est-ce que tu fais là ? Habillé en prêtre ? Qu’est-ce qui s’est passé -là-bas ? demanda-t-elle.
— Je vous expliquerai plus tard. C’est le moment de s’éclipser, ils ne vont -pas tarder à revenir.
Ils s’éloignèrent rapidement, en courant, se relayant sur le cheval. -

Une demi-heure de marche et de course plus tard, ils retrouvèrent -Uhr et la prêtresse. Ils avaient préparé les autres chevaux, rangé -soigneusement le camp et effacé au mieux leurs traces. Leur visage marqua -une certaine surprise en apercevant les tenues de Silwë et Irdann, -mais attendirent qu’ils soient tous les cinq à cheval pour poser leurs - - -questions. -

Il leur raconta alors qu’une fois au pied de la falaise, il avait laissé la -robe de la prêtresse attachée à une branche, et lorsque le prêtre s’était -avancé pour regarder ce qui se passait, il l’avait assommé et pris sa -tunique. Dans le noir, avec la capuche, les prêtres n’avaient pas fait -attention...
— L’un d’eux, si. Il a même essayé de te foudroyer, interrompit -Silwë.
— Oui. Heureusement, le fait d’avoir échoué l’a suffisamment convaincu...
— Et que s’est-il passé ensuite ?
— Je les ai laissés me distancer, prétextant que mon cheval était épuisé, ce -qui n’était pas tout à fait faux. Je me suis éloigné le plus possible -d’eux, et après être sûr qu’ils ne m’avaient pas suivi, j’ai fait le tour -pour aller voir ce que tu devenais... Les deux autres prêtres, ils sont -morts ?
— Non, je suis arrivé à ce moment là, et je les ai endormis, précisa -Farl.
— Et qu’est-ce que les prêtres ont trouvé, dans la fameuse clairière ? -demanda Uhr.
Irdann sourit.
— Oh, leur compagnon, assommé et avec la robe rouge et or sur la -tête...
Ses compagnons sourirent à leur tour. -

Samantha -

Elle avait un peu de mal à réaliser tout ce qui s’était passé ce -soir. Mais elle était libre, et ils étaient tous les cinq en route. Après -quelques heures de route, ils s’arrêtèrent enfin et s’installèrent dans une -maison isolée et en ruines, qu’ils avaient apparemment repérée à -l’aller. -

Quels étaient leurs noms, déjà ? Il y avait Uhr, le « barbare ». Sans -son pagne, il avait l’air beaucoup moins brutal, même si sa silhouette restait -impressionnante. Il y avait bien sûr le jeune apprenti paladin, qui avait -lui aussi revêtu des vêtements plus discrets que ceux du prêtre, - - -qui s’occupait pour le moment des chevaux épuisés. Il y avait la -jeune elfe, Silwë. Pour le moment, elle se réchauffait de son bain -forcé, enveloppée dans une couverture. Et le dernier de ces quatre -compagnons insolites, Farl. Celui qui semblait être une sorte de voleur ou -d’espion, était occupé à nettoyer les multiples coupures qu’avait subi la -jeune femme en sautant de sa monture, avec une certaine délicatesse, -nota-t-elle. -

— Je pense que le mieux est de dormir un peu, à présent. Nous sommes -assez loin de Touryre, non ?
Irdann était revenu s’asseoir près des autres, et avait pris une couverture. -Uhr hocha la tête.
— J’espère. Qu’en pensez-vous Samantha ?
— Je n’ai pas regardé, mais il me semble que nous avons parcouru une -bonne distance. Que comptez-vous faire à présent ?
— Cela ne dépend pas que de moi, répondit Uhr. Que voulez-vous faire, -vous ?
Elle haussa les épaules. Elle avait certes un peu réfléchi à la question, -mais ne se faisait pas tant d’illusions que cela sur la réussite de son -enlèvement.
— J’espérais me cacher quelque part pendant un moment, je pense que la -capitale est un bon endroit pour être discret, non ?
Uhr sourit.
— Je peux vous confirmer que c’est effectivement le meilleur endroit pour se -faire oublier et commencer une nouvelle vie. -

Elle le regarda quelques instants, incrédule. Il poursuivit.
— Je suis né dans les plaines barbares, et je vis à Talecombe depuis de -nombreuses années. Je suis à la garde de la ville, tout comme Irdann et -Silwë... -

Elle les écouta, tour à tour, raconter leurs passés aussi étonnants que -variés. Uhr, effectivement ancien barbare aux mille petits boulots ; Irdann -le fils du duc, apprenti paladin ; Silwë, future soldat d’élite elfe, tous les -trois apprentis d’un maître épéiste renommé, maître Ernest. Et Farl, -enfant de la rue, devenu assassin puis ménestrel. -

Tout en s’enroulant dans sa couverture, elle se demandait ce qu’il allait - - -advenir de ces quatre étrange personnages... Quelque chose lui disait qu’elle -n’était pas au bout de ses surprises. -

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Sélène -

Sélène jura intérieurement. Elle venait de rater le départ du convoi -public, composé d’une diligence et de quelques soldats, qui lui aurait permis -de rentrer chez elle seule. Elle en avait assez d’être escortée des gardes de -son château, qui ne lui laissaient absolument aucun champ libre, et elle avait -eu bien assez de mal à convaincre ses parents de la laisser se débrouiller -seule. La première partie du trajet s’était passée sans aucun problème, elle -avait même fait quelques rencontres intéressantes, qui avaient rendu les -journées moins longues. -

Elle soupira. On était en milieu d’après-midi, et il fallait bien qu’elle -fasse quelque chose. Elle poussa la porte de la seule auberge du village, et -alla parler à la patronne, une jeune femme à peine plus âgée qu’elle, au -visage accueillant.
— Un repas et une chambre pour la nuit ? Bien sûr. Ce sera prêt ce soir. -Mais que fait donc une dame de votre rang seule dans ce modeste -village ?
— À vrai dire... j’ai subi un léger contretemps. D’ailleurs, peut-être -pouvez-vous me renseigner. Je cherche un moyen de traverser la forêt pour -me rendre en la seigneurie de Assem.
— Si vous savez monter, vous pouvez louer des chevaux et engager -des hommes pour vous protéger. Je peux vous indiquer quelques -contacts.
Sélène réfléchit quelques instants. Elle n’aimait pas voyager avec beaucoup -d’argent sur elle, et n’était pas sûre de pouvoir se payer un cheval et une -escorte armée de plusieurs hommes. La jeune femme sembla saisir son -embarras.
— En fait, si vous n’avez pas peur de marcher et que vous n’êtes pas -pressée, vous pouvez vous passer du cheval. Par contre, une bonne escorte -est vraiment nécessaire. Il y a beaucoup de bandits dans ces bois. Je peux -vous recommander...
La jeune femme sembla réfléchir quelques instants.
— Mince, maintenant que j’y pense, la plupart des hommes disponibles et -compétents sont déjà partis escorter d’autres convois à travers la forêt. Ils -rentreront dans quelques jours.
À sa mine déçue, elle ajouta :
— Il y a bien Zach, qui habite la petite cabane en bordure du village. Il est -parti plus tôt que les autres, et le connaissant, il sera très rapidement de -retour, peut-être même l’est-il déjà. Mais ne partez pas seule avec lui, il est -un peu...
— Un peu... quoi ?
La tenancière haussa les épaules.
— Oh ne vous inquiétez pas, il n’est pas méchant, et il ne vous arrivera rien -de vraiment grave avec lui. C’est même probablement le meilleur guide de la -région. Seulement, il est un peu brusque, un peu sauvage, et euh, très peu -délicat... Pas du tout convenable à une jeune fille de votre rang. Enfin, si je -puis me permettre.
— Merci pour vos conseils, je vais réfléchir. -

Aller ou ne pas aller voir ce fameux guide ? Elle hésitait. Attendre -quelques jours n’était pas mortel. Elle pouvait peut-être même faire -parvenir une missive à ses parents pour les prévenir de son retard. D’un -autre côté, le « jeune fille de votre rang » lui restait un peu en travers de la -gorge. Elle avait l’habitude, à l’université de magie, d’être traitée comme les -autres, et n’aimait pas, lorsqu’elle rentrait chez elle, redevenir une jeune -femme posée et douce, à l’attitude noble qui sied à son rang. Rien que pour -cela, l’idée de partir dans la forêt avec un sauvage était tentante. -Qu’avait-elle à perdre à aller voir ? Il n’était peut-être pas rentré de toutes -façons. -

Lorsqu’elle arriva près de la petite cabane, elle eut quand même un -instant d’hésitation. Cet endroit ressemblait plus à un abri précaire qu’à -une maison. Une partie d’elle-même sembla presque soulagée de ne voir -aucune lumière à l’intérieur. Elle s’approcha néanmoins de la porte, et - - -s’apprêta à y frapper. -

— Vous cherchez quelqu’un ?
Surprise, elle se retourna vivement. Elle n’avait pas entendu l’homme -approcher dans son dos.
— Je cherche un guide du nom de Zach. S’agit-il de vous ?
— C’est moi.
L’homme était très différent de ceux qu’elle avait déjà fréquentés. En fait il -était très différent de tous ceux qu’elle avait pu voir, qu’il s’agisse de nobles, -de serviteurs, de collègues magiciens ou de paysans. Son air fin et élancé -rappelait celui des elfes, mais sa barbe et ses oreilles le démentait. Il était -vêtu d’une tunique en lin gris et usée, d’un pantalon de toile épaisse brune, -et à son côté pendait une épée.
— Je cherche à me rendre dans la seigneurie de Assem.
— Vous êtes seule ? Vous avez une monture ?
— Je suis seule et à pied.
Le guide marqua un temps d’arrêt, hésitant. Il semblait la jauger du regard. -Peut-être ne la croyait-il pas capable de le suivre ?
— Alors ?
— Vous voulez traverser à pied ? Cela va durer six à sept jours.
— Ça ne m’effraie pas.
— Vu la saison, il faudra marcher hors des sentiers battus, pour -éviter les attaques. Donc il n’y aura pas d’auberge ou de refuge sur le -chemin, on devra dormir à la belle étoile. Le couvert sera spartiate -aussi.
Il essayait de la faire renoncer, c’est sûr. Mais le trajet ne l’effrayait pas. La -vie à la dure ne lui faisait pas peur, cela lui rappellerait sa première année -d’université, avec les paillasses inconfortables pour dormir et le chauffage -intermittent en plein hiver.
— D’accord.
Il hocha alors légèrement la tête, et fit un pas vers elle. Puis soudain, il -attrapa un pan de sa robe et le souleva. Elle poussa un cri de colère et de -surprise en même temps, tout en se dégageant et en reculant d’un pas. -Comment osait-il ?
— Les chaussures. Vous ne pouvez pas courir les chemins avec ça. -Trouvez-vous des bottes.
Furieuse, elle retint difficilement une gifle. L’homme en face était plus -grand, plus fort qu’elle, et armé qui plus est. Et puis elle ne comptait -pas renoncer maintenant. Ne serait-ce que pour ne pas perdre la -face.
— J’aurai les chaussures qu’il faut demain. D’autres... détails ?
Elle avait peut-être un peu trop insisté sur le mot « détails », mais c’était -sorti tout seul, d’agacement. Il ne releva pas, et se contenta de hausser les -épaules.
— Rendez-vous demain matin, dès les premières lueurs de l’aube. Je -m’occuperai des vivres. Le trajet coûtera cinq pièces d’or. Marché conclu, -mademoiselle... ?
Il lui tendit la main. Elle frappa dans la sienne.
— Marché conclu. Appelez-moi Sélène. -

Zach -

Le soir, sur sa paillasse, Zach réfléchissait. Il avait déjà accomagné des -voyageurs insolites, mais quelque chose lui disait que cette Sélène lui -réservait quelques surprises. -

Elle avait le teint pâle et délicat, une robe violette travaillée, aux -bordures dorées, qui semblait convenir à une noble plutôt qu’à une -voyageuse. L’air de défi qu’elle avait correspondait aussi, bien qu’il était -plus répandu chez les seigneurs que chez les dames, à qui on enseignait -douceur et obéissance. Alors que sur son geste – certes à la fois ambigü et -peu délicat de sa part – pour vérifier ses chaussures, la plupart des femmes -qu’il avait croisé auraient – selon la situation – hurlé de peur, manqué de -s’évanouir, ou gloussé ; elle avait plutôt donné l’impression de vouloir le -transpercer d’une épée. Heureusement qu’elle n’en avait pas à ce moment -là, en fait... -

Et puis elle était venue seule, et rien que ça, c’était étrange. -

Et il y avait ce nom, tout simple. Était-ce vraiment le sien ? D’habitude, -les nobles aimaient à étaler des noms à rallonge, comme si ce seul nom -faisait leur valeur. Était-elle vraiment sans prétention, ou avait-elle quelque -chose de louche à cacher ? -

À l’aube, elle était là, prête. Habillée comme la veille, aux bottines près, - - -avec un manteau brun, et munie d’un sac en cuir en bandoulière, en -apparence bien rempli. Lui-même avait revêtu une armure et des brassards -de cuir, et avait également pris une besace chargée et une cape, gris -foncé. -

Il hocha la tête, lui tendit une gourde et une couverture, qu’elle mit dans -son sac sans dire un mot, et ils se mirent en route. -

Sélène -

Sélène regrettait un peu d’avoir accepté de le suivre. Zach avait un -rythme de marche très soutenu qu’il était difficile de suivre. De plus, elle se -prenait chaque branche, fougère, buisson, racine, comme si la forêt entière -avait décidé de l’empêcher d’avancer. Lui était tellement à l’aise qu’il -semblait que ces mêmes obstacles s’effaçaient devant lui. Sur une -racine particulièrement vicieuse, elle s’étala de tout son long dans des -branchages. Zach, qui marchait devant sans la regarder, s’arrêta pourtant -instantanément, et se retourna. Pourvu qu’il évite une remarque -sarcastique, c’était bien assez humiliant comme ça. Sans dire un mot, il lui -tendit simplement la main, et la releva. Elle n’avait pas osé croiser son -regard. -

Quelques heures plus tard, alors que ses pieds commençaient à la faire -sérieusement souffrir, et que son souffle se faisait de plus en plus court, il -décréta une pause. Elle se sentit à la fois soulagée et gênée. Faisait-il la -pause exprès pour elle ? Certes, il était midi, mais peut-être qu’il ne -s’arrêtait pas toujours, et mangeait en chemin.
— Comment vont vos pieds ?
— Ça va. Pourquoi ?
— Parce que vous boitez, depuis trois heures. Ampoules ?
Elle avait essayé de ne pas le montrer, pourtant. Et puis elle n’avait -pourtant rien dit, de quoi il se plaignait ? Elle garda le regard fixé sur le -liseré de la manche de sa robe, évitant son regard.
— Oui peut-être. Mais je peux continuer, hein.
Elle ôta ses bottes et ses chaussettes et retint un gémissement. C’était -encore pire que ce à quoi elle s’attendait.
— Allez tremper vos pieds dans le ruisseau juste là, pendant que je sors de - - -quoi manger.
Le ton s’était adouci. Venait-elle de passer une sorte de test ? Ou avait-il -pitié, finalement ? Elle releva les yeux et son regard croisa le sien le temps -d’une seconde. Il lui souriait. -

Zach -

Il était évident que Sélène n’avait quasiment jamais mis les pieds dans -une forêt. Elle trébuchait sur chaque branche, chaque racine, sursautait à -chaque bruit. Pourtant, il ne l’avait pas entendue se plaindre de la journée, -il évita donc quelques remarques amusées qui lui brûlaient les lèvres. Il -remarqua aussi très rapidement qu’elle n’avait pas l’habitude de marcher -tout court. Non seulement elle s’était mise à boiter, mais son souffle était de -plus en plus court et son visage de plus en plus rouge. Il maintint le rythme -jusqu’au soir, et quand les ombres s’allongèrent, il la sentit à bout. -Ayant repéré un endroit convenable, il s’arrêta et se tourna vers -elle.
— Reposez-vous ici, je vais chercher de quoi faire un feu.
Elle répondit immédiatement, d’un ton presque agacé.
— Merci, mais je vais bien, je peux rester debout, et vous aider.
Il lui sourit. Décidément, elle avait du cran, et ça lui plaisait.
— Pas la peine de me le cacher, je vois bien que vous êtes épuisée. Il n’y a -pas de mal à ça.
Elle fronça les sourcils. Il reprit plus doucement.
— Vous avez bien mérité un peu de repos. Tous les voyageurs à qui je fais -traverser cette forêt ne suivent pas mon rythme comme vous sans se -plaindre, croyez-moi.
Elle sembla hésiter, puis s’assit dos à un arbre, et posa son sac, laissant -échapper un léger soupir de soulagement. -

Il revint une dizaine de minutes plus tard. En plus du bois, il avait -trouvé quelques baies. La nuit était quasiment tombée, mais cela ne lui -avait jamais posé problème. Sélène était toujours assise, adossée au -même arbre, penchée en avant, immobile. Endormie ? Elle avait -vraiment l’air épuisée, c’est vrai... Elle avait ôté ses bottes, et ses mains -étaient posées sur ses pieds, laissaient entrevoir une peau intacte. Il -fronça les sourcils. Il se souvenait d’avoir vu ses pieds presque en - - -sang à midi. Peut-être que ses doigts cachaient les blessures, après -tout, ses chaussettes posées à côté d’elle en portaient toujours les -traces. -

Sélène -

— Vous allez bien ?
Elle sursauta et ouvrit les yeux. Il faisait noir autour d’elle. Elle cacha -rapidement ses pieds sous sa robe, en se redressant.
— Oui, oui. Je crois que je me suis assoupie, désolée...
Ah, pourquoi ce moment d’endormissement ? En fait, elle savait très bien. -Elle avait tellement mal aux pieds qu’elle avait profité de l’absence de -son guide pour lancer un léger sort. Un qui n’avait pas besoin de -son bâton pour être efficace. Un simple apaisement des blessures -mineures. Elle eut honte, pourtant ce n’était pas sa première blessure, et -d’habitude, elle savait tenir la douleur. Lorsqu’on s’entraîne à la magie, -c’est même très courant. En plus, c’était un risque, il aurait pu la -voir... Lancer un sort était rarement discret, elle le savait. Et ce -moment de sommeil... Oui, elle savait que la magie pouvait épuiser. -Mais ce n’était pas un si petit sort qui aurait dû l’endormir, tout de -même ! -

Elle regarda son guide, qui venait de réussir à allumer un feu. Il ne -semblait pas se douter de ce qui s’était passé. Ouf, elle n’était passée pas -loin de la catastrophe. La chaleur et la lumière lui rendirent un peu de -forces, et plus encore le repas qu’il lui tendit, composé essentiellement de -pain, de fromage et de lard.
— J’ai pu trouver quelques myrtilles pour le dessert. C’est toujours ça. -Peut-être que demain, j’aurai le temps de chasser quelque chose, ça -améliorera le repas.
Il semblait presque gentil avec elle, maintenant. Pitié ou sympathie ? Son -sourire semblait plutôt franc.
— Enroulez-vous dans votre couverture, je vais baisser le feu pour la -nuit.
— Vous ne dormez pas ?
— Ce coin de forêt est assez calme, et j’ai vérifié les alentours. Il n’y a pas -de gros soucis, donc je dormirai aussi. Et ne vous en faites pas, ajouta-t-il en - - -voyant son air inquiet, je dors souvent seul en forêt et je sais me réveiller si -quelque chose d’anormal se passe. -

Elle sortit la couverture, s’enveloppa dedans, posa sa tête sur sa besace -et avant d’avoir le temps de constater que le sol était bien trop dur, elle -s’endormit profondément. -

Zach -

Pendant les quelques minutes où il s’occupait du feu, de façon à -s’assurer qu’il ne dégénère pas, il observa la jeune femme. Elle était -épuisée. Peut-être avait-il été un peu rude avec elle ? Finalement, elle -suivait à peu près son rythme, sans se plaindre, et sa compagnie n’était pas -désagréable. Ces cinq ou six jours de traversée ne s’annonçaient pas si mal. -Il écarta aussitôt une idée idiote qui lui traversa l’esprit. Non, pas -avec une noble. Surtout sa cliente. Ç’aurait été une paysanne, ou -une servante, il se serait peut-être posé la question, mais avec une -damoiselle de haut rang, c’était le meilleur moyen de s’attirer les pires -ennuis... -

Il se leva en s’étirant, fit un tour rapide du campement de fortune, puis -s’enroula dans sa propre couverture, de l’autre côté du feu, et s’endormit à -son tour. -

Le lendemain, il se réveilla de très bonne humeur. Habitué à dormir à -même le sol, il avait passé une très bonne nuit. À la grimace que fit Sélène -en se levant, il se rappela que ce n’était pas le cas de tout le monde. Si on y -ajoutait les courbatures dues à l’effort qu’elle avait fourni la veille, -le réveil était probablement beaucoup moins agréable pour elle. -Pourtant, elle suivit sans broncher le même rythme, et semblait un -peu plus détendue. Il se permit même quelques remarques amusées, -qu’elle ne prit pas trop mal. Vers le début de l’après-midi, elle lui -posa même quelques questions sur certaines plantes et arbres qu’ils -croisèrent. -

Alors que le soir approchait, il la laissa encore près du campement pour -aller chercher de quoi faire un feu. Avec un peu de chance, il trouverait -peut-être du petit gibier, et ils feraient un bon repas, pour changer. Ils -pouvaient se permettre de prendre un peu de temps, car ils avaient bien - - -avancé. Ce n’était pas parce qu’il avait une réputation de sauvage qu’il ne -savait pas apprécier quelques bons moments. -

Son sang se glaça soudain lorsqu’il entendit un cri. C’était sa voix. Si -elle avait été n’importe quelle autre fille, il aurait cru à une rencontre -inattendue avec une araignée. Mais là... Dégainant d’un même geste son -épée de sa ceinture et son couteau de sa botte, il se précipita vers le -camp. -

Sélène -

Elle recula lentement, de façon à garder toujours dans son champ de -vision les deux hommes. Leurs vêtements étaient sales et un peu déchirés, -ils étaient armés l’un d’un gourdin et l’autre d’une vieille épée. Ne pas -paniquer. À l’université de magie, elle s’était entraînée à combattre -physiquement, en utilisant son bâton de magicienne comme d’une arme -lorsqu’elle ne voulait ou ne pouvait pas utiliser la magie. Elle n’avait trouvé -à la place qu’une branche cassée, lourde et peu pratique à manier ; mais -elle comptait bien ne pas se laisser faire. Au pire, elle pouvait essayer de -gagner du temps. Pourvu que Zach arrive vite... mais était-il capable de -maîtriser ces deux brutes ? -

Elle était si concentrée qu’elle ne fit même pas attention à ce -qu’ils lui dirent. L’un d’eux, celui à l’épée, s’avança. Elle pivota -et plaça son arme si dérisoire dans sa direction. Ne pas le laisser -s’approcher, coûte que coûte. Qu’avait-elle à perdre ? Ces deux brigands -n’allaient pas se contentent du peu d’or qu’elle possédait de toutes -façons... -

À l’instant où le bandit leva son épée pour dégager le bâton, l’homme au -gourdin disparut soudainement de son champ de vision. Sentant la panique -monter, elle dirigea d’un mouvement brusque la branche vers le visage de -l’autre. Si elle touchait ses yeux avec les brindilles à son extrémité, elle -pouvait gagner encore un peu de temps... Il esquiva le coup, puis dégagea la -branche sur le côté du plat de sa lame, avant de s’avancer vers elle d’un -pas. -

Alors qu’il allait l’atteindre, il s’effondra brusquement, à ses pieds. Elle -n’eut pas le temps de comprendre ce qui se passait lorsqu’une main se - - -posa sur son épaule. Cette fois, elle ne put retenir un cri de panique. -Maintenant sa prise à deux mains sur son arme de fortune, ramenant les -bras vers elle, elle donna un grand coup dans son dos, de toutes ses -forces. Elle sentit un choc, entendit un bruit mat et un gémissement -étouffé.
— Hé, c’est moi !
Reconnaissant la voix, elle se retourna. Zach était là, sa main gauche posée -sur ses côtes, son épée couverte de sang dans la main droite, et un couteau -aussi sale glissé rapidement dans sa ceinture. Elle regarda alors autour -d’elle. Les deux hommes gisaient à terre. Elle lâcha la branche, en -tremblant. Il lui prit délicatement la main.
— Viens, il ne faut pas traîner ici. D’autres pourraient venir. -

Zach ramassa leurs deux sacs, les passa en bandoulière, et l’emmena au -pas de course. Elle le suivit sans réfléchir. -

Combien de temps s’était passé lorsqu’elle reprit un peu ses esprits ? -Elle l’ignorait. Mais la nuit achevait de tomber, et ses jambes commençaient -à faiblir. Il n’avait pas lâché sa main.
— Où va-t-on ?
— Je connais un endroit où on est sûrs de passer une nuit en sécurité. Nous -y sommes presque.
Quelques minutes plus tard, ils arrivèrent devant un amas rocheux.
— C’est un peu escarpé, mais pas trop difficile. Ne lâche pas ma main, et -n’hésite pas à t’accrocher de l’autre à la roche ou à la végétation. -

L’ascension fut difficile, et tenait presque plus de l’escalade que de la -marche. Elle devait se tenir sans cesse à la paroi qu’elle voyait de plus -en plus mal. Sans compter qu’elle ne pouvait plus tenir sa robe, -et se prenait les pieds dedans. Comment lui faisait-il pour grimper -avec les deux sacs, en tenant sa main, et sans montrer le moindre -effort ? -

Une pierre se détacha subitement sous son pied gauche, dans un -léger craquement. Elle sentit son second pied glisser, et sa main -chercha – en vain – de quoi se raccrocher à la paroi. Par réflexe, son -autre main s’aggrippa encore plus fort à celle de Zach, en laissant -échapper un léger cri. Sa chute, qui lui parut durer une éternité, s’arrêta - - -une quarantaine de centimètres plus bas, retenue par cette main -salvatrice.
— Tout va bien. Reprends tes appuis, tranquillement. Attrape la racine, au -niveau de ta tête.
Ne pas regarder en bas. Ne pas regarder en bas. Tremblante, elle saisit la -prise qu’il lui avait désignée, et reposa ses pieds sur un rocher. Puis elle leva -les yeux vers lui. Il lui adressa un sourire encourageant.
— C’est presque fini. -

Quelques mètres plus loin, la paroi se fit carrément verticale et lisse. -Zach désigna un buisson au dessus de sa tête.
— C’est ici. Par contre, tu vas devoir lâcher ma main quelques instants.
Elle vit sa silhouette escalader lestement les derniers mètres et disparaître -dans le buisson sombre. Puis ce buisson s’écarta légèrement, laissant -entrevoir une grande faille dans laquelle il se tenait assis. Il se mit à plat -ventre au bord, et tendit son bras. Elle le saisit, et il la hissa jusqu’à -lui. Le buisson se replaça sur l’entrée de la faille, coupant toute -lumière. -

— Où sommes-nous ?
— Dans une petite grotte cachée sur cette falaise. Fais attention, c’est un -peu bas de plafond. Il n’y a que moi qui connaisse cet endroit.
— Comment peux-tu en être sûr ?
— Je l’ai découverte il y a quelques années, je l’utilise parfois pour stocker -des choses. Jusqu’ici, hormis la nourriture, rien n’a jamais disparu. Mais en -général, c’est simplement un lieu de bivouac plutôt confortable. Enfin, -quand je suis seul.
— Quel est ce bruit ? De l’eau qui coule ?
— Il y a un petit ruisseau qui se déverse dans une vasque dans un coin de la -grotte. Ce léger bruit a l’avantage de masquer nos sons, déjà un peu -étouffés par la paroi et les buissons. D’ailleurs, je vais en profiter pour -remplir les gourdes d’eau fraîche. -

Elle l’entendit des bruits de pas s’éloigner rapidement vers le -fond de la grotte, tandis qu’elle-même s’éloignait de l’entrée de la -grotte, lentement, à quatre pattes et en essayant de ne pas se cogner. -
— Mais comment fais-tu pour t’y retrouver dans cette obscurité ? Et pour -ne pas te prendre la paroi ? Je ne vois absolument rien...
— Je connais cette grotte comme ma poche. Ça aide. -

Elle l’entendit revenir et s’asseoir face à elle. Il prit doucement sa main -et y déposa la gourde qu’il venait de remplir. L’eau était délicieusement -glacée. Puis il fit de même avec un morceau de pain. Qu’il connaisse sa -cachette les yeux fermés, d’accord, mais qu’il trouve directement sa -main...
— Tu vois dans le noir, n’est-ce pas ?
Ses doigts étaient encore en contact avec les siens, et elle le sentit, pour la -première fois, marquer un instant d’hésitation gêné.
— J’ai des yeux de chat, il paraît.
Le contact entre leurs doigts se rompit. -

Alors qu’ils mangeaient en silence, elle réfléchissait. Ainsi, il voyait dans -le noir... Ce genre de don était peu courant. Elle fit mentalement la liste des -êtres qui avaient cette capacité. Les elfes et les nains, déjà, bien que le -mécanisme soit totalement différent pour les deux races. Il y avait aussi les -loups-garous, et les vampires... Elle eut un léger frisson et passa -machinalement la main sur son cou, un peu soulagée de n’y sentir aucune -marque de blessure. -

Elle se rappela alors que si elle ne voyait rien, lui la distinguait -parfaitement, du moins semblait-il. Avait-il suivi sa pensée sur son visage ? -Voulait-il éloigner le sujet des « yeux de chat » ? Toujours est-il qu’il -reprit la parole.
— Désolé, on fait mieux question confort. Mais au moins on est en sécurité -ici.
— Tu penses vraiment qu’il peut y avoir d’autres brigands ?
Elle l’entendit soupirer.
— D’habitude, ce coin de forêt est plutôt calme, et ça m’a surpris d’en voir. -C’est ma faute, j’aurais dû mieux vérifier. Ces deux gars étaient peut-être -un cas isolé, mais dans le doute...
— Tu emmènes souvent des gens dans cette cachette ?
— Non. Tu es la première. - - -

Zach -

Il la vit terminer de manger avec un air pensif. Les brigands, la fuite, -l’ascension, la chute, la cachette... Tout cela devait faire beaucoup pour -quelqu’un qui n’avait pas l’habitude. Elle semblait un peu choquée, mais elle -tenait étonamment bien le coup. Ou alors elle cachait-elle très bien son -trouble ? -

Il la vit frotter ses mains et ses bras. Avant qu’il ne fasse une remarque -sur la température, elle anticipa.
— Il fait froid dans cette grotte.
Il se rappela qu’elle ne voyait rien, contrairement à lui. Cela devait être -extrêment gênant pour elle, de se sentir observée sans pouvoir observer en -retour.
— On ne peut pas faire de feu, et l’humidité n’aide pas. Installe-toi sur le -lit, vers le fond, et couvre-toi le plus possible. Enfin, lit... le tas de bruyère. -Ce n’est pas très confortable, mais c’est mieux que la roche, et ça isole du -froid. -

Pendant qu’elle s’installait, il se rapprocha de l’entrée et écarta -légèrement le buisson qui la masquait. L’autre avantage de cette cachette, -c’est qu’elle faisait un excellent point d’observation. La forêt était calme. -Une lueur, très lointaine, dans la direction opposée à leur trajet. -Brigands ou voyageurs ? Rien d’inquiétant vue la distance de toutes -façons. -

Il revint vers le fond de la grotte, et ne put s’empêcher de remarquer que -Sélène tremblait.
— Tu as toujours froid ?
— Oui, un peu.
Il marqua une seconde d’hésitation, et se racla la gorge.
— Il reste un moyen de se réchauffer : se serrer l’un contre l’autre.
Il la vit froncer les sourcils et réfléchir quelques secondes. Puis elle se tourna -vers lui.
— Bon d’accord. Mais tu as intérêt à garder tes mains de ton côté, -sinon...
— Compris !
Il n’avait pas forcément envie d’entendre la liste des supplices qu’elle - - -prévoyait de lui faire subir s’il avait le malheur de laisser traîner une main -au mauvais endroit. De plus, son ton presque menaçant lui donnait -l’impression qu’elle allait mieux. Et pour être honnête avec lui-même, sans -cela, il aurait probablement eu froid lui aussi. Il défit sa ceinture qu’il -posa près de lui, de façons à garder son épée à portée de main en -cas de besoin, et s’enroula dans sa couverture, tout contre la jeune -femme. -

Sélène -

Zach sentait la transpiration et le cuir de son armure – qu’il n’avait -même pas enlevée –, mais elle réalisa subitement qu’elle-même ne devait -pas sentir bien meilleur. Elle ne l’aurait pas admis tout haut, mais elle était -soulagée de l’avoir près de lui. Non seulement il lui tenait chaud, mais sa -présence, son souffle calme, même cette odeur la rassurait. Elle avait un peu -de mal à réaliser tout ce qui s’était passé cette soirée. Il l’avait sauvée des -bandits, l’avait amenée dans cet endroit si bien protégé et connu de lui -seul... Était-il sincère lorsqu’il lui avait avoué qu’elle était la première à y -pénétrer ? -

Elle réalisa soudainement que si quelque chose se passait mal, elle était -incapable de s’enfuir de cet endroit sans se rompre le cou. Il pouvait la -garder prisonnière ici s’il le voulait. Que pourrait-elle faire, s’il décidait -d’abuser de la situation ? Elle chassa cette idée. Il n’aurait pas attendu ce -soir pour ça. -

— Sélène ? Ça va ?
— Oui, oui...
Son visage n’était pas tourné vers elle. Il avait dû sentir son trouble aux -battements de son cœur.
— Je peux te poser une question bête ?
— Euh, vas-y...
— Où tu as trouvé des bottes en si peu de temps, l’autre jour ?
Elle sourit.
— Ah, ça ! J’en ai discuté avec la tenancière de la taverne. Elle a été ravie -d’échanger mes jolies chaussures contre une paire de bottines à elle. Même -si elle m’a répété plusieurs fois que c’était une mauvaise idée de partir avec - - -toi.
Il se mit à rire.
— Ça ne m’étonne pas de ma sœur ça.
— Et elle avait parfaitement raison : c’était une mauvaise idée de partir -avec toi. Tu as vu dans quelle situation je me retrouve ?
Elle marqua une pause, puis se remémora la gérante de la taverne. -Charmante femme, au teint pâle et aux cheveux roux...
— Euh, attends... c’est ta sœur ?
Elle n’avait pas besoin de voir son visage pour savoir qu’elle venait de -pointer du doigt quelque chose. La tension dans son corps était explicite. -
— Oui...
Son ton de réponse semblait gêné. Lui, qu’elle avait toujours vu si assuré, si -calme, maître de lui-même, se trouvait si mal à l’aise sur ce genre de -question ? -

Zach -

Il n’avait pas besoin d’entendre ses questions ou ses interrogations. Son -corps à côté du sien semblait lui crier qu’il se moquait d’elle. Pourtant elle -ne disait rien... Peut-être qu’elle n’osait pas poser la question ? Il soupira. -Au point où il en était...
— J’ai été abandonné bébé, sur le pas d’une porte. Les gens qui -vivaient là, des bûcherons, m’ont recueilli et élevé comme si j’étais le -leur. Mais effectivement, j’admets qu’il n’y a pas vraiment d’air de -famille.
Surprise, Sélène se tut quelques instants. Puis elle reprit, légèrement gênée -à son tour.
— Désolée...
— Il n’y a pas de mal. Tu ne pouvais pas savoir. -

Elle laissa passer un moment de silence. Elle semblait plus détendue -qu’au début. Il valait mieux qu’elle se pose des questions sur lui que sur -tout ce qui s’était passé ce soir, finalement... Pourtant il sentait -qu’elle réfléchissait encore. Elle reprit la parole quelques minutes plus -tard.
— Je peux te poser une question à mon tour ?
Il haussa les épaules et sourit dans le noir – l’avait-elle perçu ?
— C’est ton tour.
— Ta capacité à voir dans le noir... Ça m’intrigue beaucoup. Tu n’aurais pas -du sang elfe par hasard ?
Il soupira. Il aurait dû se douter qu’elle finirait par revenir là-dessus. Il -arrivait bien à cacher ce don, habituellement, mais en l’emmenant dans -cette grotte obscure, il était illusoire de s’imaginer le garder secret... Elle -dut sentir sa gêne, et reprit doucement.
— Tu ne veux peut-être pas en parler ?
— Non, non... En fait, je n’en sais pas plus que toi. Rapport à ce que je t’ai -dit plus tôt. Je ne connais pas mes géniteurs. Et puis tu sais, d’où je viens, -elfe, ce n’est pas vraiment un compliment.
— Je sais. Je ne disais pas ça pour me moquer, rassure-toi. Tu ne t’es -jamais posé la question ?
— Si, à vrai dire. Mais comment savoir ? Aller voir des elfes, et leur dire -« Bonjour, est-ce que tu penses que je peux être ton fils  ?
Il la sentit sourire à cette plaisanterie.
— Certes.
Il hésita à la questionner plus. Elle avait l’air de connaître un peu le sujet... -
— Comment tu ferais, toi, pour savoir ?
— En fait, il y a plusieurs façons de voir dans le noir. Peux-tu me décrire -exactement comment tu fais ?
— Je n’ai pas l’impression de voir différemment. En fait si je laisse mes yeux -s’accoutumer à l’obscurité, je finis par voir très bien. J’ai même été très -surpris de constater que j’étais le seul de ma fratrie à pouvoir faire ça, je -croyais ça tout à fait naturel... J’ai l’impression que s’il n’y avait aucune -source de lumière, je ne verrais rien. Mais ça n’arrive jamais, il y a toujours -un petit quelque chose...
Elle sembla réfléchir quelques instants, puis expliqua.
— Ça correspond bien à la vision d’un elfe. Les nains voient différemment : -ils ont l’infravision, c’est-à-dire la capacité de voir la chaleur dégagée par les -corps et les objets. Ce qui revient grosso-modo à voir dans le noir. Les -loups-garous, eux, ont l’odorat tellement développé qu’ils ont une aussi -bonne perception de leur environnement que s’ils avaient les yeux ouverts en - - -pleine lumière. Il reste les vampires, qui comme certains magiciens, ont une -vision nocturne parfaite grâce à leurs pouvoirs magiques. Ce qui n’a pas l’air -d’être ton cas. -

Zach était impressionné.
— D’où tu sais tout ça ?
— Je l’ai lu.
À ses battements de cœur et la très légère tension dans son corps, il sut -qu’elle ne disait pas tout à fait la vérité. Il hésitait à la questionner, mais il -risquait de la braquer. Or, il apprenait tout de même des choses -intéressantes... Ce fut elle qui reprit.
— Après, il y a aussi des gens, des humains je veux dire, qui naissent avec -une vision nocturne comme ça, sans explications, ni origines spécifiques. -C’est plutôt rare cela dit. Vu ta silhouette, il est plus probable que tu aies -des antécédents elfiques.
Elle avait ça d’un ton tout à fait neutre. Sans la moindre condescendance ou -animosité.
— C’est drôle, tu n’as pas l’air de considérer cela comme une tare.
Il la sentit hausser les épaules.
— D’où je viens aussi, c’est très mal vu. Personnellement, je ne vois guère -de différence. Les elfes sont des hommes comme les autres. -

Zach se demanda d’où elle tenait cet avis assez ouvert, pour quelqu’un -qui semblait venir du même coin que lui. Peut-être des lectures ? Ou... dans -ce qu’elle n’avait pas dit ? Il avait voyagé avec beaucoup de gens, au cours -de sa carrière ; certains étaient particulièrement virulents vis-à-vis des -autres races humaines, d’autres n’en avaient rien à faire, d’autres les -admiraient et les enviaient... Surtout les elfes, soi-disants plus beaux, plus -agiles, plus sages, plus tout un tas de choses... Il se gardait en général de -donner son avis sur le sujet, et personnellement, il attendait d’en -rencontrer avant de juger. Il n’avait jamais croisé de nain, et avait -entr’aperçu des elfes une fois. Bien sûr, ces derniers n’ayant pas -besoin de lui pour traverer la forêt, et les nains n’aimant pas trop -voyager, cela ne lui avait pas laissé beaucoup d’opportunités. Pouvait-il -lui-même avoir du sang elfique ? C’était une question qu’il n’avait -jamais envisagée sérieusement jusqu’alors. Mais Sélène semblait -bien connaître le domaine... et ça, il était sûr que ce n’était pas du - - -bluff. -

Il entendit sa respiration et son pouls se ralentir. Elle s’était endormie. -Bercé par ce rythme régulier et la chaleur de son corps à côté du sien, il ne -tarda pas à faire de même. -

Sélène -

Lorsqu’elle ouvrit les yeux, Sélène mit un petit moment à savoir où elle -était. La grotte était éclairée par la lumière du jour, qui filtrait largement à -travers le buisson masquant son entrée. Elle pouvait enfin voir à quoi -ressemblait cette fameuse cachette. Elle était plus petite que ce qu’elle -s’était imaginé : allongée sur le lit de bruyère, elle touchait le mur froid de -sa main droite alors que l’entrée n’était qu’à quelques mètres à sa -gauche. Elle s’assit sur le matelas, finalement pas si inconfortable que -cela. -

Zach n’était plus étendu près d’elle, et il avait laissé à côté sa ceinture -et son épée, sa tunique et son armure. Elle l’aperçut au fond de la grotte, -cinq mètres plus loin, agenouillé auprès de la vasque où s’écoulait un -mince filet d’eau. Son dos, fin et musclé, rappelait effectivement la -silhouette des elfes, même si ses épaules étaient plus carrées. Et -la force qu’il avait eue lorsqu’il fallait la hisser la veille au soir... -Un demi-elfe ? Possible... Il y en avait quelques-uns à l’université -de magie, mais elle n’avait pas forcément eu le loisir de les voir à -demi-nus. -

Elle réalisa soudainement que ce n’était peut-être pas très convenable -de l’observer ainsi, d’autant plus qu’il ignorait probablement qu’elle était -éveillée. Détournant le regard, elle se leva.
— Ouille !
Le plafond était effectivement bas. Entendant cela, Zach se retourna. Il lui -sourit.
— Bien dormi ?
— Oui, à part le choc du réveil...
Elle chercha tout d’abord à ne pas le regarder, puis constata qu’il ne -semblait nullement gêné d’être torse nu devant elle. Elle remarqua alors une -marque rouge, longue d’une dizaine de centimètres, sur son épaule - - -gauche.
— Qu’est-ce que tu as là ? Tu t’es blessé ?
Il regarda son épaule.
— Ah, ça... Je me suis pris un mauvais coup, il y a dix jours. Rien de -grave.
— Fais voir ? -

Zach -

Sélène s’approcha, s’accroupit près de lui, et lui saisit le bras. Elle -examina la coupure d’un air critique. Certes, ce n’était pas un coup si -anodin... Même s’il avait déjà connu pire. Et la blessure était en bonne voie -de cicatrisation.
— Tu n’avais pas pu recoudre ?
— Pas vraiment...
— Ne bouge pas.
Elle lâcha son bras, et se leva pour aller fouiller dans son sac. Il entendit -quelques bruits de métal et de verre. Il avait entendu ces bruits, la veille, en -transportant ce même sac, et n’y avait pas prêté attention dans l’urgence. -Maintenant qu’il avait le temps de se poser la question, son contenu -l’intriguait. -

Elle revint rapidement, tenant une petite boîte métallique à la main -qu’elle ouvrit.
— Tu sais, ça va, ne t’en fais pas pour moi.
— Donne ton épaule.
Le ton était calme, mais ferme. Presque surpris lui-même, il obéit. Elle -étala délicatement un baume sur sa blessure. Il piquait légèrement, mais -son odeur était agréable.
— Ça va accélérer la cicatrisation, expliqua-t-elle.
— Euh, merci.
Il ne savait pas quoi répondre d’autre. Certes, il avait l’habitude de se -débrouiller seul, mais était-ce une raison pour ne pas accepter une -petite aide spontanée ? Et puis, le contact de sa main n’était pas -désagréable. -

Il se leva, et alla ramasser ses affaires.
— Si tu veux, tu peux profiter de la vasque au fond pour te rafraîchir. Je -vais faire un tour pendant ce temps.
Il lui adressa un sourire rapide, et sortit. Le soleil était déjà haut dans le -ciel, et il savait qu’ils allaient devoir repartir rapidement, mais après ce -qu’ils avaient vécu hier, prendre un peu de temps ne serait pas forcément -perdu. Adossé à la paroi, debout sur la petite corniche en dessous de -l’entrée de la grotte, il finissait de s’équiper tout en réfléchissant. Cette -Sélène était décidément hors du commun... Quels secrets cachait-elle ? -D’où tenait-elle tout ce savoir ? Quelles autres surprises l’attendait avec -cette étrange voyageuse ? Il réalisa alors qu’il s’était mis à la tutoyer depuis -la veille au soir. Elle aussi. S’en était-elle rendu compte ? Ça n’avait pas eu -l’air de la choquer... -

-[
-
-

-

Aldariel -

Elle entra dans la salle du trône. Cette salle était toujours aussi -magnifiquement décorée, mais l’impressionnait bien moins qu’avant, et son -air était décidé.
— Ah, Aldariel. J’ai réfléchi à ce que tu m’as dit.
Son père lui souriait. Avait-il l’intention d’accepter ?
— Nous savons tous les deux que ce serait un grand honneur pour le clan -d’avoir l’un des nôtres qui participe au grand tournoi humain de tir à l’arc, -organisé par le duc De Vane. Mon confrère appréciait particulièrement -ma venue, même bien après que ma blessure m’empêche de viser -droit. Cela entretient les bonnes relations entre humains et elfes -sylvains.
Aldariel n’ajouta rien. Pour le moment, ça se passait plutôt bien.
— J’ai discuté avec ton professeur de tir à l’arc, qui trouve que tu la -surpasses quasiment. Nous pensons que tu ferais honneur au clan en -participant à ce tournoi.
Elle sourit.
— Cependant... J’ai peur pour toi.
Son visage se ferma. Le convaincre allait être compliqué.
— Les humains n’aiment pas toujours les elfes, tu le sais.
— Mais tu as déjà été chez les humains non ? Ils sont si... différents ? Si -dangereux ?
Il soupira.
— C’est différent. Déjà c’était il y a plus de dix ans, et les choses ont pu -changer. Ensuite, tu es une femme.
— Ça change quoi ?
— Pour les humains, ça change beaucoup de choses. Tu sais, chez -les humains, les femmes sont souvent soumises, et doivent obéir à -leurs parents ou maris... on n’imaginerait pas les voir se promener -seules.
Aldariel ouvrit des yeux ronds d’incrédulité.
— Sérieusement ?
— Je l’ai observé de mes propres yeux, crois-moi. Ce n’est pas le cas dans -toutes les contrées humaines, évidemment, mais dans le fief du duc De -Vane, c’est le cas.
— Tu penses que c’est vraiment dangereux ?
Il sourit.
— Laisse-moi terminer. Je ne veux pas que tu y ailles seule, c’est tout. J’ai -cherché le compagnon idéal pour te protéger.
Aldariel leva les yeux au ciel. Si son père savait qu’elle n’était plus aussi -innocente qu’elle n’en avait l’air... Enfin bon, s’il fallait supporter un garde -ou deux pour avoir un peu de liberté, ça pourrait peut-être le faire. Et puis -il pourrait être sympathique, voire... plus ?
— Je te présente Silwë, une guerrière qui nous revient de chez les -humains. -

Une jeune femme entra. Elle était habillée comme les soldats elfes, -d’une tunique mi-longue verte, d’un pantalon blanc, et des bottes. -Ses cheveux étaient tressés derrière son dos. À son côté pendait un -fourreau ouvragé. Elle posa un genou en terre face au roi et à la -princesse.
— Merci. Silwë, je te présente ma fille, Aldariel.
— Tu ne viens pas de me parler du risque que couraient les femmes seules -chez les humains ?
— D’abord, vous serez deux. Ensuite, Silwë vient de passer cinq ans chez -les humains, et elle les connaît très bien. Enfin, elle y a appris le -maniement de l’épée chez le meilleur maître qui soit, donc elle pourra te -protéger.
— Ça veut dire que tu me laisses y aller ?
Il sourit.
— Oui. J’ai envoyé un oiseau portant le message au duc, l’invitant à vous -accueillir toutes les deux.
Aldariel retint un cri de joie. -

Silwë -

Silwë était debout face à une table où s’étalait une carte, dans un salon -du palais. Elle réfléchissait à cette nouvelle aventure. Elle ne s’attendait pas -à une telle responsabilité, à peine rentrée chez elle ! C’était un grand -honneur et une grande confiance, car le roi lui confiait rien de moins -que sa fille. Elle doutait presque de ses capacités à mener une telle -mission... -

Elle connaissait indirectement la princesse. Sa mère avait été son -professeur particulier de tir à l’arc, et elle lui avait décrit une jeune femme à -la fois déterminée et douée, mais aussi simple et sans complexes. Qu’en -était-il en réalité ? Que serait le trajet avec elle ? Allait-elle devoir -jouer les serviteurs, en plus d’être son garde du corps ? Elle n’était -certainement pas très douée pour la première des tâches, en tous cas. Et -savait-elle se défendre un minimum, ou allait-elle devoir la protéger à -chaque pas ? En tous cas, elle avait eu l’air vraiment heureuse de -partir à l’aventure. Pouvait-elle l’en blâmer ? Elle-même l’avait été -aussi... -

C’est alors que la princesse entra. Elle avait troqué sa longue robe contre -une plus courte, vert très pâle, et un pantalon blanc. Des bottes avaient -remplacé ses jolies sandales, et elle n’avait gardé pour bijou que son fin -diadème. Elle portait son arc et un carquois en bandoulière, et une dague à -la ceinture. Son avant-bras gauche était protégé par un bracelet d’archerie, - - -en cuir, décoré de quelques motifs argentés. Au moins elle semblait équipée -correctement. -

Elle s’apprêta à s’incliner devant elle, mais Aldariel lui fit signe de -s’abstenir. Elle s’approcha de la table.
— Quel est notre trajet ?
Silwë lui montra la carte étalée sur la table.
— D’abord nous allons sortir de la forêt des elfes par ici, en quelques jours -nous y serons. Après il nous faut traverser cette région des humains. Trois -ou quatre jours. C’est proche de la capitale humaine, où on trouve de -tout, et les gens y sont assez ouverts d’esprit, et plutôt accueillants. -Attendez-vous à des regards curieux, ils ne voient pas des elfes tous les jours -non plus.
— On ne verra pas la capitale ?
La jeune princesse prit un air déçu.
— Non, j’en suis désolée. Cela ferait un détour de plusieurs jours, et nous -n’avons pas tellement le temps...
— C’est dommage... On m’a dit que cette ville est très belle. N’est-ce pas là -que tu as vécu ?
Silwë sourit. Elle serait bien aussi passée par la capitale, voir certaines -personnes qui y vivent.
— Oui. Et croyez-moi, ça me ferait plaisir d’y retourner... Peut-être -pourrons-nous y passer au retour ?
— Comment dort-on chez les humains ?
— Nous irons dans des auberges.
— Cela veut dire qu’on va aussi manger de la nourriture des humains ? -C’est bon ?
— C’est différent, mais très bon aussi. Ne vous inquiétez pas pour ça. Elle -se retourna vers la carte.
— Nous passerons par cette autre forêt ensuite, nous y serons plus -à l’aise. Il faudra être prudentes, il y a parfois des bandits. Je ne -connais pas cette forêt directement, mais je pense que nous n’aurons -aucun mal à la traverser dans sa longueur. Une dizaine de jours je -dirais.
Aldariel pointa du doigt la zone de l’autre côté.
— Et cette région, c’est celle du duc De Vane ?
— Presque, c’est celle d’un de ses vassaux. Nous allons la traverser, et -encore celle-ci, avant d’arriver, après deux jours, au château du duc, enfin. -C’est cette région qui est particulière : ils n’aiment pas trop les elfes -et les autres races humaines, détestent la magie, et tout ce qui y -ressemble de près ou de loin, sauf en ce qui concerne la magie liée aux -dieux.
— Qu’est-ce qu’on fera ?
— Cela ne veut pas dire qu’ils vont nous attaquer, en principe, ils -respecteront votre couronne de princesse et votre rôle d’ambassadrice. Mais -on n’y sera pas forcément très bien vues. Au pire, on évitera les villages, et -c’est tout.
— Et le duc, ça ne le gène pas ?
— D’après votre père, non, mais il a du mal à convaincre ses pairs. Il espère -d’ailleurs que notre venue puisse changer – un petit peu – les choses... Mais -nous verrons bien. Je ne connais pas cette région non plus, pour tout vous -dire. -

Elle laissa la jeune princesse observer la carte, pendant qu’elle vérifiait -son équipement. Elle enfila par dessus sa tunique une armure légère en cuir, -qu’elle avait faite faire chez les humains, ajustée à sa taille. Sans manches, -elle ne couvrait que le buste et descendait à mi-cuisse, fendue sur les côté. -Elle ajouta sa ceinture, avec le fourreau de son épée et de sa dague. -Elle ajusta également les bandes de cuir à ses poignets, qui à la fois -protégeaient contre les coups, gardaient les articulations à chaud, et -fournissait un morceau de sangle en cas de besoin. Là encore, c’était un -souvenir pratique de chez les humains. Puis elle vérifia le contenu de -son sac. Tout était bon. Sauf peut-être de quoi se soigner en cas de -problèmes. D’accord, il n’y aurait probablement pas de problèmes. -Mais...
— Princesse ?
— Oui ?
Elle hésita une seconde. Est-ce que ce genre de chose se demande à une -princesse ?
— J’ai entendu dire que vous étiez une bonne soigneuse ?
La jeune princesse sourit.
— En effet. Je pensais d’ailleurs emmener quelques baumes et de quoi - - -panser des blessures. Penses-tu que ça puisse être utile ?
Elle poussa un soupir de soulagement.
— Oui, tout à fait.
La princesse sourit, puis ajouta.
— Est-ce que je peux te demander quelque chose d’un peu... inhabituel ?
— Euh... oui ?
— À l’instant où on quitte le village des elfes, arrête de m’appeler princesse. -Appelle-moi par mon prénom, et dis-moi tu. S’il-te-plaît.
Silwë se redressa, suprise et soulagée en même temps.
— D’accord. -

Aldariel -

Aldariel examinait la chambre avec intérêt. Une petite pièce, avec deux -lits humains et deux tables de chevet, une vieille armoire en bois, et dans un -angle de la pièce, un petit miroir et un baquet vide posé sur une meuble. -Une fenêtre de petite taille laissait entrer les dernières lueurs du soir. Elle -voulait poser des questions sur tout, mais Silwë n’était pas encore -montée. -

Trois jours qu’elle étaient parties. Elles avaient quitté la forêt en début -d’après-midi, et étaient arrivées dans un premier village humain. Un peu -effrayée, elle n’avait pas quitté sa compagne – qui semblait très à l’aise – -d’une semelle. Les gens les avaient regardées avec curiosité et bienveillance, -et elles s’étaient dirigées vers l’auberge. Le repas qui y avait été servi – une -soupe de légumes et de lard, avec du pain des humains – avait été une -nouvelle surprise. Sa compagne l’avait dévoré avec appétit, mais -elle-même avait eu un peu de mal avec ces nouveaux goûts et odeurs. Il -paraît qu’on s’y faisait rapidement... Difficile à croire, mais elle verrait -bien. -

À cet instant, Silwë entra dans la pièce.
— Désolée, quelques détails à régler avec le gérant... Tu n’es pas encore -couchée ?
— J’avoue que... ces lits m’intriguent...
Elle sourit.
— Si tu ne te sens pas à l’aise, tu peux toujours t’enrouler dans ta - - -couverture elfique. Les couvertures humaines ont besoin d’être plus épaisses -pour être aussi chaudes, c’est pourquoi leur aspect est plus grossier. Mais -elles sont très bien ! -

Sans attendre sa réponse, Silwë se déshabilla et se glissa rapidement -entre les draps. Un peu hésitante, elle l’imita. Ce n’était pas aussi -inconfortable qu’à première vue, finalement.
— Pourquoi y a-t-il une bougie sur la table de chevet ?
— Rappelle-toi que les humains voient très mal dans l’obscurité, ainsi ils -utilisent beaucoup plus de lampes que nous. Imagine-toi que là, pour lire, ils -ont besoin de lumière supplémentaire.
— Ça doit être difficile d’être un humain ! Comment font-ils ?
— Je me suis dit la même chose. Et pourtant ils arrivent à faire des choses -extraordinaires, alors... Peut-être cette difficulté les pousse à trouver des -solutions ? C’est incroyable ce que les humains peuvent être plein de -ressources et d’idées, parfois... -

Aldariel fixa le plafond de la chambre pendant un moment. Elle se -remémora les regards surpris des villageois en les voyant arriver. Beaucoup -leur avaient souri. Mais certains les avaient regardées en fronçant les -sourcils. Un homme s’était éloigné à la table la plus loin d’elles lorsqu’elles -étaient entrées dans la taverne.
— Pourquoi certains humains nous détestent ?
Elle l’entendit soupirer.
— Déjà parce que nous sommes différents. Pour certains, avoir des oreilles -pointues ou pas de barbe, ça suffit. Ensuite, je crois que certains -nous envient. Ils nous trouvent plus beaux, plus intelligents, plus -agiles. D’autres voient plutôt que nous sommes plus frêles, moins -forts physiquement, que nous vivons dans les arbres, et nous voient -comme des animaux sauvages. Il y a peut-être souvent un mélange des -deux...
Elle marqua une pause, puis reprit.
— Et il y a, surtout, la différence des mœurs. Tu sais, depuis mon retour, -j’ai un cousin qui m’ignore royalement, parce que soi-disant, je suis -« devenue humaine ». Comme quoi, il ne faut pas grand chose... Et -puis il y a autre chose aussi. Les humains ne contrôlent pas leur -fertilité.
— Sérieusement ?
— Oui. Ils ne choisissent pas. Et en plus, ils considèrent qu’il est très mal -d’avoir un enfant sans avoir un compagnon définitif.
— C’est un peu vrai chez nous, non ?
— Évidemment, mais eux ne peuvent pas le choisir. Résultat, ils sont assez -coincés sur le sujet... Ajoute à ça le fait que certains considèrent qu’une -femme doit être soumise, et je te laisse imaginer la réputation qu’on peut -avoir auprès d’eux...
— Forcément, vu comme ça...
— Cela dit, ne t’inquiète pas trop, ça ne veut pas dire qu’on est en danger -chez les humains. Je crois te l’avoir déjà dit, mais même s’ils ne -nous aiment pas, ils nous respectent en général. Que ce soit à cause -de nos armes, ou de crainte de créer des ennuis diplomatiques, ou -simplement parce qu’ils n’ont pas envie de s’en mêler. Donc pas -d’inquiétude. -

Les humains étaient décidément surprenants. Il y avait d’autres -questions qu’elle voulait poser. Et les autres races ? Les nains, par exemple, -en avait-elle croisé ? Mais elle entendit à sa respiration qu’elle s’était -endormie. Tant pis, elle aurait tout le temps de lui demander dans les jours -qui viennent. -

Silwë -

La forêt, enfin ! Elle avait beau être habituée à vivre chez les humains, -elle appréciait être au calme en forêt. Aldariel semblait elle aussi de -nouveau à son aise, bien qu’elle se soit accoutumée très rapidement. Elle -avait même mangé avec appétit la nourriture humaine de la taverne de ce -matin. Mais ne plus sentir tous ces regards curieux, plus ou moins -bienveillants, était reposant. De plus, la compagnie d’Aldariel était -vraiment agréable, et elle avait de plus en plus la sensation de voyager avec -une amie et non une princesse. -

C’est vers le début de l’après-midi qu’elles entendirent un bruit -inhabituel. Des cris, des bruits métalliques et de chevaux. Elles hésitèrent, -puis la curiosité étant plus forte, décidèrent de s’approcher prudemment. À -cet endroit, la végétation était très dense et les arbres très proches les uns - - -des autres, ce qui leur permit d’arriver de façon très discrète. Quelques -minutes plus tard, la scène s’étalait sous leurs yeux. -

Sur un sentier, deux carosses tirés par des chevaux, dont un richement -décoré, étaient arrêtés sur la route. Une dizaine de soldats à cheval – -certains avaient mis pied à terre – les défendaient contre un groupe de -pillards qui les avaient pris en embuscade. Silwë observa la scène pendant -quelques secondes, surprise. Les soldats avaient fort à faire, avec les brigands -qui semblaient chercher à atteindre le carosse décoré en priorité. Il ne -restait qu’un garde pour défendre le second, d’où elle vit apparaître une -tête effrayée, et fermer précipitamment le panneau de bois qui servait de -fenêtre. Le soldat se défendait vaillamment contre trois brigands, mais -difficilement. -

Aldariel n’était plus à côté d’elle. Elle avait lestement escaladé un arbre, -et préparait déjà une flèche pour son arc. Avant de viser, hésitante, elle lui -jeta un regard interrogateur. Elle lui répondit en hochant la tête, et en -dégainant silencieusement son épée. Puis elle avança vers le champ de -bataille. -

Le trait fin et meurtrier, partant de l’arbre, toucha dans la nuque l’un -des brigands, qui s’effondra. L’un des survivants, méfiant, fit signe à -son comparse de rester face au garde pendant qu’il allait voir ce -qui se passait dans cet arbre. Avançant dans les broussailles, et se -retrouvant subitement face à Silwë, il poussa un cri de surprise, -qui ne dura que le temps nécessaire pour recevoir une épée dans la -poitrine. Elle enjamba son corps, et avança jusqu’à être au bord -du sentier. Le brigand restant, le plus fort des trois, avait acculé le -garde jusque contre la porte du carosse, et lui avait porté un coup -violent au bras droit, lui faisant lâcher son épée. Parant les coups -qu’il pouvait avec son écu, le garde, en très mauvaise posture, vit -soudainement une lame venue de nulle part traverser la gorge de son -adversaire. Derrière lui, la jeune elfe recula prudemment, cachée par la -carrure imposante de l’homme qui s’effondrait lentement, et disparut à -nouveau dans le buisson. Une seconde avant d’être parfaitement -dissimulée, elle aperçut, sur sa droite, venant de l’autre carosse, un -quatrième homme qui courait vers elle. Il l’aperçut, et ouvrit la - - -bouche pour crier. Avant que le moindre son ne sorte de sa gorge, un -second trait mortel, venant des arbres, toucha le brigand en plein dans -l’œil. -

Elle rejoignit Aldariel dans l’arbre et lui sourit.
— Merci, c’était tout juste.
Reprenant son souffle, elle observa avec elle le champ de bataille. Le soldat -seul et blessé reprenait ses esprits, et avait visiblement du mal à comprendre -ce qui s’était passé. À côté de l’autre carosse, les autres gardes avaient repris -le dessus sur les brigands, et les survivants étaient en fuite. Elle -remarqua alors que sa compagne, qui n’avait pas bougé, tremblait -légèrement.
— C’est la première fois que tu tires sur quelqu’un ?
— Oui...
Elle lui posa la main sur l’épaule, doucement.
— Allez viens, inutile de rester ici. On finirait par être vues. -

Aldariel -

Les deux jeunes femmes repartirent, par la voie des arbres dans un -premier temps, avant de continuer à pied. Elle avait agi d’instinct, sans trop -réfléchir. Était-ce une bonne idée de s’impliquer dans un combat d’humains -qui ne les concernait pas ? Pourtant son amie avait fait de même. -Elles avaient failli être vues d’ailleurs... Elle réalisa qu’elle avait -laissé quelques flèches... y feraient-ils attention ? Et qui étaient ces -gens dans les carosses ? Trop de questions se bousculaient dans son -esprit. -

Elles s’arrêtèrent face à une large rivière, qu’elles longèrent jusqu’à -trouver un moyen simple de la traverser. Arrivant près de ce qui ressemblait -à un gué, elle virent passer trois hommes, qui couraient eux aussi vers le -cours d’eau. Ils les aperçurent avant qu’elles n’aient le temps de se cacher. -D’abord surpris, les hommes dégainèrent leurs épées et se tournèrent -rapidement vers elles. Elle reconnut l’un des brigands qui avait attaqué les -voyageurs... Le premier souriait.
— Faute de riche carosse à dépouiller, on ne sera peut-être pas bredouilles -ce soir...
— Méfie-toi, elles sont armées quand même.
— Et alors ? Moi aussi.
Aldariel encocha une flèche et tendit son arc dans leur direction. Elle -entendit son amie dégainer son épée à côté d’elle, et s’adresser à -eux.
— Faute de riche carosse, vous pouvez aussi rester en vie ce soir. Faites -encore un pas, et vous êtes morts.
Deux des hommes hésitèrent. Le premier qui avait parlé ne sembla pas -prendre la menace au sérieux, et se mit à courir dans leur direction. Elle -prit une grande inspiration, ajusta sa cible et lâcha les doigts. Il s’effondra à -ses pieds, la poitrine transpercée d’une flèche. Silwë était restée en garde à -ses côtés et n’avait pas bougé. Les deux autres brigands se regardèrent, et -s’éloignèrent rapidement. -

— Bien joué, Alda.
Son amie était allée rechercher sa flèche dans le corps étendu par terre, puis -était revenue près d’elle, et lui souriait. Il y avait du respect et de -l’admiration dans son regard.
— Bon, on la traverse cette rivière ?
— Oui, oui... Est-ce qu’on va croiser d’autres brigands dans cette -forêt ?
Silwë, qui s’avançait déjà dans l’eau, haussa les épaules.
— J’espère que non. Je ne pensais pas en croiser si tôt, tout de même... On -va s’éloigner des sentiers humains, ça va aider je pense. -

Elles traversèrent rapidement la rivière, puis marchèrent encore un -moment, sans rien dire.
— Ça va, Aldariel ?
— Oui... Un peu de mal à réaliser, en fait.
Son amie la prit par les épaules.
— Tu as fait exactement ce qu’il fallait faire. Tu es une vraie combattante, -maintenant.
Elle sourit. -

-[
-
-

-

Sam -

Elle se concentra sur le pot qu’elle tenait entre les mains, et murmura -une douce mélopée. Une pousse germa, sortit de la terre meuble, -grandit et une superbe fleur finit par éclore. Elle eut un petit sourire -satisfait. -

Elle posa le pot par terre et se redressa en soupirant. Connaître les -grands enchantements de la déesse et les utiliser pour être fleuriste, c’était -un peu triste, c’est vrai. Elle avait hâte de pouvoir à nouveau endosser le -rôle de prêtresse, et de quitter sa petite routine, mais pour cela il fallait -qu’on ait cessé de la chercher. En attendant, travailler ses enchantements -n’était pas inutile. -

Cela faisait presque deux ans qu’elle s’était enfuie avec Uhr et ses amis, -et les rumeurs qu’ils avaient entendues depuis étaient plutôt bonnes. -Si tout le monde parlait de ce mystérieux enlèvement, l’histoire se -modifiait petit à petit, et se ramifiait en de nombreuses versions toutes -plus ou moins crédibles. Encore un peu, et à force d’entendre des -récits différents, ils auraient oublié précisément qui ils étaient, elle et -lui, et personne ne les reconnaîtrait, même au sein de la ville de -Touryre. -

En attendant, elle avait repris contact avec Khil, qui était actuellement -installé à la capitale. Il avait beaucoup ri en entendant son histoire. En -même temps, il y avait de quoi... Elle sourit, puis quitta la petite cour -intérieure où elle faisait pousser ses plantes pour pénétrer dans la boutique. -Malgré l’heure tardive, quelqu’un venait d’y entrer. -

Un soldat se tenait dans l’entrée de la boutique. Grand, musclé, vêtu -d’une cotte de mailles sur d’une tunique brune et un pantalon gris, ainsi que -des solides bottes de cuir épais. Une ceinture à laquelle pendait une épée -complétait sa tenue. Elle lui sourit.
— Uhr ! Tu as fini ta journée ?
Il soupira.
— Oui, enfin. Ce n’était pas de tout repos...
— Quel genre de problème ?
— Oh, rien de très grave. Mais devoir annoncer à une femme la mort -tragique de son compagnon, ce n’est jamais drôle...
Il s’assit sur un petit siège, pendant qu’elle fermait la boutique.
— Elle devait être effondrée...
— Oui, et je t’avoue que j’étais plutôt mal à l’aise. Surtout que c’est plutôt -le genre magicienne spécialisée dans le combat que douce et délicate épouse -éplorée...
— Aïe. Elle n’a pas trop mal réagi ?
— Bah, comme quelqu’un qui apprend la mort de son compagnon, que -veux-tu...
— Il était magicien, lui aussi ?
— Oui. Il a eu une dispute avec un confrère. Tous deux ont péri dans un -incendie ravageur.
Sam frissonna. Les disputes entre magiciens, ça ne plaisantait pas. Les -prêtres, au moins n’étaient pas comme ça... Enfin, à bien y réfléchir, il y -avait quand même des sacrées tensions parfois. Et puis, hm, son -« enlèvement » ne s’était pas fait dans la délicatesse... -

Elle prit un tabouret, s’assit à côté de lui et lui prit le bras.
— Sur quoi travaillaient ces magiciens, pour en venir aux mains comme -ça ? Enfin, aux mains... façon de parler. Juste par curiosité.
— Je ne suis pas chargé directement de l’enquête. Mais d’après ce que j’ai -compris, l’un travaillait sur des créatures exotiques fortement liées à la -magie. L’autre était un soigneur et métamorphe.
Elle fronça les sourcils. Elle ne s’intéressait pas vraiment aux différentes -branches de la magie, mais elle connaissait les grands axes de travail des -magiciens, et pourtant elle n’avait jamais entendu parler de métamorphose.
— Métamorphe ? Ça existe, ça ?
— Je ne sais pas, visiblement oui. -

Uhr -

Elle ne disait rien, mais il voyait bien que le sujet l’interpellait. -Depuis qu’il étaient revenus de Touryre, elle avait endossé le rôle - - -d’une fleuriste, d’une jeune femme modèle de la cité – elle portait -actuellement une jupe rouge sombre, un chemisier blanc et un petit corset -noir –, mais il savait bien que derrière, elle brûlait d’envie de faire -de grandes choses. Ils savaient tous deux qu’ils devaient attendre -encore un peu, que leurs visages soient oubliés, mais ensuite, que -feraient-ils ? -

Il avait pensé « que feraient-ils » et non « que fera-t-elle ». Encore. Il -savait que leur aventure les avait beaucoup rapprochés – et même plus –, -mais de là à penser de la sorte ? -

— Quand même, un métamorphe... Tu ne trouves pas ça bizarre ?
Il sursauta, interrompant le fil de ses pensées.
— Tu penses à quoi ?
— Déjà c’est surprenant qu’ils se soient tous les deux tués. Qu’il n’y en ait -pas un qui ait pris le dessus.
— Tu verrais l’incendie qu’il y a eu, tout l’appartement a été ravagé il -paraît...
— Oui, mais enfin, à force de manipuler le feu, ils devraient être habitués à -le gérer non ?
— Où tu veux en venir ?
Elle haussa les épaules.
— Je me demande si c’est vraiment un accident et s’ils sont vraiment -morts.
— Aucune idée. Mais tu sais, ce n’est pas à toi ni à moi que l’enquête a été -confiée... Et puis comment le vérifier ?
Elle se redressa et lui sourit.
— Je peux le faire.
— Comment ?
— Trouve moi un objet qui leur appartient. N’importe lequel, et je te donne -la réponse. -

Il considéra un instant cette proposition. Il devait admettre qu’il était -un peu curieux d’en savoir plus, mais ce n’était pas son travail... -
— Mais ça ne va pas être évident de se procurer de tels objets. Je te -rappelle que je ne suis pas chargé de l’enquête, et leurs appartements sont - - -sous scellés maintenant...
Elle lui sourit.
— Ne connais-tu pas quelqu’un qui pourrait y pénétrer discrètement ? -

Si, évidemment. Mais il n’avait pas vraiment envie de se mêler de cette -histoire, ni d’y inclure Farl. Il le voyait peu ces derniers temps, et avait noté -son humeur plutôt maussade. Depuis que Silwë avait quitté la garde, il y a -six mois, il voyait bien que celui-ci n’était plus aussi enthousiaste -qu’avant. Mais cela dit, une telle histoire lui changerait peut-être les -idées.
— Tu crois que Farl aimerait s’en mêler ?
— Bah, c’est un plan douteux. Bien sûr qu’il aimerait s’en mêler. -

Farl -

Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas revêtu les vêtements sombres -d’un assassin. Depuis qu’il avait décidé de changer de voie, il n’avait joué à -ce petit jeu-là qu’à deux ou à trois occasions. Avait-il perdu la main ? Dès -qu’il avait une occasion, il s’efforçait de s’entraîner, discrètement, au -maniement de ses armes, à l’escalade, et à être furtif. Même en tunique -orange. Il n’était pas sûr de bien savoir pourquoi et dans quel but, -d’ailleurs. Il appréciait énormément son travail de ménestrel, mais... il -n’arrivait pas totalement à couper tous les ponts avec son ancienne -vie. -

Il sortit de chez lui par la fenêtre. Tout était calme, dans la rue. Il glissa -sans bruit au sol et se dirigea vers le centre-ville. Aller chercher un objet -personnel de ces deux mages... et les remettre en place après. Quelle drôle -d’idée ! Mais Sam semblait savoir ce qu’elle faisait. Et puis, personne ne le -saurait... -

Il leva les yeux. Le bâtiment devant lui portait les traces fraîches du -terrible incendie. Cet immeuble de trois étages, abritant plusieurs locataires, -avait failli finir totalement en ruine. Au dernier étage, les fenêtres avaient -été scellées à l’aide de panneaux de bois. C’était là, dans l’appartement de -feu le mage Mortag qu’il devait aller. Tout en constatant que cette -expression était d’assez mauvais goût vu la situation, il escalada rapidement -le mur, débloqua aisément un des panneaux de bois et se glissa à - - -l’intérieur. -

Il dut allumer une petite bougie de main pour y voir, tellement -l’intérieur était sombre. Ah, s’il avait les yeux d’elfe de Silwë... Il secoua la -tête. Ce n’était pas tellement le moment de penser à ça. Toute la -pièce était carbonisée, et les deux traces de craie blanche au sol, -dessinant les contours des deux corps, ressortaient d’autant plus. Il -n’allait rien trouver ici. Il s’avança précautionneusement vers la pièce -qui devait être la chambre, et finit par trouver, sous un meuble, -une broche de métal à demi fondue. Il aurait peut-être du mal à -trouver mieux, et puis c’était toujours un objet personnel, même -abîmé. Sam lui avait dit qu’elle se débrouillerait même dans ce -cas. -

Le second bâtiment qu’il devait visiter, la demeure du mage Septim, -était un immeuble à quelques rues de là, dans une zone un peu plus aisée. Il -semblait avoir plus de moyens. Fort heureusement, il n’était pas plus -surveillé, et la fenêtre ne lui résista pas plus longtemps que les panneaux de -bois de l’autre demeure. -

À l’intérieur, un salon propre, des affaires très bien rangées – pour -quelqu’un qui n’avait pas forcément prévu de mourir ce soir là – et -quelques décorations. Il ne fallait pas traîner. Il se saisit d’un bougeoir -ouvragé qui semblait avoir été utilisé récemment, et courut rejoindre -Sam. -

Sam -

— Alors ?
Elle s’avança dans la petite pièce, où l’attendaient Farl et Uhr avec -impatience et inquiétude.
— Tu en as mis du temps...
— Je voulais être sûre.
Elle s’assit à table avec les deux hommes, posant les deux objets au -centre.
— Ce type-là, Mortag, n’est plus de ce monde, c’est sûr.
Elle désigna la broche fondue.
— Par contre, l’autre est vivant.
— Quoi ?
Ils avaient sursauté en même temps lorsqu’elle avait désigné le bougeoir.
— J’ai bien vérifié plusieurs fois. Il est en vie, j’en suis certaine.
Ils marquèrent un instant de silence. Tous suivaient la même pensée.
— Donc ce n’est pas un accident, c’est un meurtre.
Elle hocha la tête.
— Cette histoire de métamorphose m’a donné envie de vérifier. Avec une -telle compétence, il doit être aisé de changer de visage, ou de changer celui -d’un cadavre...
— C’est bien beau, mais que fait-on ? Je ne peux pas débarquer à la garde -en leur expliquant ce qu’on a fait...
Farl se leva et ramassa les objets.
— D’ailleurs, je vais aller les remettre vite fait. Il ne faudrait pas qu’on -s’aperçoive qu’ils ont disparu... On ne sait jamais. Je vous laisse débattre -pendant ce temps. -

Il ouvrit la porte et la silhouette sombre disparut dans la nuit. Elle -regarda Uhr.
— Je me sens mal à l’aise de garder un tel secret. Si la garde le sait tôt, ils -auront peut-être une chance de retrouver le coupable avant qu’il ne -disparaisse pour de bon...
— C’est vrai, mais je risque ma carrière en faisant ça. J’hésite... Même si -effectivement il faudrait leur dire. Peut-être les aiguiller sur cette -piste ?
— Ils vont perdre trop de temps... C’est tellement bête... Pourquoi n’ont-ils -pas pensé à faire appel à un prêtre pour ça ?
— Parce qu’il fallait deviner que les prêtres ont ce genre de pouvoir ? Il me -semble que ce n’est pas de notoriété publique...
Elle soupira.
— Tu as raison. Attendons le retour de Farl, et nous discuterons de ça -ensuite. -

Elle rapprocha sa chaise de la sienne et posa sa tête sur son épaule. -

Farl -

De nouveau dans la chambre carbonisée, il prit bien soin de remettre la - - -broche à sa place, et d’effacer toutes ses traces. Il avait fait de même chez -Septim, tout était bon. Personne ne saurait qu’il était passé par -là. -

Il sursauta soudainement. De la lumière et des bruits de pas -lui parvinrent depuis la pièce principale, par laquelle il était entré. -Son sang se glaça. Quelqu’un était entré... Il éteignit rapidement sa -minuscule bougie, se plaqua contre le mur, et jeta un œil à l’autre -pièce. -

La lumière n’était pas celle, jaunâtre, d’une bougie ou d’une lampe. -C’était une lumière blanche, presque aveuglante, qui semblait sortir -des yeux d’une silhouette de taille moyenne. Un mage ! Ici ! Cela -confirmait que quelque chose de louche se passait ici. Allait-il venir -vers lui ? Allait-il le voir, l’entendre, ou le détecter d’une façon -quelconque ? -

La silhouette, qu’il finit par identifier comme celle d’une femme, passa -devant la porte derrière laquelle il se tenait et s’avança droit vers un pan -de mur. Elle semblait l’examiner avec précautions, et fit briller ses -yeux plus fort, vraisemblablement pour y voir plus clair. Un bruit -venant de l’extérieur la fit sursauter, et elle se retourna. Elle tenait un -bâton de mage à la main, qu’elle avait dirigé contre le bruit, en -tremblant légèrement. Pas très à l’aise visiblement... mais toujours aussi -dangereuse. -

Elle se mit à regarder aux alentours, effrayée. Si elle se mettait à fouiller -l’appartement, elle allait finir par le voir. Deux solutions : sortir et -s’échapper tout de suite, ou... être totalement fou.
— Puis-je savoir ce que vous cherchez ici ?
Elle sursauta, et dirigea son regard lumineux dans sa direction. Il sortit de -la chambre, et se posa devant elle, en tentant d’avoir l’air le plus calme -possible. Ne pas dégainer ses poignards. Ne pas avoir l’air – trop – -menaçant...
— Qui êtes-vous ? Que faites vous ici ?
Elle semblait paniquée. Dans le même temps, des filaments aussi lumineux -que ses yeux se mirent à voler autour d’elle, de son bâton, et se concentrer -dans sa main. Un sort... Il frissonna et leva les mains.
— Calmez-vous. Je doute que vous ayiez le droit d’être plus ici que moi. -Peut-on discuter calmement ?
Elle sembla marquer un instant d’hésitation. Dans sa main, les filaments -lumineux commençaient à prendre la teinte bleutée d’une étoile de glace -aux bords acérés... Elle se redressa.
— Je me donne ce droit. Je n’ai pas confiance dans les gardes. Je ne crois -pas à cette histoire d’accident qui a tué mon compagnon. Alors j’ai décidé -de venir par moi-même. Et vous ?
Elle avança sa main vers lui, dans laquelle, en lévitation, l’étoile mortelle -venait de prendre forme. Il n’avait jamais combattu de magicien, et ne -savait pas qui serait le plus rapide, mais ce n’était pas le moment de le -tester. Il s’avança et sourit.
— Hé bien, voyez-vous, je suis là pour à peu de choses près la même raison -que vous. Et j’ai de sérieuses raisons de ne pas croire non plus à un -accident.
Elle hésita, puis l’étoile de glace diminua légèrement. Des filaments s’en -échappèrent, comme si elle disparaissait peu à peu comme elle était -apparue.
— Expliquez-vous.
Il eut du mal à retenir un soupir de soulagement.
— J’ai la certitude que Septim se fait passer pour mort, mais est -vivant.
— Quoi ?
— Je veux bien tout vous expliquer, mais ne pensez-vous pas qu’on serait -mieux ailleurs ? On pourrait finir par nous voir ou nous entendre... -

La magicienne le regarda en fronçant les sourcils. Elle ne semblait pas -tout à fait sûre de pouvoir lui faire confiance, ce qui était compréhensible en -fait... Lui non plus, à vrai dire. Elle finit par reprendre la parole.
— D’accord. Mais pas avant d’avoir récupéré ce que je suis venue chercher -ici.
Elle fit quelques pas vers un angle de la pièce, qu’elle éclaira de son regard -luminescent. Elle passa ses mains sur le mur de briques noircies, et en -trouva une descellée. Elle l’extirpa avec précautions, puis passa sa main -dans l’ouverture.
— Ah. Mince.
Elle lui montra. Au fond de l’ouverture se trouvait une paroi métallique -munie d’une serrure. Il hocha la tête.
— Qu’est-on censé y trouver ?
Elle semblait extrêmement tendue, mais le « on » sembla la rassurer un -peu.
— Je sais qu’il y mettait des objets et documents auxquels il tenait. -Peut-être qu’ils... nous ? donneront des indices.
Elle s’était mis au « nous ». Même s’il avait senti son hésitation, c’était -bon signe.
— Je ne sais pas où il gardait la clé. Probablement sur lui...
— Une clé... normale ?
Elle fronça les sourcils.
— N’aurait-il pas protégé magiquement cette cachette ?
Elle secoua la tête.
— J’en doute. Je ne peux pas vérifier, il y a trop de distorsions magiques -dans ce lieu, avec ce qui s’y est passé. Mais le connaissant, il aurait préféré -une méthode plus classique. Si de nombreux mages savent s’en sortir face à -un glyphe de protection magique, peu d’entre eux savent forcer une serrure, -en réalité. Enfin, de façon non destructrice, si vous voyez ce que je veux -dire.
Il eut un petit sourire.
— Je vois tout à fait. Et, si vous me permettez, c’est tout à fait dans mes -compétences.
Elle recula pour le laisser passer.
— Je vous en prie. -

Il s’agenouilla devant la serrure, et sortit de sa tunique ses outils. Il avait -déjà pratiqué ce genre de jeu, il y a longtemps, mais les réflexes revinrent -rapidement. La serrure était complexe à crocheter, mais il y parvint au bout -d’une minute. Au fond de ce qui ressemblait à un coffre d’acier, il y avait -des rouleaux de papier et un large rubis monté sur un collier d’or. Elle eut -un sourire en les saisissant.
— Bravo. Allons regarder cela ailleurs, comme vous l’avez proposé.
— Tout à fait. Je propose de venir chez les amis qui m’ont envoyé -ici.
Elle eut un regard légèrement méfiant, puis finit par accepter. - - -

Ils marchaient dans la rue, faiblement éclairée par quelques lampadaires. -S’ils ne croisaient pas grand monde à cette heure tardive, les rares passants -ne semblèrent pas leur prêter attention. Farl avait l’habitude de ce genre de -situation : la tenue d’assassin était conçue pour disparaître aisément dans -les ombres, mais aussi pour paraître tout à fait normale – le noir n’étant -pas si rare – en pleine lumière. La tenue discrète idéale en somme. N’étant -plus ébloui par son regard magique, il pouvait désormais observer la -magicienne. Grande, mince, aux longs cheveux noirs, vêtue d’une longue -robe noire – pour le deuil, ou la discrétion ? Peut-être les deux, -en fait–, ses traits semblaient tirés comme si elle était épuisée ou -particulièrement éprouvée. C’était probablement le cas, en fait... Il lui -aurait donné une quarantaine d’années, et sans ce visage fermé et -ces traits tirés, elle devait être belle. Elle marchait d’un air décidé, -sans cacher son bâton de magie, surmonté d’une grande pierre bleu -glacé. -

Uhr -

Mais que faisait Farl ? Il aurait dû être rentré depuis un moment déjà. -Ou était-ce seulement le temps qui lui paraissait si long ? Il soupira. Et s’il -lui arrivait quelque chose ? S’il était vu ? Le couvrir serait très -compliqué...
La tête posée sur son épaule, Sam murmura.
— Tu dors ?
— Non. Je m’inquiète pour Farl.
Elle hocha la tête.
— Moi aussi, un peu. Mais tu sais, il est très doué...
— Je sais, mais... il a mis moins de temps la première fois non ? Il n’a -aucune raison d’être plus lent cette fois-ci... -

À ces mots, il entendit, non sans un certain soulagement, quatre -coups nets sur la porte d’entrée. La silhouette sombre et familière -de Farl se profila. Il sursauta lorsqu’il s’aperçut qu’il n’était pas -seul, et fut d’autant plus surpris de reconnaître la personne qui -l’accompagnait.
— Zanakielle ! Mais...
À son tour, elle marqua un instant de suprise.
— N’êtes-vous pas l’un des gardes qui sont venus cet après-midi ?
Il hocha la tête.
— En effet. Farl, peux-tu m’expliquer...
Le jeune homme sourit, ferma la porte et proposa un siège à la magicienne. -Puis raconta l’étrange rencontre qu’il avait faite sur les lieux de ce qu’il -fallait désormais appeler un crime. -

— J’avais aussi un doute quand à cette histoire d’accident. Mais je sais que -la douleur d’avoir perdu mon compagnon aurait pu me rendre folle... au -moins aux yeux des autres, et rendre mes soupçons absurdes. C’est pourquoi -je n’ai pas pensé à vous en parler. Et que je suis allée vérifier par -moi-même...
Elle fit une pause, et détourna le regard de la lumière de la bougie, -étouffant un sanglot. Il préféra ne pas relever, et prit la parole.
— Comme vous pouvez le constater, vous aviez hélas raison.
— Comment pouvez-vous être sûr que Septim est vivant ? -

Sam -

Elle hésita quelques instants. Non seulement elle n’avait révélé à -personne son identité jusque là, mais en plus à une magicienne... -Traditionnellement, mages et prêtres s’entendaient toujours assez mal. -Chacun faisait ses miracles dans son coin, en gardant ses secrets. -

Mais l’heure n’était pas à ce genre de querelle.
— Je suis une prêtresse. Je possède ce genre de pouvoir, sous certaines -conditions, par exemple le fait d’avoir en main un objet appartenant à ma -cible. C’est pourquoi Farl était sur place, il est allé prendre puis remettre -ces objets.
La magicienne eut un mouvement de recul, et la considéra avec un mélange -de surprise et de dégoût. Après un instant de silence, son visage se radoucit -légèrement, et elle parut gênée.
— Excusez ma réaction. C’est idiot.
— Il n’y a pas de mal, la rassura-t-elle. Toujours est-il que j’ai la certitude -que Septim est vivant, contrairement à...
Elle s’interrompit. La magicienne s’était levée, et avait fait quelques pas, -leur cachant son visage. Sam voyait bien que la pauvre femme était - - -terriblement éprouvée. Mais que pouvait-elle faire ?
— Et si nous revenions à ce que nous avons trouvé ?
Elle se retourna brusquement, et déposa des objets sur la table. Une liasse -de papiers, et un collier ouvragé. Le visage de Zanakielle était de -nouveau ferme et décidé, malgré ses yeux légèrement rouges. Tous -trois hochèrent la tête, préférant se concentrer sur cette nouvelle -tâche. -

Ils firent un premier tri rapide. Après avoir mis de côté le bijou – qui -n’était vraisemblablement qu’un objet de grande valeur mis à l’abri –, et un -certain nombre de documents administratifs importants, ils trouvèrent trois -ou quatre feuilles, écrites à la main, qui ressemblaient à des notes de -recherche. -

— Effectivement, il m’avait parlé de ça... Regardez. Ce document n’est pas -de sa main, c’est une lettre qu’on lui a transmise. Un rapport d’un garde -vivant dans un village près de la forêt de Sossirant. Il raconte une trouvaille -bizarre, le cadavre d’une créature inhabituelle, charriée par des débris de la -rivière.
Elle leur montra la lettre, où on pouvait lire la description d’un insecte de la -taille d’un gros chien. Mais lorsque le garde avait voulu la nettoyer pour -l’observer plus en détail, la carcasse s’était en partie dissoute. En dessous, -avec une autre écriture, que la magicienne identifia comme celle de Mortag, -une note : « araknes ? ».
— Qu’est-ce que cela ?
— Les araknes sont des créatures aujourd’hui disparues. Des sortes -d’araignées géantes... Ah, justement, les documents suivants en parlent ! -

Les pages suivantes étaient visiblement des notes prises à ce sujet. Ces -sortes d’araignées – elle eut un frisson à les imaginer, et elle remarqua que -les trois autres ne semblaient pas très joyeux à cette évocation non plus – -semblaient vivre originellement dans des grottes très sombres, ne -sortant que lorsqu’elles n’y trouvaient pas assez à manger, et encore, -seulement de nuit. Supportant mal la lumière et surtout l’eau pure, elles -n’existaient que sous les contrées très chaudes, où il ne pleuvait -quasiment jamais. Et même là-bas, jugées trop nuisibles, elles avaient été -chassées par les elfes noirs et les humains, et il n’en restait plus en - - -théorie. -

— Il y aurait donc de nouveau ces créatures dans la forêt ? Comment ?
— Il est très peu probable qu’elles soient apparues toutes seules, surtout -dans un environnement qui leur est hostile, ajouta Uhr.
— Oui, et s’il n’y avait que ça, pourquoi chercher à faire disparaître celui -qui travaille sur le sujet et ses documents ? ajouta Zanakielle.
Farl, qui avait somnolé, épuisé, en écoutant la conversation, se redressa -pour faire une remarque.
— La forêt de Sossirant est très grande, largement inexplorée il me semble, -il peut y avoir n’importe quoi, y compris des grottes assez grandes et -profondes pour y loger ces bestioles... non ? -

Ils firent une pause pour faire le point. Si Septim avait cherché à cacher -les découvertes de Mortag, c’est que quelqu’un était vraisemblablement en -train de les réintroduire au cœur de cette forêt. Et secrètement.
— Mais, interrompit Uhr, il faut trouver quel est son intérêt là-dedans. Il, -ou elle, ou eux, ne ferait pas ça pour le plaisir de voir réapparaître une -pauvre créature disparue.
— N’y a-t-il pas un moyen de les contrôler d’une façon ou d’une autre ? -proposa Sam.
— Peut-être. Ce serait alors une arme puissante. Je me demande pourquoi -personne n’y a pensé plus tôt... il faudrait étudier la question, et ce n’est -pas ma spécialité. -

— D’un point de vue plus pratique, on fait quoi ? On dit quoi ?
Uhr regarda les trois autres.
— Si je dis tout ça à mes supérieurs, je suis en mauvaise posture...
— Soit on mène l’enquête de notre côté, soit on leur dit. Mais on ne peut -pas ne rien faire !
— Tu as raison, Sam. Mais je crains que ce problème ne nous dépasse.
La magicienne proposa alors :
— Je vais tout leur dire. Et je prendrai votre défense à tous les trois. Et si -jamais on vous cause des ennuis, je vous couvrirai et je trouverai un moyen -de vous envoyer enquêter. Il est hors de question que je reste sans rien -faire.
Elle s’était levée, décidée, presque en colère.
— Vous avez raison. Je ne pourrai pas garder ce secret indéfiniment, et -mieux vaut qu’ils l’apprennent tôt. Mais discutez-en directement avec le -capitaine Mazrok. Il décidera ensuite d’en informer les enquêteurs.
Elle hocha la tête.
— En attendant, je vous propose de recopier rapidement tout ce qu’il y a -sur ces documents. Puis, il faudra les redéposer à leur place...
Ils jetèrent un œil à Farl, qui poussa un soupir.
— Bah, ça ne sera que la troisième fois de la nuit... -

Ils hochèrent la tête et se mirent au travail. -

Uhr -

Le capitaine faisait les cent pas, très énervé.
— J’espère que tu es conscient de ce que tu as fait. De ce que vous avez -fait.
Il ne répondit pas, très mal à l’aise. La magicienne leur avait dit qu’elle irait -le voir pour leur raconter l’histoire, et prendre leur défense, mais à quel -point l’avait-elle fait ? Et même si elle avait fait de son mieux, ce n’était -pas elle qui était seule dans le bureau de Mazrok, ce n’était pas elle qui -risquait de perdre sa carrière... Il réalisa soudainement qu’elle avait perdu -pire, en fait, et cessa ses plaintes intérieures.
— J’avais bien quelques doutes sur cette histoire d’accident. J’avais engagé -une enquête à ce sujet... Même si j’admets que personne n’avait pensé à -faire appel à un prêtre.
Il n’avait rien à répondre qui puisse améliorer sa situation.
— Et aller fouiller dans des maisons sous scellés... Y récupérer des objets... -Tu te rends compte ?
Il baissa les yeux. Le capitaine laissait échapper sa colère tout haut, -comme souvent, mais il savait, pour l’avoir fréquenté, qu’il n’était pas -un homme injuste. Une fois le calme revenu, il ne lui appliquerait -pas une sanction disproportionnée. Sauf qu’objectivement, il savait -qu’il en avait mérité une... Même s’il n’était pas seul dans cette -histoire. -

Le capitaine Mazrok resta silencieux pendant quelques minutes, puis se -posta face à lui.
— Malgré cela, vous avez tous les quatre plus avancé dans l’enquête que -nous n’aurions fait en une semaine.
Il avait parlé d’une voix calme. Y avait-il un espoir ?
— Sauf que je suis très embêté. Officiellement, l’enquête n’en est pas là. -Officiellement, il s’agit toujours d’un accident.
Il se tut, et fit quelques pas, réfléchissant.
— Mais ces informations vont nous faire gagner un temps précieux, surtout -si l’assassin ne sait pas qu’il est identifié. Puisque tu es le seul au courant, -tu vas partir enquêter discrètement sur ce qui se passe dans cette -forêt.
Il leva les yeux vers lui. Il lui sembla qu’il attendait une réponse.
— Seul ?
— Tu peux emmener quelques personnes de confiance avec toi. Par exemple, -les amis qui t’ont aidé dans cette tâche ? Je couvrirai vos dépenses, bien -entendu.
— Euh, d’accord.
— De mon côté, je vais faire avancer l’enquête comme je pourrai, afin de -parvenir à la même conclusion officiellement. Mais tu auras pris de l’avance -en attendant, une avance précieuse.
Il hocha la tête. Non seulement il échappait au pire, mais l’idée d’une -mission importante n’était pas pour lui déplaire. Une mission avec Sam et -Farl... s’ils acceptaient.
— Il y a cependant quelques points à régler. Le premier, c’est que j’aurais -besoin d’être en contact avec toi le plus efficacement possible, et bien -entendu discrètement. Que ce soit pour te tenir au courant de l’enquête, ou -que tu m’apprennes ce que tu trouves.
— J’ai peut-être une idée pour ce point, interrompit-il.
Le capitaine sembla surpris.
— Je t’écoute.
— Les prêtres possèdent un moyen de communiquer par la pensée. Si je -voyage avec une prêtresse, il m’est possible de vous tenir au courant de mon -avancée rapidement.
— Mh, c’est effectivement plutôt malin. Bien que je n’aie jamais -fait cela, je dois reconnaître que c’est une bonne idée. Soit. Tu vas -aller préparer ton départ, au plus vite. Je m’occupe d’autres détails - - -techniques. -

Alors qu’il tournait les talons et quittait la pièce, le capitaine le rappela -une dernière fois.
— Uhr ?
— Oui ?
— Je devrais être furieux pour ce que vous avez fait, mais je suis quand -même un peu fier. Ne me déçois pas pour la suite.
Un léger sourire marquait son visage. -

-[
-
-

-

Zach -

Deux jours s’étaient écoulés depuis leur mésaventure. Deux jours qui -avaient été plutôt calmes. En s’éloignant encore des sentiers, ils n’avaient -pas recroisé de brigands, même si la forêt y était plus dense encore. Sélène -commençait à se sentir à l’aise en forêt – ou était-ce une aisance avec lui ? -– et avait beaucoup moins de difficultés à suivre son rythme. Il se surprit à -la considérer comme une amie et plus une cliente à transporter d’un point à -un autre. -

Elle marchait à côté de lui, un long bâton de marche à la main. Il lui -avait taillé une branche qui lui servait non seulement de support pour -avancer, mais aussi – potentiellement – de moyen de défense. Il avait été -impressionné par son courage face aux deux bandits, et avait proposé de lui -apprendre quelques techniques. -

Il lui sourit alors qu’elle passait à côté de lui. Il sentait encore le coup -qu’elle lui avait mis dans le côté droit. Heureusement qu’il n’avait pas -enlevé son armure... Ou peut-être aurait-il eu droit à une de ses potions -bizarres ? Sa coupure à l’épaule gauche était complètement guérie, grâce à -elle. Sans ça, il aurait probablement senti la blessure le tirailler plusieurs -semaines... Elle lui rendit son sourire. La soirée s’annonçait plutôt - - -bien. -

Sélène -

Sélène s’arrêta sur le lieu de bivouac. Depuis ces quelques jours, elle -était à présent très à l’aise en forêt. Ou était-elle très à l’aise avec son -guide particulier ? Elle essayait de l’imaginer accompagnant d’autres -voyageurs, mais elle doutait fort qu’il avait la même familiarité avec -d’autres... Entre eux s’était tissée une solide complicité. -

Alors qu’il s’accroupissaient tous les deux pour préparer le feu – elle -n’avait pas sa technique, mais elle apprenait vite –, elle aperçut, dans son -dos, quatre disques rouges, brillants, dans l’ombre. Elle se redressa -subitement.
— Zach ! Derrière toi...
Il pivota instantanément en entendant le ton de sa voix.
— Qu’est-ce que c’est que...
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase. Ce qui surgit des buissons lui -arracha un cri de surprise et d’horreur. La créature ressemblait à une -araignée, noire, de la taille d’un gros chat. Les lumières rouges étaient ses -yeux, qui brillaient dans les ombres de la forêt. Elle n’en avait vu -que dans des livres jusque là, et rien que le dessin était déjà peu -rassurant... -

Zach -

— Une arakne !
Zach avait dégainé son épée. Lorsque la créature se jeta sur lui, il fit un pas -de côté, et d’un geste vif, planta son arme dans son corps. La bête roula au -sol, recroquevillant ses longues pattes, alors qu’un liquide noir coulait de sa -blessure. Rapidement, elle ne bougea plus et la lueur rouge de ses deux -paires d’yeux s’éteignit. Assez étrangement, le sang noir coula de sa lame -sans y laisser la moindre trace, comme s’il ne pouvait pas adhérer au -métal.
— Quelle est cette horreur ?
Il leva les yeux vers Sélène, aussi effrayée que lui.
— Une arakne. Je n’en avais vu que dans des livres jusque là... Je croyais - - -que ces créatures étaient éteintes, du moins sous nos contrées. Que fait-elle -ici, je n’en sais rien...
Du bout de son bâton, elle remua le cadavre de la bête, retenant un frisson -d’horreur. Il remercia ses réflexes, sans lesquels... il ne préféra pas imaginer -la suite.
— Elles attaquent rarement seules, il vaudrait mieux ne pas rester -ici...
— Attention !
Deux autres créatures venaient de sortir du sous-bois. Il se plaça entre elles -et Sélène, et sortit son couteau de sa botte. Deux adversaires humains, il -avait déjà fait, mais deux bestioles comme ça... -

La plus grosse des créatures bondit, et vint s’embrocher sur son épée et -y resta. D’un geste ample, il dégagea le corps inerte de la bête de son arme -– au moins, elles n’étaient pas très résistantes – et chercha du regard la -deuxième. Une douleur extrêmement vive le saisit dans la cuisse droite. -L’arakne venait d’y planter ses mandibules. -

Avant qu’il n’ait le temps de la frapper de son couteau, Sélène se -précipita, et au lieu d’utiliser son bâton contre la créature, elle lui déversa -le contenu de sa gourde. À sa grande surprise, la bête lâcha prise et fit un -bruit qui ressemblait à un cri de douleur. L’eau semblait la brûler, et une -fumée inquiétante semblait s’échapper de son corps. Elle s’écroula sans vie -à ses pieds.
— Les araknes ne supportent pas l’eau pure, expliqua-t-elle. Donc le -meilleur moyen de se mettre à l’abri, c’est de trouver une rivière ou un lac. -Et vite. Même un petit ruisseau suffira...
Zach regarda aux alentours, craignant de voir arriver une autre de ces -horreurs, mais pour le moment, rien. Il s’adossa à un arbre et jeta un œil à -sa jambe. -

Sélène -

— Assieds-toi.
Il obéit, en retenant difficilement une grimace de douleur. Elle examina la -plaie. Deux ouvertures profondes et larges, les traces des mandibules de -l’arakne. Heureusement, elle n’avait laissé aucun morceau, mais elle savait - - -que ce n’était pas suffisant, car elles étaient venimeuses...
— Première étape, nettoyer ça. Après, je vais te donner quelque chose pour -retarder la diffusion du poison...
— Poison ?
— Un poison qui paralyse lentement, et tue en une dizaine d’heures. Ne -bouge pas, je te dis !
L’inquiétude se lisait sur son visage. Elle essaya de le rassurer.
— Je sais fabriquer l’antidote pour ce genre de cas. Mais cela prend du -temps, et il faut trouver les bonnes plantes...
Il lui prit le bras.
— Donne-moi ce que tu peux, et mets-toi à l’abri de suite... Si tout se -passe bien, tu peux peut-être revenir à temps avec l’antidote. Sinon... -au moins tu seras en sécurité. Pas la peine d’être deux à mourir -ici.
Elle le regarda. Elle réalisa alors que pour rien au monde elle ne le laisserait -ici.
— Oh, et puis zut.
Il n’y avait qu’une seule solution, et elle le savait. Elle rejeta ses cheveux en -arrière, dégagea son bras de sa prise, et se releva. -

Zach -

Il la vit se redresser, et son regard se mettre à briller. Plus précisément, -des filaments de lumière blanche, légèrement moirés, traversèrent son iris. -Elle lâcha son bâton de marche, et apparut alors dans sa main droite, à la -place, un long bâton, couleur bois, fait de deux branches entrelacées, -presque aussi grand qu’elle. Au sommet, les deux branches entouraient ce -qui ressemblait à une pierre, qui brillait de la même façon que ses -yeux. -

Une sorcière ! Il ne savait pas s’il devait hurler, ou s’enfuir en -courant. De toutes façons, vue sa jambe, elle le rattraperait vite. Et à -choisir, il préférait mourir de la main de Sélène que par un poison -lent... -

Ses yeux brillèrent plus fort alors qu’elle s’approchait de lui. D’autres -filaments de lumière semblaient voler, partant ou arrivant vers la pierre de - - -son bâton. Certains semblaient converger vers sa main gauche, qui devenait -de plus en plus lumineuse. Elle était magnifique ainsi. Magnifique et -terrible. -

Elle posa sa main sur sa cuisse. Stupéfait, il sentit la douleur s’apaiser, -les chairs se refermer, lentement. La lueur presque aveuglante de ses yeux -s’apaisa, les filaments lumineux disparurent. Sous sa main, toujours posée -délicatement, il savait que sa jambe était intacte. Les yeux de Sélène -étaient de nouveaux normaux. Quelques gouttes de sueur perlaient de son -front. Elle le regardait intensément. -

Tremblant, il posa sa main sur la sienne. Une partie de lui-même lui -criait de s’enfuir pendant qu’il en était encore temps. Qu’il risquait de -tomber sous son charme. Qu’elle était en train de l’ensorceler. Une autre -voix, plus raisonnable, lui posait des milliers de questions. Les sorciers -devaient-ils forcément être maléfiques, après tout ? Ne venait-elle pas de lui -sauver la vie ? Qu’avait-elle fait de mal ? Une troisième petite voix, mais -criant plus fort que les autres, lui proposait de ne rien dire, et de la serrer -dans ses bras. Les trois consciences finirent par se mettre d’accord sur le fait -que, s’il voulait éviter de tomber sous son charme, c’était déjà bien trop -tard. -

— Merci.
Elle lui sourit, puis son visage se ferma.
— Inutile de te dire que, désormais, tu partages un secret dangereux...
— Je sais. Tu risques d’être brûlée vive, et moi avec, rien que pour avoir -pris ta défense.
Elle sembla un peu rassurée de l’entendre dire qu’il la défendrait sans -conditions.
— J’espère que personne ne nous a vus, ou entendus...
Comme répondant à son interrogation, des éclats de voix leur parvinrent. Ils -sursautèrent tous les deux.
— Il y a des gens ! Je suis perdue !
À l’idée de devoir mourir de la main de ses pairs après avoir survécu aux -araknes, Zach ne réfléchit pas longtemps. Il ramassa son épée, et bondit -dans la direction des voix. - - -

Aldariel -

— Aldariel... C’est quoi ces horreurs ?
Les deux créatures gisaient sur le sol, devant elles. L’une était transpercée -d’une flèche, l’autre fendue en deux.
— Ça me dit quelque chose... je crois que j’ai vu ça dans un livre. Des -araknes, si mes souvenirs sont bons ? Attention, là !
Deux autres bêtes s’approchaient à grande vitesse. Silwë bondit, et cueillit -au vol la première. Aldariel voulut armer une flèche, mais elle était trop -près pour avoir le temps de viser. Elle fit deux pas rapides en arrière pour -tenter de gagner du temps. La créature avait bondi. Alors qu’elle tentait -d’esquiver, elle vit son amie, à sa gauche, s’interposer, et son épée la -transpercer d’un coup d’estoc. -

Elle recula encore de quelques pas, l’arc tendu. Plus d’autre arakne en -vue. Elle se tourna alors vers son amie, agenouillée au sol, le visage crispé -par la douleur.
— Sil !
L’épée avait si bien traversé la bête que son corps s’était enfoncé jusqu’à la -garde, et que ses mandibules s’étaient plantées profondément dans son -poignet. S’asseyant à ses côtés, et tout en surveillant les environs, Aldariel -commença par dégager avec précaution les pinces de l’arakne. Son -avant-bras comportait deux entailles. L’une des mandibules avait -été amortie par la bande de cuir qui entourait son poignet, l’autre -s’était plantée directement dans la chair, et la plaie était inquiétante. -
— Avant toute chose, tu vas boire ça.
Elle sortit un petit flacon de son sac.
— Un antipoison. Il met un peu de temps à faire effet, donc bois-le de -suite.
Silwë obéit, tandis qu’elle cherchait dans son sac de quoi nettoyer la plaie. -C’est alors qu’elle aperçut, dans l’obscurité, une lueur vive derrière les -arbres, à une trentaine de mètres environ. D’autres araknes ? Ou pire -encore ?
— Qu’est-ce que c’est que ça ?
Elle ramassa son arc, et Silwë son épée, en grimaçant légèrement. Toutes -deux avancèrent vers la lueur qui s’estompait lentement.
— Ça ira ton bras, Sil ? murmura-t-elle en voyant le sang couler de la -plaie.
— On fera avec...
La lueur, qui diminuait, semblait venir de derrière un large arbre. Il y avait -des voix. Sentant le danger, Aldariel se mit à l’abri dans un buisson, tandis -que son amie, toujours devant elle, prit son épée à deux mains et -s’approcha de l’arbre. C’est alors qu’un homme surgit et se rua sur -Silwë. -

Zach -

Son adversaire était plus petit que lui, mais il parait ses coups avec -précision. Il ne devait pas le sous-estimer. Sur le troisième coup qu’il lui -porta, il sentit pourtant une certaine faiblesse dans la parade. Maintenant le -contact de sa lame contre la sienne, il força son adversaire à écarter son -épée vers la gauche. Dans le même mouvement, il lui donna un coup -d’épaule qui l’envoya contre l’arbre, tout en saisissant son poignet de sa -main libre. -

À sa grande surprise, l’adversaire lâcha son arme en laissant échapper un -léger gémissement de douleur. L’avant-bras qu’il maintenait était -couvert de sang. Il constata alors que celui qu’il avait pris, au vu de -sa silhouette, pour un adolescent, était en fait une jeune femme. -Une elfe, même, corrigea-t-il. Stupéfait, il laissa passer une seconde -qui faillit lui être fatale. De sa main gauche et valide, l’elfe avait -dégainé une fine dague, qu’il para de justesse, tandis qu’un violent -coup de genou le cueillit dans les côtes et le fit reculer de quelques -pas. -

Elle chercha à se dégager de sa prise sur son poignet blessé, mais il -garda les doigts serrés. Il esquiva un nouveau coup de dague en se -rapprochant d’elle. Il était de toutes façons un peu trop près pour utiliser -convenablement son épée. Entourant ses épaules de son bras droit, il la -souleva d’un coup de hanche et l’accompagna au sol. Sous le choc, le souffle -coupé, la jeune femme lâcha sa dague. Maintenant fermement son poignet -droit par terre, il posa son genou contre sa poitrine pour l’empêcher de se -relever. Elle cessa de chercher à se dégager lorsqu’il posa la lame de son - - -épée à plat sur sa gorge. -

C’était la première fois qu’il voyait une elfe de si près. Il l’observa avec -curiosité. Ses cheveux fins étaient retenus par une longue tresse, et ses yeux -bleus marquaient un mélange de colère et de peur. Mais à part ses oreilles -pointues, elle n’était pas si différente physiquement d’une humaine, -finalement... Elle portait une armure légère de cuir, qui ressemblait -beaucoup à la sienne. En revanche, la tunique en dessous était d’un tissu -étrange, en apparence très léger, qu’il n’avait jamais vu. Son regard -se porta vers son avant-bras. La blessure qui s’y trouvait rappelait -beaucoup une autre qu’il avait subie il y a très peu de temps... Elle -aussit s’était battue contre des araknes ? Le souvenir de la douleur -associée lui donna des frissons, et il desserra très légèrement son -étreinte. -

Reprenant ses esprits, il appuya légèrement la lame contre sa -gorge.
— Tu vas me dire qui tu es, ce que tu fais là, et pourquoi tu nous -espionnes.
Il n’eut pas le temps d’attendre sa réponse. Zach sentit soudainement une -pointe acérée se poser sur sa nuque. Il aurait dû se douter qu’elle n’était pas -seule...
— Je vais répondre à sa place. Elle, c’est le garde du corps de la princesse -elfe Aldariel Lalrilë, qui t’ordonne de la lâcher immédiatement si tu ne veux -pas que cette flèche traverse ton cou.
Le ton de la voix était impératif, et la pointe dans sa nuque l’était -tout autant. Un regard rapide en arrière lui laissa entrevoir une -silhouette délicate, vêtue de vert pâle, armée d’un arc tendu vers -lui. -

Silwë -

Elle n’avait rien pu faire. Elle enrageait d’être ainsi blessée, et à la merci -de son ennemi. Le brigand qui la maintenait au sol l’observait avec une -fascination inquiétante. Son arme était posée à plat sur sa gorge, -signe qu’il n’avait – apparemment – pas l’intention de la tuer tout de -suite. Peut-être comptait-il abuser d’elle avant ? Ce n’était guère - - -mieux...
— Tu vas me dire qui tu es, ce que tu fais là, et pourquoi tu nous -espionnes.
Son ton la suprit presque autant que sa phrase. Il y avait une note petite -d’inquiétude dans sa voix. Que voulait-il, finalement ? Elle tenta de -reprendre son souffle, mais le poids de son genou sur sa poitrine n’aidait pas. -Et son bras, qui la faisait souffrir... Elle s’apprêtait à répondre, quand elle -aperçut, derrière lui, la silhouette de sa compagne, son arc tendu, le -menacer à son tour. -

L’homme sembla hésiter. Si Aldariel décidait de le tuer, il avait de -toutes façons le temps de l’égorger avant de mourir. De même, il -pouvait choisir de la tuer elle, mais le payerait de sa vie. Il sembla -choisir la solution raisonnable. Elle le vit éloigner lentement son épée -de sa gorge, sans la quitter des yeux. Mais il ne l’avait pas encore -lâchée. -

C’est alors que de derrière l’arbre surgit une jeune femme, portant une -longue robe violette et un bâton de magie dans la main droite.
— Lâche-le immédiatement.
Ses yeux et son bâton se mirent à briller, et des filaments d’une lumière -presque aveuglante vinrent se concentrer juste au dessus de son autre main, -qu’elle tenait paume vers le ciel. Une sphère lumineuse s’y forma, d’abord -rouge sombre, puis qui s’éclaircit progressivement jusqu’à devenir quasiment -blanche. Une boule de feu... -

Toujours immobile, impuissante, elle vit Aldariel hésiter, tandis que -l’homme avait pris une expression mêlant soulagement, crainte et surprise. -C’est alors qu’elle remarqua des lueurs rouges, dans l’obscurité, derrière la -magicienne. Elle essaya de crier, mais avec le poids qui écrasait sa poitrine, -seuls quelques mots en sortirent. -

Zach -

Il sentit un mouvement venant de l’elfe qu’il tenait toujours plaquée au -sol. Son visage était tourné vers Sélène, mais son regard semblait focalisé, -non pas sur la jeune femme, mais derrière...
— Les... ara... Il porta son regard dans sa direction, essayant de ne - - -pas se faire aveugler par la lumière émise par la magicienne. Puis il -hurla.
— Sélène, écarte-toi !
Il entendit alors avec effroi, dans son dos, le bruit de la corde d’un arc qui se -détendait. -

Sélène -

Sélène obéit instinctivement et fit un pas rapide vers la droite. Une -énorme arakne bondit à l’endroit où elle se tenait quelques secondes -plus tôt, et y fut accueillie par une flèche droit dans un de ses yeux. -La bête continua sa course et s’effondra, inerte, aux pieds de Zach, -stupéfait. Une seconde créature, arrivant du même endroit, se dirigea -droit vers elle. Avant de lui laisser le temps de réagir, elle reprit le -contrôle de sa boule de feu – toujours suspendue dans les airs, là où elle -l’avait laissée – et la dirigea de toute la force de sa volonté vers la -bête, qui ne fut bientôt plus qu’un petit tas de cendres à l’odeur -désagréable. -

Elle tourna son regard vers les trois combattants. Zach avait lâché sa -prisonnière, et se tenait debout, l’épée à la main. L’archère armait une -nouvelle flèche, en observant les environs, tandis que l’autre elfe, blessée, se -redressait avec difficultés.
— Je suggère qu’on règle nos différents plus tard, une fois à l’abri des -araknes, proposa-t-elle calmement. Il pourrait très bien y en avoir -d’autres...
L’archère et Zach se fixèrent d’un air méfiant quelques instants, puis -hochèrent la tête. Sélène aperçut alors, à ses pieds, une épée. Celle de la -guerrière elfe. Elle hésita quelques instants. -

— D’autres araknes !
C’était la voix de l’archère, montrant d’un signe de tête un nouveau groupe -de créatures. Sélène cessa de se poser la question. S’ils devaient combattre -ces horreurs, ils allaient avoir besoin d’un bras supplémentaire. Au sens -propre... Elle ramassa l’épée et courut vers la jeune elfe, toujours au sol, -grimaçant de douleur.
— ’Bouge pas, je m’occupe de ça.
Elle posa délicatement sa main sur le poignet blessé, et se concentra sur son -sort. -

Aldariel -

Sans avoir besoin de se concerter, Aldariel et l’étrange homme -s’étaient placés de part et d’autre de la magicienne et de Silwë, pour -les protéger du mieux qu’ils pouvaient. Mais son arc n’était pas -l’arme idéale contre les araknes. Elles arrivaient vite, et elle devait -tirer quasiment à bout portant. Elle se demandait ce que faisait la -magicienne, dans son dos, mais elle ne pouvait pas s’en préoccuper -maintenant. Elle lâcha un trait sur une autre créature, de justesse. -Aurait-elle assez de flèches ? Ah, si Silwë était à leurs côtés pour -combattre... -

Comme répondant à sa pensée, elle vit la silhouette familière passer -entre elle et l’homme, et bondir, l’épée à la main, sur les créatures. Son -avant-bras était intact. D’un coup de taille, elle trancha littéralement en -deux une des araknes qui arrivait sur elle, et fit de même sur la -seconde, d’un retour rapide de lame. De l’autre côté, elle vit la jeune -magicienne préparer une petite boule de feu, qu’elle dirigea avec -précision sur une autre créature. Voir ces renforts arriver lui redonna -courage. -

Quelques instants plus tard, le calme se fit. Les quatre jeunes gens, -toujours dos à dos, laissèrent passer quelques secondes, reprenant leur -souffle. Des dizaines de cadavres d’araknes gisaient au sol.
— Il ne faut pas rester ici. On ne sait pas... combien il y en a.. Il faut... ooh -ma tête...
C’était la voix, affaiblie de la magicienne. Aldariel se tourna vers elle. Elle -était très pâle, des gouttes de sueur coulaient de son front, et elle -tremblait. Son compagnon l’avait déjà attrapée par les épaules pour la -soutenir.
— Sélène, tu vas bien ?
Sans répondre, la jeune femme s’effondra dans ses bras.
— Épuisement magique ? proposa-t-elle.
— Comment ça ?
L’humain semblait paniqué.
— Lorsque les mages invoquent beaucoup de sorts puissants d’affilée, ils -s’épuisent très vite, expliqua-t-elle.
Elle posa sa main sur le front de la jeune magicienne, et hocha la tête en -guise de confirmation. Elle connaissait très bien ce phénomène, très -classique chez les mages.
— Et on fait quoi ?
Aldariel haussa les épaules.
— Rien, elle a juste besoin de se reposer. Nous aussi de toutes façons, et il -faut qu’on se mette à l’abri, rien ne nous dit qu’il ne va pas y avoir d’autres -araknes.
— Elle avait dit... que ces bestioles ne supportaient pas l’eau pure, et qu’il -fallait trouver une rivière. De mémoire, il y en a une dans cette -direction.
Elle hocha la tête, tout en ramassant ses flèches aux alentours. Cela lui -revenait maintenant, elle avait bien lu quelque chose comme ça. -
— Transporte-la, on vous couvre.
L’homme les regarda toutes les deux. Il sembla hésiter une seconde, puis -rangea son épée, prit la magicienne inanimée dans ses bras ainsi que son -bâton, et se mit en route. -

Zach -

Ils avançaient en silence dans la forêt. L’archère était à sa gauche, et la -guerrière à sa droite. Tous trois scrutaient les environs avec inquiétude, -mais rien n’arrivait. Pouvaient-ils être venus à bout de ces horreurs, -finalement ? -

Il repensa à la bataille qu’ils venaient de mener. L’archère n’avait pas -raté une seule fois sa cible, même si elle n’était pas toujours dans la -meilleure des postures pour toucher les créatures. Quand à la guerrière... -Était-ce la rage d’être restée passive pendant toute une partie de l’action, -blessée ? Le contrecoup de la douleur ? L’efficacité meurtrière qu’elle avait -mise en œuvre, une fois guérie, était à la fois rassurante et inquiétante. -Rassurante parce qu’elle était à côté de lui, son épée tirée, prête à -bondir sur le moindre danger les menaçant. Inquiétante, parce qu’elle - - -était à côté de lui, son épée tirée... prête à bondir sur lui si l’envie -l’en prenait. Il savait qu’il n’aurait de toutes façons pas le temps de -dégainer son épée, et aucun espoir de s’enfuir avec Sélène dans ses -bras. -

Certes, ils avaient convenu d’une trêve, le temps de se mettre à l’abri des -araknes. Et c’est grâce à Sélène qu’elle était guérie. Mais... que se -passerait-il une fois qu’ils seraient en sécurité ? Lui pardonnerait-elle, entre -autres, de l’avoir plaquée au sol et menacée lorsqu’elle était blessée ? Et -si... les deux elfes ne tenaient pas leur parole ? Il détestait se sentir ainsi, -à la merci de ces deux inconnues. Mais avait-il le choix, de toutes -façons ? Il était le seul assez fort pour pouvoir porter facilement -Sélène. À bien y réfléchir, il n’aurait pas laissé quelqu’un d’autre le -faire. -

Le son de l’eau qui coule se fit rapidement entendre, et la large rivière, -calme, apparut sous leurs yeux.
— Nous y voici. Il n’y a plus qu’à traverser. Tu sauras nager avec -elle ?
C’était la voix de l’archère, qui s’était tournée vers lui. Il hocha la tête, -même si l’idée de se jeter à l’eau avec tout son équipement et la jeune -femme inanimée, ne l’enchantait guère.
— On n’est pas obligés de traverser tout de suite, proposa la guerrière. On -peut la longer jusqu’à trouver un gué. Il y a peu de chances que cette rivière -se transforme en torrent d’ici là, et rien ne nous empêche de nous jeter à -l’eau en cas de gros problème.
Ils acquiescèrent, et suivirent le cours d’eau vers l’aval. -

Ce n’est que quelques minutes plus tard qu’il remarqua que le lit de la -rivière s’était élargi, et qu’elle semblait nettement moins profonde. -Quelques rochers affleuraient même à la surface.
— Là, on peut peut-être traverser.
Sans répondre, l’archère s’avança dans l’eau. À mi-chemin, elle n’avait de -l’eau qu’à mi-mollet. Elle s’arrêta et lui sourit.
— Bien vu !
Il s’avança à sa suite. Soudain, alors qu’elle atteignait presque la rive -opposée, l’elfe s’arrêta brusquement et se retourna vers lui, les sourcils - - -froncés.
— Silwë... Tu ne m’avais pas dit que les humains voyaient très mal dans -l’obscurité ?
Sans avoir besoin de se retourner, il entendit la guerrière, qui le -suivait, s’arrêter à son tour. La nuit était tombée depuis presque une -heure.
— Si...
Il sentait leurs regards, interrogateurs, presque menaçants. Ce n’était -peut-être pas le moment de se lancer dans de longues explications...
— C’est une longue histoire, je vous explique après, promis. Est-ce qu’on -peut se mettre en sûreté d’abord ?
L’archère, devant lui, hocha la tête, et se remit en marche. -

— On peut peut-être s’arrêter là ?
Les deux elfes regardèrent les alentours, et hochèrent la tête. Ils étaient à -une trentaine de mètres de la rivière. Il vit les deux jeunes femmes le jauger -du regard, puis se jeter un regard entendu. Lentement, elles rangèrent leurs -armes. Il ne put retenir un léger soupir de soulagement. Il s’assit au sol, -déposa Sélène à côté de lui, délicatement, et fit quelques mouvement pour -soulager ses bras douloureux. -

Les deux elfes s’installèrent en face de lui, avec un air un peu méfiant. -L’archère prit la parole, d’une voix douce.
— Comment va-t-elle ?
— Elle respire calmement.
L’elfe se leva et posa une main délicate sur le front de la jeune femme -endormie.
— Elle a un peu froid. Tu devrais la couvrir.
Il prit leurs deux couvertures dans leurs sacs respectifs et l’enveloppa -doucement dedans. Un silence passa, puis il se décida.
— Je m’appelle Zach. Je suis guide, et j’escorte cette jeune personne, -Sélène, à travers la forêt, jusqu’à la seigneurie de Assem. Et... vous ?
— Silwë et moi-même, Aldariel, sommes des elfes sylvaines. Nous sommes -invitées par le duc De Vane, qui organise un grand tournoi de tir à -l’arc.
Zach allait demander s’il n’était pas dangereux pour deux femmes seules de -faire ce long trajet. Puis il se souvint des traits de l’archère et de l’épée de - - -la guerrière, et se ravisa. Cette dernière reprit.
— Pour répondre à ta question initiale, nous n’étions pas en train de vous -espionner. Nous avons été attaquées par les araknes, et nous avons vu de la -lumière... Je suppose que c’était elle ?
Elle désigna Sélène. Zach soupira et hocha la tête.
— En effet. Nous avons, comme vous, été attaqués par ces créatures... -J’étais gravement blessé, et elle a utilisé sa magie pour me soigner. -
Il montra sa cuisse, et le tissu déchiré encore tâché de sang. Il vit la -dénommée Silwë, en face de lui, marquer un léger frisson. Lentement, elle -défit la bande de cuir qui entourait son poignet droit. La peau était -intacte, mais le cuir marquait de profondes entailles. Il soupira et -continua.
— La magie fait très peur, dans nos contrées. Les magiciens sont -pourchassés et brûlés vifs... Jusqu’à ce moment, j’ignorais qu’elle -avait de tels pouvoirs, et si quelqu’un nous dénonce, nous sommes -en grave danger... J’ai eu peur. Désolé de ma réaction un peu... -brutale.
L’archère reprit.
— Nous avons tous eu peur, je crois. Et sans coopérer, nous ne serions pas -tous vivants maintenant. Il est temps de se restaurer un peu et de -dormir.
Elle sourit légèrement. La trève était prolongée au moins jusqu’au -lendemain, et c’était bon signe. Il sortit quelques vivres de son sac, et les vit -faire de même. Il hésita un peu. Le pain était rassis, la viande encore plus -séchée, mais il leur proposa tout de même.
— Désolé, ce n’est pas très frais, mais si vous en voulez...
Alors que, jusque là, la guerrière avait gardé un air légèrement méfiant, elle -sourit et se servit une tranche de pain et de lard qu’elle mangea avec -appétit. En retour, elle lui tendit une petite galette.
— Du pain elfique. C’est très bon et nourrissant, mais crois-moi, on s’en -lasse au bout d’un moment.
Il la remercia d’un sourire, et mangea quelques bouchées de la galette. Elle -avait un goût de miel, et effectivement, nourrissait bien malgré sa -finesse. Sa compagne prit quelques morceaux de pain rassis, et fit la - - -grimace.
— Excuse-moi, mais je n’ai pas encore l’habitude de la nourriture -humaine...
— C’est la première fois que vous venez en territoires humains ?
Silwë sourit entre deux bouchées de pain.
— Elle, oui. En ce qui me concerne, j’ai passé cinq ans chez les humains, -donc ce n’est pas une nouveauté pour moi...
Devant son regard surpris, elle expliqua.
— J’y ai appris le maniement de l’épée. C’est d’ailleurs pour ça, et -pour mon expérience humaine, que j’ai eu l’honneur d’escorter notre -princesse.
Elle adressa un sourire amusé à Aldariel. Elle était donc bien une princesse, -comme elle lui avait annoncé – il eut un léger frisson – à la pointe de sa -flèche... Il se demanda s’il devait la traiter en tant que telle. Son -« garde du corps » ne semblait pas s’encombrer de protocole, mais -lui ?
— Je te préviens, ne t’avise pas de m’appeler « princesse » si tu ne veux -pas recevoir une flèche perdue.
Avait-elle suivi sa pensée ? Son ton était ferme, mais il y avait une petite -pointe de plaisanterie dans sa voix... -

Il ne put retenir un bâillement. La journée avait été longue, épuisante et -riche en émotions... Aldariel hocha la tête.
— Il est effectivement temps de se reposer.
— Peut-être serait-il prudent de se relayer pour monter la garde ? Je ne fais -pas ça d’habitude, mais le danger qui nous menace est assez inhabituel, -proposa-t-il.
— Pourquoi pas, répondit Silwë, puisque visiblement nous sommes tous les -trois capables de voir dans le noir.
Elle le pointa du doigt.
— D’ailleurs, à ce sujet, tu nous dois quelques explications...
Il avait presque oublié ce détail. Mais finalement, ce n’était pas forcément -plus mal. Maintenant qu’il avait enfin des elfes face à lui, il allait peut-être -savoir...
— Effectivement, j’ai la capacité de voir dans l’obscurité, mais j’ignore -pourquoi. Je suis un enfant trouvé sur le pas d’une porte et adopté... Sélène - - -pense que j’ai des antécédents elfiques.
Les deux jeunes femmes l’observèrent un moment. Puis se jetèrent un -regard entendu. Aldariel se leva et vint s’asseoir à côté de lui, une main sur -son épaule, puis pointa du doigt un arbre au loin.
— Tu vois la chouette sur sa branche, là-bas ?
— Celle qui tient dans ses serres un cadavre de mulot ? Ou celle qui est -quelques branches plus haut ?
— Mmm... Et dans ce buisson à droite, tu distingues quelque chose ?
— Il y a ce qui ressemble à une entrée de terrier, et un renard semble en -sortir avec prudence. Ah, il vient de rentrer...
Nouveau regard entendu, presque inquiet. Il avait l’impression d’avoir fait -quelque chose de mal, mais quoi ? Silwë reprit la parole.
— Est-ce qu’il t’arrive d’être gêné par la lumière du jour, en été ?
— Parfois, quand le soleil est haut dans le ciel et qu’il n’y a aucun nuage, -admit-il. Pourquoi ?
Les deux jeunes femmes semblaient mal à l’aise.
— Elfe noir ? murmura l’archère.
— Oui...
Il se racla la gorge, et fronça les sourcils.
— Est-ce que je peux savoir de quoi vous parlez ?
Aldariel prit une grande inspiration, et expliqua.
— Tu vois encore mieux que nous dans l’obscurité. Tout comme ta légère -sensibilité à la lumière, c’est typique des elfes noirs. Il faut que tu -saches que... nous ne sommes pas vraiment en bons termes avec -eux.
Elle semblait gênée. Son amie reprit, presque doucement.
— Tu n’y es pour rien. Mais je te conseille de cacher ce don face à des elfes -sylvains...
— J’ai déjà l’habitude de le cacher auprès des humains. Les elfes sont mal -vus, d’où je viens, et déjà qu’on me traitait d’elfe quand j’étais petit, parce -que j’étais soi-disant tout frêle...
Silwë sourit.
— De ce que j’ai pu voir, il y a des humains grands, petits, forts, frêles, à la -peau claire, sombre... Je ne me fierais pas à ta seule apparence pour en -juger. Mais il faut reconnaître que ton teint mat, tes cheveux sombres, ta - - -silhouette rappellent un peu un elfe noir. Avec la barbe en plus, et les -oreilles pointues en moins.
— Tu penses qu’il est un... hybride ? Un demi-elfe ?
— Oui.
L’archère parut considérer cette réponse.
— Mais... c’est courant, des liaisons entre elfes et humains ?
— Ça... arrive.
L’archère sembla considérer son amie avec curiosité et retenir une question. -Puis elle se leva.
— Bon, je prends la première garde. Allez dormir.
— D’accord, je prendrai la suivante, ajouta-t-il.
— Je m’occuperai de la dernière. -

Il commença à s’installer près de Sélène, qui à son grand soulagement, -semblait toujours dormir paisiblement. Aldariel lui tendit ce qui ressemblait -à un drap léger.
— Laisse-lui les deux couvertures, et prends la mienne pour dormir. Ne -t’inquiète pas, elle est assez chaude.
— Merci.
Il posa, comme à son habitude, sa ceinture à côté de lui et s’enroula dans la -couverture. Elle était effectivement très confortable et tenait chaud, malgré -sa finesse. Un mètre à sa droite, Silwë l’avait imitée. Son épée se -retrouvait posée non loin de la sienne. Ils échangèrent un regard. -Méfiance ou curiosité ? Il n’aurait pas su dire. Puis elle ferma les -yeux. Il vit, du coin de l’oeil, l’archère, perchée sur une branche, aux -aguets. Devait-il être rassuré ou inquiet ? Il n’eut pas le temps de se -poser plus longtemps la question, la fatigue l’envahit et il s’endormit -profondément. -

Aldariel -

Les heures s’étiraient longuement, et elle se sentait épuisée. Mais il -fallait rester éveillée. Le campement de fortune était calme, et aucune -menace ne semblait se profiler à l’horizon, même venant de la rivière. Elle se -leva, et fit quelques pas sur sa branche, pour se dégourdir les jambes et se -réchauffer. - - -

Un bien étrange personnage que ce Zach... Maintenant qu’elle y pensait, -il avait bien un petit air d’elfe, si elle l’imaginait sans barbe. Mais était-ce -important, finalement ? Il semblait plutôt sincère lorsqu’il avait -expliqué qu’il ne connaissait pas ses antécédents. Bien sûr, il aurait -pu mentir pour éviter d’être pris pour un elfe noir, surtout auprès -d’elles. Habituée à évoluer parmi la haute noblesse elfique, elle savait -assez bien décoder les expressions de ses congénères, et les humains -semblaient fonctionner de la même manière, même si l’étiquette -différait. Mais elle n’était pas aussi sûre qu’elle le voulait. Cela dit, dans -ce cas, pourquoi aurait-il répondu sincèrement à ses questions sur -sa vue ? Il aurait très bien pu prétendre voir un petit peu moins -bien... -

Il avait eu une attitude très... protectrice vis-à-vis de la magicienne. -Prenait-il son travail très au sérieux, ou était-il réellement attaché à elle ? -Si elle avait été sûre que le langage corporel des humains était le même que -celui des elfes, elle aurait parié sans hésiter pour le second cas. Elle était -curieuse d’observer l’attitude de Sélène en retour, quand celle-ci se -réveillerait. Sélène, qui avait soigné – presque – sans hésiter son amie... -Certes, d’un point de vue purement technique, cela leur permettait de lutter -plus efficacement contre les araknes, mais tout de même. Une façon de se -faire pardonner de l’avoir menacée ? Dommage qu’elle soit restée inanimée, -elle lui aurait bien posé toutes sortes de questions... Peut-être en aurait-elle -l’occasion le lendemain ? -

L’heure avançait, et elle allait bientôt devoir réveiller Zach pour monter -la garde à sa place. Était-il vraiment de confiance ? Il avait avoué avoir agi -par peur, lorsqu’il avait attaqué Silwë, mais qu’est-ce qu’il lui disait qu’il -n’agirait pas ainsi d’autres fois ? Si il les attaquait, toutes les deux, alors -qu’elles dormaient ? Ce serait bien un comportement irrationnel d’elfe noir -ça... Elle secoua la tête. C’était ridicule. Il avait grandi chez les -humains, et se comportait tout à fait comme un humain. Enfin, pour -ce qu’elle semblait comprendre des humains. Et puis, elle n’avait -jamais rencontré d’elfe noir, peut-être que tout ce qu’on disait sur eux -n’était que des rumeurs ridicules entretenant une haine séculaire ? -Elle se promit de demander à son amie, peut-être en avait-elle vu à -la capitale, après tout ? Tiens, maintenant qu’elle y pensait, elle - - -était persuadée d’avoir perçu une légère gêne de la part de Silwë -lorsqu’elle avait parlé de relations hybrides. Était-ce un sujet tabou, -là-bas ? Ou se pouvait-il que... ? Les humains étaient si différents -des elfes, elle avait du mal à imaginer une telle relation. Mais qui -sait... ? -

— Zach... Réveille-toi...
L’homme ouvrit les yeux et parut mettre quelques instants à réaliser ce qui -se passait.
— Que se passe-t-il ?
— Rien, c’est juste ton tour de veiller.
Il se leva, s’étira et ramassa son épée. Puis il lui tendit la couverture et -s’éloigna rapidement pour trouver un point d’où surveiller le campement. -

Allongée dans sa couverture – qui avait une odeur... d’humain ? –, elle -mit quelques minutes à s’endormir, malgré la fatigue. Le calme était revenu -sur le campement, et elle distinguait sa silhouette, debout, adossée à -un arbre. Ses capacités à monter la garde, elle n’en doutait pas. Il -voyait mieux qu’elle dans la nuit, et elle l’avait vu manier l’épée -avec une belle efficacité. Pour avoir déjà vu son amie à l’œuvre, elle -doutait que le premier brigand venu soit capable de venir à bout de -Silwë, même blessée. Il n’y avait pas de raison de s’inquiéter, se -répéta-t-elle... -

Zach -

Une partie de la nuit était déjà passée, et il n’avait pas – encore – eu la -gorge tranchée pendant son sommeil... jusque là, tout allait bien. Enfin, si -on exceptait les araknes, la révélation de Sélène, la rencontre – peu amicale -au premier abord – avec les elfes, la fuite... Il avait déjà vécu un certain -nombre de situations étranges, mais celle-ci les dépassait de très -loin. -

Sélène... Qui semblait si fragile, et si forte en même temps. Que -serait-il devenu sans elle... Que seraient-ils devenus, corrigea-t-il, si -elle n’avait pas été là pour soigner les morsures mortelles de ces -horreurs. Qu’est-ce qu’il lui avait pris de vouloir la serrer dans ses bras, -tout à l’heure, juste après avoir été guéri ? Le contre-coup de la - - -douleur ? La crainte de mourir qui s’était apaisée brutalement ? Le -choc d’apprendre qu’elle possédait des pouvoirs hors du commun ? -Le danger que ces mêmes pouvoirs représentaient ? Finalement, -heureusement qu’il avait entendu les elfes arriver, cela lui avait évité une -sacrée bêtise. Elle n’aurait probablement pas apprécié, et il se serait -vraisemblablement retrouvé avec une boule de feu dans la tête. Ou -ailleurs. -

Il porta son regard vers les deux jeunes elfes endormies. Jeunes -d’ailleurs ? Elles avaient l’air d’être un peu moins âgées que lui, mais -les elfes ayant la réputation d’avoir une grande longévité, ça ne -voulait peut-être pas dire grand chose... Elles dormaient l’une contre -l’autre. Pour le froid, ou y avait-il plus que de l’amitié entre elles ? Il -ne connaissait les mœurs des elfes que de réputation, et on disait -des choses bien étranges sur leur sujet... Il fit mentalement la liste -de ces on-dits, tout en rayant intérieurement toutes les questions -qu’il ne leur poserait jamais. Hem. Il ne restait plus grand chose... -Mieux valait peut-être s’en tenir à ce qu’il pouvait observer. Les -elfes sylvains sont beaux, agiles et rapides, et sont de redoutables -combattants. Ces points semblaient effectivement valides. Les elfes se -battent à l’arc. Raté en partie. Ils savent tisser des étoffes fines, légères -et chaudes. Ça, il avait effectivement validé. Ils parlent une langue -inconnue et étrange : raté encore. Ou alors ces deux voyageuses avaient -appris la langue des humains ? Il en doutait, sinon elles auraient -utilisé – au moins ponctuellement – leur langage pour parler dans son -dos. -

Il soupira. Après tout, s’il se posait des questions idiotes, c’est qu’il était -encore en vie. Enfin... il restait un tiers de la nuit. Pendant laquelle ce serait -Silwë, la guerrière, qui monterait la garde. Oh, elle le ferait sûrement très -bien... peut-être même trop bien. Elle n’avait pas apprécié d’avoir été -humiliée en étant immobilisée au sol et menacée d’une lame sur la -gorge, visiblement. En même temps, admit-il, lui n’aurait pas trop -aimé non plus... Chercherait-elle à se venger ? Cela dit, elle n’avait -rien tenté contre lui lorsqu’ils fuyaient les araknes, et qu’il était -désarmé et chargé, y compris après avoir traversé la rivière. Et elle -devait la vie à Sélène. Mais elle ne lui devait pas grand-chose, à - - -lui... -

Quand à la « princesse »... qui ne souhaitait pas qu’on la traite en tant -que telle. Que pouvait être le protocole, chez eux, d’ailleurs ? Comment -traitait-on les princesses là-bas ? Peut-être en avait-elle assez des -courbettes. Ou c’était peut-être tout simplement la situation d’urgence, qui -faisait passer au second plan ce genre de considérations. En tous cas, -elle était redoutable, elle aussi. Il n’avait jamais vu un archer aussi -efficace, rapide et précis. Il se remémora l’instant terrible où il avait -entendu le son de son arc se détendre dans son dos. Fort heureusement, -elle avait estimé que l’arakne était une meilleure cible que lui... Il -frissonna. -

Il y a quelques jours, il n’aurait jamais admis, ni même imaginé une -seule seconde avoir peur d’une femme. Et pourtant, les trois qui étaient -étendues sous ses yeux, toutes plus petites et plus fragiles que lui, -endormies, sans défense – ou presque – l’effrayaient. Mais... n’est-ce pas ce -qui les rendait si fascinantes ? Et puis... que pouvait-il dire, de son -côté ? Il avait déjà un style de vie atypique, passant plus de temps en -forêt plutôt que dans les villes. Et voilà qu’il apprenait qu’il était -peut-être un demi-elfe noir... Côté étrange, il n’était pas vraiment en -reste. -

L’heure avait tourné. Le campement était toujours aussi calme, et les -jeunes femmes dormaient toujours profondément, bercées par les bruits -nocturnes. Tout allait bien. Il s’approcha doucement de Silwë, et lui posa la -main sur l’épaule.
— Psst... Silwë ?
L’elfe se réveilla et sembla paniquer à sa vue. Sa main se tendit vers son -arme, posée à côté d’elle.
— Hé, ne t’affole pas. C’est moi, Zach.
Elle s’assit, et le reconnaissant, se calma.
— Ah, pardon. Je suppose que c’est mon tour de veiller ?
— Oui. Rien à signaler pour le moment.
Elle se leva, lui tendit sa couverture, s’équipa rapidement et s’éloigna. -

Il fallait dormir. Faire confiance à la guerrière. Il prit une grande -inspiration. Tout allait bien... La couverture de la guerrière était déjà - - -chaude, et confortable. Il tourna la tête vers Sélène, étendue tout contre lui. -Était-il dangereux de dormir si près d’une... sorcière ? De toutes façons, ce -n’était pas la première fois, et il était toujours en un seul morceau, -apparemment. Son visage délicat était si paisible, si doux... Dire qu’on lui -avait parlé de vieilles femmes hideuses avec des verrues sur le nez. En même -temps, si on décrivait, dans les histoires pour enfants, les sorcières comme -celle qu’il avait sous les yeux, il serait plus compliqué d’entretenir une telle -haine à leur sujet... À moins que ce ne soit justement ça qui fasse -peur ? -

La fatigue l’envahit à nouveau, interrompant ses pensées. Il ferma les -yeux, et s’endormit à son tour. -

Silwë -

La nuit allait bientôt s’achever, sans qu’il se soit passé quoi que ce soit. -C’était plutôt rassurant... Pas d’autre menace venant de la rivière. Pas de -menace non plus de leurs compagnons d’infortune. La magicienne dormait -toujours, et à ses côtés, Zach semblait s’être endormi. Il n’avait pas -tenté de les attaquer, ou de les voler pendant leur sommeil... Elle se -demandait s’il était vraiment un guide ou s’il était juste un brigand qui -avait inventé cette histoire pour se couvrir. L’un n’empêchait pas -l’autre après tout... Même si la jeune femme qui l’accompagnait -semblait lui accorder sa confiance. Lui révéler qu’elle était magicienne -n’était pas rien, dans cette région, même si c’était pour lui sauver la -vie... -

Elle se demandait, d’ailleurs, quelle était la relation réelle entre ces deux -jeunes gens. À voir Zach, en tous cas, il semblait évident qu’il y avait -plus qu’un simple contrat entre un guide et sa passagère. Mais elle -interprétait peut-être. Et puis... cela ne la regardait pas vraiment en -fait. -

Mais la magicienne l’avait quand même sauvée, elle... Alors qu’elle -l’avait menacée quelques instants plus tôt. Bon indirectement, via -l’épée de son guide, mais ça comptait quand même. Était-ce par -simple opportunisme, sachant qu’il leur fallait un bras de plus pour -combattre les araknes ? S’étaient-ils alliés à elles parce qu’ils se - - -savaient en danger seuls, et allaient-ils se retourner contre elles une -fois la magicienne réveillée ? Elle secoua la tête. La nuit lui faisait -imaginer les pires scénarios. Ils étaient vraisemblablement, comme -elles, deux voyageurs surpris par ces créatures, et avaient eu peur. -D’où venaient ces horreurs d’ailleurs ? Elle aurait payé cher pour le -savoir... -

Elle fit quelques pas, se hissa sur une branche, et fit jouer son épée dans -sa main pour se réchauffer légèrement. Ce soi-disant guide était plutôt doué -avec une épée d’ailleurs... Ah si elle avait été valide, elle ne se serait -pas retrouvée immobilisée aussi facilement. Elle prendrait bien sa -revanche, mais l’attaquer n’était pas forcément la meilleure façon de lui -montrer ses bonnes intentions... d’autant qu’il semblait se méfier -un peu d’elle. Et... aurait-elle le dessus, en fait ? Ce n’était pas -clair... -

Sélène -

Lorsque Sélène ouvrit les yeux, elle fut surprise de trouver Zach à côté -d’elle, encore assoupi. Elle eut un petit sourire, en le regardant dormir. Les -autres fois, il récupérait plus vite qu’elle et se levait avant... Peut-être -s’était-il plus fatigué hier ? Hier... Les évènements de la veille lui revinrent -brusquement en mémoire. Les araknes... La blessure de Zach. Le sort de -soin... il savait désormais. Et l’étrange rencontre avec les deux elfes, -leur alliance temporaire quand d’autres créatures avaient attaqué, -et... le trou noir. Elle avait lancé beaucoup de sorts en si peu de -temps, elle n’avait pas tenu le coup. Elle manquait encore tellement -d’entraînement. -

Elle se redressa. Elle avait les deux couvertures sur elle, et son -compagnon était enroulé dans un drap gris clair. Un peu plus loin, l’archère -elfe dormait profondément. Elle fronça les sourcils. Que s’était-il donc -passé ?
— Bien dormi ?
Elle sursauta et se retourna. L’autre elfe, la guerrière, était derrière elle, -adossée à un arbre, l’épée à la main. Elle lui souriait.
Elle se leva, ramassa son bâton de magie, posé à côté d’elle. Devait-elle se - - -méfier d’elle, ou pas ? La jeune elfe rangea son épée à sa ceinture – pour la -rassurer peut-être ? – et lui fit signe de s’approcher.
— Laisse les autres dormir. Ils sont épuisés.
Elle lui raconta tout ce qui s’était passé depuis son évanouissement. -
— Vous avez vraiment monté la garde toute la nuit ?
— Oui. Nous nous sommes relayés... C’est pourquoi Zach et Aldariel -dorment encore.
Elle hocha la tête. Beaucoup trop de questions lui venaient à l’esprit, elle ne -savait pas par où commencer. Peut-être par la plus critique ?
— Si je ne me trompe pas, vous êtes des elfes sylvaines ?
— En effet.
— La magie n’est pas interdite chez vous ?
— Non pas du tout. Mais je sais très bien que là où nous allons, c’est le cas, -et elle y est même pire qu’interdite... Je comprends que tu aies eu peur -d’être découverte. Tu ferais mieux de cacher ton bâton de magie, -d’ailleurs.
Il n’y avait pas besoin d’avoir à expliquer la situation, au moins. Elle poussa -un soupir de soulagement.
— Je suis désolée pour le malentendu hier... Sans vous deux, nous n’aurions -pas pu passer cette rivière vivants.
— C’est moi qui dois te remercier de toutes façons...
La guerrière lui montra son poignet, et sourit. -

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Irdann -

Irdann savourait cette toute nouvelle liberté. Moins d’un mois qu’il avait -été adoubé paladin de la déesse, et qu’il pouvait sillonner le pays, -rendant divers services çà et là. Bien sûr, il savait qu’il ne ferait -pas fortune ainsi, mais il était libre comme l’air et accueilli plutôt - - -généreusement un peu partout. Que pouvait-il rêver de plus ? Peut-être -un peu de compagnie. Oh non, il était loin du cliché du chevalier -parcourant le pays avec sa Dame l’attendant dans son château ; mais -ses anciens amis de la garde lui manquaient un peu. Il ne les avait -pas vus depuis qu’il était reparti dans le temple pour finaliser sa -formation. Et ils avaient quitté la capitale entre deux... S’ils l’avaient vu -maintenant ! -

Il avait fière allure avec son tabar blanc, orné d’un écusson argent à -l’effigie de Melna. Dessous, un pantalon et une tunique gris clair, et une -cotte de mailles légère, ainsi que de solides gants de cuir. À sa ceinture, il -portait ses armes, flambant neuves, et sa tête était couverte d’un heaume -ouvragé. Il avait quitté la forêt le matin même, et s’approchait du château -du seigneur Assem, qui ferait une bonne étape pour la nuit. Peut-être -pourrait-il y rester quelques jours pour se reposer, après la traversée -épuisante de cette forêt... Il avait promis à ses parents, qu’il n’avait pas vus -depuis des années, qu’il serait présent pour l’ouverture du grand tournoi de -tir à l’arc qui était organisé en leur domaine. Mais il avait le temps, -finalement. -

— Sieur Irdann, c’est un honneur de vous accueillir ici !
Il posa respectueusement un genou à terre devant le seigneur et sa dame, -qui étaient venus le saluer personnellement. La situation de paladin semblait -effectivement respectée ici, et il était tout de même le fils de leur suzerain, -bien que n’en portant pas le titre. Le seigneur se leva pour l’accompagner -lui-même à la chambre qui lui était préparée. Il ne s’attendait pas à un tel -accueil.
— Nous ferez-vous le plaisir de dîner avec nous ?
— Bien volontiers, d’autant que voilà plusieurs jours que je n’ai pas fait un -bon repas à table.
— Vous avez traversé la forêt ?
— En effet.
Le seigneur sembla prendre un air inquiet, comme si cela lui rappelait -quelque chose. Il sembla hésiter, puis s’arrêta au milieu du couloir.
— Irdann... En tant que paladin de la déesse Melna, vous êtes investi de -certains de ses secrets, n’est-ce pas ?
Il hocha la tête. Que cherchait-il à lui dire ?
— Nous aimerions, mon épouse et moi, vous charger d’une requête...
Ah, voilà une des raisons, peut-être, de leur attitude. Mais après tout, -pourquoi pas ?
— Mon épée est à votre service, seigneur.
L’homme soupira, puis lui montra un portrait dans le couloir.
— Voici notre fille, Sélène. Il y a quelques années, elle a épousé un riche -seigneur de la capitale, et nous la voyons peu.
Irdann observa le portrait. La damoiselle devait avoir une quinzaine -d’années quand le tableau avait été peint. Des longs cheveux châtains -tressés avec des rubans, de jolis yeux gris-vert, et une longue robe de -couleur crème, brodée d’or. Un air sage, convenable à une jeune fille de son -rang.
— Elle devait nous rendre visite, seule car son époux est très occupé, et a -préféré ne pas attendre le carosse et l’escorte de soldats que nous lui -envoyions d’habitude. Mais elle devrait déjà être arrivée, depuis plusieurs -jours déjà...
Le seigneur s’interrompit. Il semblait sincèrement inquiet.
— Nous n’avons eu aucune nouvelle, si ce n’est des rumeurs populaires sur -une recrudescence de brigands dans la forêt qu’elle devait traverser...
Irdann n’ajouta rien. Il aurait bien confirmé ces rumeurs, mais ce n’était -peut-être pas la peine d’accabler le seigneur.
— Elle est peut-être morte, ou enlevée par des bandits... Comment savoir ? -Vous, un paladin, vous pouvez peut-être la retrouver...
— Mais comment la trouver ? La forêt est immense, et si dense...
L’homme le regarda un instant.
— Les paladins de Melna sont instruits, dit-on, des secrets divins. Ceux qui -permettent de retrouver n’importe qui. Il y a ces légendes... Ce paladin qui -sut retrouver sa dame, même lorsque celle-ci se fit enlever dans le plus -grand secret et emmenée très loin de lui. On raconte qu’il chevaucha -droit vers elle. Et cette autre dame, qui attendant le retour de son -aimé, se jeta du haut de sa tour à l’instant où celui-ci mourait sous -les coups de l’ennemi, bien avant que les hérauts ne lui annoncent -sa mort... Il y en a d’autres comme celle-ci, je pense que vous les -connaissez.
Irdann hésita un instant. Oui, il connaissait un moyen, puissant, complexe - - -et dangereux, mais ne l’avait jamais mis en place jusqu’alors... Mais -peut-être était-ce le moment où jamais. Et puis, une quête héroïque, digne -d’un grand paladin... Cela serait excitant et enrichissant. Le regard inquiet -du seigneur acheva de le convaincre.
— Je ferai tout mon possible pour retrouver votre fille, seigneur Assem, -vous pouvez me faire confiance.
Il le vit esquisser un sourire plein d’espoir, et lui serrer le bras.
— Dites-moi tout ce que je puis faire pour vous aider dans votre tâche, -noble paladin. -

Il ferma soigneusement la porte de la chambre de Sélène, après avoir -demandé à n’être dérangé sous aucun prétexte. Puis il fit le tour de la -pièce. Ça n’allait pas être simple, et il le savait. Ne connaissant pas -personnellement la jeune femme, il lui fallait trouver un objet très -personnel, auquel elle était attachée émotionnellement. Mais lequel ? Un -vêtement ? Un bijou ? Un livre ? S’il devait invoquer l’enchantement -de Melna sur chaque objet qui lui semblait convenir, il n’avait pas -terminé. -

Il s’assit sur le lit, et réfléchit. La jeune dame ne vivait plus ici depuis de -nombreuses années, il y avait probablement peu d’objets auxquels elle tenait -réellement. S’il supposait qu’un tel objet existait, comment le trouver ? -Tout d’abord, elle n’a pas emmené cet objet chez son époux. Donc elle le lui -cache, et probablement à ses parents également. Cela ne lui facilitait pas la -tâche s’il devait en plus fouiller toutes les cachettes potentielles... Un bijou -offert par un amour d’adolescente ? Un journal intime ? Mais si elle est -réellement attachée à cet hypothétique objet, elle aurait pu tenter de -l’emmener avec elle, caché dans le grand coffre qu’elle emportait en tant que -trousseau. Donc... cet objet, s’il existe, n’est pas petit et discret. -Voilà qui le rendait un peu moins difficile à trouver. Enfin, d’un -point de vue purement logique, s’il devait chercher un objet petit et -caché, il n’avait probablement aucune chance. Mais un objet d’un -volume moyen et caché, il pouvait peut-être... Pourquoi ne pas le -chercher ? -

Il se leva et se mit à chercher. Au bout d’une vingtaine de minutes, il -finit par trouver un paquet, enveloppé dans un tissu, coincé entre le matelas - - -et le sommier. S’il était dissimulé ici, il y avait une bonne raison... Le cœur -battant, il le sortit et le déballa précautionneusement. -

C’était un grand livre, à la reliure en cuir ornée d’or, aux pages jaunies -par le temps. Il l’ouvrit et en lut quelques lignes. C’était un livre de -sorcellerie... Il en eut des sueurs froides. Il avait grandi en apprenant que la -magie, si elle ne venait pas des dieux, était très dangereuse. Son père faisait -office d’avant-gardiste en considérant, au moins, les autres races humaines -avec une certaine bienveillance. Mais la magie, il n’en n’était pas question. -Et puis il avait commencé à vivre à la capitale... où se côtoyaient toutes -sortes d’êtres – presque – sans frictions et où la magie était une pratique -courante – il y avait même une université pour l’apprendre ! Le contraste -avec cette région était si saisissant... À la garde, maître Ernest ne -faisait même pas la différence entre les hommes et les femmes, alors -qu’ici... -

Il secoua la tête. Ce n’était pas le moment de faire revenir de vieux -souvenirs, il avait autre chose à s’occuper. Ce livre était plus qu’interdit ici, -il le savait, ce qui voulait dire que ladite Sélène n’était pas la jeune épouse -parfaite, douce et délicate qu’il aurait pu imaginer. Cela pouvait-il avoir un -lien avec sa disparition ? Avec son mariage avec le sieur de Quayle, si loin, à -la capitale ? Ce nom, d’ailleurs, ne lui disait rien. Certes, il ne connaissait -pas tout le gratin de la ville, mais il s’attendait à un nom un minimum -familier. -

Il sortit de sa poche un simple caillou qu’il avait ramassé dans la cour, et -le posa à côté du livre, et débuta son incantation. -

Combien de temps s’était passé ? Difficile à dire, mais de ce qu’il voyait -par la fenêtre, la nuit était tombée. Il ramassa délicatement la pierre posée -sur le sol. Dans sa main, elle pulsait doucement. Il avait réussi son -enchantement, et Sélène était vivante... L’enchantement du cœur, -ainsi dénommé par les paladins. Puissant et redoutable... La pierre -allait désormais pulser au rythme de ses battements de cœur. En se -concentrant, il pouvait également sentir dans quelle direction approximative -elle se trouvait, ce qui lui permettrait de la retrouver, où qu’elle se -trouve. -

Il se leva, rangea précautionneusement le livre dans sa cachette d’origine - - -et sortit de la chambre de la jeune femme. Il fit indiquer au seigneur qu’il se -mettrait en route dès le lendemain, à l’aube, et partit se coucher, -épuisé. -

Trois heures qu’il était en route. Trois heures qu’il sentait, au -fond de sa poche, ces battements incessants. Il savait qu’il voyageait -dans la bonne direction, mais au fur et à mesure qu’il avançait, il -se sentait de plus en plus mal à l’aise. Les pulsations indiquaient -qu’elle était toujours en vie, ce qui était rassurant, mais les variations -de rythme le perturbaient. Cette accélération soudaine, il y a une -demi-heure, était-elle due à un moment de peur ? Un effort physique -immédiat ? Un émoi ? Un danger ? Tout s’était calmé rapidement... -Impossible de savoir évidemment, mais cela donnait une sensation -étrange, voire vraiment gênante. L’impression d’être dans l’intimité -de quelqu’un, sans le voir ni l’entendre, juste à ses battements de -cœur. -

Il frissonna et sortit la pierre de sa poche. Entre de mauvaises mains, cet -enchantement pouvait être très dangereux. Avoir cet objet contre soi -tout en ayant la personne en face de soi permettait, avec un peu -d’entraînement et d’écoute, de tout savoir sur elle... ses émois, ses -sensations, quand bien même elle garderait un visage parfaitement -impassible. C’était une des raisons pour lesquelles cet enchantement était -tenu secret... -

De plus, il avait entendu lui aussi toutes les légendes de ces paladins -retrouvant leur bien-aimée. Sauf qu’il en connaissait la face sombre. Celle -qui racontait que nombre d’entre eux, hantés, obsédés par ces battements -incessants, incapables de savoir ce qui arrivait à l’objet de leurs pensées tout -en ayant la sensation d’en être si proches, avaient fini par perdre -complètement la raison. -

Et ce caillou qui pulsait toujours... Heureusement pour lui, il n’avait -aucun lien affectif avec la personne qu’il recherchait, sinon, le même sort -l’attendait. Mais même malgré cela il était mal à l’aise. Il ouvrit les -sacoches cavalières de sa monture, découpa un morceau de sa couverture -dans laquelle il enveloppa la pierre, qu’il plaça au fond d’une des sacoches. - - -Étouffées par le tissu, les pulsations ne lui étaient – enfin – plus -perceptibles. Il poussa un soupir de soulagement. Il le sortirait dans -quelques heures pour vérifier sa direction, c’était bien suffisant. Et dès qu’il -aurait retrouvé dame Sélène, il faudrait qu’il se débarrasse de cet objet au -plus vite. -

Sélène -

Assise en tailleur, Sélène observait le contenu du petit chaudron, posé -sur un feu, qui se trouvait devant elle. Depuis la veille, ils avaient décidé de -faire route avec les deux elfes, qui s’étaient avérées d’agréables compagnes -de voyage. Elles étaient aussi à l’aise en forêt que des poissons dans l’eau, -plus encore que Zach. Aldariel, assise en face d’elle, lui avait parlé de -recettes de potions à base de plantes, et Sélène avait été enthousiaste à -l’idée de les partager.
— C’est une chance que tu aies ce petit chaudron avec toi.
Sélène sourit.
— Oui, même si je regrette celui que j’ai à l’université... Ah je pourrais te -montrer d’autres mélanges !
— J’aimerais beaucoup... si nous en avons l’occasion.
Aldariel remua doucement la mixture avec un petit morceau de bois.
— Ça s’épaissit, je pense que ça va bientôt être bon.
— Il faudra filtrer quand même, il y a plein de morceaux de feuilles... Tiens, -je me demande si on ne peut pas ajouter ça...
Elle fouilla dans son sac, et en sortit une petite fiole qu’elle tendit à l’elfe. -Celle-ci tenta de lire l’étiquette, fronça les sourcils. Puis elle l’ouvrit, renifla -légèrement le contenu.
— Ah, je connaissais. Mais pas sous cette forme...
Elle ajouta quelques gouttes du liquide dans le mélange, et lui rendit. — -J’avoue, j’ai toujours acheté les plantes chez l’herboriste, sous forme d’huile -ou de plantes séchées... C’est un vrai plaisir de les découvrir fraîches dans -la forêt !
— Et encore, il faudra que je te montre certaines qu’on ne trouve pas -ici...
— Tu veux dire, dans votre forêt elfique ?
— Oui, il y a des plantes médicinales spécifiques à notre région... Ça te - - -plaira ! -

Sélène ferma les yeux à demi, bercée par le léger bruit du mélange qui -frémissait et l’odeur agréable qui s’en dégageait. Il faisait beau, -et ils avaient profité d’un coin calme et d’un bras de rivière pour -faire une pause pour se laver. Zach, qui avait sagement attendu son -tour, devait encore y être. Elle l’avait aperçu, en allant remplir le -chaudron d’eau. Elle était restée quelques secondes à l’observer, -légèrement gênée de constater qu’elle n’avait pas du tout honte de le -faire. -

Elle détendit ses jambes. Sa robe n’était plus aussi impeccable qu’au -départ... Toutes les broderies du bas étaient sales ou abîmées à force de -marcher dans la forêt, et une longue déchirure verticale remontait jusqu’à -son genou gauche. Il y a une semaine, elle aurait trouvé ça presque -indécent, mais à présent elle s’en moquait. Ses courbatures et ampoules -du début s’étaient estompées, et elle suivait désormais quasiment -sans effort le rythme de marche de Zach. Et elle avait découvert la -forêt... qui lui semblait si hostile au début, et qui recelait tant de -suprises... -

Zach s’était approché. Ses cheveux étaient mouillés et encore plus en -bataille que d’habitude, et il finissait d’enfiler sa tunique.
— L’eau était bonne ?
— Excellente. Vous auriez dû venir.
Son sourire se figea soudain en voyant le petit chaudron et son contenu, d’un -jaune verdâtre, frémir doucement. Il fronça les sourcils.
— Qu’est-ce que vous faites ? -

— Aldariel me montre une recette de chez elle. Ne t’inquiète pas, ce n’est -pas dangereux.
Il s’approcha de l’étrange mixture, et prit un air dubitatif.
— Si tu le dis. Bon, je vais vous laisser... Je vais aller discuter chiffons et -quinquaillerie avec Silwë.
Il s’éloigna en direction de la guerrière, assise un peu plus loin. -

Une fois qu’il fut hors de portée de voix, Aldariel et Sélène se -regardèrent en souriant.
— Il ne faut pas lui en vouloir, il n’a pas l’habitude...
— C’est vrai, mais sa réaction est toujours aussi drôle.
— Est-ce qu’on lui dit que ce n’est qu’une recette de savon ?
— Oh non, surtout pas.
Elles éclatèrent de rire. -

Zach -

Ses longs cheveux lâchés autour d’elle pour les laisser sécher, assise dos à -un arbre avec son armure sur les genoux, visiblement très affairée, Silwë ne -leva même pas la tête lorsqu’il approcha.
— Qu’est-ce qui t’arrive ?
Elle lui montra son ouvrage. Une couture latérale, visiblement destinée à -ajuster la tunique de cuir à des formes féminines, avait rompu.
— J’essaie de réparer ça... Mais je n’ai pas tout à fait ce qu’il faut.
Au moins, il s’agissait d’une occupation plus rassurante que ce qu’il venait -de voir... Il s’assit à côté d’elle et observa l’armure. Elle ressemblait de -beaucoup à la sienne, même si le cuir n’était pas le même...
— Elle vient de chez les elfes, cette armure ?
— Non, je l’ai achetée à la capitale. Les bonnes armures elfiques sont très -rares. Par contre, ils ont dû faire quelques retouches qui n’ont pas très bien -tenu.
Il hocha la tête.
— Tu as appris l’épée durant ton séjour à la capitale, c’est ça ?
— Oui, chez maître Ernest. Tu le connais ?
— De réputation, mais je ne l’ai jamais rencontré directement. D’ailleurs... -
Il se leva et alla chercher son épée, posée avec sa ceinture quelques mètres -plus loin.
— Je suis curieux de voir ce que donne son enseignement.
Elle leva les yeux vers la lame, qu’il avait pointée sur elle en souriant.
— Tu en as déjà eu l’occasion, il me semble.
Était-ce une pointe d’amertume dans sa voix ? Elle n’avait toujours pas -bougé.
— Tu étais blessée. Il n’y avait aucun challenge.
— Quoi ? Comment ça ?
Vexée, voire même furieuse, elle s’était levée, et le fixait, les bras croisés. Il - - -avait peut-être un peu exagéré. En le voyant accentuer son sourire, et -comprendre son jeu, elle soupira.
— Tu as gagné. Tu as réussi à me faire lever.
Elle ramassa tranquillement son épée, et se retourna rapidement vers lui, -son arme pointée, avec un léger sourire de défi.
— En garde ! -

Silwë -

Elle avait à la fois redouté et espéré ce moment. Mais elle s’était faite -piéger, et n’avait pas l’intention de reculer maintenant. Ils passèrent -quelques instants à se mesurer du regard. Zach tenait son épée, un peu plus -courte que la sienne, à une main. Sa position de garde était impeccable. Il -semblait hésiter à porter le premier coup. Était-il aussi sûr de lui -qu’il en avait l’air, finalement ? Elle prit une grande inspiration -et engagea un coup de taille, pour tester. Il le para avec efficacité -et précision, et contre-attaqua immédiatement, d’un coup qu’elle -dévia rapidement. Comme elle l’avait deviné, elle avait affaire à -un bon escrimeur. Mais cette fois, comme il l’avait effectivement -fait remarquer, elle n’était pas blessée. Le défi promettait d’être -intéressant... -

Ils échangèrent d’autres coups, plus agressifs et plus rapides. Un très -bon escrimeur, corrigea-t-elle mentalement. Pourtant... sur une passe un peu -inhabituelle, elle réussit à créer une faible ouverture dans sa garde. Faible, -mais suffisante... Son épée s’arrêta à quelques millimètres de sa poitrine. -Elle esquissa un léger sourire. -

Zach -

— Ah !
Il soupira, un peu vexé, mais soulagé malgré tout qu’elle ait stoppé son -coup. Leur échange n’avait pas duré une quinzaine de secondes.
— Bien joué.
Il lui sourit et recula d’un pas. Il avait bien l’intention de ne pas en rester là -de toutes façons...
— On remet ça ?
Elle recula à son tour et hocha la tête. -

Ils reprirent le combat. L’épée de Silwë était légèrement plus longue que -la sienne, et elle la maniait à deux mains la plupart du temps. Sa main -gauche, alors placée près du pommeau, l’aidait à orienter plus rapidement -et plus précisément la lame. Mais contrairement à beaucoup de combattants -de ce style, elle savait aussi, et n’hésitait pas à lâcher de temps en temps la -seconde main, pour profiter de l’amplitude que seuls certains mouvements à -une main permettaient. -

Il n’arrivait pas à trouver de faille dans sa garde. Et il parait avec -difficulté les coups qu’elle lui rendait. Non, ce n’était pas parce que son -épée était mieux équilibrée, ou plus longue. Sa technique était juste -irréprochable. Sur les trois échanges qui suivirent, il ne parvint à en gagner -qu’un, de peu. -

Leurs lames s’entrechoquèrent à nouveau, et glissèrent jusqu’à la garde. -Il était tout proche d’elle. Des gouttes de sueur perlaient le long de ses -tempes et des mèches de ses cheveux – toujours détachés – étaient collées -sur son visage. Au moins, il n’était pas pour elle un adversaire facile... Et -sur ce genre de passe en force, il pouvait peut-être avoir un avantage. À -l’instant où elle allait céder sous la pression, elle fit pivoter brusquement sa -lame autour du point d’appui, et sa garde vint s’appuyer de l’autre -côté de la poignée de sa propre arme. L’élan qu’il avait pour tenter -de la faire reculer, combiné à l’effet de levier qu’elle appliquait, lui -fit lâcher son épée. Perdu encore... ou pas ? Il était toujours très -près d’elle, à une distance peu pratique pour manipuler une arme -longue. -

Alors que la lame de Silwë revenait vers lui, il marqua un infime instant -de pause, et au dernier moment se jeta sur elle, saisissant son poignet et -déviant son arme vers le haut. De l’autre bras, il lui entoura les épaules et -l’entraîna au sol.
— Hééé ! C’est de la triche, ça !
— Quelle triche ? Les ennemis contre qui tu combats respectent quelles -règles ? -

Silwë - - -

Elle était furieuse. Contre elle-même plus que contre Zach. De s’être -faite avoir si facilement, et puis, il avait raison...
— Certes.
Elle avait cru gagner, et avait relâché son attention. Elle aurait dû reculer -plus vite, et l’esquiver. Elle avait été bête, c’est tout... Alors qu’elle -cherchait à reprendre son souffle, elle vit qu’il lui souriait. Il jouait. -Pourquoi s’énerver ainsi ? Elle se détendit et lui rendit son sourire. Elle prit -quelques instants pour reprendre le contrôle de sa respiration, puis -brusquement, ramena sa jambe droite qu’elle utilisa pour repousser la -poitrine de son adversaire. Zach roula sur le côté, mais sans lâcher son -poignet qu’il maintenait toujours fermement, et la torsion infligée lui fit -lâcher son arme à son tour. Ils se redressèrent rapidement, en souriant -toujours. Le jeu continuait. -

Elle s’était déjà entraînée à lutter, y compris contre des adversaires -plus grands et forts qu’elle. Mais il était aussi très agile et rapide, plus -qu’elle ne l’aurait imaginé... surtout qu’il ne commettrait évidemment pas -l’erreur de la sous-estimer. Elle esquiva rapidement le bras qui tentait -d’attraper le sien, et plongeant vers son adversaire, le ceintura pour le faire -tomber au sol. Malgré de très bons appuis, il fut déséquilibré, et manqua de -tomber en arrière. Il fallait profiter de ce léger avantage... -

Sauf qu’au lieu de reculer d’un pas pour reprendre son équilibre, il se -laissa volontairement tomber en arrière, profitant de l’élan pour la faire -tomber à son tour. Il roulèrent tous les deux, chacun tentant de renverser -l’autre sur le dos. Malgré ses efforts, Zach eut rapidement le dessus. Après -l’avoir immobilisée, il plaça ses mains autour de son cou et fit mine de -l’étrangler. Elle sourit légèrement.
— Bien vu. -

Zach -

Il lui rendit son sourire et relâcha délicatement son cou. Puis il lui tendit -la main et l’aida à se relever. À peine sur pied, elle fit deux pas rapides -en arrière et fléchit légèrement les genoux. Alors qu’il s’avançait -vers elle, elle fit un saut rapide de côté et le cueillit d’un coup de -genou dans les côtes. Aïe. Il fit quelques pas sur le côté, le temps de - - -reprendre son souffle, puis tenta à nouveau de s’approcher pour lui -saisir un bras. Même saut latéral, mais cette fois il put anticiper et -esquiver habilement le coup de pied qui le menaçait. Il retenta la -même approche deux fois. Elle sautait avec légèreté, donnant presque -l’impression de danser en l’évitant, insaisissable. Mais elle s’épuiserait vite -ainsi. -

Elle marqua une pause, à quelques mètres de lui. Elle semblait -essoufflée... Profitant de l’occasion, il bondit et parvint à la ceinturer. Le -choc lui coupa le souffle pour de bon, et il n’eut aucun mal à saisir son bras -et à la bloquer d’une clé de bras dans son dos.
— Bien défendu, mais tu t’es fatiguée trop vite...
Elle ne répondit pas de suite, trop occupée à retrouver sa respiration. Puis -elle se tendit soudainement. Au même instant, il lui sembla entendre un -bruit inhabituel. Un cheval qui renâclait... Il recula rapidement dans un -buisson proche, entraînant Silwë avec lui.
— Quelqu’un vient... pas un bruit, murmura-t-il dans son oreille.
Ils restèrent silencieux quelques instants, écoutant le bruit des sabots qui se -rapprochaient.
— Euh, Zach ? chuchota-t-elle.
— Oui ?
— Tu peux quand même me lâcher, non ?
— Ah... euh oui désolé. -

Ils se dirigèrent alors silencieusement en direction du son, et se postèrent -de manière à voir l’intrus arriver sans être découverts. -

Le cavalier qui s’approchait était vêtu de blanc et portait un large -heaume masquant son visage. Un chevalier ! Il était seul, ce qui était -plutôt surprenant. Il stoppa sa monture et prit quelques instants -pour l’attacher à une branche voisine. Zach remarqua alors les armes -que l’homme portait à sa ceinture. Il n’était pas rare de voir des -combattants en possédant deux. Silwë avait une dague en plus de son -épée longue. Il avait lui-même un couteau en complément de sa -lame, même si celui-ci lui servait plus souvent à couper du pain -que des chairs. Ce chevalier-là possédait simplement deux épées -longues... - - -

Un frisson le parcourut. Il porta la main à sa ceinture, constatant avec -horreur qu’il l’avait laissée, ainsi que son armure près de Sélène et -d’Aldariel. Il tourna la tête vers Silwë, tout aussi démunie que lui. Et leurs -épées étaient à une quinzaine de mètres de là... -

Le chevalier, qui ne les avait visiblement pas remarqués, semblait -concentré à fouiller dans une des sacoches cavalières de sa monture. Puis -regarda aux alentours, semblant chercher sa direction.
— C’est moi ou il a l’intention d’aller droit vers le campement ?
Il avait à peine prononcé les mots, mais l’elfe semblait avoir compris. Ils se -regardèrent, inquiets. Puis elle secoua la tête, se leva et se pencha vers son -oreille.
— File chercher du renfort. Je vais essayer de lui parler pour le retenir.
Il lui attrapa le bras.
— Tu veux te faire tuer ?
Elle lui adressa un léger sourire qu’elle voulait probablement rassurant.
— C’est un paladin. En principe il a un code d’honneur. Il ne me tuera pas -tout de suite... En principe...
Il soupira et relâcha le bras.
— Au pire, tu peux toujours essayer de lui faire du charme...
Elle ne releva pas sa tentative désespérée d’humour pour se rassurer, et se -leva en direction de l’étranger. Sans perdre de temps, il se leva à son tour et -se mit à courir vers le campement. -

Irdann -

Il savait qu’il approchait du but. La pierre qui pulsait ne lui -donnait aucune indication de la distance à laquelle se trouvait dame -Sélène, mais la donnée de la direction depuis plusieurs endroits, -avec un peu de réflexion logique, lui avait permis de conclure. Il -réussissait à garder son sang-froid quand il la manipulait, désormais, -mais il se demandait toujours ce qu’il ferait lorsqu’il rencontrerait -la jeune femme en question... Et que faisait-elle en pleine forêt ? -Prisonnière quelque part ? Comment l’en sortirait-il si c’était le -cas ? -

Il vérifia que sa monture était bien attachée, puis se dirigea résolument - - -vers sa destination. Soudain, devant lui, une silhouette sortit des buissons si -rapidement et silencieusement qu’il eut l’impression de la voir se -matérialiser sous ses yeux. -

Silwë -

Le cœur battant, elle se planta à quelques mètres du paladin. Pourvu -qu’il fasse vite...
— Stop ! Où vous rendez-vous comme ça ?
L’homme, la voyant se placer sur son chemin, dégaina aussitôt ses armes, et -se plaça en position défensive.
— Je suis à la recherche de dame Sélène, et aucun obstacle ni aucun homme -ne m’éloignera de ma route.
Elle frissonna. Il avait dégainé l’épée de la main gauche juste avant la main -droite... Cela lui rappelait quelqu’un...
— Qu’est-ce que vous lui voulez ?
C’était idiot, elle le savait. Mais il fallait juste parler, pour gagner du temps. -Zach, dépêche-toi... -

À sa grande suprise, il ne répondit pas et se figea.
— Silwë ?
D’où connaissait-il son nom ? Et cette démarche, cette voix, bien que -modifiée par le port de ce casque... Est-ce que ça pouvait-être...
— Irdann ?
Le chevalier planta ses deux épées dans le sol à côté de lui. Puis il souleva -son casque, dévoilant son visage. C’était lui, aussi surpris qu’elle de le -voir. -

Irdann -

Il marqua une seconde de pause, incrédule. Il n’avait pas revu Silwë -depuis presque un an, ni même eu de nouvelles... Toute une foule de -souvenirs partagés lui revint à l’esprit, et il lui sourit. Elle se jeta sur lui -pour l’enlacer. -

À cet instant, trois silhouettes surgirent devant ses yeux, à demi cachées -par les cheveux en bataille de l’elfe. Son sourire se figea. -

La première était celle d’un homme armé d’une épée courte, une - - -seconde plus longue glissée dans sa ceinture. Son air menaçant et -concentré disparut instantanément lorsqu’il l’aperçut, et il sembla si -surpris qu’il manqua d’en lâcher son arme. La seconde silhouette -était celle, plus petite et frêle, d’une jeune elfe aux longs cheveux -noirs. Rapidement, elle dépassa l’homme, toujours immobile, et en -l’espace d’un battement de cils, elle avait armé une flèche et tendu son -arc dans sa direction. La troisième silhouette resta cachée derrière -l’homme, mais il put entrevoir les traits d’une jeune femme aux cheveux -détachés. Elle semblait inquiète, mais la prise qu’elle avait sur un -bâton semblait déterminée. Certaines explications risquaient d’être -compliquées... -

Sélène -

Qu’avait-il dit déjà ? Que Silwë tenterait de... discuter pour leur laisser -le temps d’arriver ? On ne pouvait nier son efficacité, l’homme ayant -visiblement lâché ses armes. Mais elle ne s’attendait pas vraiment à ce genre -de comportement. Devant elle, Zach n’avait pas bougé, et ce fut l’archère -qui se décida à rompre le silence. Elle fit deux pas dans la direction du -chevalier, son arc toujours pointé.
— Silwë, écarte-toi. Toi, qui es-tu et que viens-tu faire ici ?
L’étranger lâcha l’elfe, et fit un pas en avant.
— Mon nom est Irdann, je suis paladin de la déesse Melna. Je suis à la -recherche de dame Sélène.
Elle ne put retenir une exclamation de surprise. Il l’aperçut, la dévisagea, -puis fit un pas dans sa direction, et posa un genou à terre devant -elle.
— C’est vous ? Vous êtes saine et sauve ?
Elle recula d’un pas, méfiante, serrant toujours son bâton de marche. Zach -sembla reprendre ses esprits et sa prise sur son épée, et s’interposa entre -eux.
— Qu’est-ce que vous me voulez ?
— Vos parents, le seigneur et la dame Assem se font un sang d’encre pour -vous. Ils m’ont donc envoyé vous retrouver. Ils craignent que vous ne soyez -morte, ou enlevée par des brigands...
Elle écarta le bras de Zach et se planta devant le chevalier.
— Comme vous pouvez le voir, je vais très bien, je suis parfaitement libre de -mes mouvements, et je serai bientôt rendue à bon port. Pourquoi -s’inquiètent-ils à ce point ?
— Ils ont eu votre message lorsque vous partiez de chez votre époux, le sieur -de Quayle, mais d’après eux vous auriez dû être arrivée voilà déjà cinq -jours...
Elle croisa les bras, vexée. Il n’avait pas besoin de révéler tout cela devant -ses compagnons non plus...
— J’ai raté la diligence en arrivant dans un des villages. Alors j’ai engagé -un guide et protecteur, et je suis venue à pied à travers la forêt. Vous -pouvez donc les rassurer, je vais très bien.
Le paladin se releva et hocha la tête en souriant légèrement.
— La déesse soit louée, c’est le cas.
À cet instant, Aldariel s’avança, son arc toujours pointé vers la tête de -l’étranger.
— Un instant. Qu’est-ce qui nous dit qu’on peut te faire confiance ?
— Moi. -

Silwë s’avança, et délicatement, posa la main sur le bras de l’archère, -pour lui faire détendre son arc. Elle fit signe à Zach de baisser également -son arme.
— Je connais très bien Irdann, depuis des années, et je réponds de -lui.
Elle la regarda, légèrement méfiante.
— Comment le connais-tu ?
— Lui et moi avons été élèves de maître Ernest, à la capitale. C’est un ami -que je craignais de ne jamais revoir d’ailleurs...
Le sourire qu’ils échangèrent semblait très naturel et sincère. Elle se -retourna vers elle à nouveau.
— Sélène, tu peux lui faire confiance autant qu’à moi. Je lui confierais ma -vie sans aucune hésitation. -

Zach et Aldariel avaient baissé leur garde, mais restaient figés, observant -l’homme. Sélène se tourna vers lui, bien décidée à en apprendre -plus.
— Que faisiez-vous chez mes parents ?
— J’ai été adoubé il y a quelques mois seulement, et je rentrais chez les - - -miens, après de longues années d’absence. Mon retour devrait d’ailleurs -coïncider avec l’ouverture d’un grand tournoi de tir à l’arc que mon père -organise régulièrement. Comptiez-vous vous y rendre ?
Elle fronça les sourcils.
— Vous êtes... le fils du duc De Vane ?
Il s’inclina légèrement.
— Leur troisième fils.
Elle réfléchit quelques instants. Il ne lui semblait pas l’avoir déjà -croisé, plus jeune, or elle avait déjà fait connaissance avec toute -l’aristocratie locale, incluant – surtout – les potentiels jeunes hommes à -marier.
— Mais... pourquoi n’ai-je jamais entendu parler de vous ?
— Dès l’âge de dix ans, j’ai été envoyé dans un temple de la capitale, pour -y devenir un paladin. Je n’ai presque pas revu ma famille depuis, et ai -conversé avec eux essentiellement par courrier.
Elle hocha la tête. Elle connaissait cette tradition d’envoyer les troisièmes -fils dans des temples, tradition qu’elle avait toujours trouvé idiote, -d’ailleurs. Elle tourna la tête vers Silwë, qui d’un signe de tête confirma la -version d’Irdann. Et puis il n’était pas responsable de la peur de ses -parents, finalement... et n’avait pas l’air si désagréable que cela. Elle se -détendit légèrement, sans arriver à mettre le doigt sur ce qui la mettait -mal à l’aise. C’était peut-être le moment de ranger les couteaux -tirés.
— Permettez-moi de vous présenter Zach, le meilleur guide de la région, -sans qui je ne serais pas en vie en ce moment...
La main tendue obligea Zach à ranger son épée pour le saluer. C’était le -but. Il lui serra la main, non sans lui lancer un regard méfiant.
— ... la princesse Aldariel Lalrilë, des elfes sylvains, ...
L’achère dut à son tour désarmer sa flèche pour se laisser baiser la main. -Elle sembla extrêmement surprise et rosit légèrement. C’est vrai que cette -façon de saluer les femmes n’était pas vraiment courante chez les -elfes...
— ... elle se rend également au château du duc votre père, pour ce grand -tournoi, accompagnée de son garde du corps, Silwë, que vous connaissez -déjà visiblement. Nous les avons croisées sur notre chemin, et faisons route - - -ensemble.
— Enchanté de faire votre connaissance, et je suis également soulagé de voir -que dame Sélène est en sécurité avec vous. Je suis certain d’ailleurs que le -seigneur Assem sera ravi d’accueillir les courageux compagnons qui ont -guidé leur fille jusqu’à eux.
Elle observa la réaction de ses trois amis. Aldariel semblait intéressée, prête -à accepter. Elle jeta un œil à sa compagne, qui haussa les épaules. Zach, en -revanche, semblait extrêmement réticent. -

Irdann -

La tension semblait s’être apaisée, même si le guide semblait encore très -mal à l’aise.
— Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée... Les châteaux, les -courbettes, ce n’est pas vraiment fait pour moi. Allez-y sans moi.
Sélène le regarda quelques instants. Puis elle reprit d’un ton ferme.
— Nous discuterons de cela plus tard. Allons d’abord nous restaurer et nous -reposer un peu plus loin. Il y a une rivière, votre monture pourra y -boire.
Elle désigna une direction, et lui fit signe de la suivre. La princesse -sembla alors se réveiller d’une longue apathie et jeta un regard à -Sélène.
— Je prends un peu d’avance, vous me rejoindrez...
Irdann ne put s’empêcher de regarder l’elfe s’éloigner rapidement, avec -légèreté et aisance. Les elfes sylvains étaient en forêt comme des poissons -dans l’eau... -

Ils partagèrent rapidement une collation au bord de la rivière. La -princesse semblait un peu gênée vis-à-vis de lui, mais voyant la familiarité -qu’il partageait avec Silwë, elle se détendit vite, et lui posa quelques -questions sur la fameuse capitale humaine, qu’elle semblait rêver de visiter. -Sélène semblait légèrement distante, mais lui sourit tout de même en lui -racontant brièvement leur trajet. Elle ne tarissait pas d’éloges pour son -guide, qui pourtant restait à l’écart et ne parlait que pour ajouter quelques -précisions. -

Ils finirent par convenir qu’elle partirait seule avec lui. Les elfes, qui - - -seraient bien accueillies au château du duc, seraient probablement mal -venues dans la seigneurie d’Assem, où elles risquaient d’être regardées de -travers. Bien qu’elles y seraient fort bien traitées, les deux jeunes femmes -préféraient un trajet tranquille en rase campagne à des draps de soie et un -accueil plus ou moins froid. La jeune princesse ne semblait pas s’encombrer -de protocole et de belles paroles, était-ce le fait d’être en petit groupe en -forêt, ou était-elle toujours ainsi ? -

Ils se levèrent, et Irdann prit le sac de Sélène pour l’attacher solidement -à la selle du cheval. Celle-ci était en discussion avec Zach, un peu à l’écart. -Il se demandait bien ce qu’ils se disaient, mais par respect il l’attendit à -bonne distance. Il lui sembla qu’elle lui effleura le bras, puis tourna -le dos à son guide et se dirigea droit vers lui. Son visage semblait -impassible.
— Mettons-nous en route au plus vite, mes parents doivent s’inquiéter.
Il souleva la jeune femme par la taille, et la déposa sur la selle. Puis il -monta derrière elle, et ils se mirent en route. -

Aldariel -

Ils s’étaient mis en route quelque temps après le départ de Sélène et -Irdann. Elle avait posé quelques questions à son amie sur le fameux paladin, -auxquelles elle avait répondu avec enthousiaste. Ainsi, ils avaient appris -l’escrime auprès du même maître et avaient déjà vécu des tas de choses -ensemble... Quelle chance avait-elle ! -

Ils s’arrêtèrent au pied d’un grand arbre, que Silwë proposa d’escalader -pour vérifier leur chemin. Zach, qui n’avait pas dit un mot depuis que le -chevalier les avait quittés, haussa les épaules. Pourtant, c’était lui -qui connaissait bien le coin, normalement... Alors qu’il s’asseyait au -pied de l’arbre, elle se hissa sur une branche à peine au dessus de sa -tête.
— Hé, ne fais pas cette tête. Si tu voulais la revoir, tu n’avais qu’à aller -avec elle.
Il soupira.
— Je n’arrive juste pas à croire qu’elle ne m’ait rien dit...
Elle sourit. Elle avait réussi à le faire parler, déjà.
— Qu’elle ne t’ait pas dit pour sa magie ?
— Non, ça je comprends... Mais qu’elle soit la fille du seigneur Assem, et -qu’elle soit mariée ! Ce n’est pas rien tout de même, et ce n’est pas comme -si sa vie en dépendait !
— Bah, tu savais bien qu’elle était noble, non ?
Elle lui donna un petit coup de coude dans la tête, ce qui le fit lever.
— Oui mais... ce n’est pas pareil. J’ai grandi dans un petit village non loin -de son château... Techniquement, je suis, enfin j’étais, son fidèle -sujet...
Elle sourit et se mit accroupie sur la branche. Elle lui donna une petite -pichenette sur le front.
— Et alors ? Ça change quoi ?
Elle bondit sur une branche un peu plus loin, un peu plus haut. Il soupira, -et se hissa à son tour là où elle était assise quelques instants plus -tôt.
— Et puis... Mais elle est mariée de toutes façons, la question ne se pose -pas !
Elle ne dit rien, et le regarda en souriant. Il se redressa, et fronça les sourcils -en la voyant.
— Et elle ne m’a pas dit qu’elle était mariée, et elle n’a pas d’alliance. Que -je sache, même à la capitale, ils en mettent, non ?
Elle se tut, et se contenta de monter encore d’un cran, toujours en souriant. -Vexé, il s’élança lestement vers elle, et se rétablit sur la même branche. Sa -réaction était presque drôle, en fait...
— Qu’est-ce que ça veut dire, hein ? -

Zach -

L’archère le fixait toujours, semblant presque se retenir de rire. Il était -sur la même branche qu’elle, tout près, et ce sourire narquois lui donnait -presque envie de la frapper. C’était ridicule...
— Ça veut dire que tu es juste bête.
— Hééé !
Elle le poussa brusquement du coude, il perdit l’équilibre et se rattrapa de -justesse à une branche au dessus de sa tête.
— À ton avis, grand bêta, si elle ne te l’a pas dit, c’est qu’elle préférait que - - -tu l’ignores... non ?
Il reposa ses pieds sur une branche près de celle de l’archère, et s’accouda -sur une autre, face à elle. Il tenta de contenir la colère qui montait -en lui. Contre qui d’ailleurs ? Contre Aldariel, qui continuait de le -regarder d’un œil moqueur ? Contre Sélène ? Contre Irdann ? Contre -lui-même ? -

Il soupira et tenta de réfléchir.
— Elle peut avoir plein de raisons pour que je l’ignore, ne serait-ce que pour -ne pas révéler son identité complète. Ce n’est pas la première fois que -j’escorte des gens qui souhaitent rester discrets.
Elle s’accouda à la même branche que lui, et le poussa doucement à -l’épaule, du bout du doigt. Il savait bien que ce n’était pas la réponse -qu’elle attendait, ni celle que lui souhaitait donner et qui commençait à -naître dans son esprit.
— Non, tu délires, je n’ai jamais eu aucune chance avec elle.
Elle ne dit rien, et continua de le pousser du bout du doigt en souriant.
— Dis plutôt que tu n’as pas osé saisir cette chance.
Vexé, il attrapa vivement le poignet de l’archère. Elle ne chercha même pas -à se dégager.
— À ta place, je n’aurais pas hésité.
Il faillit lui répondre par une insulte sur les prétendues mœurs légères des -elfes, et se ravisa. Il soupira, et relâcha sa poigne.
— Facile à dire. C’est une noble dame, il lui faut un preux chevalier, pas un -sauvageon barbu et fauché.
Elle gagna à nouveau une branche un peu plus élevée. Il ne l’aurait pas -avoué, mais pouvoir vider son sac le soulageait un peu. Il continua son -ascension à son tour.
— Ce paladin, d’ailleurs... Tu lui fais confiance ?
Elle haussa les épaules. Son sourire s’était figé.
— Tu veux dire que son air de prince charmant, loyal, courageux, fort, et -j’en passe, est trop parfait pour être vrai ?
Il fit une moue.
— Je m’inquiète pour Sélène, c’est tout.
Elle eut un petit sourire et le rejoignit sur sa branche.
— Qu’est-ce qui t’inquiète ? Qu’il ne soit pas ce paladin loyal, courageux, - - -fort aux airs de prince charmant qu’il semble être, et qu’elle soit en danger -avec lui ? Ou... Est-ce que tu crains qu’il soit précisément un paladin loyal, -courageux, fort, aux airs de prince charmant ?
Vexé, il bouscula sans ménagement l’archère. Celle-ci tomba en arrière, -tendit le bras pour saisir une branche à peine plus bas, et gracieusement, se -rétablit sur celle-ci. Puis elle remonta à sa hauteur. Pour se faire pardonner -d’avoir été si peu délicat, il lui tendit la main.
— Tu grimpes sacrément bien pour, euh...
Il arrêta net sa phrase. Elle le fixa en fronçant les sourcils.
— Pour... une fille ? Une princesse ?
— Euh...
Refusant sa main, elle bondit à nouveau sur sa branche, et profita de son -élan pour le pousser à son tour. Déséquilibré, il se rattrapa des deux bras -à la branche sur laquelle il se trouvait un peu plus tôt. Aldariel, -toujours debout sur cette même branche, l’observait d’un air critique. Il -effectua une traction rapide, et se rétablit rapidement. Elle hocha la -tête.
— Ça va, tu t’en sors plutôt bien... pour un demi-humain. -

Elle se mit à rire devant son air vexé. Il se prit au jeu, et tenta de la -bousculer une fois encore. Elle esquiva son coup d’épaule en sautant avec -légèreté sur une branche à côté. Elle riait toujours. Il sourit et la suivit, -tentant encore une fois de la pousser, mais elle avait encore une fois bondi -un peu plus loin. Il n’y avait pas d’autre prise derrière elle, pouvait-elle lui -échapper cette fois-ci ? Il plia les genoux, et sauta dans sa direction, -cherchant à l’attraper à la taille. Elle fit un pas en arrière, se laissant -tomber verticalement, et saisit avec ses deux mains la branche sur laquelle -elle se trouvait une seconde plus tôt. Ses bras à lui n’attrapèrent que du -vide. Le temps de reprendre son équilibre, elle avait déjà posé les -pieds sur une fourche en contrebas, et le regardait d’un air narquois. -Il savait bien qu’il n’aurait pas dû jouer à ce jeu-là avec une elfe -sylvaine... -

Aldariel -

— Héé, les deux tourtereaux, vous ne voulez pas monter au lieu de -jouer ?
C’était la voix de Silwë. Malgré la plaisanterie, le ton de sa voix semblait -légèrement inquiet. Elle échangea un regard avec Zach, et ils escaladèrent -rapidement l’arbre, jusqu’à la rejoindre à la cime, qui surplombait une -bonne partie de la forêt. Debout sur une branche fine, qui ployait -légèrement sous son poids, elle fixait l’horizon qui s’assombrissait avec la -tombée de la nuit. -

Elle pointa du doigt la direction dans laquelle Irdann et Sélène étaient -partis. Une route – qu’ils avaient probablement rejointe depuis – se dessinait -à travers la forêt, à l’orée de laquelle se profilaient des champs et un petit -village. Dans une petite clairière, à mi-chemin, elle distinguait un -attroupement, vraisemblablement humain, ainsi que ce qui ressemblait à des -feux.
— Zach, toi qui vois encore mieux que nous...
Il avait plissé les yeux pour mieux distinguer la zone.
— Une douzaine d’hommes, qui campent dans la clairière. Ils n’ont pas -d’uniforme de soldat, mais sont armés apparemment... Pas des voyageurs -non plus apparemment. Je ne vois qu’une solution, ce sont probablement des -brigands.
— Si nombreux et près du village ? Comment est-ce possible ?
— Je n’en sais rien, et ce n’est pas rassurant. Ils ont l’air d’attendre quelque -chose...
Il pâlit.
— Sélène !
Silwë se mordit les lèvres.
— Irdann est très doué, mais il aura du mal face à tant de monde, surtout -s’il doit la protéger en même temps...
Zach n’avait pas écouté et avait commencé sa descente. Aldariel le rattrapa -par un bras.
— Hé, où tu cours comme ça tout seul ?
Son visage était paniqué.
— Je ne sais pas si j’ai une chance d’arriver à temps, mais je ne resterai pas -ici sans rien tenter.
Elle lui sourit.
— Évidemment qu’on ne va pas rester ici sans rien tenter. Évidemment -qu’on ne va pas te laisser y aller seul.
Elle lâcha son bras, et se redressa.
— Ils n’ont pas énormément d’avance sur nous, surtout s’ils ont dû faire -avancer un cheval dans une forêt dense. Zach, tu es le plus rapide à la -course à pied, et le plus endurant. Pars devant, et n’oublie pas que -l’obscurité est ton alliée. Silwë et moi nous occuperons de prendre tes -affaires. Nous arriverons aussi vite que possible, un peu après toi. En -route !
Il lui adressa un sourire de reconnaissance, puis se rua en bas. -

Irdann -

Il sentait que la jeune femme n’était pas très à l’aise avec lui. En même -temps, il pouvait la comprendre... Sans Silwë pour parler en sa faveur, elle -n’aurait probablement jamais accepté de venir avec lui, sans compter les -difficultés à s’expliquer avec ses compagnons. La situation était étrange -pour lui. Il avait tant entendu parler d’elle, mais sans jamais la voir. -Il avait pensé à elle, senti son cœur battre dans sa main tant de -fois, qu’il l’avait presque sentie familière. Mais que savait-elle de lui, -au fond ? Il se décida à entamer la conversation, pour tenter de la -rassurer.
— Nous sortirons probablement de la forêt en début de nuit. Nous pourrons -trouver une auberge où loger, et demain nous arriverons enfin chez vos -parents.
— Vous n’aurez pas de mal à trouver votre chemin, à la nuit tombante ?
— Je suis arrivé par là. Il suffit d’aller tout droit et de retrouver la route. -Même si la nuit tombe avant que nous ne sortions de la forêt, il sera facile -de la suivre.
— Parlant de ça... Comment m’avez-vous trouvée, au beau milieu de nulle -part ?
Il soupira. C’était la question qu’il souhaitait éviter justement...
— Les paladins connaissent un enchantement secret, qui leur permet de -retrouver une personne précise. Je ne puis vous en dire plus.
Elle sembla à demi satisfaite par la réponse. Elle prit une inspiration pour le -questionner, puis sentant sa gêne, se ravisa. Après quelques secondes de -silence, elle reprit.
— Pourquoi êtes-vous parti seul ?
Il la remercia intérieurement de ne pas insister plus que cela sur -l’enchantement.
— Vos parents m’avaient proposé une armée pour m’accompagner... Mais -d’une part je souhaitais éviter d’attendre plusieurs jours qu’elle soit prête, -et d’autre part, je vous savais dans la forêt. Or une armée, même petite, -dans une forêt, c’est extrêmement inefficace, lent et peu discret. Je comptais -vous repérer, et si l’intervention d’hommes armés était nécessaire, je -pouvais toujours revenir chercher de l’aide.
Elle hocha la tête.
— D’ailleurs... Est-ce que je peux vous demander quelque chose ?
— Oui, bien sûr.
Elle soupira.
— Je ne sais pas monter à cheval, et je ne suis pas très à l’aise en selle. Et -en plus, je crois qu’on fatigue inutilement votre monture, qui a déjà bien du -mal à avancer dans cette végétation dense. Vous ne croyez pas qu’on serait -tout aussi bien à pied ?
Surpris, il ne répondit pas tout de suite. Elle avait raison, la pauvre jument -avait du mal à progresser, et le poids des deux jeunes gens était difficile -pour elle. Il mit pied à terre, et se tourna vers elle.
— Vous êtes sûre que vous préférez marcher ?
Elle le regarda en souriant.
— Sieur Irdann, voilà presque six jours que je marche dans la forêt, avec -mon sac, et je suis toujours vivante. Je crois bien que je préfère -marcher.
Il l’attrapa délicatement par la taille et la déposa au sol. Ils se remirent en -route, marchant à côté de la jument, visiblement soulagée de n’avoir plus -tout ce poids à porter.
— Qu’est-ce qui vous a fait préférer la traversée à pied ?
— Je devais prendre une diligence publique... mais je l’ai ratée. Je n’avais -pas assez d’argent sur moi pour engager une escorte complète et des -chevaux. Mais finalement, ce n’est pas désagréable, en fait.
Il la regarda avec surprise. La jeune dame semblait bien moins hautaine -que ce à quoi il s’attendait. Et en marchant ainsi, il pouvait voir -son visage, ce qui était nettement plus agréable que de parler à sa -nuque.
— Vous êtes partie avec ce guide... vous avez fait des mauvaises -rencontres ?
Elle hocha la tête, laissant échapper un léger frisson.
— Oui, des brigands. Heureusement qu’il était là d’ailleurs... Après cela, il a -préféré s’éloigner des sentiers battus pour éviter d’autres problèmes de ce -genre.
Il désigna du doigt l’ouverture dans les arbres.
— Voilà la route, nous pourrons avancer plus rapidement. Ça tombe bien, le -soir tombe. -

Sélène -

La diversion de la route tombait à pic. Elle hésitait à aborder le sujet -des araknes avec lui. Pourtant, ils devaient en parler à quelqu’un, prévenir... -Mais qui, et comment ? Qui la croirait ? Il faudrait qu’elle explique aussi -comment elle savait tout cela sur ces créatures, et ce qui s’était passé... -Non, impossible de lui en parler. C’était presque rageant, de savoir autant -de choses importantes et de devoir les taire.
— Dame Sélène ? Vous allez bien ?
— Euh oui... Est-ce que je peux vous demander, au moins tant que nous -sommes seuls, de m’appeler simplement Sélène ?
Il lui sourit et hocha la tête.
— Gardons le protocole pour plus tard. Vous pouvez même me tutoyer et -m’appeler Irdann.
Elle poussa un soupir de soulagement et sourit. Ce paladin était plutôt -sympathique, finalement...
— Irdann ?
— Oui ?
— Tu as bien fait de laisser tomber le casque, tu as vraiment l’air effrayant -avec.
Il haussa les épaules.
— Silwë m’a dit ça. En plus, elle a raison sur le fait que, sans ce -casque qui limite ma vue, j’aurais eu une chance de les repérer, elle et -Zach.
— Tu sais vraiment te battre avec deux épées ou tu as ces armes pour -impressionner ?
— Je sais réellement les utiliser. J’ai appris chez maître Ernest, à la -capitale, le maniement de toutes sortes de lames, et comme j’étais -ambidextre, il m’a enseigné le maniement spécifique aux deux épées... -J’admets cependant que je joue beaucoup sur le côté imposant de ces deux -armes. Cela fait aussi partie du jeu.
Il lui sourit, puis son sourire se figea soudain. -

— Qu’est-ce que c’est que ça ?
Il lâcha la bride de la jument, qui sursauta. Un groupe d’hommes armés -arrivait en courant dans leur direction. Elle se retourna vivement, deux -autres arrivaient dans leur dos. Elle retint un cri.
— Place-toi derrière moi.
En un clin d’œil, il avait dégainé ses armes, et s’était placé en garde, -surveillant les deux groupes s’approchant. Elle recula entre lui et la jument, -rageant de ne pouvoir l’aider. Elle n’avait même pas son bâton de marche -pour se défendre... -

Effectivement, Irdann était très doué, et ses épées fendaient l’air à une -vitesse impressionnante. Plusieurs des brigands tombèrent à ses pieds, et il -se déplaça aussi vivement pour la protéger d’autres hommes qui arrivaient. -Il y en avait beaucoup trop pour qu’il tienne le coup... Difficile à dire -combien, avec l’obscurité qui tombait, mais ils étaient en mauvaise -posture.
— Sélène, mets-toi à l’abri...
Il avait crié ça entre deux coups d’épée. Elle recula vers la jument. -Pourrait-elle tenir en selle et s’enfuir ? Et l’abandonner ? Elle repéra au sol -un coutelas, abandonné par un des brigands qui gisait au sol. Saurait-elle -s’en servir de toutes façons ? -

Elle sentit soudain un bras saisir son épaule, et poussa un cri. Irdann, -occupé par plusieurs adversaires à la fois, était trop loin d’elle pour -intervenir. L’homme approcha son épée de son visage, et elle se mit à -trembler. Elle enrageait intérieurement de ne pas savoir se défendre comme -Silwë ou Aldariel... Mais elle ne se laisserait pas tuer ou enlever sans -essayer quelque chose. Elle posa son autre main contre sa poitrine, et -poussant un léger gémissement, s’effondra. Elle n’avait pas besoin de -jouer beaucoup, ses jambes tenaient à peine son poids de toutes - - -façons... -

Elle entendit Irdann crier son nom. Y avait-il un écho dans sa voix, ou -avait-elle rêvé ? Les yeux fermés, elle sentit son bras s’approcher du sol, -tandis que l’homme la retenait vagument par un bras. Surpris, ou -simplement peu pressé ? Après tout, évanouie ou debout, ça ne devait pas -changer grand chose pour lui. Elle était juste le lot à ramasser. Elle sentit -ses doigts se refermer sur la poignée du coutelas, et une bouffée de courage -et d’énergie l’envahit. Elle reprit appui sur ses pieds, et en se redressant, -planta l’arme droit dans la poitrine de l’homme. Il eut un sursaut -et tomba au sol, le visage marqué d’un mélange de surprise et de -douleur. -

Elle n’eut pas le temps de réfléchir plus à son geste. Irdann était -toujours en difficulté, et deux autres brigands s’approchaient d’elle, l’arme -en avant. Cette fois, elle ne pourrait plus jouer le jeu de la jeune fille -effarouchée... Elle tremblait, mais serra malgré tout le coutelas – -couvert de sang – dans ses mains. Elle ne se laisserait pas tuer ou -enlever sans essayer de se défendre... Zach aurait été fier d’elle... -sûrement. -

Zach -

Il avait couru sans s’arrêter, son épée et son couteau à la main, jusqu’à -débouler sur le chemin. Il s’était figé un instant en apercevant le champ de -bataille. Le paladin, entouré de plusieurs hommes, peinait à se défendre -malgré son adresse aux épées. Les bandits semblaient plus occupés avec lui -et ne semblaient pas surveiller Sélène, attendant visiblement d’avoir éliminé -leur menace principale. -

Sauf un, qui s’était approché, et lui avait saisi le bras. Elle avait crié. -Malgré son épuisement, il se remit à courir aussi vite que possible. Elle pâlit -et s’effondra, lentement. Ou était-ce le temps qui s’était ralenti pour -lui ?
— Sélène !
Il avait l’impression qu’il n’arriverait jamais jusqu’à elle. Dans le soir qui -tombait, un dernier rayon de soleil se refléta sur une lame abandonnée au -sol. La main de la jeune femme apparemment évanouie venait de se refermer - - -sur la poignée... Il la vit soudainement se redresser, et poignarder de toutes -ses forces son agresseur. -

Il fut si surpris qu’il trébucha, et manqua de s’étaler par terre. Mais -ayant assisté à la scène, d’autres brigands s’approchaient déjà d’elle... Ce -n’était pas le moment de se poser des questions. Il atteignit enfin le premier -des deux hommes, qu’il transperça d’un coup d’épée. L’autre se -retourna vers lui, et un coup de masse lui effleura les cheveux. En un -instant, il fut près d’elle. Elle tenait toujours à la main le couteau -qui lui avait permis de se défendre. Ils échangèrent un regard, le -temps d’une fraction de seconde, et il se plaça entre elle et l’autre -brigand. -

Irdann -

— Sélène !
Il avait vu l’homme s’approcher, il l’avait vue se sentir mal, sans pouvoir -rien faire. Il avait toujours trois adversaires face à lui, et peinait à parer -leurs attaques... Il en avait mis deux au sol auparavant, et ces trois-là se -contentaient d’attaques prudentes, vraisemblablement dans le but de -l’épuiser lentement. S’il bondissait à son secours, il n’avait aucune chance... -ils n’attendaient que ça probablement. Et s’il le faisait tuer, alors qui -pourrait la protéger ? -

Il para quelques nouveaux coups, alors que, du coin de l’œil, il eut -l’impression de voir la jeune femme poignarder violemment son adversaire -d’un couteau. Ne s’était-elle pas évanouie quelques instants plus tôt ? Le -stress du combat, avec l’obscurité qui tombait, devait lui jouer des tours. Et -l’épuisement, aussi... Il ne tiendrait pas longtemps comme ça. Il -aperçut d’autres silhouettes arriver au loin, en courant, de différentes -directions. Il recula de quelques pas, jusqu’à un large tronc, à la fois -pour se donner quelques secondes de répit, et empêcher ses trois -adversaires – et les nouveaux – de le contourner. L’un sembla marquer un -instant d’hésitation, en regardant dans la direction de Sélène. Il en -profita pour s’en débarrasser, mais deux nouveaux adversaires le -remplacèrent quasiment immédiatement. Il continua à se défendre et à -distribuer des coups d’épée de tous les côtés, mais il se fatiguait - - -lentement. -

Soudain, une silhouette bondit depuis l’arbre au dessus de lui, en -poussant un cri de rage, et atterrit à ses côtés. Une silhouette féminine qu’il -reconnut immédiatement malgré l’obscurité.
— Silwë !
La jeune elfe avait revêtu une légère armure de cuir, attaché ses longs -cheveux, et surtout avait brandi son épée pour parer un coup qu’un des -brigands tentait de porter. Elle lui adressa un sourire rapide.
— Besoin d’un coup de main ?
— D’épée, plutôt.
Leurs adversaires semblèrent surpris une seconde de ce retournement de -situation. Il reprit courage. Il n’était plus seul... Ils se placèrent dos à dos, -et firent face aux brigands.
— Comme au bon vieux temps, Irdann ?
— Comme au bon vieux temps ! -

Ils retrouvèrent rapidement la coordination qu’ils avaient lorsqu’ils -combattaient ensemble, à la garde. Plusieurs des hommes tombèrent à leurs -pieds.
— Vite, il faut aller aider Sélène !
— Ne t’inquiète pas pour elle. On s’occupe de tout.
— On ?
— Zach et Alda sont là aussi.
D’un même geste, ils achevèrent leurs derniers adversaires. Il laissa passer -un instant pour reprendre son souffle, puis observa enfin le champ de -bataille. -

À peine plus loin, Sélène tenait un coutelas ensanglanté à la main. Elle -semblait effrayée, mais sa prise sur son arme était ferme et décidée. Zach -était à ses côtés, épée et couteau tirés, scrutant l’obscurité d’un air -inquiet. Plusieurs hommes gisaient à leurs pieds. À quelques pas de -là, sa jument Kahrafe piétinait sur place. Un brigand était couché -en travers de la selle, la poitrine transpercée d’une flèche. Avait-il -cherché à s’enfuir ? Il aperçut alors d’autres hommes au sol, le corps -transpercé d’une ou plusieurs flèches. Combien d’adversaires avaient-ils dû -affronter ? - - -

— Vous venez ?
C’était la voix de l’archère. Il fit quelques pas dans sa direction, avec -quelques difficultés. La lame d’un des brigands lui avait fait une belle -entaille au niveau du genou. Il l’aperçut alors, debout sur un des brigands, -toujours vivant – du moins pour le moment –, allongé à plat ventre. La -botte gauche de la jeune elfe lui maintenait la poitrine au sol, et elle avait -son arc pointé dans sa direction. Il eut un frisson en recomptant les hommes -morts de ses traits. D’ailleurs, il ne voyait aucune flèche qui semblait avoir -manqué sa cible... Ne jamais sous-estimer une elfe. Même – encore plus – -lorsqu’il s’agit d’une princesse à l’air innocent, délicat et fragile. -
— Je vous en ai gardé un. -

Aldariel -

Elle était essoufflée, par la course comme par la bataille. Alors que Zach, -arrivant avec une nette avance, avait couru protéger Sélène, Silwë avait -bondi dans la mêlée pour aider le paladin... En restant à couvert sous les -arbres, elle avait fait pleuvoir ses flèches mortelles sur les quelques hommes -restants, qui tentaient de s’approcher des combattants ou de s’emparer du -cheval, laissé à l’abandon. Voyant le dernier d’entre eux s’enfuir, elle avait -cherché à le capturer vivant. Si elle n’avait pas l’entraînement à la lutte de -Zach ou de Silwë, la surprise et un arc aux flèches pointues avaient très bien -fait l’affaire. -

Ses compagnons s’approchèrent, méfiants. Le jeune paladin la regardait -avec une expression mêlant suprise, crainte et admiration. L’aurait-il prise -pour une idiote sans défense ?
— Qu’est-ce que vous voulez de moi ?
C’était la voix de son prisonnier.
— Je connais bien les habitudes des gens comme toi. Normalement, vous -ne prenez pas le risque de vous approcher si près des habitations. -Pourquoi ?
L’homme tourna péniblement la tête vers Zach, qui venait de poser la -question. Il avait pointé son épée sur lui, et lui fit signe de le lâcher. Elle -hésita, puis obéit, sans détourner son arc de sa cible. Le prisonnier se -redressa, et considéra ses adversaires, estimant ses chances. Apercevant - - -enfin le visage de celle qui l’avait mis hors combat, il marqua la suprise, puis -la peur.
— Je ne sais pas. Le chef a dit qu’il y aurait un paladin allant chercher une -dame riche qui passerait par ici.
N’osant pas faire un geste de la main, il désigna du menton Irdann et -Sélène. Nous avons vu le paladin à l’aller, et nous l’avons attendu à son -retour sur le sentier.
— Qui vous a dit ça ? interrogea Irdann.
— Je ne sais pas. Il fallait demander au chef. On lui a donné l’info. Moi je -ne sais rien ! Laissez-moi partir !
Tout en surveillant l’homme du coin de l’œil, les compagnons se regardèrent. -Aldariel se pencha vers Irdann.
— Tu as parlé de ton expédition à beaucoup de monde autour de -toi ?
Il haussa les épaules.
— Non. Mais j’imagine que les rumeurs vont vite...
— C’est surtout étrange une telle expédition pour deux malheureux jeunes -gens, interrompit Zach, les sourcils froncés. Même riches.
— Laissons tomber, je crois que ce type ne sait rien de toutes façons, ajouta -Silwë. -

Après avoir vérifié que l’homme ne portait plus aucune arme, ils le -laissèrent partir, préférant ne pas s’encombrer d’un prisonnier. Il s’enfuit -sans demander son reste. -

Aldariel remarqua alors le genou ensanglanté du paladin. -

Irdann -

— Oh, tu es blessé ?
Il faillit répondre que ce n’était rien, mais la douleur manqua de le faire -trébucher. Il retint une grimace.
— On dirait.
— Assieds-toi, je vais regarder ça.
Il hésita quelques instants. La jeune princesse avait rangé ses armes, s’était -approchée, et le regardait avec douceur. Il jeta un œil à Silwë, qui -lui sourit. Un peu soulagé – si elle lui faisait confiance, il n’avait - - -rien à craindre –, il s’assit dos à un large tronc. Elle s’assit face à -lui.
— Silwë, tu peux aller chercher de quoi soigner dans mon sac ? Je l’ai -laissé, ainsi que les vôtres, dans cet arbre.
Alors que sa compagne s’éloignait, elle lui fit remonter son pantalon pour -mieux examiner sa blessure.
— Ils ne t’ont pas raté. Tu as pu continuer à combattre avec ça ?
Il haussa les épaules.
— Dans le feu de l’action, et quand on a sa vie en danger... Et puis je -n’avais pas tellement besoin de me déplacer.
— Je t’ai vu dans la bataille, de loin. Tu es impressionnant avec tes -épées !
— Merci. Mais je ne sais pas ce que je serais devenu si vous n’étiez pas -venus tous les trois à notre secours... Nous vous devons la vie. -

À cet instant, Silwë réapparut, tendant un sac de cuir fin à sa -compagne.
— Je vais récupérer tes flèches pendant que tu t’occupes de lui. Et après on -file au plus vite.
Elle s’éloigna de nouveau. Alors qu’Aldariel fouillait dans ses affaires à la -recherche d’il-ne-savait-quoi, il réalisa qu’avec toutes ces émotions il n’avait -pas pensé à Sélène. Alors qu’il était censé la protéger ! Comment avait-il -pu oublier ? Allait-elle bien ? La bataille avait dû être un choc pour elle... -Il tourna la tête, mais il faisait sombre, et il ne la voyait pas. La jeune elfe -lui sourit.
— Si c’est pour Sélène et Zach que tu t’inquiètes, rassure-toi, ils sont -quelques pas derrière toi, et ils vont très bien.
Soulagé, il laissa la jeune elfe s’occuper de son genou. -

Sélène -

Était-ce la peur qu’elle avait ressentie, le soulagement lié à la fin du -combat, ou une combinaison des deux ? Ils avaient regardé l’homme partir -avec méfiance, et l’instant d’après – ou longtemps après ? –, elle s’était -retrouvée dans les bras de Zach. Elle entendait les voix de leurs -compagnons, autour d’eux, ils n’étaient pas loin, mais elle n’y prêtait pas -attention.
— Tu vas bien ? Tu as été blessé ?
— Je n’ai rien, ça va.
Ils restèrent quelques instants silencieux, sans bouger.
— Merci d’être venu à mon secours. À notre secours.
— ... J’ai eu si peur quand je t’ai vue aux prises avec ce bandit.
— Moi aussi. Je ne pensais pas que j’y arriverais...
Il ne répondit pas, et ne bougea pas, la gardant contre lui. Il sentait la -sueur, le cuir de son armure, et le sang. Mais elle n’avait pas la moindre -envie d’en bouger. -

— Hm... désolée de vous interrompre, mais il faudrait qu’on bouge.
C’était la voix de Silwë. Ils se lâchèrent instantanément. Elle avait remis -son sac en bandoulière, et tenait la jument d’Irdann par la bride. Quelques -mètres plus loin, celui-ci s’approchait en boitant, tout en s’appuyant sur -Aldariel. Un bandage entourait son genou, et son pantalon montrait des -traces de sang. Elle eut honte de ne pas être allée l’aider, alors qu’il était -blessé. Mais à bien y réfléchir, la jeune elfe s’était occupée de sa plaie aussi -bien, voire mieux qu’elle. Il était évidemment hors de question qu’elle lui -montre ses pouvoirs... Au moins il allait bien, il souriait même, malgré sa -blessure. -

— En route. Il nous reste une heure de marche à peu près, et il fait déjà -nuit.
Ils rejoignirent rapidement le sentier. Irdann avait toujours des difficultés à -marcher, et ils durent insister pour qu’il monte sur le cheval.
— Je me sens mal à l’aise d’être à cheval si tu vas à pied...
Elle haussa les épaules en souriant.
— Ne sois pas bête. Tu es blessé, moi pas, et on ne doit pas traîner. Tant -pis pour le code d’honneur.
Il soupira, et finit par accepter l’aide de Zach pour monter sur le dos de sa -jument. -

— Où va-t-on, une fois sortis ?
— Il y a une auberge dans le village où on arrive. Vous pourrez y louer une -chambre sans problème, si on ne vous l’offre pas directement, vu votre rang -et votre nom.
Y avait-il une sorte de gêne lorsqu’il parlait de « leur nom » ? Ce n’était - - -peut-être pas le moment de le relever.
— Et vous trois, que ferez-vous ?
Zach haussa les épaules.
— Je connais ce village, c’est celui de mon enfance. S’il n’y a plus de -place à l’auberge, j’irai dormir chez mes parents, qui habitent une -petite maison en bordure de la forêt. Ça me changera de la terre -battue...
— Et nous, ajouta Silwë, nous nous contenterons sûrement d’un arbre ou de -cette terre battue. Nous ne sommes pas les bienvenues dans cette région, -n’est-ce pas ?
— Je préfère dormir par terre que d’avoir à craindre pour ma sécurité, -confirma Aldariel. -

Ils avancèrent encore un peu en silence, puis Zach se tourna vers le -groupe.
— Je peux toujours proposer à ma famille de nous héberger. Je ne pense -pas qu’ils hurleraient à la vue de deux elfes, et je suis sûr qu’on est en -sécurité chez eux.
Il marqua une pause, hésitant, puis se tourna vers elle et Irdann.
— Vous êtes également les bienvenus. Même si je comprendrais que vous -préfériez une taverne à une petite chaumière.
— Cela ne me dérange pas du tout, si cela va à Sélène, j’accepte volontiers. -Pour tout dire, je préfère aussi un lieu simple et sûr.
Cela voulait dire voir Zach un tout petit peu plus longtemps. Elle hocha la -tête en souriant.
— Tes parents sont ouverts sur la question des autres races humaines ?
Il lui sourit. Est-ce qu’il était content, lui aussi, de l’accompagner encore un -peu ?
— Bah, si ce n’était pas le cas, ils n’auraient pas décidé de m’adopter, avec -ma tête d’elfe.
Devant la tête suprise du paladin, il s’expliqua.
— Il semble que j’aie du sang d’elfe. Je n’en ai pas la certitude, puisqu’on -m’a trouvé sur le pas d’une porte, tout bébé. Les gens qui vivaient -là m’ont confié à celle qui allait être ma mère, qui venait d’avoir -son quatrième enfant, et qui avait assez de lait pour deux... Je ne -sais toujours pas si elle n’avait rien contre les elfes à l’époque, ou si - - -elle m’a d’abord adopté et a ensuite changé son point de vue sur la -question.
Zach semblait un peu plus à l’aise vis-à-vis du paladin. Ou était-ce une -impression ? Il n’aurait pas raconté cette histoire sinon, ou du moins plus -succintement. -

Silwë -

Ils étaient vivants, tous les cinq, et quasiment sans blessure. C’était déjà -beaucoup... Et ils allaient peut-être pouvoir passer la nuit au chaud. Tout -n’allait pas si mal... Elle tourna la tête vers ses compagnons. Irdann -discutait avec Sélène et Aldariel, qui marchaient à côté de la jument. Ils -avaient l’air de s’entendre plutôt bien, finalement. Zach marchait devant, -d’un pas décidé, en surveillant les alentours. Pourquoi avait-elle un mauvais -pressentiment ? Était-ce la nuit, la fatigue, les émotions ? Elle s’approcha -du guide, en frissonnant.
— Zach ?
Il tourna la tête vers elle. Il semblait d’assez bonne humeur.
— Tu en penses quoi, de ces brigands ? Tu disais que ce n’était pas normal -d’en voir autant et si près...
Son visage se ferma. Il se rapprocha d’elle, et lui parla à voix basse.
— Il n’est pas très surprenant de croiser des brigands dans cette forêt. -Surtout en ces temps difficiles, et lorsqu’un grand évènement est organisé, -faisant venir beaucoup de monde de loin, notamment des personnalités -riches et importantes. Mais si près des habitations, des brigands qui -attendaient précisément Sélène et Irdann...
— Ils sont, au moins de naissance, des nobles donc potentiellement des -personnalités importantes. Et si je comprends bien, un minimum connues de -nom.
— Oui...
Ah. Ce n’était peut-être pas le genre de phrase qui allait le mettre de bonne -humeur. Elle soupira.
— Je délire peut-être, je suis épuisée. J’étais juste inquiète. J’ai une -princesse à protéger, je te rappelle.
Elle lui adressa un clin d’œil. Il répondit par un coup de coude.
— Moi aussi j’ai pour mission d’escorter et de protéger une noble dame - - -jusqu’à la sortie de la forêt.
À son tour, elle lui lança un coup de coude.
— J’ai bien vu ta façon de la protéger.
— Je ne vois pas du tout de quoi tu veux parler.
Il semblait fixer attentivement l’horizon, mais il souriait. Puis soudainement, -il désigna du doigt une lueur au loin.
— Là-bas ! Tu vois cette chaumière, avec la lumière à la fenêtre ? Nous -arrivons !
La petite équipe poussa un soupir de soulagement. -

La maison, de taille moyenne, était la première en arrivant du sentier. -Elle était faite de pierre, recouverte en partie de lierre et visiblement vieille. -Une extension, partiellement en bois, semblait faire office de grange et -d’écurie. Plus loin, on voyait apparaître quelques autres habitations, et -encore derrière, la silhouette d’un village se découpait dans l’ombre. Zach -leur fit signe d’attendre.
— Je vais aller les prévenir, restez là quelques instants.
Il s’élança vers la porte. -

Sélène -

La porte s’ouvrit une nouvelle fois. La silhouette familière de Zach se -découpa dans la lumière, ainsi qu’une autre, plus massive.
— Entrez, messires. Soyez les bienvenus dans notre humble demeure. Mon -nom est Yzar, je suis le père de Zach.
L’homme s’avança vers eux, et s’inclina.
— Si vous me le permettez, seigneur, je vais m’occuper de votre cheval. -
Irdann lui tendit la bride de la jument, et s’appuya sur Zach venu l’aider. -Celui-ci lui fit un signe de tête. Hésitante, Sélène regarda ses compagnons, -puis se décida à entrer la première. -

Une petite femme ronde, au visage jovial et aux cheveux roux et gris -mélangés, l’accueillit d’une révérence un peu maladroite.
— Noble dame ! C’est un tel honneur de vous accueillir ici... J’espère que -notre pauvre logis vous conviendra.
La pièce comportait essentiellement une grande table en bois massif - - -entournée de deux chaises et deux bancs. Contre les murs, un grand coffre et -un buffet, tous deux anciens, donnaient à la pièce un aspect un peu austère -et rassurant à la fois. Un grand feu brûlait dans la cheminée, et une douce -odeur de légumes et de viande émanait de la pièce voisine. La pièce -était éclairée par plusieurs lampes à huile et chandelles, et semblait -assez accueillante malgré sa simplicité. Elle inclina la tête et lui -sourit.
— Merci, je pense que ce sera parfait.
Derrière, Zach et Irdann, l’un aidant toujours l’autre à marcher, passèrent -la porte à leur tour.
— J’espère que vous avez fait un bon voyage...
La femme se tourna vers Zach, et lui lança un regard qui aurait foudroyé -une armée.
— ... Et qu’il vous a traitée avec tous les honneurs dus à votre rang. -N’est-ce pas Zach ?
Il se figea. Sélène retint un sourire amusé, commençant une liste mentale -de tout ce qu’elle pourrait lui reprocher sur ce point. Il semblait -d’ailleurs éviter son regard. Elle se tourna à nouveau vers sa mère et -sourit.
— Il a été très correct, rassurez-vous.
Elle jeta un dernier coup d’œil suspicieux à son fils, puis se tourna vers le -paladin, qui avait toujours des difficultés à marcher.
— Bienvenue à vous, noble seigneur. Zach m’a dit que vous aviez été blessé -face des bandits. Votre blessure est-elle grave ?
— Vous êtes bien aimable, je vais bien, merci. -

Sélène se trouva une place sur un des bancs. Elle avait presque oublié ce -que c’était d’être traitée comme une princesse, et ce n’était pas -une perte à son sens. Mais elle ne souhaitait pas vexer cette femme -qui avait l’air de faire tous ces efforts de façon plutôt sincère – ça, -par contre, ça lui changeait des cours des châteaux. À l’instant où -Irdann fit de même à côté d’elle, Aldariel et Silwë entrèrent à leur -tour. -

La femme du bûcheron n’avait probablement jamais vu un elfe de sa vie, -alors deux en une fois, ça faisait beaucoup. Elle resta clouée quelques -instants, dévisageant les deux jeunes femmes d’un air incrédule. - - -Pourtant, Sélène trouvait qu’elles n’étaient pas si différentes que ça des -humaines. Le teint pâle, par exemple, était peut-être naturel chez les elfes -sylvains, mais de nombreuses jeunes femmes nobles cherchaient à -l’obtenir, avec plus ou moins de succès. Tout comme la silhouette -fine. Tout cela, et on pouvait y ajouter d’autres critères, comme la -tradition des cheveux longs, devait vraisemblablement entretenir, bien -malgré eux, l’image des elfes comme idéal de beauté. À moins que -ce canon de beauté n’ait été influencé, il y a bien longtemps, par -eux ? -

Alors qu’elle laissait ses pensées divaguer, les deux jeunes femmes -s’étaient assises, et le père de Zach venait d’entrer à son tour. Il jeta un œil -inquiet à la pile d’armes posées dans un coin de la pièce, les compta, tenta -d’attribuer mentalement une à chacun et fronça les sourcils en dévisageant -Silwë et Aldariel. Zach présenta rapidement les différents membres du -groupe, et ils commencèrent à manger. -

Après tout ce temps dans la forêt à manger du pain dur, de la viande et -du fromage séchés, parfois améliorés de quelques trouvailles, cette simple -soupe chaude de légumes dans laquelle flottaient quelques morceaux de -viande était un régal. La mère de Zach, du nom de Beolie, sembla ravie de -constater qu’ils mangeaient avec appétit tout ce qu’elle leur servait. Zach fit -un bref résumé de leur traversée, expliquant leur rencontre avec les deux -elfes, puis celle du paladin, et enfin l’attaque des brigands près du village. -Petit à petit, le bûcheron et son épouse se détendirent et osèrent poser -quelques questions.
— Excusez notre curiosité, mais c’est la première fois que nous voyons des -elfes. Que faites-vous dans la région ?
— Nous nous rendons au château du duc De Vane. Il organise un grand -tournoi de tir à l’arc, et j’ai été conviée à y participer. Silwë est mon garde -du corps.
Yzar se pencha pour observer Silwë, assise à côté de Zach, de l’autre côté. Il -considéra un instant son air frêle, puis son regard se porta sur Aldariel, en -face d’elle. Il ouvrit la bouche pour faire une remarque, mais son fils lui -envoya un coup de coude pour le faire taire.
— Crois-moi, tu n’as pas envie d’être du mauvais côté de son épée.
Leurs deux hôtes regardèrent un instant la jeune elfe se resservir, avec un - - -respect mêlé de crainte dans les yeux. Ah, ce qu’elle aimerait inspirer un tel -respect, non pas pour son rang, mais pour ses actes ! Ici, elle était coincée -avec le protocole, et ce titre de « dame ». N’importe quoi. Vivement qu’elle -rentre à la capitale, les rues sentaient peut-être mauvais parfois, mais au -moins on y respirait la liberté. -

Zach -

Le repas avançant, Zach fut soulagé de constater que l’ambiance -s’était petit à petit détendue. Si ses parents étaient toujours très -respectueux envers Sélène et Irdann, ils semblaient avoir compris que ces -nobles gens appréciaient la simplicité de leur accueil. Quant aux deux -elfes, une fois passé l’effet de curiosité mêlée de crainte, elles furent -traitées chaleureusement, presque comme si elles faisaient partie -de la famille. Sa mère insista même pour qu’Aldariel se resserve -plusieurs fois de la soupe, remarquant gentiment qu’elle était un peu -frêle. -

Il y eut tout de même un moment un peu gênant, lorsqu’ils se levèrent -de table. Son père, vraisemblablement enhardi par le vin et la bonne -ambiance, lui donna un coup de coude en lui demandant comment « il s’en -sortait » avec les deux elfes, tout en lui adressant un clin d’œil peu discret. -Pris de court, il avait répondu qu’il ne se passait rien, mais il n’était pas sûr -de l’avoir convaincu. Aldariel et Silwë, qui avaient entendu, avaient échangé -un regard gêné, tandis qu’Irdann et Sélène avaient difficilement contenu un -fou rire. -

Mais c’était probablement le seul « incident » qu’il pourrait déplorer. Il -y avait pire. Par contre, au moment d’aller se coucher, ses parents avaient -rappelé que la petite chaumière ne comportait que deux chambres. Ils -avaient insisté pour que les deux « nobles » prennent la meilleure des deux, -la leur, proposant aux trois autres la chambre qui hébergeait autrefois leurs -enfants. Eux-mêmes dormiraient dans une paillasse au grenier. Il aurait bien -suggéré un autre arrangement, mais il doutait fort que ses parents le -laissent faire. -

Il fit quelques pas dans la pièce, qui l’avait abrité pendant toute -son enfance. Elle n’avait pas tellement changé depuis, si ce n’est - - -qu’elle paraissait vide sans ses trois frères et sa sœur. Trois lits sur les -cinq avaient été faits. Il s’assit et posa son sac sur celui qui avait -été le sien pendant toutes ces années. Il commençait à retirer ses -bottes et son armure lorsque Silwë entra, une bougie à la main. -Constatant qu’il n’y avait que lui, elle l’éteignit et la posa sur une table à -côté.
— Ce n’est pas comme si nous en avions besoin... Mais je n’ai pas osé -refuser.
Elle déposa son sac et celui d’Aldariel, puis vint s’asseoir à son tour sur un -lit avec un sourire de satisfaction.
— On a beau dire, les matelas humains sont quand même confortables.
— Et c’est une elfe qui dit ça ?
Elle marqua une pause dans le démêlage de ses longs cheveux pour lui -lancer un regard qu’elle aurait probablement voulu meurtrier. Constatant -son échec, elle esquissa un sourire.
— Tiens, j’y pense, d’où te vient une telle réputation ?
— Euh, de quoi tu parles ?
C’est le moment que choisit Aldariel pour entrer à son tour dans la chambre -– ou peut-être avait-elle attendu ce moment pour se manifester ? Elle -s’installa à son tour et sourit.
— À propos de la remarque de ton père, tout à l’heure, tu sais bien. -

Il faillit répondre que son père avait juste un peu bu, puis il hésita à -répliquer que tout cela venait de toutes façons des rumeurs qui couraient -sur les elfes. Mais il savait bien qu’elles ne se contenteraient pas de -ces esquives maladroites. Les quatre yeux bleus qui le fixaient dans -l’obscurité lui donnaient l’impression de le clouer au mur derrière lui. Il -abdiqua. -

Il finit d’ôter sa tunique et s’allongea, préférant regarder le plafond.
— Quand j’étais adolescent, j’avais pas mal de succès auprès des filles, c’est -vrai. Le petit air d’elfe marchait plutôt bien auprès de certaines... Donc, -j’avoue, je n’ai pas volé ma réputation. Après...
Il marqua une pause. Elle écoutaient toujours.
— Après j’ai commencé à être un guide et à passer mon temps à -traverser la forêt. Ce n’est pas tout à fait le genre de boulot qui accorde -du temps pour « ce » genre de choses... Et puis qui voudrait d’un - - -mari à moitié sauvage, qui dort plus souvent sur le sol que dans -un lit, et qu’on ne voit jamais ? Certes, je rencontre beaucoup de -gens très différents, et j’ai bien eu des... occasions. Mais au final... -
Il soupira.
— ... Au final, je vis seul. Ma fiancée, c’est la forêt. Ma seule vraie -compagne, fidèle et sincère, c’est mon épée. -

Il se tut. Pourquoi n’avait-il pas tout à fait l’impression de dire la -vérité ? Le visage de Sélène était encore présent dans son esprit. Mais -n’était-elle pas, finalement, qu’une de ces « occasions » comme les autres ? -Qu’il avait plus ou moins – à tort ou à raison – laissée passer. L’oublierait-il -aussi facilement que les autres ? Comme si elle semblait saisir le fil de ses -pensées, Aldariel s’approcha et posa doucement une main sur son -épaule.
— Je me suis moquée de toi, cet après-midi. Mais je n’imaginais pas à quel -point les différences de classe sociale pouvaient être un tel obstacle dans des -relations entre humains. Toutes ces choses sont tellement plus simples chez -nous...
Il ne répondit pas. Peut-être qu’elle avait raison, mais peut-être aussi que la -situation était nettement plus simple quand on était une princesse. Et -surtout une princesse comme Aldariel... Tout devait lui tomber au creux de -la main, les hommes comme le reste. -

— À ce propos, Alda, comment va la blessure d’Irdann ?
Et il fallait qu’elle parle du paladin, là, maintenant... Il faillit lui -rétorquer que ce n’était pas la peine de retourner le couteau dans la -plaie, quand il sentit, à la façon dont Aldariel lâcha son épaule, -que la remarque ne lui était pas destinée. Mais alors pas du tout. -
— Oh, plutôt bien. Rien de crucial n’a été touché, je suis sûre qu’il se -remettra très vite.
— C’est plutôt une bonne nouvelle.
Il aurait bien aimé voir ce qu’il y avait sur le visage de la jeune princesse, -mais elle s’était tournée vers son amie. Il repassa dans sa tête la scène de -bataille et la suite, remarquant alors ce que ses yeux avaient enregistré -sans le voir. Le sourire amusé de Silwë sembla confirmer ce qu’il - - -pensait.
— D’ailleurs, qu’est-ce que tu m’as dit, un peu plus tôt aujourd’hui ? Qu’à -ma place, tu n’aurais pas hésité ?
Elle se retourna brusquement vers lui, les sourcils froncés.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
Il regarda le plafond, sans pouvoir retenir un sourire.
— À ton avis ? -

Aldariel semblait à la fois choquée et en colère. Silwë s’était glissée sous -les draps et s’était tue. Soit elle était épuisée et voulait dormir, soit elle lui -laissait volontairement le champ libre. Après tout, c’était bien son tour de -se venger...
— Non, je n’aurais pas hésité à ta place. Et ?
Il avait connu des attaques verbales plus difficiles à contrer. Son sourire -s’élargit.
— Et le « noble paladin aux airs de prince charmant », ça compte comme -une hésitation ?
Elle marqua une pause, surprise.
— Mais... qu’est-ce que tu imagines ? C’est un humain. Un elfe, je ne dirais -pas, mais c’est un humain !
Belle tentative d’esquive, mais ratée. À moins que... sa surprise semblait -sincère. C’était encore plus drôle en fait.
— C’est ça. Et moi, je sors d’où, alors, si elfes et humains ne sont pas -compatibles ?
Elle répliqua aussitôt, pointant son doigt dans sa direction.
— Biologiquement compatibles, oui. Ça ne prouve pas grand chose pour le -reste. Tu as dit toi-même que tu ne savais rien d’eux, non ?
Il devait admettre que la contre-attaque tenait plutôt bien la route. De plus, -il risquait de se laisser entraîner sur un terrain plutôt glissant. Il lui restait -une botte secrète. À son tour, il pointa son doigt dans sa direction, venant -effleurer le sien en souriant. Il lui chuchota.
— Pourtant, j’ai bien l’impression que Silwë, elle, ne s’arrête pas à ce genre -de détail.
— Quoi ? Qu’est-ce que tu en sais ?
Son attaque avait donc touché. Il ne fallait pas baisser sa garde maintenant. -
— Elle a passé cinq ans chez les humains. Je pense qu’elle a dû avoir un -certain succès auprès d’eux. Tu lui poseras la question...
Cherchant désespérément un peu de soutien, Aldariel se tourna vers son -amie, qui s’était visiblement endormie. Tout du moins, elle faisait -suffisamment bien semblant. Il l’en remercia intérieurement.
— ...sinon tu te rappelleras sa réaction quand, un soir, tu avais évoqué la -question.
Quelle chance il avait eu de retenir ce détail pourtant insignifiant, malgré la -situation qui ne s’y prêtait guère... Ils étaient plus à un cheveu de -s’entretuer que de jouer à ce jeu-là. -

Elle lui lança un dernier regard assassin, qu’il fit mine de ne pas -remarquer. Mais il avait du mal à se retenir de sourire. Elle soupira, -remonta ses draps sur ses épaules et ferma les yeux. -

Irdann -

Il referma la porte de la petite chambre et posa le bougeoir sur la table -de chevet.
— Hé bien ! Je m’attendais à ce que nos noms soient respectés, mais à ce -point...
Sélène sourit.
— C’est vrai que c’était presque un peu trop... Et encore, personne ne leur -a dit qu’Aldariel était la fille du roi des elfes.
— Les pauvres. Déjà que voir des elfes pour la première fois de leur vie -était un choc...
Elle fit quelques pas dans la pièce, puis son sourire se figea.
— Ah. Il y a un petit problème technique. Il n’y a qu’un lit.
— Effectivement. En même temps, c’est assez logique, c’est leur -chambre...
— Tu crois qu’ils pensent qu’on...
Il haussa les épaules. Il n’avait pas tellement envie de décevoir leurs hôtes et -surtout, de leur demander du travail en plus alors qu’ils se donnaient déjà -tellement de mal pour eux.
— Bah, ne t’inquiète pas, je dormirai par terre. J’ai connu pire, tu -sais !
— Moi non plus ça ne me dérangerait pas de dormir par terre. Ça fait - - -presque une semaine que je fais ça ! Et en plus, toi, tu es blessé.
— Ah mais ça n’a rien à voir ! -

Ils se regardèrent en silence pendant quelques instants. Il lui aurait bien -répondu qu’elle était une dame et c’était une histoire de code d’honneur, -mais il doutait de l’efficacité de cet argument. Il n’avait pas affaire à une -noble dame comme les autres, ça, il avait bien saisi. Ce fut finalement elle -qui prit une décision.
— Bon écoute, on ne va quand même pas dormir tous les deux par -terre, ce serait vraiment stupide. Il y a de la place pour deux sur ce -matelas. Chacun son côté, chacun sa couverture, ça te va comme -compromis ?
— À condition que tu prennes quand même les draps prévus pour ça. Et -moi je prends une couverture de voyage.
Elle sourit en lui donnant un petit coup de coude.
— Vendu ! -

Ils s’installèrent rapidement, puis éteignirent la bougie, ce qui plongea la -pièce dans l’obscurité. Il était épuisé, et il devait reconnaître que ce -compromis avait du bon. Le matelas était vraiment confortable. Pourtant, le -sommeil ne venait pas. Trop de choses s’étaient passées dans cette journée... -À commencer par Sélène. La jeune femme qu’il devait chercher était -saine et sauve, et plutôt bien entourée... Elle n’avait pas eu l’air si -heureuse que cela de le voir arriver. Quelle relation l’unissait à son -« guide », d’ailleurs ? Leurs regards étaient tout de même assez -éloquents... -

Il avait beau avoir quitté assez tôt le palais de son père et l’ambiance -des cours, il connaissait assez bien la façon dont les mariages étaient -conclus. Il s’agissait bien souvent d’un enjeu complexe d’alliances entre -seigneurs et de cessions de terres, quand il ne s’agissait pas de guerres, -toujours est-il qu’on ne laissait pas beaucoup de choix aux jeunes nobles. -Bien sûr, on essayait généralement de faire en sorte qu’ils s’apprécient au -moins un peu, et puis ils étaient bien souvent éduqués et conditionnés pour -aimer les gens de leur rang... mais au final, ce n’était pas eux qui -décidaient sur ce plan-là. Certains s’en accomodaient plutôt bien, d’autres -trouvaient leur bonheur ailleurs que dans les bras de celui ou de celle - - -qui leur était désigné. Bien sûr, rien de tout cela n’était officiel, -mais une oreille attentive et innocente pouvait entendre bien des -choses... -

Il avait tendance à considérer que ce genre d’histoire ne le regardait pas. -Après tout, entre un mari à la capitale, et ses parents ici, elle avait bien -droit à un peu de liberté entre deux... Il se mit à penser qu’il avait de la -chance d’être un paladin. Personne n’allait le forcer à se marier contre son -gré, et il était vraiment libre... Certes, il devait rendre des services au nom -de la déesse, mais à côté d’avoir toujours quelqu’un sur le dos, ce n’était -pas grand chose. -

— Irdann ?
Elle ne dormait donc pas non plus ?
— Oui ?
— Je suppose qu’on repart demain... ça va aller ta blessure ?
— Je pense, oui. Aldariel s’en est très bien occupé. Mais c’est surtout une -chance que personne d’autre n’ait été blessé.
Il eu l’impression qu’elle frissonnait.
— Je n’ose pas imaginer ce qui se serait passé si les autres n’étaient pas -venus à notre secours...
C’était malheureusement facile à deviner. Il aurait été tué, et elle -faite prisonnière. Et encore, prisonnière, c’était dans le meilleur des -cas...
— Tu veux vraiment savoir ?
— Ça va, je me passerai des détails, merci.
— Je me moque, mais sérieusement, nous aurions dû insister pour qu’ils -restent avec nous au moins jusqu’à la sortie de la forêt.
— Peut-être... et peut-être pas en fait. En arrivant un peu après, ils ont pu -bénéficier d’un effet de surprise...
Pour quelqu’un qui n’avait connu que le confort des châteaux, elle avait une -sacrée tête froide. Elle n’avait pas l’air trop choquée par tout ce qui s’était -passé, ce qui était plutôt impressionnant. Et puisqu’elle semblait plutôt -encline à lui en parler, il allait pouvoir lui demander...
— C’est possible. J’y pense, il y a quelque chose que je n’ai pas tout à fait -compris dans ce combat.
— Ah ?
— Les brigands étaient occupés avec moi, et tu étais relativement -tranquille... Puis il y en a un qui s’est approché de toi, je t’ai vue -t’effondrer... enfin je crois. Et puis l’instant d’après, c’est lui qui était -effondré à tes pieds. Je n’ai pas l’impression que Zach soit arrivé si -tôt...
Elle marqua une seconde de silence, mais lorsqu’elle répondit, il aurait juré -qu’elle souriait. -

Sélène -

Lorsqu’elle termina son récit, il laissa passer un moment de silence. Que -pouvait-il bien en penser ?
— Je ne m’attendais pas à ça, effectivement.
Il semblait simplement surpris. Mais était-ce en bien ou en mal ? -
— Je n’avais simplement pas le choix, tu sais bien... Je pouvais bien -attendre que tu viennes à mon secours, mais tu tenais déjà tête à trois -hommes !
— Mais tu as bien fait de te défendre !
Soulagée, elle sourit – elle était soulagée également de noter qu’il ne voyait -pas ses expressions dans le noir, lui – et répondit nettement plus -spontanément.
— Ça n’a pas l’air de te choquer, alors, de voir une femme prendre les armes -pour défendre sa peau...
— Je trouve dommage qu’il soit nécessaire d’avoir besoin d’une arme pour -être en paix. Mais puisque cela semble être le cas, autant que tu en sois -capable comme les autres.
Elle l’entendit soupirer avant de reprendre.
— Tu m’aurais dit ça il y a plusieurs années, effectivement j’aurais trouvé -ça indécent, pas naturel, dangereux, inconvenant, et je ne sais quoi encore... -J’ai été élevé dans un château selon les traditions séculaires que tu connais -aussi bien que moi. Puis dans un temple, où le poids des rituels était bien -présent... Ensuite, j’ai passé plusieurs années à la garde la capitale. Là-bas, -je n’ai pas seulement appris l’art de l’épée, j’y ai compris qu’il n’y avait -pas vraiment de différence entre les genres, ou les types d’humains. -Peut-être que c’est ce que cherchait à me faire apprendre les prêtres en - - -m’envoyant là... Mais peut-être que c’était juste un effet secondaire. -
— Ils voulaient peut-être faire de toi un vrai paladin, juste et ouvert, et pas -une simple épée bien entraînée et obéissante...
— Je ne sais pas si, finalement, je corresponds à leurs critères... -

Elle eut l’impression qu’il aurait volontiers précisé sa pensée. Qu’est-ce -que cela pouvait cacher ? Était-ce simplement de la modestie, ou avait-il un -« critère » particulier en tête ? Elle brûlait d’envie de le questionner, mais -peut-être n’était-ce pas le moment. Elle tourna la tête vers lui en -souriant.
— Tu sais, moi non plus je ne corresponds pas aux critères d’une vraie -« dame ».
— Je vois ça. D’ailleurs, j’y pense, qui t’a appris cette technique ? Il faut -un sacré cran pour oser faire ce que tu as fait !
Elle sourit.
— Personne... J’ai improvisé, dans le feu de l’action. Je ne sais pas trop -comment. Je ne sais pas si c’est du courage ou de la folie, d’ailleurs. -Peut-être qu’à force de fréquenter des gens comme Zach, Aldariel, Silwë, et -même toi, ils déteignent sur moi...
— Leur folie ou leur courage ?
— Les deux ?
— Je dirais effectivement qu’il est à la fois courageux et fou de chercher à -traverser la forêt à pied, seulement accompagnée d’un guide.
Il était bien placé pour parler de prudence...
— Comme d’aller « secourir » une noble dame inconnue dans une forêt, -seul et sans escorte ? -

Il ne répondit pas.
— Je t’ai vexé ?
— Non... enfin, tu as raison. Nous sommes tous probablement un peu fous. -Et ça a failli nous coûter cher.
— Nous serons en sécurité, demain... Nous arriverons au château de mes -parents, n’est-ce pas ? -

Elle n’arrivait pas à dire cela sur un ton soulagé, même pas un ton -neutre. Arriver là-bas, c’était se dire que l’aventure se terminait, redevenir - - -une noble dame bien élevée, et surtout, ne plus voir Zach. Mais à quoi -bon se poser ce genre de question ? Elle avait su tout cela dès le -début. -

— Oui.
Il avait mis aussi du temps à répondre. Pourquoi ?
— Bonne nuit.
— Bonne nuit. -

Aldariel -

Lorsqu’Aldariel ouvrit les yeux, le jour était déjà levé depuis un -moment. À ses côtés, les lits de Zach et de Silwë étaient vides. Il faut dire -que ces lits humains étaient plutôt confortables, surtout comparés à la terre -battue de la forêt... Et après les évènements de la veille, une bonne nuit -n’était pas de trop. Elle se prépara rapidement, et se hâta de rejoindre les -éclats de voix qu’elle entendait du rez-de-chaussée. -

Installés autour de la grande table, en train d’avaler un petit déjeuner -solide, se trouvaient Silwë, Irdann et Beolie. Celle-ci était en train de -tendre un panier de victuailles à la guerrière, tout en l’abreuvant de -recommandations.
— ... Il ne vaut mieux pas chercher à aller dans les villages d’ici. Je vous ai -donc pris des provisions, cela devrait vous suffire pour la suite de votre -voyage. Restez à la campagne, voire dans la forêt, c’est même encore -mieux.
— Les elfes sont craints, par ici ? intervint Aldariel.
Beolie redressa la tête vers la nouvelle arrivante, et secoua la tête, tout en -lui préparant une assiette.
— Ça dépend des gens. Méfiez-vous des hommes surtout...
Elle s’interrompit pour déposer l’assiette généreusement garnie devant elle, -puis jeta un œil à Irdann, assis à côté d’elle.
— J’ai toute confiance en vous, messire paladin, et quant à Zach, je râle, -mais c’est un brave garçon. Mais ceux que vous pourrez croiser ne sont pas -comme ça...
Silwë lui sourit.
— Merci de vos conseils. Mais rassurez-vous, nous ne sommes pas désarmées - - -non plus. Tenez, voici pour les provisions.
Elle lui tendit une petite pile de pièces. -

C’est à cet instant que Sélène entra, coupant court au début de -protestation de principe de la part de Beolie.
— Bien le bonjour, dame Sélène. Avez-vous bien dormi ?
— Très bien, je vous remercie. Zach n’est pas là ? Il dort encore -peut-être ?
Elle secoua la tête.
— Il est parti, aux aurores, avec son père et d’autres hommes du village, -pour... « découvrir » ce qui s’est passé la nuit dernière. Ils ont découvert -les corps de brigands apparemment... -

Un silence passa. Chacun sembla se remémorer avec un léger frisson la -bataille de la nuit dernière. Puis Aldariel reprit la parole.
— Quelle est la... version « officielle » de cette histoire ?
— Je ne sais pas encore. Ils ont bien sûr promis de ne pas parler de vous -deux, dit-elle en désignant les deux elfes. Ils ne devraient plus tarder de -toutes façons. Vous partez bientôt ?
— Nous allons nous mettre en route dès que possible, n’est-ce pas -Sélène ?
Apercevant le regard de la jeune dame, Irdann s’empressa de compléter. — -... Mais il vaudrait mieux attendre le retour de Zach et de Yzar, pour savoir -à quoi s’en tenir.
Sélène hocha la tête, et Aldariel ne put retenir un léger sourire. -

Irdann -

Irdann et Sélène avaient traversé le village, tous les deux sur Kahrafe. -Leur passage avait d’ailleurs suscité quelques regards curieux et admiratifs. -Des rumeurs avaient couru sur l’attaque des brigands de la veille, mais -personne ne semblait évoquer la présence d’elfes. Par contre, certains, -apercevant les quelques déchirures sur la robe de la jeune femme et la -blessure au genou du paladin, en avaient tiré quelques conclusions. -Les regards posés sur lui semblaient de plus en plus respectueux et -impressionnés. Il se sentait un peu gêné de cette gloire qui n’était pas la -sienne, du moins pas totalement, mais Sélène le rassura en souriant. Plus les - - -gens inventaient des histoires héroïques, moins ils cherchaient la vérité, et -c’était peut-être mieux comme ça, dans ce cas précis, du moins. Et -puis, avait-elle ajouté, il n’avait pas totalement volé cette gloire non -plus. -

Ils étaient maintenant seuls, loin des habitations, et s’étaient arrêtés au -bord d’un ruisseau pour laisser souffler sa jument. À porter deux personnes, -elle se fatiguait vite, et lui-même ne pouvait se permettre de marcher sur -une longue distance. Mais qu’importe, ni lui ni Sélène ne semblaient -pressés. Celle-ci était assise dans l’herbe à côté de lui, en train de boire à -une gourde fraîchement remplie.
— Sélène ?
— Oui ?
— Maintenant que nous sommes seuls et loin du village, hem...
Il marqua une pause, et vérifia aux alentours, légèrement inquiet. Sélène le -regardait d’un air interrogateur.
— Il y a quelque chose que je voudrais savoir à ton sujet. Je comprendrais -que tu ne veuilles pas me répondre, mais...
Elle haussa les épaules et referma la gourde.
— Quelle question ?
Il prit une grande inspiration, et abaissa légèrement la voix.
— Avant que tu ne t’inquiètes, je te dis tout de suite que je n’en ai parlé à -personne, ni à tes parents, ni à tes compagnons. Pas même à Silwë, en -qui pourtant j’ai entière confiance. Et je n’ai pas l’intention de le -faire.
Elle fronça les sourcils, et l’incita, d’un regard, à continuer.
— Quand j’étais chez toi, enfin, dans le château de tes parents, j’ai trouvé, -dans ta chambre, caché... un livre de magie. -

Sélène -

Elle resta figée quelques instants, d’horreur d’abord, puis de colère, et de -panique. Comment savait-il ? Comment l’avait-il trouvé ? Comment -avait-il osé fouiller dans sa chambre ? Qu’allait-elle faire ? S’enfuir ? Et -pour aller où ?
— S’il-te-plaît, calme-toi, je t’assure que je n’ai pas l’intention de révéler -cela à quiconque.
Il amena sa main près de son épaule, et se retint de la poser. Il avait -l’air sincère. Mais cela n’expliquait pas comment... Elle s’approcha -doucement de lui, et tout en gardant, autant que possible, un visage -neutre au cas où quelqu’un passerait par là, lui demanda à voix -basse :
— Comment as-tu trouvé cet objet ?
Il parut quelque peu soulagé qu’elle engage la conversation au lieu de -s’enfuir, ou de se mettre à lui jeter un sort – à quoi pouvait-il s’attendre -d’ailleurs ? Il avait l’air plutôt gêné...
— Hm... c’est quelque chose qui a à voir avec l’enchantement qui m’a -permis de te retrouver.
Elle marqua une seconde de silence avant de répondre.
— Soit. Je t’explique tout à une condition... Tu me dis aussi tout sur cet -enchantement.
Il parut choqué.
— Mais c’est un secret hautement gardé, je trahirais mon temple et la -déesse...
Elle secoua la tête.
— Le secret que tu as me concernant peut m’emmener au bûcher, je -suppose que tu le sais. Alors ?
Elle planta son regard dans le sien, bien décidée à ne pas céder. Il en savait -déjà beaucoup trop de toutes façons... -

Il soupira.
— D’accord. Pour te retrouver, j’ai dû enchanter une pierre, et pour cela je -devais avoir un objet auquel tu tenais...
Elle écouta, surprise, l’histoire de l’enchantement du cœur, et du livre qui -lui avait permis de l’invoquer.
— Et... cette pierre, qu’en as-tu fait ?
— Je l’ai toujours. Je pensais m’en débarrasser aussitôt que possible, par -exemple en la jetant au fond d’un lac. Mais je n’ai pas eu d’occasion, et puis -maintenant que tu sais...
Il se leva, et en boitant, s’approcha de sa jument. Il fouilla dans une -des sacoches cavalières, et en sortit une petite bourse de cuir, de -laquelle il sortit un caillou. Elle s’était attendue à une pierre ornée, -semi-précieuse, ou d’une forme particulière, et fut presque déçue de - - -constater qu’il s’agissait d’un simple petit morceau de grès, qui n’avait rien -de particulier et sur lequel on aurait pu marcher sans se rendre compte de -rien. -

Il la posa délicatement dans sa paume ouverte, et elle frissonna -lorsqu’elle sentit la pierre pulser légèrement. Au rythme de ses propres -battements de cœur...
— Je pense que le mieux est que tu la gardes, finalement. Tu décideras quoi -en faire.
— Y a-t-il un risque, pour moi ?
— Tu veux dire, que quelque chose t’arrive à cause de cet enchantement ? -Que je sache, rien ne peut t’arriver directement à cause de cette pierre. -Enfin...
Il prit une inspiration.
— Enfin, si on excepte le fait que quelqu’un ayant cette pierre peut toujours -te retrouver, savoir à quel moment tu mens, à quel moment tu as peur, à -quel moment tu dors...
Elle eut un frisson d’horreur, et sentit dans son corps et dans sa main son -pouls s’accélérer légèrement. La sensation était vraiment... étrange, et -effrayante en même temps. Elle hocha la tête et lui tendit la pierre, qu’il -enveloppa dans un morceau de tissu avant de la replacer soigneusement dans -la petite bourse de cuir, qu’il lui tendit.
— J’ai fait cela pour ne pas sentir les pulsations. Je te conseille de la mettre -en lieu sûr, ou de t’en débarrasser pour de bon, mais... fais comme tu le -souhaites. -

Elle regarda, fascinée, le petit sac de cuir, qui avait l’air parfaitement -anodin. Elle le glissa soigneusement dans son sac, et le fixa à une des -nombreuses lanières intérieures, qui servaient habituellement à y maintenir -les fioles de remèdes divers qu’elle transportait. Puis elle poussa un -soupir. -

Irdann -

— À mon tour de te donner quelques explications, si je ne me trompe.
Elle s’était tournée vers lui en souriant légèrement. Elle avait plutôt bien -encaissé cette histoire de pierre... Soit elle avait un tempérament en acier, - - -soit elle masquait bien ses émotions. Ou les deux ?
— Hé bien... par où commencer... Je suis effectivement une magicienne.
Il haussa un sourcil de surprise, mais fit bien attention à ne pas -avoir l’air menaçant. Elle lui raconta alors son enfance, le vieux livre -trouvé dans le grenier, ses premiers essais à la magie, et comment ses -parents avaient fait en sorte de l’envoyer à la capitale, en grand secret. -
— Mais... alors tu n’es pas vraiment mariée, en fait ?
Elle sourit.
— Non. Les Quayle sont une famille d’amis de ma mère qui vivent à la -capitale, et qui nous ont aidé, avec la complicité de quelques personnes de -l’université de magie, à monter cette histoire. Je ne les en remercierais -jamais assez...
— J’admets que c’est particulier comme histoire. Mais alors tu vis à la -capitale, seule ?
— Oui, dans une petite chambre de l’université. C’est moins luxueux que la -demeure d’un riche marchand, mais c’est tranquille.
— Et quelle magie tu apprends, là-bas ?
— Principalement la magie liée aux soins. Des blessés ou malades peuvent -venir de très loin pour se faire soigner par les meilleurs mages soigneurs, -et je compte bien en être dès que j’aurai fini mon apprentissage. -
— Tu ne connais que des sortilèges pour soigner ?
— C’est un peu plus complexe que cela, mais essentiellement. Oh, je -sais tout de même lancer des boules de feu, c’est un sort que j’ai -appris avant de venir à la capitale. Mais ce n’est pas si efficace que -cela et assez ridicule, en comparaison de ce que font les mages de -combat...
Il hocha la tête, alors que quelques images lui revenaient en tête.
— J’ai pu voir quelques démonstrations, c’est effectivement impressionnant. -

Ils laissèrent passer un silence, puis il se leva. Il était temps de repartir. -Alors qu’il s’approchait de Kahrafe, il sentit la main de Sélène se poser sur -son épaule.
— Attends. Montre-moi ton genou.
Il hésita.
— Tu veux... le soigner ? N’est-ce pas risqué ici ?
— Si je n’utilise pas mon bâton de magie, ce n’est pas trop visible. Même si -le sort sera moins efficace... Mais cela te soulagera. Rassieds-toi. -

Il obéit, peu rassuré. Mais risquait-il vraiment quelque chose -finalement ? Il la vit fermer les yeux et approcher sa main de sa blessure. Il -eut l’impression de voir quelques rais de lumière en sortir, mais peut-être -était-ce son imagination, ou des reflets du soleil. Dans le même temps, la -douleur qui cisaillait son genou depuis la veille, et qu’il s’efforçait d’ignorer, -s’estompa pour de bon. -

Elle ouvrit les yeux, et apercevant le soulagement marquer son visage, -elle sourit.
— Essaie de marcher ?
Il se leva et fit quelques pas, hésitant. La douleur qu’il avait crainte ne -revenait pas, même s’il sentait son genou encore fragile. Elle hocha la -tête.
— Voilà. Je ne peux pas faire mieux tout de suite, mais c’est déjà -bien.
Il lui sourit.
— Merci. -

-[
-
-

-

Uhr -

L’homme prit une gorgée de bière et fronça légèrement les sourcils.
— Où précisément ?
Uhr étala la carte de la forêt de Sossirant, et désigna du doigt une zone, -assez éloignée des villes et des chemins tracés.
— Par ici.
Ragan, son interlocuteur, suivit des yeux la zone, puis replaça son regard -droit dans le sien.
— Écoutez, ce n’est pas mon genre de poser des questions à mes clients, -mais là, vous me surprenez. Je fais ce boulot depuis plus de vingt ans, et en -général, les gens veulent aller d’une ville à une autre. Pas au milieu de nulle -part.
Uhr haussa les épaules. Il ne comptait pas entrer dans les détails de sa -motivation.
— Pouvez-vous ou pas nous amener là-bas ?
Ragan secoua la tête.
— Non. Je ne connais pas ce coin, et je ne sais pas pour vous, mais je tiens -à ma peau.
Uhr jeta un œil à sa droite, où Farl et Sam mangeaient tranquillement, en -attendant le résultat de ses négociations. Croisant leur regard, il secoua -légèrement la tête, et les vit prendre un air déçu. -

Le guide prit une autre gorgée, puis reprit.
— Après, si vous n’avez pas froid aux yeux, je connais peut-être l’homme -qu’il vous faut.
— Voulez-vous un autre verre ?
Uhr fit un geste à la tenancière, et il sourit.
— Merci. Il y a un autre guide, un petit jeunot, mais qui passe son temps en -forêt hors des sentiers battus, et il la connaît mieux que sa poche. S’il y a -un type qui connaît cet endroit, c’est lui. Est-ce qu’il acceptera de vous y -conduire, c’est autre chose...
— Savez-vous où je peux le trouver ?
— Il habite une petite maisonnette pas loin. Enfin, habite... il dort là quand -il est dans le coin. -

À cet instant, la tenancière, qui apportait deux nouvelles bières, crut bon -de s’insérer dans la conversation.
— Ragan, tu ne parlerais pas de Zach par hasard ?
— Si, justement. Tu l’as vu récemment ?
Elle posa les boissons sur la table.
— Vous ne le trouverez pas ici. Il est parti il y a trois jours, accompagner -quelqu’un qui allait dans la seigneurie d’Assem. Il est probablement quelque -part en forêt en ce moment.
— Croyez-vous qu’on puisse le rattraper ? demanda Uhr.
Le guide sourit.
— C’est envisageable. Vous avez un véhicule, n’est-ce pas ?
— Une voiture tirée par deux chevaux. Et nous sommes trois. Vous pouvez -nous emmener ?
— Cela dépend. Savez-vous vous défendre ?
Uhr désigna une grande épée à deux mains, dans un fourreau posé sur le -dossier de sa chaise.
— Ça suffira ? Ou pensez-vous qu’on ait besoin d’autres renforts ?
Le guide haussa un sourcil en estimant la taille de l’épée, puis son regard -se posa sur la stature imposante de son interlocuteur, et hocha la -tête.
— Si vous savez vous en servir correctement, ça devrait aller. Trouvez-moi -une monture et nous pouvons nous mettre en route. Enfin, si votre -femme et le petit gars qui sont avec vous n’ont pas peur d’être un -peu secoués. Je ne vous cache pas qu’on peut faire de mauvaises -rencontres...
Uhr sourit en regardant ses compagnons, qui s’étaient replongés dans leur -assiette.
— Il en faut plus que ça pour les secouer, rassurez-vous. -

Farl -

Le sentier était assez large pour y laisser passer la voiture, mais le sol en -terre battue était très inégal et de nombreux trous secouaient régulièrement -le véhicule. Après plusieurs jours, Farl trouvait qu’au final, il était plus -confortablement installé sur le siège du cocher qu’à l’intérieur. De -plus, les chevaux n’ayant pas besoin de beaucoup d’indications, il -pouvait sans soucis laisser les rênes sur ses genoux et s’exercer à -la jonglerie, sous les yeux surpris – au moins la première fois – de -Ragan. -

— Je n’aime pas trop ça, pour être franc.
Farl posa ses balles dans sa main gauche, et tourna la tête vers leur guide, -qui chevauchait devant.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— Je vous ai dit qu’on pouvait potentiellement rattraper Zach... Or on ne -va pas tarder à atteindre l’orée de la forêt, et je n’ai vu aucune trace de -lui.
— C’est si inquiétant que cela ?
Il haussa les épaules.
— Soit il a emprunté d’autres chemins que les habituels, ce qu’il fait plutôt -quand il est seul, soit il lui est arrivé quelque chose.
Il marqua un temps d’arrêt, puis continua.
— Il y a plus de brigands qu’avant. Il paraît que les dernières récoltes ont -été mauvaises dans la seigneurie d’Assem. Cela plus cette histoire de -tournoi je-ne-sais-plus-où, qui amène plein de nobliaux et bourgeois à -voyager...
— C’est vrai que nous avons été attaqués hier... Mais ils n’ont pas -insisté.
Ragan sourit.
— Nous avons eu de la chance là-dessus. Ils n’étaient que trois, en même -temps. Je ne sais pas ce qui les a le plus impressionnés, Uhr et son épée -presque aussi grande que lui, ou toi en train de jongler tranquillement avec -des couteaux sur le toit de la voiture ? Ils ne doivent pas voir ça tous les -jours...
Farl sourit à son tour sans répondre. Il prit une de ses balles et se mit à -jouer avec.
— Dites-moi, honnêtement, ces fameux couteaux... tu ne sais que jongler -avec ?
— Bah, s’il fallait me défendre, je saurais me débrouiller... -

Le guide laissa passer un silence pendant lequel il regarda le jeune -ménestrel, l’imaginant vraisemblablement en train de se « débrouiller » -avec plus de couteaux que ses mains pouvaient tenir face à des adversaires. -Il hocha la tête.
— Avec le bon entraînement, tu serais un vrai tueur...
Farl haussa les épaules en souriant, sans cesser de jouer avec sa balle. Il -n’avait pas tout à fait envie de s’étaler sur le sujet.
— Comment peut-on retrouver le fameux Zach, sinon ?
— Oh, si tout va bien, il sera probablement en train de prendre un verre à -la taverne du village. Ou chez ses parents, comme ça lui arrive de loger -quand il est dans le coin.
— Vous le connaissez bien ?
— Oui, il y a peu de guides qui connaissent la forêt de Sossirant. On se - - -connaît tous, il nous arrive régulièrement de voyager ensemble. -

Farl n’osa pas demander « Et si tout ne va pas bien ? ». Après tout, -était-ce la peine de s’inquiéter ? Il fallait juste espérer que cet homme soit -à la hauteur de sa réputation et puisse les guider. Et qu’ils trouvent quelque -chose là-bas... -

Zach -

Il y avait comme toujours cinq tables rectangulaires en bois massif, -entourées de bancs et de quelques tabourets, et la porte qui menait à la -cuisine avait encore la trace de brûlure qu’il avait toujours connu. -La lumière – à cette heure, essentiellement fournie par la grande -cheminée sur le côté et les plusieurs lampes suspendues sur les murs -– et les odeurs n’avaient pas changé non plus. Comme si rien ne -s’était passé, et rien ne se passait jamais à l’auberge du Renard -Vif. -

Depuis qu’il avait laissé partir Sélène, le paladin et les deux elfes, il -avait erré dans le village sans trop savoir quoi faire. Le contraste entre -l’extraordinaire qu’il avait vécu dans les derniers jours et la routine paisible -qui régnait ici était tel qu’il se demandait presque s’il n’avait pas rêvé toute -cette aventure. -

Il adressa un geste au propriétaire, qui lui répondit par un sourire. -Le brave homme le connaissait depuis qu’il était un petit garçon, -et à part quelques rides et cheveux plus gris de plus, il n’avait pas -changé.
— Zach ! Ça fait un moment ! Viens te joindre à nous !
Il reconnut aussitôt Dacus, un autre guide et ami, installé à l’une des tables. -Il le rejoignit, et salua également deux hommes assis avec lui, habillés en -soldats. Ils lui expliquèrent qu’ils formaient la garde rapprochée d’un riche -seigneur, et qu’ils avaient engagé un guide pour lui faire traverser la forêt -avec sa suite.
— Encore quelqu’un qui se rend au tournoi du duc De Vane ? demanda -Zach.
— Oui, notre maître est un excellent archer. Mais comme beaucoup, il -vient au tournoi surtout pour se faire et entretenir des relations, - - -expliqua l’un des soldats. Après, il ne dédaignerait pas un trophée je -pense...
— Bah, c’est leur jeu, de toutes façons. Et puis, ça nous donne une occasion -de voir du pays, n’est-ce pas ? répondit son collègue.
— Si tant est qu’on n’y reste pas...
Le soldat montra alors son bras en écharpe.
— Oh. Vous avez été attaqués ?
Le guide et les deux soldats hochèrent la tête. Ils racontèrent alors un -affrontement particulièrement violent avec des bandits au milieu de la -forêt.
— J’ai bien cru que j’allais y rester, ajouta le soldat. Je me suis retrouvé à -un moment donné face à trois de ces hommes, et...
— Laisse tomber, c’est pas crédible, ton histoire, tu nous l’a déjà racontée, -interrompit son ami.
Le soldat blessé haussa les épaules et reprit tout de même, en abaissant la -voix légèrement.
— Personne ne me croit, évidemment. Mais j’ai vu certains de mes ennemis -tomber au sol, morts.
— C’était peut-être juste tes compagnons qui sont venus t’aider, que tu n’as -pas vus ? suggéra Zach.
— Aucun d’entre nous n’avait d’arc.
Il sortit de sa poche une flèche brisée qu’il posa sur la table.
— Et je suis sûr que notre maître n’a pas des flèches taillées comme -ça.
Zach fronça les sourcils et observa la pointe. Elle était fine et acérée... il -n’était pas spécialiste en archerie mais il lui semblait bien que les pointes de -flèche standard étaient moins travaillées. Du moins les flèches standard -humaines... Cela pouvait-il être une flèche d’elfe sylvain ? C’était -possible. Il regretta de ne pas avoir observé de plus près les armes -d’Aldariel. -

— Et toi, Zach, qu’est-ce que tu as fait pendant ce temps ?
Il releva la tête brusquement, sortant de sa rêverie. Les soldats avaient -rangé la mystérieuse flèche et s’était reportés sur leur assiette et leur -verre.
— Ah, moi ?
Il réfléchit quelques instants. Il ne pouvait pas tout à fait parler de Sélène... -Enfin si, rien de l’en empêchait, mais il y avait toute une partie qu’il ne -pouvait pas raconter... Et puis la rencontre avec les elfes. Quand bien même -on le croirait, on risquait de se méfier de lui, et de chercher peut-être des -ennuis aux deux jeunes femmes. Et tout ce qui s’était passé ensuite... Il -haussa les épaules.
— Une traversée sans histoire. -

Personne n’insista. Après tout, chacun était libre de raconter ce qu’il -voulait. Il suivit distraitement la suite de la conversation. Il y avait les -interrogations sur le fameux tournoi, et qui y viendrait. Il y avait des -nouvelles de la dernière née de Dacus, qui allait avoir deux ans la semaine -prochaine. Il y avait l’incendie qui s’était déclaré il y a un mois dans la -grange d’un des paysans, et que personne n’expliquait. Il y avait -la cuisine de la taverne, qui était décidément très bonne ce soir, -ou alors c’était parce que la nouvelle serveuse était jolie. Aidé par -le bon repas et le vin, il se laissa bercer par ces histoires, comme -si elles le ramenaient sur terre après une excursion dans une vie -différente. -

Puis, la porte sur l’extérieur s’ouvrit, et parmi les deux silhouettes qui -entrèrent, Zach reconnut immédiatement la première.
— Ragan, quelle bonne surprise ! s’exclama son voisin de droite. -

Sam -

Ils étaient assis, elle et Uhr, sur le petit lit dans leur minuscule chambre. -Le gérant de la taverne leur avait dit qu’il n’avait plus d’autre chambre de -libre, avec tous ces étrangers de passage dans la région. Des tas de papiers -s’étalaient autour d’eux.
— Qu’as-tu tiré d’intéressant sur les... créatures qu’on cherche ? lui -demanda-t-elle.
— Au final peu de choses très précises. Les documents qu’on m’a donnés -sont très vieux, ce sont des récits de voyageurs, ou des traductions -imparfaites de natifs de la région, et il est difficile de faire la part entre -ce qui a été réellement observé et ce qui tient de la légende ou de -l’imagination... Rien sur leur taille, par exemple. Ou plutôt tout et son - - -contraire ! Heureusement qu’il y a les croquis et notes de Mortag, même si -ce n’est pas complet.
— D’où venaient-elles ?
— Des contrées du sud, où elles vivaient tapies dans des grottes à l’abri de -la lumière vive et de l’humidité. C’est un des points sur lequel les différents -témoignages semblent se recouper, et qui est bon à savoir. On ne sait pas -trop quand et comment elles ont disparu. Ici ils parlent d’une aide divine, -invoquée par des humains locaux, pour s’en débarrasser. Là d’une traque -intensive et sans fin pour les éliminer toutes. Dans celui-ci, les elfes noirs les -auraient domestiquées pour chasser les humains de la région, alors que dans -celui-là, ils les combattaient. Je ne suis pas sûr qu’on puisse se fier à -grand-chose...
— Je ne savais pas que les elfes noirs vivaient ici aussi à l’époque.
— Moi non plus. À vrai dire, il faut reconnaître que nous ne savons pas -grand chose d’eux. Cela ne fait qu’à peine un siècle qu’elfes et humains se -parlent, et encore. D’accord, nous avons croisé un ou deux elfes noirs à la -capitale, mais ce n’était peut-être pas bienvenu de l’aborder et lui -demander les archives détaillées de sa nation... Même Silwë, rappelle-toi. -Elle nous parlait de temps en temps de petits détails personnels de -la vie des elfes, mais n’a jamais dit grand chose de l’histoire des -sylvains. -

Sam hocha la tête. Uhr reprit.
— Si on en revient à nos bestioles, il semble assez unanime qu’elles ont une -morsure extrêmement venimeuse. Une morsure tue un humain en une -dizaine d’heures, beaucoup moins pour un petit animal. Si la cible bouge -encore après quelques morsures, elles attendent simplement que le poison -fasse effet.
— Charmant programme.
— D’un point de vue très pragmatique, cela veut dire qu’il suffit d’avoir le -bon antidote. Farl a sélectionné plusieurs antipoisons basés sur diverses -morsures d’araignées connues, et si j’en crois certains de ces textes, ils -devraient fonctionner.
— Si tout va bien. -

Uhr ne répondit pas. Il se contenta de désigner la pile de feuilles qu’il y -avait sur les genoux de Sam.
— Et toi, qu’as-tu trouvé d’intéressant dans ces dossiers ?
Pas mécontente de changer de sujet, elle sortit un petit carnet sur lequel elle -avait résumé ses notes.
— Comme tu le sais, c’est un dossier avec des informations sur tout un -nombre de mages de la capitale, ayant potentiellement un lien avec Mortag -ou Septim. Et ça en fait des noms...
— C’est le capitaine Mazrok qui t’a donné ça ? Il a obtenu ça d’après ses -dossiers de la garde ?
— J’ai des doutes. Je pense qu’il est allé demandé au recteur de l’université -de magie. Il s’agit essentiellement de données administratives : nom, -adresse, origine, domaine de compétence, ... Mais il y a sur certaines fiches -quelques informations rajoutées à la hâte, d’une autre écriture : il a -peut-être cru bon de rajouter certains points intéressants. Pour nous aider, -peut-être ?
— Pourquoi cet excès de zèle ?
— Peut-être qu’il se méfie de certains mages. Peut-être qu’il veut se faire -bien voir du capitaine Mazrok. Peut-être qu’il a une autre raison, je n’en -sais rien. On ne va pas se plaindre.
— Et qu’as-tu tiré de tout cela ? -

Elle soupira et regarda son carnet.
— Septim est originaire de la région. Du comté de Belram, qui n’est pas -très loin d’ailleurs. Fils de tailleur, il est parti à l’adolescence à la -capitale pour finir son apprentissage... Et a découvert une autre -voie.
— Original, un mage puissant venu d’un pays où on craint la magie...
— Il n’est pas le seul. J’en ai noté quatre autres comme ça. Il y a -la fameuse Zanakielle, notamment. Ainsi que trois autres mages : -Plimel, Tenedrinn et Sélène. La dernière de la liste est intéressante -aussi.
— Qu’est-ce qu’elle a de particulier ?
— Déjà, son domaine de magie – le soin – est proche de celui de Septim. -D’après une note ajoutée à la hâte, il était même un de ses professeurs. Et -il y a un détail cocasse, que j’ai noté au cas où : Sélène est la fille aînée du -seigneur Assem.
Uhr ouvrit grand les yeux de surprise.
— C’est bien la seigneurie sur lequel on se trouve ?
— Oui... Mais ce n’est pas ça qui me rend méfiante à son sujet. C’est -qu’apparemment, elle aurait quitté la capitale quelques jours avant -l’« incident ».
— Pour où ?
— On ne sait pas évidemment. Ou plutôt, je ne saurais pas si je -n’avais pas eu l’idée de bavarder avec la femme du propriétaire de -l’auberge.
— Comment pourrait-elle savoir ? demada Uhr, de plus en plus -incrédule.
Sam sourit.
— On l’a vue ce matin, traverser le village, accompagnée d’un jeune et -mystérieux chevalier qui serait allé la secourir.
Il haussa les sourcils.
— Sérieusement ?
— Ce sont des rumeurs, qui valent ce qu’elle valent... -

Uhr se leva.
— Intéressant. Je ne sais pas si cela peut avoir un rapport avec notre -histoire, mais... J’entends du bruit en bas, la salle à manger doit être -pleine. D’après Ragan, nous avons de bonnes chances de croiser le -fameux Zach ici. Farl est peut-être même déjà en bas. Et puis j’ai -faim. -

Uhr -

Lorsqu’ils entrèrent dans la pièce, ils constatèrent qu’il y avait pas mal -d’animation dans la petite salle. À une grande table près de la cheminée -étaient attablés une petite dizaine d’hommes, à la conversation animée et -joyeuse.
— Allez, Farl, montre-nous.
C’était la voix de Ragan, au milieu des rires. Le jeune homme se leva de sa -chaise, en souriant, prit trois couverts en bois et se mit à jongler avec, sous -les applaudissements de son public improvisé. Ce Farl, il ne manquait pas -une occasion de se donner en spectacle, même – et surtout – improvisé. Ce -soir, il avait un certain succès, y compris auprès de la jeune serveuse qui -venait de lui apporter une assiette supplémentaire avec un grand - - -sourire. -

Il jeta un œil à Sam, qui semblait avoir suivi son regard.
— Bah, laissons-le s’amuser. Qu’est-ce qu’il pourrait lui arriver de grave -après tout ?
Ils s’assirent à une petite table de libre et commandèrent à manger. Alors -qu’ils se demandaient comment ils allaient bien aborder le fameux guide, un -homme s’approcha de la table. -

— Je suis Zach. J’ai cru comprendre que vous me cherchiez ? -

L’homme était vêtu de façon semblable à ses compagnons. Pantalon de -toile et bottes de cuir solide, tunique de lin grise, usée et délavée de façon -non-uniforme, comme s’il portait régulièrement un autre vêtement sur son -torse. Il remarqua aussi l’usure caractéristique sur le côté gauche de sa -ceinture, celle que forme, avec le temps, un fourreau d’épée qui y pend -régulièrement. Pourtant, sa carrure état moins imposante que celle de -Ragan et il paraissait nettement plus jeune. Sa réputation était-elle -surfaite ? -

— Effectivement. Asseyez-vous en face. Mon nom est Uhr, voici ma femme -Sam. Nous cherchons quelqu’un pour nous emmener dans certaines régions -peu connues de la forêt de Sossirant. Il semble que vous soyiez le seul à -pouvoir le faire ?
Zach s’assit en souriant.
— Sans vouloir me vanter, il me semble que si je ne peux pas vous y -conduire, alors aucun humain ne le peut. Par quel moyen ? À pied ? -

Au fur et à mesure que la conversation s’engageait sur des détails -pratiques – prix, moyen de transport, matériel –, Uhr commençait -à avoir confiance. Il savait de quoi il parlait. Et après tout, ce ne -sont ni l’âge ni les gros bras qui font un bon guide. Il sembla un -peu hésitant quand à la venue potentielle de Sam, mais un regard -foudroyant de celle-ci le convaincut rapidement. Lui même avait -vaguement essayé de la dissuader de venir jusque dans la forêt – elle -pourrait rester dans la ville et apprendre des choses –, mais vaguement -seulement. Il savait bien que lorsqu’elle avait décidé de faire quelque -chose, la déesse elle-même ne l’arrêterait pas. Alors quelqu’un comme -Zach... - - -

Il craignait un peu qu’il ne leur pose un peu trop de questions sur le but -de leur voyage – s’il prévoyait de lui en parler une fois la ville quittée, il ne -voulait pas détailler tout de suite –, mais s’il fronça légèrement les sourcils -à leur explication vague de recherche de ruines d’anciennes civilisations, il -s’en contenta. -

Lorsqu’Uhr pointa, sur la vieille carte du guide, les zones qu’il comptait -explorer, celui-ci commença par hocher la tête, puis se figea l’espace d’un -instant.
— Par contre, je n’emmène personne ici.
Uhr et Sam le regardèrent, surpris, puis leur regard se porta à nouveau sur -la carte, sur la zone qu’Uhr pointait. Elle n’était pourtant pas si éloignée -que cela de la ville, même si elle semblait très peu fréquentée au vu de -l’absence de chemin qui la parcourait.
— Ailleurs si vous voulez, même là, ajouta-t-il en pointant une zone bien -plus éloignée.
Le visage de Zach s’était fermé, et était devenu indéchiffrable. Il reprit, -alors que Sam ouvrait la bouche pour lui demander pourquoi.
— Les autres guides ne vous emmèneraient pas parce qu’ils ne connaissent -pas cette région. Je ne vous y emmène pas parce justement je la connais. Et -je tiens à ma peau et je suppose que vous aussi.
Il se leva brusquement.
— Attendez. Et si nous y allions avec une meilleur escorte, peut-être -que...
— Si vous me trouvez une armée, peut-être, coupa-t-il.
Il se dirigea vers le comptoir et fit un geste au tenancier, sans dire un mot. -Uhr et Sam se regardèrent, surpris. -

— Hé, Zach, tu ne vas pas nous quitter comme ça quand même !
C’était la voix d’un de ses compagnons de table, qui l’appelait d’un -air enjoué. Le jeune homme sembla hésiter, puis se retourna vers -lui.
— Le p’tit gars a encore des trucs à nous montrer, je suis sûr que ça va te -plaire !
Il pointa du doigt l’autre côté de la table, où Farl faisait tenir un large -couteau en équilibre sur son nez, sous le regard amusé des autres convives. -Zach sembla hésiter, regarda le jeune ménestrel quelques instants, puis - - -sourit en s’approchant de la table.
— Je peux essayer ? -

Sam -

Ils restèrent silencieux quelques instants, regardant le jeune homme -quitter la table.
— Qu’est-ce qui lui a pris ? murmura Uhr.
— Je ne sais pas. Il s’est vraiment braqué d’un coup... Tu crois qu’il -faudrait le rappeler, essayer de lui parler ?
— On peut. Mais j’ai l’impression qu’on a peu de chances. Et sans lui, -impossible de mener à bien notre mission. Mmmh...
Il s’interrompit pour réfléchir. Pendant ce temps, Sam tourna son regard -vers l’autre table. Le jeune guide avait rejoint ses compagnons, parmi -lesquels se trouvait Farl... -

Zach s’était pris au jeu. Il avait récupéré le long couteau et lui aussi le -faisait tenir en équilibre sur son nez. Il se débrouillait plutôt bien, et à en -voir la réaction de la petite foule, ce n’était pas la première fois -qu’il jouait à ce genre de jeu. Et ce soir-là, il avait un concurrent -sérieux... -

Farl lui jeta un œil interrogateur. Elle haussa les épaules en faisant -la moue. Une fraction de seconde plus tard il s’était de nouveau -tourné vers son nouveau compagnon pour lui proposer un nouveau -défi. -

— La zone dans laquelle il refuse d’aller se recoupe en partie avec celle -qu’on devait explorer. On peut commencer par aller voir le reste, et -peut-être que d’ici là... commença Uhr.
Sam l’interrompit en souriant et en posant sa main sur la sienne. — Pour le -moment, je serais d’avis de laisser faire Farl, il a l’air mieux parti que nous -pour lui parler...
Tous deux tournèrent la tête vers la grande table, où les discussions et les -rires allaient bon train. Il sourit à son tour.
— Tu as peut-être raison. Attendons demain. -

Zach - - -

Il secoua la tête tout en foulant l’herbe humide de rosée, comme si cela -lui permettait de chasser ces pensées qui se bousculaient. Il n’aurait -peut-être pas dû... Il y avait un certain nombre de choses qu’il n’aurait pas -dû faire hier soir. -

Boire, pour commencer. Ou tout du moins pas autant. Mais lorsqu’il y -pensait, ce n’était pas la première fois qu’il se faisait cette réflexion, et il -avait beau tenter de se persuader du contraire, une petite voix lui disait que -ça ne serait pas la dernière. Au moins cette pensée-là était habituelle, elle -en était presque rassurante au fond. -

Il n’aurait pas dû refuser tout net ce que proposait Uhr. Surtout qu’il -semblait être le genre de gars à être prêt à payer cher sans poser trop de -questions pour aller là où il voulait. Et après tout, s’il avait refusé, c’était -justement pour éviter les questions... Elles auraient mené trop loin, si on ne -le prenait pas pour un fou. Sélène, Irdann, les deux elfes, les araknes, leur -morsure, Sélène... -

Pourtant la soirée s’était passé plutôt bien ensuite. Il avait fait -connaissance avec ce jeune homme, un ménestrel apparemment, qui avait -voyagé avec Uhr et sa femme. Un jongleur, qui avait épaté la galerie avec -divers tours d’adresse avec tous les objets qui lui étaient passés sous la -main. Il s’était joint au public. Il n’aurait pas dû. Il savait bien qu’il aurait -à un moment donné envie d’essayer, lui-même étant amateur de ce genre de -jeu. Il n’était d’ailleurs pas mauvais, mais face à un vrai jongleur, il savait -bien qu’il n’avait aucune chance. Qui avait suggéré l’idée de le défier sur un -terrain qui était plus le sien ? Était-ce Dacus ? Il n’était plus sûr. Ça -aurait bien pu être le ménestrel. Ou bien lui-même, pour ce qu’il se -souvenait de la fin de la soirée. S’il avait été sobre et s’il n’y avait -pas eu ses compagnons autour de lui, il n’aurait jamais accepté, -évidemment. -

Il marchait depuis presque une heure, et au fur et à mesure que l’air frais -lui éclaircissait l’esprit, il hésitait. Était-ce une bonne idée, d’aller quand -même à ce rendez-vous ? Après tout, il ne connaissait même pas ce jeune -homme. Et puis il avait mieux à faire que d’aller relever des défis -idiots. -

Il soupira. En fait il n’avait pas vraiment mieux à faire, puisqu’il avait - - -refusé le « boulot » d’Uhr. Et puis, il aimait relever des défis, même idiots. -Mais quand même... -

— Héé Zach !
Il tourna la tête. C’était Ragan qui le rattrapait au pas de course. Un grand -sourire barrait son visage.
— Ha, je savais bien que tu n’allais pas te débiner au dernier moment.
L’enthousiasme de son compagnon chassa vite ses interrogations, et il lui -sourit en retour.
— Et l’autre, tu crois qu’il va se dégonfler ?
— Farl ? Ça m’étonnerait.
— Ah, c’est vrai que tu as fait le trajet avec lui, j’avais oublié. Tu le connais -plutôt bien alors...
— Oui. C’est un p’tit gars un peu étrange parfois, mais au fond, il n’est pas -bien méchant.
Il hocha la tête et reporta son regard au loin. Ils étaient tout proches de -leur destination. -

Le lac du Croissant était un endroit magnifique. Il était passé à -plusieurs reprises à côté de ce point d’eau qui devait son nom à la large -falaise qui le bordait sur la moitié de sa circonférence. Si on pouvait voir -quelques grands arbres aux alentours, seuls quelques buissons secs -poussaient au sommet de la barre rocheuse, la faisant apparaître d’autant -plus pâle. Bien qu’à une petite heure de marche du prochain village, -l’endroit était pourtant peu fréquenté. Divers mythes parlaient d’une -malédiction, mais Zach, pragmatique, croyait plus volontiers que l’endroit -présentait en réalité peu d’intérêt : le lieu n’était pas vraiment sur des -routes fréquentées, la terre était pauvre, il y avait peu d’animaux à y -chasser et les alentours regorgeaient de nombreux autres points d’eau plus -fournis en poissons. Son seul intérêt était probablement sa beauté, mais -bien peu de gens pouvaient – ou souhaitaient – prendre le temps de -l’apprécier. -

Farl -

Lorsqu’il aperçut la silhouette de Zach au loin, il laissa un léger sourire -se marquer sur ses lèvres.
— Tu pensais qu’il ne viendrait pas ?
Il tourna la tête vers Dacus, un autre ami de Zach, qui était arrivé en -même temps que lui. Il haussa les épaules.
— Je dois t’avouer que j’ai eu quelques doutes...
— Bah, Zach rate rarement un défi. Quoique, quand il pense vraiment qu’il -va rater... Mais il est là en tous cas. -

Il était là. Un peu nerveux, visiblement, mais lui-même l’était aussi -finalement. Il était venu sans son épée – un fourreau vide à sa ceinture -l’attestait –, mais il lui semblait deviner le manche d’un couteau qui -dépassait de sa botte droite. En dehors de cela, il était venu les mains vides. -C’était plutôt bon signe. -

— Nous y voilà. Alors, qu’est-ce que tu attends de moi ?
— Qu’est-ce que tu veux, j’ai beaucoup entendu parler de toi. Oh je ne -comptais pas te défier sur tes compétences de guide ou de pisteur, elles -sont suffisamment reconnues et ce n’est de toutes façons pas mon -domaine. J’ai déjà eu l’occasion de jouer à des jeux d’adresse avec toi -hier.
Le jeune guide haussa les épaules. Maintenant que Farl y prêtait attention, -Zach semblait nettement plus jeune que ses amis. Il devait avoir son âge, ou -peut-être moins, difficile à dire.
— Évidemment, je ne comptais pas te défier sur la jonglerie.
Son interlocuteur laissa échapper un sourire mais ne répondit pas.
— En fait, tes collègues m’ont dit que tu étais un excellent grimpeur. Et -puis j’ai vu cet endroit...
Il se tourna et désigna la barre rocheuse derrière lui. Zach suivit son geste, -et ses yeux se mirent à briller alors que son sourire s’agrandissait. -
— Je dois reconnaître que cette falaise m’a déjà tenté. Mais je n’ai jamais -vraiment pris le temps...
Farl sourit à son tour et s’approcha de la roche.
— On part en traversée, au ras de l’eau. L’idée est de finir là haut, de -l’autre côté, au niveau de ce petit arbre.
Zach ne répondit pas, et continuait à fixer la falaise, observant et -étudiant le trajet à effectuer. Ragan lui donna une tape sur l’épaule en -souriant.
— Ha, je savais que ça te plairait. J’aurais bien tenté, mais je n’ai pas ton -agilité ! -

Zach se tourna vers lui en souriant.
— Le dernier arrivé paye un pot ce soir ?
— Le dernier arrivé ou le premier à l’eau.
Les deux autres guides approuvèrent en riant. -

Zach -

Le soleil montait petit à petit à l’horizon, et la pierre était très claire. Il -aurait vite chaud. Il se défit de sa ceinture et de son armure de cuir, et -après quelques hésitations, de sa tunique. Après tout, autant être léger, et -puis ses amis pouvaient garder ses affaires. Puis il rejoignit Farl, qui avait -posé son petit sac en cuir noir et s’était approché de la paroi. S’il avait -proposé ce défi, c’est qu’il était plutôt bon grimpeur lui aussi. Mais à quel -point ? -

Alors qu’il passait sa main sur la roche, Dacus lui tendit une flasque -ouverte.
— Tu veux un coup avant d’y aller ?
— Euh, merci mais je crois que j’ai un peu trop bu hier...
Il sourit.
— Oh, il n’y a presque pas d’alcool. Et puis,
Il se rapprocha alors qu’il lui mettait la flasque dans les doigts, et lui fit un -clin d’œil.
— J’ai parié un pichet de vin avec Ragan sur toi, me déçois pas, -hein ! -

Zach sourit et prit finalement une petite gorgée – Dacus n’avait pas la -même notion de « presque pas d’alcool » que lui.
— Je vais faire de mon mieux.
Il tendit ensuite la flasque au jeune ménestrel, qui prit une gorgée à son -tour.
— Bonne chance, Zach.
— Bonne chance à toi aussi. -

Farl - - -

Il se demandait vaguement à quel point ses amis avaient exagéré -les compétences de Zach, mais il fut vite convaincu. Il n’allait pas -particulièrement vite, mais il évoluait avec fluidité et assurance. Il était -aussi plus grand que lui et ses doigts étaient plus fins que les siens, deux -atouts importants. -

Farl décida de couper par un chemin un peu plus court mais plus -technique. Les prises y étaient beaucoup plus petites et rares, et la -progression était plus complexe. Mais il en fallait plus pour arrêter -quelqu’un qui avait passé des années à escalader les murs de la capitale. -Lorsqu’on est habitué à tenir les réglettes fines et humides formées par les -interstices entre les pierres, les petits gratons de roche qu’il trouvait ici -étaient presque confortables. -

Pourtant, il commençait à avoir chaud et regrettait d’avoir gardé sa -tunique à manches longues. Sauf que s’il avait dû se mettre torse nu comme -Zach, il aurait dû, d’une façon ou d’une autre, montrer le fourreau -d’avant-bras qu’il portait dessous. Et on faisait mieux pour inspirer -confiance qu’une arme d’assassin. Maintenant qu’il y pensait, il aurait dû -simplement la laisser à l’auberge, ce n’est pas comme si il craignait -grand-chose... -

En parlant de confiance, est-ce qu’il devait plutôt le laisser gagner ou -pas ? Il tourna la tête rapidement pour voir son avancement. Il était -maintenant juste derrière lui. Leurs regards se croisèrent et ils esquissèrent -tous deux un sourire au milieu de l’effort. Il s’en sortait très très bien. Hors -de question de le laisser gagner. -

Zach -

L’escalade était plus longue que prévue, et il commençait à sentir la -fatigue dans ses avant-bras. Mais Farl, qui avait choisi un autre chemin, ne -semblait pas la sentir. Il ne savait pas précisément ce qu’on apprenait aux -apprentis ménestrels, mais il doutait que l’escalade en fasse partie... -Peut-être venait-il de régions montagneuses où on apprenait à grimper -avant d’apprendre à marcher ? -

Il profita d’une bonne prise pour s’essuyer le front et prendre une grande -inspiration avant l’ascension finale. Il lui restait moins d’une dizaine de - - -mètres à grimper, et il pouvait encore peut-être rattraper son concurrent. -Et vu de près, il lui semblait bien qu’il commençait à fatiguer lui -aussi... -

Mais pas suffisamment. Quelques mètres à peine au dessus de -lui, Farl se hissa sur le replat qu’ils avaient convenu comme lieu -d’arrivée. Il se redressa, puis se tourna vers lui et lui tendit son bras en -souriant. -

Farl -

Zach sembla avoir un instant d’hésitation et une moue. Puis il saisit son -avant-bras tendu et le rejoignit. Il lui sourit.
— Bon, d’accord, tu as gagné, lui dit-il en reprenant son souffle.
— Merci. Tu grimpes très bien aussi. -

Ils restèrent quelques instants silencieux masser leurs avant-bras -endoloris, tout en regardant le paysage, qui était effectivement superbe. Le -lac, la forêt, le village, les champs alentours... Au loin, se dessinait la -silhouette du château du seigneur et la ville qui l’entourait. -

— Je peux te poser une question ?
Farl sortit de sa rêverie brusquement.
— Euh oui.
— Je me demandais si tu avais quelque chose au bras droit. Une blessure, ou -une protection spécifique ?
Il hésita quelques instants, puis se décida à soulever sa manche. Il s’était -déjà dit qu’il aurait dû laisser ça à l’auberge, mais maintenant... -

Zach observa en silence le fourreau de cuir qui entourait son avant-bras, -puis Farl actionna le mécanisme pour libérer la dague, et d’un mouvement -sec la fit glisser dans la main. Il continua de fixer la lame acérée, peinte en -noir pour éviter les reflets. -

— J’avais entendu parler des assassins de la capitale. Mais j’ai toujours -pensé qu’il s’agissait d’une légende ou d’un groupe disparu.
Il essayait de dire cela d’un ton factuel, mais la nervosité pointait dans sa -voix – et il y avait de quoi.
— Les rares personnes à avoir vu cette arme et à être encore en vie sont des - - -amis.
Ce n’était pas la meilleure des tirades, il devait l’admettre, mais les traits de -son interlocuteur se détendirent un peu. Le jeune guide tourna ensuite la -tête vers la rive où les attendaient leurs amis. Il leur fit un geste, puis se -leva.
— On devrait rentrer, dit-il. Par là, ajouta-t-il en pointant du doigt les -buissons rabougris qui poussaient sur la falaise, il y a un sentier qui mène au -pied du rocher. -

Farl remit sa manche et se mit en route à sa suite. Il hésitait à -questionner Zach, mais ce fut lui qui prit la parole au bout de quelques -minutes.
— Tu travailles pour Uhr ?
— Pas vraiment... Uhr et moi sommes amis de longue date et nous -entraidons régulièrement.
— Vous êtes donc tous les trois à la recherche de cette... ruine ? Enfin ça ne -me regarde peut-être pas...
— C’est une histoire compliquée, je ne sais pas si j’ai le droit de te -dire... -

Zach -

Il devait admettre que l’histoire de Farl l’intriguait, mais il avait depuis -longtemps pris la résolution de ne pas questionner trop ses clients -– même potentiels. En général, c’était ce qu’on attendait de lui. -Il avait la certitude que certains des voyageurs qu’il avait escortés -n’avaient pas forcément des activités strictement légales. Surtout -ceux qui demandaient à traverser hors des sentiers, de préférence -discrètement, et qui payaient très bien pour ça, y compris pour son -silence. -

Jusque là, il le savait pour avoir écouté les rumeurs de village, il ne -s’agissait que de petite contrebande ou de petits malfrats qui fuyaient la -région. Il saurait refuser ce genre de marché si on lui proposait quelque -chose de vraiment louche. Il ne savait pas trop où il mettrait cette limite, et -il devait reconnaître qu’il était plus confortable de ne pas poser trop de -questions. - - -

La voix de Farl interrompit ses pensées.
— Tiens, à propos de choses qu’on ne dit pas... Peux-tu me dire pourquoi tu -n’as pas voulu dire précisément quels dangers nous attendent dans la -forêt ?
Il haussa les épaules. Après tout...
— Essentiellement, parce que personne ne m’aurait cru.
Le ménestrel sourit.
— Bah, dis toujours, j’aime bien les histoires extraordinaires. Au pire ça -fera un joli conte à raconter.
Il eut un sourire un peu amer.
— Ça fera une histoire pour faire peur aux enfants pas sages alors...
Il prit une inspiration.
— Lors de ma dernière traversée, nous avons rencontré des créatures -cauchemardesques et mortelles, des sortes d’araignées géantes, appelées -araknes... -

Il s’interrompit, remarquant que Farl était resté quelques pas en arrière. -Son visage s’était figé sur une expression de surprise.
— Je sais, c’est complètement incroyable, hein...
Farl était tout pâle.
— Plus que tu ne crois. Enfin, moins même.
— Quoi ?
Il le rejoignit, et posa sa main sur son épaule en hochant la tête.
— Zach... Tu veux bien m’accompagner jusqu’à l’auberge du Renard Vif, où -nous avons nos chambres ?
— Euh oui...
— Tu voudras bien expliquer tout ça à Uhr et Sam aussi ? Nous n’allons -pas le crier sur les toits, rassure-toi.
— Euh... d’accord, mais pourquoi ?
Le jeune ménestrel marqua une pause, semblant chercher ses mots.
— Tu vois cette histoire plus ou moins crédible de ruine antique que -recherche Uhr ?
Il hocha la tête.
— Ce qu’il cherche est bien chose d’« antique », qui est censé avoir disparu -depuis des siècles... mais ce n’est pas un tas de cailloux. -

Zach se tut quelques instants, le temps de comprendre.
— Oh. -

Sam -

Uhr déplia la carte sur le lit de la chambre de l’auberge, qui était -décidement trop petite pour quatre personnes.
— Si je résume bien, toi et ta cliente avez fait ce trajet, passant par là, et -là, dit-il en dessinant une trajectoire au crayon sur le papier. Et vous avez -croisé des araknes où déjà ?
— Ici, précisa Zach, en pointant la carte. Nous avons ensuite traversé la -rivière là, ce qui nous a mis à l’abri de ces créatures.
Uhr hocha la tête et se tourna vers elle.
— On est d’accord qu’elles ne peuvent pas traverser de rivière ?
Elle secoua la tête en relisant les quelques notes qu’ils avaient.
— En principe non. Sauf s’il y a un pont dans le coin, peut-être.
— C’est trop reculé pour que des hommes soient venus construire des ponts, -à ma connaissance. Il y a quelques gués, au mieux.
— La zone clé est donc située entre cette rivière et son affluent, ce n’est pas -si grand comme région. C’est une très bonne nouvelle, ajouta Uhr en -souriant.
— Tu trouves ? lui demanda-t-elle.
— On nous a demandé d’enquêter sur la présence possible de ces bestioles -dans la forêt, pas forcément d’y aller et de leur serrer la pince. Le -témoignage de Zach est déjà très riche ! -

À condition qu’il dise bien la vérité, pensa-t-elle. Elle voulait en parler -discrètement à Uhr et Farl, mais elle était sûre qu’il mentait. C’était -absurde, pourtant, qu’il invente une histoire pareille. Et pourtant, la façon -dont il en parlait, ses gestes parasites, tout son corps exprimait qu’il -mentait. Ou alors il ne disait pas tout, peut-être ? Cette hypothèse était un -peu plus crédible. Il faudrait trouver le moyen de le questionner, mais -peut-être un peu plus subtilement que directement... -

— Il est évident que je vais essayer d’envoyer un rapport écrit. Mais -réfléchissez, si nous rentrons maintenant avec ces informations, reprit Uhr, -c’est sûr que... celui qui nous envoie sera plutôt satisfait...
Il jeta un œil à Zach. Évidemment, il ne pouvait pas tout dire devant - - -lui.
— ... Et que va-t-il faire à votre avis ? Envoyer quelques hommes pour -enquêter... Et comme il souhaite – a priori – que ce soit dans la discrétion, il -va éviter de mettre trop de monde au courant. Je vous laisse donc deviner -qui va devoir y aller.
— Oui, mais nous pourrions avoir des renforts, ou de l’équipement -adapté, ajouta Farl, plongé jusque-là dans l’inspection de son sac à -dos.
— Quel meilleur équipement pourrions-nous avoir qu’on ne pourrait pas -trouver ici ? répondit Sam. Et en plus, les informations de Zach sont plus -utiles que la plupart des livres qu’on pourrait trouver à la capitale... Et nous -serions quatre.
Elle tourna la tête vers Zach.
— Enfin, si tu acceptes de nous emmener là-bas. -

Tous tournèrent la tête vers le jeune guide, qui ne semblait pas très -emballé par l’idée.
— Cela reste dangereux... Même si avec des équipiers avertis ce n’est -peut-être pas complètement suicidaire...
— Bien sûr, nous serons prudents, ajouta Uhr. Nous n’allons pas nous jeter -dans le nid de ces bestioles, nous voulons juste des informations -plus précises sur leur apparition, ou plutôt leur réapparition dans -nos contrées. De plus, Farl est expert en poisons, et a prévu des -antidotes.
— Certes...
— Par contre, tu ne seras pas surpris si, quelle que soit ta décision, je -te décourage très fortement de parler de cette histoire autour de -toi.
— Tu m’as suffisamment payé pour cela, je crois.
— Ça pourrait t’attirer des ennuis.
Zach fronça les sourcils.
— Je dois le prendre comme une menace ?
— Non. Enfin si, mais pas de ma part. Je ne peux pas tout te dire -mais...
Uhr lui jeta un regard, ainsi qu’à Farl.
— ... Disons qu’on a de bonnes raisons de croire qu’un type s’est fait - - -assassiner pour l’avoir su. -

Zach resta quelques instants silencieux. Puis il prit la parole.
— Si vous en avez les moyens, nous pouvons louer des montures pour -chacun d’entre nous pour aller un peu plus vite. Mais la voiture ne fera -que nous encombrer puisque le trajet se fera hors des sentiers. Par -contre...
Il tourna la tête vers Sam en fronçant les sourcils. Elle lui jeta un regard -noir. S’il me dit que c’est trop dangereux pour moi, je lui en colle une, -pensa-t-elle.
— Le père Hersur, qui loue des chevaux, ne fait habituellement pas dans le -transport délicat. Il n’a pas de selle amazone. Cela te pose un problème de -monter comme un homme ?
Elle ravala mentalement sa baffe.
— Ah oui, pas de problèmes.
— Parfait. -

Ce type mentait peut-être, mais au moins, il ne la prenait pas pour une -stupide vendeuse de fleurs incapable. -

Uhr -

Ils étaient partis le lendemain matin. Tout était allé très vite. Sam avait -organisé avec Zach leurs provisions – pour eux et leurs montures – pour le -trajet, Farl avait trouvé une petite tente et des couvertures pour -être un peu plus à l’aise qu’à la belle étoile, tandis que lui-même -s’occupait des chevaux. Il avait toujours été très à l’aise avec ces -animaux. Il n’y avait pas de chevaux dans sa tribu natale, mais petit, il -était fasciné d’observer ces animaux à l’état sauvage, ou montés par -des barbares de tribus rivales un peu plus avancées. Plus tard, à la -capitale, un de ses premiers petits boulots – et un de ses préférés – -avait été celui de garçon d’écurie, et il s’y connaissait plutôt bien -maintenant. -

Il avait choisi deux chevaux de taille moyenne, qui ne payaient pas de -mine mais dociles et endurants. Ils n’avaient pas besoin de pur-sangs -nerveux et rapides pour aller dans la forêt. À ceux-là s’ajoutaient leurs -chevaux d’attelage, deux grands percherons qu’ils avaient achetés à la - - -capitale. Lui et Sam montaient l’un de ses chevaux, qui en plus étaient -chargés de la majorité du matériel. Farl et Zach ouvraient la route, tout en -discutant. -

— Je me demande, commença-t-il à l’intention du guide, pourquoi nous -sommes passés devant les restes d’un grand feu, sur le sentier.
Zach tourna la tête vers eux, mais Sam répondit avant lui.
— Ah, ça, je sais. C’est l’histoire dont je t’ai parlé hier, Uhr, et dont tout le -monde parle... La nuit précédente, une horde de brigands aurait attaqué -une noble dame et un chevalier serait venu à son secours... On raconte qu’il -a combattu cent hommes, durant toute la nuit, et qu’il a pu en venir à bout, -gravement blessé. Au matin, il aurait traversé le village sur sa monture, -avec sa dame, pour la ramener en son château et s’effondrer d’épuisement -sur le pont-levis. -

Zach haussa un sourcil, retenant un sourire.
— Hé bien, commença Uhr. Et les cendres ?
— Les villageois sont venus nettoyer l’endroit et ont brûlé les corps.
— Et quelle est la part de vrai là-dedans, s’il y en a une ?
Sam sourit.
— Quoi, un brave chevalier contre cent brigands, ce n’est pas crédible ? Je -plaisante. J’ai recoupé quelques informations çà et là... tout n’est pas très -clair. Mais il y avait vraisemblablement une dizaine d’hommes. Et, comme -je te l’ai dit hier Uhr, la noble dame en question n’est autre que Sélène de -Quayle. -

Le demi-sourire de Zach se figea, en même temps que Farl se retournait -pour suivre la conversation.
— ... mais peut-être que notre guide, qui est du coin, est plus au courant -que nous ? reprit-elle.
Le guide en question poussa un soupir et se retourna vers la route.
— J’étais avec les habitants du village quand il a fallu... nettoyer la route. -Ce n’était pas un travail agréable croyez-moi... Je confirme la dizaine, -ajouta-t-il. Et la dame en question est bien la fille du seigneur Assem, -Sélène. Pourquoi ? Vous la connaissez ? -

Uhr hésita. Que pouvait-il lui dire ? Il jeta un regard à Sam, qui fit une -moue. Apparemment, pour elle, non. Le regard de Farl passa de Zach à lui, - - -et dans l’autre sens. Puis il haussa les épaules. Il lui laissait la décision. -Après tout, lui donner quelques éléments et observer sa réaction pouvait -être intéressante...
— Nous avons quelques éléments qui nous font penser qu’elle pourrait être -liée à cette histoire d’araknes.
Zach lui tournait le dos, semblant observer attentivement la route. Mais il -avait quand même sursauté, et son cheval aussi.
— Euh, je ne sais pas ce qui vous fait penser ça, commença-t-il après un -petit moment de silence. Mais je suis persuadé qu’elle n’a rien à voir -là-dedans.
— Qu’est-ce qui te fait dire ça ? Tu la connais ?
Le guide ne répondit pas tout de suite. Il arrêta sa monture, mit pied à -terre, et désigna un fourré. De là partait un étroit sentier, probablement -taillé par des animaux.
— C’est par là. J’ouvre la marche, suivez-moi.
Puis il se retourna vers lui, hésita, mais ajouta tout de même :
— Quand je suis tombé sur ces créatures, elle était avec moi. Nous avons -fait face tous les deux. -

Il se remit en selle et s’engagea dans les sous-bois. Farl le suivit, puis -Sam, non sans lui avoir jeté un regard surpris. Il se retrouva à fermer la -marche. Le sentier, qui n’en était pas vraiment un, était bien trop étroit -pour qu’ils puissent marcher à deux de front. Ils avaient convenu de cette -configuration, qui était probablement la meilleure, mais pas pour discuter. -Et Zach était tout devant... -

Sam se retourna sur sa selle pour lui parler à mi-voix.
— Comment se fait-il qu’il ait été avec elle ? Que vient faire le chevalier -là-dedans ? Je ne comprends plus, ou alors il nous raconte n’importe -quoi !
— Cela expliquerait qu’on ait perdu trace de Sélène aux abords de la -forêt... Si elle a décidé d’engager un guide pour traverser la forêt -discrètement...
— Tu crois qu’on peut faire confiance à ce guide ? Ce n’est pas parce qu’il -est réputé pour ses compétences de pisteur qu’il n’est pas impliqué dans -une histoire compliquée.
— Je n’en suis pas tout à fait sûr, évidemment. Mais dans ce cas, pourquoi - - -aurait-il accepté de nous emmener là où sont les araknes, maintenant qu’il -sait ce qu’on cherche ?
— Il pourrait nous emmener dans un piège... -

Il resta quelques instants silencieux, se concentrant sur sa monture qui -avait du mal à passer un fossé avec son chargement. Oui, ils étaient -peut-être en train de courir droit dans un piège. Il se rassura en -se disant qu’il avait envoyé un messager avec un rapport précis, -et chiffré, au capitaine Mazrok. Mais il mettrait plusieurs jours à -arriver.
— Sam ?
Elle se retourna à nouveau.
— Oui ?
— Penses-tu que tu pourrais envoyer un message par enchantement au -capitaine ? Ce soir ?
Elle haussa les épaules.
— C’est épuisant, mais s’il le faut... Tu veux que je dise quoi ?
— Lui expliquer brièvement la situation, et où nous allons ? Qu’il s’alarme -de ne pas avoir de nouvelles de nous d’ici une semaine ?
— Il ne retiendra pas tous les détails, dans un rêve, mais je suppose qu’il -saisira l’idée. J’imagine que tu aimerais que j’y mette le visage de -Zach...
— Pourquoi pas.
— Par contre, il va falloir que je m’isole pendant un bon moment... Ce ne -sera pas très discret. On lui dit quoi ?
— On lui dit tout.
— Quoi ? Tu es fou ?
— Il est pour le moment seul avec nous trois. Il saura que nous avons -envoyé ces messages. Que peut-il faire ?
Sam marqua un temps d’arrêt avant de répondre.
— Tu marques un point. Je ne suis pas sûre que ce soit une très bonne idée -mais... fais comme tu le sens. -

Zach -

Le soir était tombé. Ses compagnons l’avaient aidé à installer le -camp avec une certaine efficacité, ils n’en étaient pas à leur première - - -expédition dans la forêt, semblait-il. Ils s’étaient installés autour d’un -petit feu de camp pour partager leur repas, et l’ambiance était assez -détendue. -

— Penses-tu que nous aurons besoin de monter la garde cette nuit ? -demanda Uhr.
— En cette saison et dans le coin, je m’en passe habituellement. Mais vu les -circonstances...
— Tu fais référence à ce qui s’est passé il y a quelques nuits aux abords du -village.
Il soupira. Il aurait voulu éviter de parler de cet incident, mais...
— Oui. -

Uhr semblait avoir senti sa réticence. Il marqua une pause, puis -reprit.
— Écoute, j’ai l’impression que tu ne veux pas raconter ce qui s’est vraiment -passé lors de ta dernière trarsée, avec Sélène.
— Euh...
— Je n’en connais pas la raison, même si j’ai une petite idée là-dessus. Or -il se trouve que savoir ce qui s’est réellement passé nous aiderait -beaucoup dans notre mission... Alors je vais tout te révéler de la -nôtre. Si, après ça, tu estimes toujours nécessaire de garder ton -secret...
Uhr échangea un regard avec Sam et Farl, qui hochèrent la tête. Puis il -commença son récit. -

Le feu avait sérieusement diminué. Il rajouta machinalement -quelques branches. Quelque chose lui disait qu’ils n’étaient pas encore -couchés.
— Voilà, tu sais à peu près tout ce que nous savons de cette affaire. Quant à -Sélène... Elle fait partie de ces gens qui connaissaient Septim, et qui a -quitté la ville peu de temps avant cet... accident.
— Vous allez m’apprendre que Sélène est une magicienne ?
— Oui, répondit Uhr en soupirant. Tu as deviné, n’est-ce pas ?
— Non. Je le savais déjà, et c’est la raison pour laquelle j’évitais de vous -parler d’elle à la base. -

La surprise se dessina sur le visage de ses trois interlocuteurs. Il étendit - - -sa jambe droite, et désigna un accroc réparé sur son pantalon.
— Une de ces créatures m’a mordue. Sans ses soins magiques, je serais -mort.
Il marqua une pause, puis soupira. Au point où il en était.
— Et puisque j’y suis, je vais vous raconter le reste. -

Farl -

Le feu s’était presque éteint. Il commençait à être tard.
— Je comprends mieux ton hésitation, commença-t-il. Des créatures -cauchemardesques, une cliente qui s’avère être une sorcière, des elfes -trouvées sur le chemin, et un paladin qui débarque d’on ne sait-où, je pense -qu’il y a de quoi te demander d’aller décuver.
Zach eut un sourire amer.
— Dans le meilleur des cas, oui... Honnêtement, reprit-il, si je ne vous avais -pas rencontrés, je crois qu’au bout d’un moment j’aurai cru avoir rêvé tout -cet épisode.
Sam hocha la tête.
— J’imagine. Rassure-toi, pour nous cela ne pose pas de problèmes. Nous -croisons régulièrement à la capitale des mages et des elfes, et nous -n’avons rien contre eux. Surtout Farl, ajouta-t-elle en lui adressant un -sourire.
Il haussa les épaules. De toutes façons, il n’avait pas de nouvelles d’elle -depuis un moment alors... Et puis il n’avait pas envie de parler de tout cela -maintenant, alors qu’ils avaient plus important à s’occuper. De toutes -façons, Zach n’avait heureusement pas relevé cette remarque. -

Zach -

— Avec tout ça, j’ai du mal à imaginer Sélène avoir un rapport avec votre -affaire... Pourquoi aurait-elle voulu traverser la forêt seule avec moi, sachant -qu’elle risquait de rencontrer les araknes ?
— C’est vrai, admit Uhr. Mais d’après ton récit elle n’avait pas l’habitude -d’aller en forêt. Tu aurais eu des doutes si elle t’avait demandé de changer -de route au milieu, non ?
Il se remémora les premiers jours avec la jeune femme. Si en réalité elle -connaissait la forêt, elle était excellente comédienne.
— Elle m’a tout de même sauvé de la morsure de ces créatures, en prenant -le risque de révéler le fait qu’elle est magicienne...
— Elle devait savoir que, sans toi, elle n’avait aucune chance de sortir de la -forêt ? proposa Sam. -

Il devait admettre que l’argument était plutôt logique. Elle avait eu -l’air aussi horrifiée et effrayée que lui de rencontrer ces créatures. -Mais avait-il vraiment observé ? Il avait vraiment du mal à imaginer -Sélène en complice de meurtre et en comploteuse. Mais si c’était -vrai ?
— Cependant je reconnais, reprit Uhr, interrompant ses pensées, que si elle -savait à propos de ces créatures, il aurait été plus malin d’attendre le convoi -officiel une semaine plus tard. Sauf si elle avait une raison de quitter la -province au plus vite...
— Vous pensez encore sérieusement qu’elle a quelque chose à voir -là-dedans ? insista-t-il.
Uhr haussa les épaules.
— Disons que je reste pour le moment réservé sur ce sujet. -

— En dehors de cela, ajouta Sam, on peut tout de même noter un point -important : deux autres personnes sont au courant pour les araknes, les -deux elfes dont tu m’as parlé.
— Oui. Et elles se rendent au château du duc De Vane, pour ce fameux -tournoi de tir à l’arc. Je leur ai conseillé de ne pas passer par les grandes -villes. Pourquoi ? Vous voulez leur parler aussi ?
— Oh, je suis peut-être un peu paranoïaque. Je ne pense pas qu’« on » -cherche à les faire disparaître, mais... penses-tu qu’elles arriveront saines et -sauves à leur destination ?
Zach marqua une seconde de pause, le temps de se remémorer les flèches -acérées de l’une et l’épée tranchante de l’autre.
— Ça devrait aller.
— Cela dit, interrompit Uhr, l’idée d’aller leur parler n’est pas si absurde. -Ne serait-ce que pour les prévenir. Mais nous n’en avons pas le temps, nous -avons une autre mission en vue.
Sam se leva.
— Oui. En ce qui me concerne, je vais... aller envoyer un message.
Elle jeta un regard à son compagnon, qui sembla comprendre.
— Pardon ? Comment ça ? demanda Zach.
— C’est un peu compliqué à expliquer pour le moment. Par contre, c’est -trop épuisant pour qu’en plus de cela, je monte la garde ce soir. Ça ira à -vous trois ?
— Euh oui.
— Je commence, proposa Uhr. -

Il y avait eu un peu trop d’informations ce soir pour qu’il se préoccupe -de ce détail. Il vérifia rapidement l’état du feu et s’enroula dans sa -couverture. Il vit Farl faire de même. Il remarqua alors que le jeune -ménestrel était resté silencieux durant la fin de la conversation, -probablement épuisé lui aussi. -

Farl -

La journée s’était déroulée sans encombres, et ni Zach, ni ses deux -compagnons n’avaient abordé leur affaire compliquée. L’ambiance était -plutôt détendue, et ils avançaient plutôt efficacement, même si les chevaux -n’allaient pas aussi vite que sur un vrai sentier. -

On était en fin d’après-midi. Il commençait à faire chaud, et la petite -rivière qu’ils venaient d’atteindre avait un côté rafraîchissant rien qu’à la -regarder.
— Est-ce la rivière dont tu nous as parlé ? demanda-t-il.
— Oui, répondit Zach. C’est l’un des nombreux cours d’eau qui se jettent -dans l’Indécise, la fameuse rivière qui serpente dans toute la région. Celui-là -n’a même pas de nom, à ce que je sache. Nous avions traversé par un gué, -qui doit être un peu en amont, suivez-moi. -

Quelques minutes plus tard, leur guide mit pied à terre face à l’eau. -La rivière était plus large à cet endroit, ce devait être le fameux -gué.
— Ça va, Zach ?
Il sembla sortir de sa rêverie.
— Hein ? Oui. Voilà l’endroit où nous avons traversé.
— Tu as l’air ailleurs, insista-t-il.
Il haussa les épaules.
— Juste des souvenirs de cette fameuse nuit qui me reviennent... - - -Bon, que fait-on alors ? reprit-il en se tournant vers les deux autres -cavaliers.
— Inutile de courir vers le danger. On peut probablement observer d’ici, à -l’abri.
— Je croyais qu’elles n’allaient pas d’approcher du cours d’eau ? ajouta -Sam.
— Hm... tu as raison. On ne risque pas de voir grand chose en plus de nuit. -Il faudra donc aller voir directement... Commençons par installer le camp -pas loin d’ici. -

Il n’était pas très étonnant que la rivière n’ait pas de vrai nom. -Même si elle n’était pas si petite, les alentours étaient tellement -envahis de végétation que peu d’hommes devaient s’y promener. -D’ailleurs...
— Tiens je pense à quelque chose. Zach, tu sais grimper aux arbres je -suppose ?
— Oui, pourquoi ?
— Je me demandais si on ne pouvait pas s’installer dans un de ces grands -arbres, ce soir, pour observer ce qui se passe.
— Pourquoi pas, remarqua Uhr tout en déchargeant sa monture. De ce que -j’ai compris, les araknes adultes sont trop lourdes pour grimper aux arbres. -Qu’en penses-tu Zach ?
— Je n’y avais pas pensé, mais c’est vrai que ce n’est pas bête, admit-il. Je -ne crois pas les avoir vues grimper, donc nous pourrions vérifier leur -présence à l’abri... Par contre il faut trouver un moyen de rentrer, ou -décider de passer la nuit dans un arbre.
— Bah, tu as l’habitude, n’est-ce pas, Farl... ajouta Sam en souriant.
— Comment ça ? ajouta-t-il en fronçant les sourcils.
— Évidemment, reprit-elle en lui faisant un clin d’œil, tu y serais -en moins bonne compagnie qu’avec Silwë... sans vouloir te vexer, -Zach. -

Zach -

— Zach ? Tu sais, je ne cherchais pas du tout à te vexer, c’est juste que -Farl a...
— Tu as bien dit Silwë ? interrompit-il brusquement.
— Euh oui...
— Est-ce que beaucoup d’elfes sylvains portent le même nom ?
Farl qui leur avait tourné le dos à la remarque de Sam se retourna vers -lui.
— Une jolie petite elfe aux cheveux clairs très longs et aux yeux bleus, qui -se bat comme un diable avec une épée ?
— J’ai rencontré trop peu d’elfes pour savoir si ces critères sont -suffisamment sélectifs, mais ça correspond, oui...
— Comment va-t-elle ? Où est-elle ?
Le ménestrel s’était presque précipité sur lui. Heureusement, la veille au -soir, il n’avait pas détaillé précisément la façon dont il avait adressé la -parole à Silwë pour la première fois... Farl l’aurait probablement mal -pris.
— Aux dernières nouvelles, elle est en route vers le château du duc De -Vane, avec la princesse qu’elle protège... Et elle allait très bien la dernière -fois que je l’ai vue. J’avais cru comprendre qu’elle avait vécu un moment à -la capitale, avec les humains...
— Oui, pour y apprendre entre autres l’escrime chez maître Ernest, -interrompit Uhr. C’est là que je l’ai rencontrée.
— Sacrée coïncidence, commenta Sam.
— Mmh, pas tant que ça, si on y réfléchit, ajouta Uhr. Il ne doit pas y avoir -tant de sujets du roi des elfes qui ont une bonne connaissance des -humains.
— Mais j’y pense, Silwë connaissait le paladin que nous avons rencontré. -Peut-être que vous aussi ?
— Un paladin ? Cela ne peut être qu’Irdann alors. Irdann De Vane ?
— Oui... -

Ils continuèrent à installer le camp en silence.
— Hé bien, reprit Uhr après un moment, au moins nous avons une raison -personnelle de nous intéresser à cette histoire, puisque deux de nos amis y -sont impliqués.
— Probablement sans le savoir d’ailleurs, ajouta Sam.
— Quand cette histoire sera terminée, j’aimerais en tous cas faire un détour -par le duché De Vane... pas vous ? demanda Farl.
— Pourquoi pas, répondit Uhr en souriant. Mais je ne sais pas quand tout - - -cela sera terminé... -

Zach continua à préparer un feu de camp, se demandant s’il irait voir ce -fameux tournoi, comme ça, juste par curiosité. Sélène avait parlé -de s’y rendre, elle y était invitée, mais elle hésitait. Quant à lui... -bah, à quoi bon ? Même s’il y allait, elle lui serait aussi inaccessible -qu’avant, même encore plus, entourée de gardes et de serviteurs qui ne -laisseraient pas un gueux comme lui s’approcher d’une noble dame. Il -pourrait toujours regarder le spectacle des archers venus du monde -entier, ce qui pouvait être divertissant. Mais tout ce trajet juste pour -ça... -

— Zach, tu viens ?
Il attrapa par réflexe la corde que Farl venait de lui lancer.
— On va repérer les lieux, voir si on peut effectivement observer des -araknes sans être à leur portée, et rentrer sans danger. Non que ça -me dérange de passer la nuit avec toi dans un arbre, ajouta-t-il en -souriant, mais j’aimerais profiter du repas avec les autres quand -même.
Il se leva, et après avoir vérifié qu’il avait son épée et son couteau, le suivit -vers la rivière.
— Restez à portée de voix. S’il se passe quelque chose d’anormal, on pourra -vous venir en aide, rappela Uhr.
— Cela dit, je ne sais pas si on verra quelque chose ce soir, ajouta Sam. Il y -a de l’orage dans l’air, il va peut-être pleuvoir...
— On peut toujours aller voir, répondit Farl. -

Farl -

Ils mirent assez peu de temps à trouver le bon point d’observation. Zach -avait retrouvé l’endroit où ils avaient rencontré les araknes la première fois, -et ils avaient repéré un arbre moyen d’où ils pourraient observer la petite -clairière en sécurité. L’arbre était suffisamment serré contre un autre pour -qu’ils puissent, en cas de besoin, passer sur l’autre sans toucher le sol. De -là, ils avaient installé une corde qui leur permettrait de revenir sur -un troisième un peu plus loin. Cela ne les menait pas encore à la -rivière, mais suffisamment près pour qu’en courant ils soient à l’abri, si - - -tout allait bien. Mais peut-être n’auraient-ils pas besoin de tout -cela... -

Même une branche confortable paraît dure au bout d’un moment. Pour -s’occuper, il passait en revue son matériel. Il avait des bandages et plusieurs -ampoules d’antidote, au cas où. Et s’il fallait affronter les sales bêtes en -question, ou d’autres, il avait ses dagues de lancer.
— Belle quincaillerie, commenta Zach.
— Merci. Contrairement à toi, j’ai plus l’habitude de me battre au -corps-à-corps... Face aux araknes, je pense que c’est une mauvaise idée, -alors j’ai pris quelques armes à distance. Mais elles ne sont pas vraiment -faites pour du combat de masse... Je n’en ai pas beaucoup.
— Elles sont empoisonnées ?
— En général oui, là je pense que c’est inutile donc je n’ai pas pris la peine. -Mais j’espère ne pas en avoir besoin.
— S’il pleut, il y a effectivement des chances qu’on ne s’en serve -pas.
Il continua son inventaire. Un peu à manger, une gourde, une couverture -légère, une petite lanterne de poing et de quoi l’allumer.
— La lanterne va être nécessaire ? demanda Zach.
— J’aimerais m’en passer, mais je n’ai pas des yeux d’elfe... soupira-t-il.
— Hm... moi, si.
— Quoi ?
Il se retourna vers son compagnon, surpris.
— En général, je ne le crie pas sur les toits – ou les arbres –, mais je peux -voir dans le noir, comme eux.
Il dévisagea le guide pendant quelques instants. Il avait déjà croisé pas mal -d’hybrides elfe-humain à la capitale. Probablement parce que c’était un des -rares endroits où ils pouvaient vivre tranquille. Certains ressemblaient plus -ou moins à des elfes ou à des humains, parfois la différence avec l’une ou -l’autre des catégories était fine. Silwë lui avait dit qu’il y en avait -probablement plus que ce qu’on ne l’imaginait en réalité. Zach pourrait très -bien être l’un d’eux.
— Si tu avais du sang d’elfe, tes parents te l’auraient dit je suppose ?
— Mes parents adoptifs n’en savent pas plus que moi, ils m’ont récupéré -nouveau-né. Mais mes frères, pour me taquiner me traitaient d’elfe, parce - - -que j’étais beaucoup plus frêle qu’eux.
Il ne savait pas trop comment réagir à cette confession.
— En général, par chez nous, ce n’est pas très gentil. Mais au final, reprit-il -en souriant, ils m’aiment bien, et ils étaient quand même là pour défendre -leur petit frère adoptif, donc...
Son visage se figea brusquement. Il baissa la voix et pointa son doigt vers les -sous-bois.
— Là-bas.
Il se retourna sans bruit et suivit la direction indiquée. Il commençait à -faire sombre, mais il voyait encore bien. -

Il avait vu quelques illustrations d’araknes sur papier. Il avait vu leur -description et s’était préparé à leur rencontre. Mais il ne put s’empêcher -d’avoir un frisson lorsqu’il vit trois de ces créatures passer à ses pieds. Une -quatrième arriva, traînant difficilement ce qui ressemblait à une jeune biche -ou un faon. Les autres bêtes aidèrent la première à traîner l’animal, qui -bougeait encore légèrement.
— Quand je pense que j’ai été mordu par une de ces horreurs... murmura -Zach tout près de lui.
— J’avoue que ça fait froid dans le dos... Combien de voyageurs égarés ont -ainsi succombé ? Et dire que Silwë, et les autres...
Zach se redressa et secoua la tête.
— Je crois que ni toi ni moi n’avons envie d’imaginer tout ça. Si on essayait -plutôt de voir où elles vont ? On peut progresser un peu par les arbres et -essayer de voir...
— Tu as raison. Il commence à faire sombre, par contre, tu crois que ces -sales bêtes seraient attirées par la lumière ?
— Aucune idée, mais si tu allumes ta lanterne, je verrai moins bien au loin, -et ce serait dommage.
Il haussa les épaules.
— J’ai l’habitude de grimper dans l’obscurité, mais c’est tout de même plus -compliqué.
— Je t’aiderai. -

Zach -

Il fallait se mettre en route, dans une direction ou une autre, bouger. - - -Tout plutôt que de penser à ce qui aurait pu lui arriver si Sélène n’avait -pas pu le soigner. La progression par les arbres n’était pas aisée, -mais les araknes n’allaient pas très vite de toutes façons. Farl se -débrouillait étonamment bien, pour quelqu’un qui voyait mal. La -nuit n’était pas encore totalement tombée, et comme il le disait, il -avait dû s’entraîner dans ces circonstances... Mais son aide était -appréciée. -

Arriva une autre clairière, où il n’y avait plus d’arbre suffisamment -proche pour suivre les créatures.
— Raté. Est-ce qu’on essaie de les suivre à pied ? proposa Farl.
Comme pour répondre à sa question, une autre arakne, seule, passa sous -leur arbre.
— Euh, je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée, répondit-il en la -pointant du doigt. Il y en a d’autres en chasse...
Farl plissa les yeux, et vit la créature.
— En effet. Cela dit, elles ont l’air d’aller en ligne droite, on peut peut-être -essayer de viser où elles vont ?
— Bonne idée.
Il attrapa la branche au dessus de lui et se hissa.
— Ça va, tu arrives à suivre Farl ?
— À peu près... Il y a un peu plus de lumière là-haut. -

Cet arbre-là ne surplombait pas la forêt, mais il la connaissait assez pour -viser la direction où les araknes semblaient aller.
— Je ne vois pas très bien, elles sont bien là-bas ? demanda Farl en le -rejoignant. -

À cet instant, un éclair illumina la scène d’une lumière blanchâtre. -Le temps d’une fraction de seconde, tous deux purent distinguer -clairement une dizaine d’araknes, toutes tournées dans une même -direction. -

Sam -

L’éclair fut suivi rapidement d’un coup de tonnerre. -

— Tiens, un orage.
Elle sourit.
— Je t’avais prévenu. On devrait installer la tente peut-être ?
— Oui, sinon on sera trempés d’ici quelques minutes. Et Zach et Farl seront -contents de pouvoir se mettre au sec...
— À ce propos, je m’inquiète un peu pour eux... On devrait peut-être aller -voir s’il leur est arrivé quelque chose.
Il se leva pour sortir une grande toile d’un des sacs, et se tourna vers -elle.
— On ira faire un tour si tu veux. Rien de ne presse, montons l’abri plutôt. -
— Comment peux-tu être si calme dans cette situation ? Et s’il leur était -arrivé quelque chose ?
Il lui sourit.
— Comme tu l’as dit, il va pleuvoir, probablement violemment, d’ici -quelques minutes à peine. Or les araknes ne supportent pas l’eau n’est-ce -pas ?
— ... C’est vrai.
Elle rejoignit Uhr, et l’aida à tailler une longue branche d’arbre à l’aide d’un -coutelas.
— Et il faudrait se dépêcher si on ne veut pas que toutes nos affaires soient -trempées, reprit-il. -

Farl -

Il était resté figé, aveuglé. C’était comme si l’image était restée -imprimée au fond de ses yeux et l’empêchait de voir autre chose. Une main -se posa sur son bras.
— Farl ? Je suppose que tu as vu tout ça ?
— Oui...
— On va voir ? -

Ses yeux étaient en train de se réhabituer lentement à l’obscurité -et il distinguait la silhouette de Zach à côté de lui, mais pas son -expression.
— Je ne pense pas que ce soit très sûr, dit-il, tout en sortant, à tâtons, une -corde de son sac.
— Elles ont l’air de fuir l’orage qui arrive. Mais ça ne veut pas dire qu’elles -ne sont pas dangereuses, je te l’accorde... Mais qu’est-ce que tu comptes - - -faire avec ça ?
— Bah, descendre. Ce n’est pas parce que c’est dangereux qu’on ne va pas y -aller, non ? -

Il ne pouvait pas voir le visage de Zach, mais il aurait juré qu’il avait -souri. -

Zach -

Grâce à la corde de Farl, ils furent très vite au sol. Aucune arakne -n’était visible, même par lui, et il se détendit un peu. Ils se détendirent un -peu, mais même sans se concerter, ils sortirent tous deux leurs armes, et -firent quelques pas prudents. -

— Je vois très mal, qu’est-ce qu’on voit là-bas ? demanda Farl.
Le ménestrel-assassin était à l’aise dans le noir, mais il n’avait pas la chance -d’avoir ses yeux...
— C’est l’animal que les araknes ramenaient. Je crois qu’elles l’ont -abandonnée pour courir plus vite... -

La biche gisait sur le flanc, et tenta vainement de se redresser lorsque les -deux hommes s’approchèrent. Farl s’agenouilla près d’elle, et alluma une -petite lanterne de poing pour observer l’animal de plus près. La pauvre bête -bougeait à peine, et semblait avoir de la peine à respirer. Il détourna son -regard pour surveiller les environs, alors que les premières gouttes d’eau -commençaient à tomber. Il était certain d’avoir vu des créatures -passer pas très loin, et il n’était pas tout à fait sûr de leur forme... -Il eut un léger frisson et serra un peu plus fort la poignée de son -épée. -

Farl -

Il se redressa brusquement, alerté par un bruit trop proche pour être -rassurant. Il laissa tomber sa lanterne et se mit en garde instinctivement, ses -lames au poing. Il eut juste le temps de voir Zach, de dos, donner un coup -d’épée sur une silhouette indistincte. Deux morceaux tombèrent au sol avec -un bruit mat. -

Une seconde éternellement longue passa, mais aucune autre menace ne -sembla sortir des buissons. Zach se tourna vers lui, et lui fit signe de venir. Il - - -ramassa la lanterne et s’approcha. -

La forme correspondait bien à une arakne, du moins une demi-arakne. -Son « sang » noir et visqueux se répandait sur le sol, et il voyait la -chitine de la carapace s’abîmer légèrement à chaque goutte d’eau qui -tombait.
— Farl... on ferait peut-être mieux de ne pas traîner, non ?
— Tu as raison, murmura-t-il. -

Il revint auprès de la biche étendue, ramassa son sac, et juste avant de -partir, lui trancha la gorge.
— C’est probablement le mieux qu’on puisse faire pour cette pauvre -bête.
Zach ramassa, avec prudence, un morceau de ce qui restait de l’arakne, et ils -s’éloignèrent rapidement, sous la pluie qui s’intensifiait. -

— Zach ?
— Oui ? Si tu n’arrives pas à voir où tu vas, essaie juste de me suivre... -avec la pluie et l’obscurité...
— Ça va. Je voulais juste te dire merci. -

Il ne répondit pas, et continua son avancée au pas de course vers la -rivière. -

Uhr -

Ils prirent peu de temps à installer la large branche entre deux troncs, et -par dessus la toile qui formait un petit abri dans lequel ils devraient se -serrer à quatre avec leur matériel. Les chevaux pourraient bien dormir sous -la pluie. Il avait beau avoir une certaine confiance en Farl et Zach, ainsi -qu’en la protection – théorique – qu’offrait l’orage, il ne pouvait s’empêcher -d’être un peu nerveux. Sam, à côté de lui, scrutait la rivière en tremblant -légèrement, le coutelas à la main, prête à bondir au moindre bruit -inquiétant. -

— Ils sont là ! s’écria-t-elle en pointant du doigt des silhouettes floues à -travers le rideau de pluie, qui s’était épaissi.
Les deux hommes, trempés mais indemnes, s’engouffrèrent sous la tente, et -tous deux poussèrent un soupir de soulagement. - - -

L’abri était effectivement petit, et le feu était à l’entrée pour laisser la -fumée s’échapper. Farl et Zach se déshabillèrent pour tenter de sécher, tout -en racontant ce qui s’était passé. -

— En conclusion, reprit Farl en s’enveloppant dans une couverture, on a -bien des araknes, j’ai à peu près identifié leur venin, et on confirme leur -non-tolérance de l’eau.
— Et je dois pouvoir retrouver l’endroit où elles semblaient toutes -converger, ajouta Zach en l’imitant.
Uhr suivait la conversation, tout en observant le morceau de arakne. Il était -très abîmé, à la fois par l’eau et la lame de Zach. Il prit un petit carnet qui -était resté au sec et commença à en faire un croquis le plus précis -possible.
— À quelle distance se trouverait ce lieu selon toi ?
— Passe-moi les cartes, Sam... Oui, oui, je sèche mes mains d’abord. Les -créatures couraient dans cette direction, au pied des montagnes Guéralek. -Est-ce qu’elles visaient le haut ou juste ici, je ne sais pas... Mais il me -semble qu’il y a plein de grottes dans le coin, donc c’est crédible. C’est assez -proche en fait... quelques heures de marche à pied, un peu moins à -cheval.
— Tu penses qu’on peut trouver quoi d’intéressant, à part peut-être le nid -de ces sales bêtes ? demanda Sam.
— Peut-être autre chose, répondit Uhr. Réfléchissez : si ces créatures ne -supportent pas la pluie, c’est quand même surprenant qu’elles aient survécu -ici depuis tant de temps... sauf si on les y aide. -

Il releva les yeux de son croquis pour observer ses compagnons. Sam -semblait toujours aussi déterminée. Farl aussi, mais un peu moins, -probablement le fait d’avoir vu de près les araknes l’avait un peu refroidi. -
— Et si on tombe sur un dangereux mage qui élève ce genre de créature, on -fait quoi ? demanda Zach.
— On improvise ? proposa Uhr.
— C’est vrai que ça serait bête d’être arrivés jusque là pour faire demi-tour -maintenant, ajouta Sam. -

Zach ne semblait toujours pas très enthousiaste, mais il sembla - - -acquiescer à la remarque de Sam.
— Tu n’as pas l’habitude de voir des mages, n’est-ce pas ? lui demanda-t-il.
Il haussa les épaules en terminant de se sécher.
— C’est à dire... La seule que j’aie recontrée c’est Sélène. Mais ça ne -compte pas, elle est gentille, elle...
Elle est surtout vraisemblablement jolie et sait faire tourner les têtes et les -cœurs, pensa-t-il.
— C’est une guérisseuse, comme l’était Septim, avant de se mettre à -étudier la métamorphose. L’un des meilleurs... et un de ses professeurs.
Zach haussa les épaules à nouveau, puis se tourna vers la petite marmite à -l’entrée de la tente et en souleva le couvercle.
— Tout ça m’a donné très faim... On peut manger ?
— Pareil, enchaîna Farl, qui n’avait pas l’air mécontent non plus de changer -de sujet. -

C’était peut-être idiot de chercher à le provoquer sur le sujet, après -tout, pensa-t-il en se servant une part de soupe bien chaude. Si ladite Sélène -l’a aveuglé ou charmé pour se couvrir ou couvrir ses complices, ce pauvre -Zach n’y est probablement pour rien. -

Sam -

La pluie avait cessé au milieu de la nuit, et la météo s’annonçait plutôt -agréable. Ils prirent le temps de faire sécher leurs affaires et de se préparer. -C’est peu après un repas rapide à midi qu’ils traversèrent le gué, et -s’approchèrent de l’endroit où, d’après Zach et Farl, les créatures s’étaient -réfugiées. Le paysage était un peu moins arboré, et plus rocheux. Comme le -disait leur guide, ils étaient proches des monts Guéralek, et c’était peu -surprenant. C’est seulement une vingtaine de minutes après la rivière qu’ils -durent mettre pied à terre. -

— Je crois que les chevaux vont avoir du mal à aller par ici, dit Uhr en -montrant le chemin qui s’ouvrait à eux.
L’amas rocheux devant eux n’était pas très pentu, et eux n’auraient -probablement aucun mal à le gravir, mais avec toutes ces irrégularités et -pierres qui ne tenaient qu’à la mousse qui poussait dessus, les chevaux -risquaient de se blesser sérieusement. Ils les attachèrent près d’un arbre, et - - -commencèrent leur ascension. -

Sam ne regrettait décidément pas son pantalon. Même si quelques -villageois l’avaient regardée de travers au village, pour monter à cheval -c’était infiniment plus confortable, et pour marcher dans ce chaos avec une -robe longue aurait vraiment été un enfer...
— Regardez, sur la gauche !
Elle releva la tête. Uhr, qui marchait devant elle, montrait du doigt un -renfoncement rocheux important.
— Ça ressemble à une grotte. On va voir ?
Tous les trois opinèrent, et le suivirent. -

C’était une sorte de large grotte, peu profonde et très éclairée, -partiellement encombrée de végétation poussant dans de nombreuses -fissures. Ils repérèrent rapidement, à l’entrée d’une des failles, quelques -filaments collants qui ne ressemblaient pas à des toiles d’araignées -ordinaires. Comme le fit remarquer Uhr, les araknes ne laissant quasiment -aucune trace au sol, il fallait bien se fier à un indice ou un autre. -

Farl et Zach sortirent du renfoncement, et ayant repéré un petit filet -d’eau qui tombait en cascade non loin de là, commencèrent à le -détourner pour qu’il pénètre dans la faille. La tâche n’était pas -facile et demandait quasiment d’escalader pour atteindre l’eau. Uhr -et elle, se sentant peu utiles dans ce genre d’acrobaties, se mirent -à fouiller la grotte un peu plus méthodiquement. Au bout d’une -dizaine de minutes, son compagnon lui désigna un pan de roche -cachée derrière un buisson. Couverte en partie de mousse, et bien -dissimulée derrière les broussailles, se trouvait une sorte de dalle de -pierre, qui semblait fermer, de l’intérieur, une ouverture dans la -paroi. -

Zach -

— Farl, Zach, venez voir !
Le petit filet d’eau commençait à couler doucement dans vers la grotte, mais -le débit était trop peu important pour vraiment inonder la faille. Au -mieux, cela ferait peut-être une flaque pour gêner ces sales bêtes. -Il fit un signe de tête à Farl et tous deux redescendirent dans la - - -grotte. -

— Qu’est-ce que c’est ? Une porte, ou juste un rocher qui y ressemble ? -demanda Farl.
— On dirait, répondit Uhr.
— Ça pourrait peut-être être naturel... Tu en penses quoi, Zach ? -
Il ne répondit pas et examina le buisson et la mousse que le soldat avaient -dégagés. La mousse poussait partout sur la paroi rocheuse, tout comme ce -genre d’arbuste. Il désigna ses racines.
— Soit il y a peu de terre dans cette grotte, soit tu es vraiment plus fort que -je ne l’imaginais, Uhr. D’habitude, ce genre de plante enfonce ses racines -jusque dans les plus petites failles de la roche, et ça ne s’arrache pas si -facilement.
— Je vais me vexer, fais attention, reprit Uhr en souriant. Mais c’est vrai -que c’est curieux. Comme si cet arbuste avait été planté ou replanté exprès -ici...
Zach haussa les épaules et se releva.
— C’est tout à fait probable. Il y a quelques mois, un an tout au -plus.
— Cela ne répond pas à une question essentielle, ajouta Sam. Si ceci est une -porte, comment s’ouvre-t-elle ? -

Il n’y avait ni poignée, ni serrure à l’étrange porte, et aucun mécanisme -n’était visible sur les parois alentours.
— Soit c’est un accès qui a été condamné, soit elle ne s’ouvre que de -l’intérieur. Il semble que ce pan de rocher est appuyé de ce côté, proposa -Farl.
— Ce qui signifie, dans les deux cas, qu’il y a un autre accès, compléta -Uhr.
— Se pourrait-il que ce panneau soit déplacé par magie ? suggéra -Sam.
— Ah ça, c’est vous les experts en magie, pas moi, répondit Zach. Ce qui -m’inquiète, c’est plutôt ce qu’on va trouver derrière, si on arrive à -l’ouvrir.
— Tu as vraiment envie de voir ce qu’il y a derrière cette porte ? lui -demanda Uhr en souriant. Pas peur des mages ou d’autres créatures - - -démoniaques ?
— Maintenant qu’on est arrivés jusque là, ce serait dommage de s’arrêter -non ? répondit-il en souriant à son tour. -

Pendant ce temps, Farl s’était approché de la dalle pour l’observer de -plus près.
— Je ne sais pas quel est le poids de cette chose, mais même si nous avions -une dizaine d’hommes, il n’y a aucune prise pour l’attraper !
— On dirait qu’il y a un léger jour si on gratte la terre au sol, ajouta Sam -qui s’était agenouillée.
— Ça ne nous aide pas beaucoup, rétorqua Farl. Si la dalle n’était pas trop -grosse, on pourrait peut-être utiliser un levier, mais...
— Nous non, mais avec un peu d’aide divine... -

Samantha se tourna vers Zach et le dévisagea un moment. Puis elle se -tourna vers Uhr en le pointant du doigt.
— Je n’avais pas pensé à... lui.
— Tu pensais à quoi de précis, Sam ?
Elle le fixa d’un air gêné et répondit à mi-voix à son compagnon.
— Je ne peux pas lui montrer... certaines choses.
— Tu pensais à utiliser... mais comment ? Ça peut marcher ?
— Je crois que le pouvoir est assez puissant, en tous cas il paraît que -certains l’ont réussi, mais je n’ai jamais essayé.
Uhr hocha la tête.
— Ça vaudrait le coup d’essayer... -

Ils parlaient d’une voix relativement faible, mais il ne pouvait -s’empêcher de les entendre. Qu’est-ce qu’ils cherchaient encore à cacher ? Il -jeta un regard à Farl, toujours accroupi au pied de la porte, mais qui avait -lui aussi écouté le dialogue d’Uhr et Farl. Il regarda dans sa direction, puis -vers les deux autres et se leva.
— Si tu veux, Sam, on peut aller faire autre chose avec Zach. Par exemple, -chercher le reste de notre équipement, ou...
— Non, ça ira, coupa-t-elle d’un air excédé. De toutes façons, autant qu’il -sache, mais je te préviens Zach...
Elle fit quelques pas vers lui.
— Tu as peut-être l’habitude qu’on te dise de garder le secret n’est-ce - - -pas ?
Il hocha la tête sans répondre. Ce n’était pas comme s’il avait tendance à -tout raconter même en temps normal...
— Essaie de ne pas oublier cette promesse-là, alors. Parce que cette fois, -ce n’est pas les gens que nous pourchassons qui en voudront à ta -peau. -

Uhr -

Il eut presque pitié du pauvre Zach qui n’avait pas mérité ces menaces, -en plus de tout ce qu’il avait dû encaisser depuis le début du voyage. -Mais Sam avait l’air un peu calmée, c’était déjà ça. Si elle voulait -utiliser un enchantement divin, c’était peut-être mieux... Quoique. -
— Tu as besoin de quelque chose ?
— Trouvez-moi quelques glands en bon état, et essayez de dégager quelques -buissons pour avoir le maximum de lumière au pied de la porte. Et si vous -pouvez trouver de la meilleure terre, humide et riche, c’est encore mieux. -
Ils s’éloignèrent et mirent peu de temps à préparer tout ce qu’elle -demandait. Puis, à sa demande, ils s’éloignèrent tous les trois. -

— Tu l’as déjà vue à l’œuvre, Uhr ? lui demanda Farl.
— Non. Elle ne l’a jamais fait devant moi.
Zach les regarda en fronçant les sourcils.
— Est-elle une magicienne ? demanda-t-il.
Il sourit.
— Elle est mieux que ça. Ou peut-être pire, ça dépend du point de vue. Tu -vas voir.
— On peut regarder ? demanda-t-il inquiet.
— Oui. Elle a dit que ça ne posait pas de problèmes, mais qu’on ne la -dérange pas. Et ne t’inquiète pas pour les menaces qu’elle a proférées à ton -encontre, en général, évite de foudroyer les gens, ce n’est pas très -discret. -

Tous trois se perchèrent sur un rocher en contrebas. Ils pouvaient voir -l’entrée de la grotte, et Sam qui s’affairait au pied de l’ouverture. Puis, elle - - -se redressa, et resta quelques secondes immobile, les yeux fermés. Enfin, elle -entama une douce mélopée, tout en se déplaçant lentement. La lumière du -soleil qui arrivait maintenant au pied de la dalle se mit à briller plus -fort, comme lorsqu’un rideau couvrant une fenêtre s’écarte, laissant -pleinement entrer la clarté du jour. Et aux pieds de Sam, dans la -terre fraîchement retournée, une pousse, puis deux commençèrent à -sortir. -

Sous leurs yeux ébahis, les arbrisseaux se mirent à pousser, sous -la dalle de pierre. Elle avait commencé à chanter plus fort, et les -plantes semblaient suivre les accents de son chant, mais bientôt un -bruit sourd couvrit sa voix. Lentement, doucement, les racines et les -branches qui s’affermissaient poussaient, soulevant la dalle sur un -côté. Après un temps qu’il n’aurait pas su mesurer, le pan de pierre -perdit son équilibre et bascula vers l’arrière, s’écrasant dans un grand -fracas. -

Zach -

Il resta quelques instants abasourdi, figé, le regard fixé sur l’ouverture et -la poussière qui s’en dégageait.
— C’est l’œuvre d’un dieu ça... murmura-t-il.
— De la déesse Melna, lui répondit Uhr à côté de lui. Mais tu sais...
Il posa une main sur son épaule.
— Il ne faut pas croire tout ce qu’on dit sur les prêtresses.
— Ah ?
— La réalité est bien au-delà, ajouta-t-il en souriant. Allez viens, elle nous -appelle. -

Il suivit Uhr et Farl qui s’étaient élancés vers l’entrée du trou. Il avait -l’impression de commencer à comprendre beaucoup de choses sur Sam, mais -il ne savait toujours pas s’il devait se réjouir ou s’inquiéter de la -situation. Il n’avait de toutes façons pas vraiment le temps d’y réfléchir -longuement, mieux valait profiter du fait qu’elle soit de son côté... pour le -moment. -

Sam s’était assise à côté de l’ouverture, les yeux mi-clos, quelques -gouttes de sueur ruisselant le long de son front. Les trois hommes restèrent - - -silencieux quelques instants devant les deux petits chênes qui avaient, en -poussant, soulevé la dalle de pierre. Celle-ci gisait, fracturée à de nombreux -endroits, sur le sol à l’intérieur de ce qui semblait être une autre grotte. -L’obscurité qui y régnait, en contraste avec la luminosité ambiante, ne -permettait pas de voir l’intérieur, aussi Zach fit-il quelques pas à -l’intérieur. -

Farl -

— Tu y vois quelque chose, Zach ? demanda Farl.
— C’est un couloir taillé dans la roche, répondit-il. Il a l’air de monter puis -part légèrement sur la droite après une vingtaine de mètres... Prenez de -quoi y voir et venez.
— Il a de bons yeux, notre guide, dis donc, murmura Uhr à son -intention.
— Je t’expliquerai. Rejoignons-le vite. -

Farl et Uhr entrèrent à leur tour, munis d’une petite lanterne. Le sol, -plat et quasiment dénué de mousses ou de poussières, indiquait clairement -que ce couloir avait été emprunté récemment. Zach, à peine visible dans le -faible rayon d’action de la lanterne, les avait précédés jusqu’au fameux -coude.
— Tu crois que c’est prudent d’aller au bout de ce couloir ? lui demanda-t-il.
Pour toute réponse, le guide dégaina son épée en haussant les épaules.
— Ce n’est pas comme si on pouvait espérer être discrets...
Il avança un peu plus loin dans l’obscurité. Uhr fit de même et courut dans -le couloir à sa rencontre. Il s’apprêtait à faire de même lorsqu’il -entendit des exclamations et beaucoup trop de bruits de pas pour -deux personnes. Il glissa la lanière de la lanterne à son poignet et -dégaina d’une seule pensée ses couteaux tout en s’élançant à leur -suite. -

Passé ce léger tournant, le couloir continuait encore sur une trentaine de -mètres, puis il s’ouvrait de nouveau sur le jour, si ses yeux ne le trompaient -pas. De cette extrémité, couraient vers eux trois silhouettes, s’ajoutant aux -deux hommes qui se trouvaient à portée d’épée de Zach et Uhr. Des cris -indistincts lui parvenaient.
— Des intrus !
— Ils sont armés !
— Ne les laissez pas s’enfuir !
— Mais d’où viennent-ils ? -

Ses deux amis occupaient toute la largeur du couloir, et étaient de -toutes façons plus à même de combattre au corps à corps que lui. Il rangea -rapidement ses lames, inutiles, et sortit un dard de lancer empoisonné. Mais -viser correctement risquait d’être compliqué...
— Farl ! cria Uhr entre deux coups d’épée. Repli !
Il connaissait trop bien son compagnon pour douter de la pertinence de son -ordre. Il sortit de l’une de ses poches de sa tunique une fumigène, qu’il -lança à leurs pieds en criant.
— Attention !
Un nuage opaque obscurcit brusquement la lumière venant de l’autre -extrémité. Il vit volte-face et courut vers l’entrée, où Sam s’était relevée en -entendant le bruit et scrutait le tunnel d’un air inquiet.
— Aux chevaux ! lui cria-t-il. -

Juste avant de bondir dans la lumière extérieure, Farl jeta un œil -derrière lui. Uhr courait, sortant du nuage de poussière, tirant par -le bras un Zach qui se couvrait les yeux de la main. Il n’avait pas -eu le temps de le prévenir de l’effet de la fumigène évidemment... -Il rejoignit en quelques bonds Sam, et ils se plaquèrent contre un -rocher en contrebas pour reprendre leur souffle en attendant les deux -autres. -

Au même instant, Uhr jaillit hors du tunnel, sautant par dessus les -arbustes, et traînant toujours Zach qui semblait péniblement reprendre ses -esprits, mais qui heureusement suivait son compagnon sans poser de -questions. À peine quelques secondes derrière eux, leurs adversaires sortirent -eux aussi. -

Sur le seuil de la grotte, deux silhouettes. La première était celle d’un -homme d’une haute stature, une épée longue à la main. La seconde était -celle d’une femme aux cheveux courts, protégée par une épaisse armure de -cuir noir et qui tenait un bâton à la main. Ses yeux se mirent soudain à -luire et la lumière sembla se concentrer autour de son bâton. Farl concentra - - -sa prise sur son dard de lancer.
— Attention ! hurla Sam. -

Uhr -

Uhr tourna la tête en entendant le cri de Sam, pour voir un jet de -lumière orangé et blanc jaillir depuis l’entrée de la grotte, dans leur -direction. Il eut à peine le temps de lâcher le bras de Zach pour sauter sur le -côté gauche. Celui-ci, qui entretemps avait récupéré l’usage de ses yeux, -s’écarta sur la droite, mais pas assez vite. -

Le trait incandescent toucha Zach au milieu du dos, dans un -horrible bruit de cuir et de chair brûlés. Celui-ci poussa un cri et tomba -à genoux. Le trait de lumière ondulait toujours autour d’eux, tel -un fouet de lumière brûlante. Uhr se retourna, saisit Zach d’une -main, le chargea sur son épaule et tout en reculant, plaça son épée -entre eux et l’étrange serpent de lumière, prêt à parer un éventuel -coup. -

Le filament de lumière s’enroula brusquement autour de l’épée, et le -métal de la lame devint rouge. Uhr recula –encore quelques mètres et il -serait derrière un rocher– alors que le « fouet » s’élançait de nouveau en -l’air. La chaleur transmise à son arme commençait à lui chauffer la main, -malgré la protection de la poignée de son épée. Quand bien même il -arriverait à parer un troisième coup, il ne pourrait probablement plus tenir -son arme... -

Mais le troisième coup ne vint pas. À la place, la lanceuse de sort poussa -un cri et s’effondra, soutenue par l’homme qui était à ses côtés. Il était -difficile de bien distinguer à cette distance, mais il lui semblait voir un petit -objet métallique planté dans son cou, laissé découvert par son épaisse -armure. Farl. -

Il rejoignit rapidement Sam, qui avait dévalé le massif montagneux. -Semblant sortir du décor, comme à son habitude, le jeune ménestrel -assassin se mit à courir à ses côtés. -

Sam -

Sam ne comprenait pas vraiment tout ce qui s’était passé, sauf une - - -chose bien claire, c’était qu’il fallait fuir. Elle ne perdit pas de temps en -questions, et arrivée la première, elle se hâta de détacher tous les chevaux -et de monter en selle. Farl et Uhr la suivaient de près, soutenant Zach, qui -semblait à demi-conscient, le visage crispé par la douleur. Au moins il était -vivant, pensa-t-elle avec un frisson.
— Tu penses pouvoir monter à cheval ? lui demanda Farl.
— Je pense que ça ira... répondit-il faiblement. -

Uhr le hissa sur sa monture, puis les deux hommes montèrent en -selle.
— Je crois qu’ils ont lancé quelqu’un à notre poursuite, ne traînons pas, -cria Farl.
— Allez vite vers le gué, je vous couvre, répondit-elle tranquillement. -

Elle ferma les yeux un instant. Juste un petit brouillard, une petite -brume locale pour couvrir leur fuite... elle venait d’invoquer un charme -extrêmement puissant, mais si elle pouvait avoir encore un tout petit peu de -grâce divine pour ça... -

Elle pouvait entendre le bruit du galop des chevaux, et déjà, des cris de -rage puis de surprise venant de l’autre direction. Elle ouvrit les yeux, et ne -vit que du blanc à quelques mètres autour d’elle. Elle eut un sourire satisait -et lança sa monture au galop pour rejoindre les autres. Un peu plus et -elle-même les perdait de vue... -

Farl -

Il fermait la marche avec Sam. Il était difficile de savoir si on les -poursuivait avec le bruit du galop des chevaux, mais quelques cris au loin ne -lui donnaient pas beaucoup d’espoirs. Pourtant, si leurs poursuivants avaient -des chevaux, il leur faudrait probablement un peu de temps pour les faire -passer par le passage et descendre le massif... à moins qu’ils n’aient une -autre solution ? -

Devant lui, Zach s’était courbé sur sa monture, qui ralentissait. Sam -le vit, et lui fit un signe. Elle accéléra, et arrivée à la hauteur du -blessé, lui murmura quelque chose et attrapa ses rênes. Guidant son -cheval d’une main et celui de Zach de l’autre, elle leur fit aisément -rattraper leur retard. C’est vrai que Sam avait appris l’équitation avec - - -Uhr, qui était un des meilleurs cavaliers qu’il connaissait... et c’était -heureux. -

Après une course effrénée qui lui sembla durer un siècle, Uhr leur fit -signe de ralentir. Ils étaient sortis du brouillard depuis bien longtemps, et ils -n’entendaient que les bruits de la forêt autour d’eux.
— Inutile de tuer les chevaux. On va continuer plus lentement, en cherchant -plutôt à masquer nos traces.
— On retourne en ville ? Ils ne vont pas nous y trouver ? s’inquiéta -Sam.
— Si. Mais il sera plus compliqué de nous trouver ou d’agir là-bas qu’au -milieu de la forêt. -

Ils se remirent en route au pas. Ils coupèrent d’abord tout droit en -direction du village d’où venait Zach, puis changèrent plusieurs fois de -direction pour brouiller les pistes. Ils marchèrent ensuite dans un petit -ruisseau pendant un moment. L’eau glacée rafraîchissait les jarrets brûlants -des chevaux, tout en ne laissant aucune trace derrière eux. Malgré toutes -ces précautions, Farl passa le reste du trajet à surveiller le moindre bruit -suspect derrière lui. -

Le soir arriva, rien ne s’était passé. Zach était de plus en plus pâle et -s’était contenté, durant le trajet, d’enrouler la crinière de son cheval dans -ses mains pour ne pas tomber. Il fallut le soutenir pour qu’il ne s’effondre -pas en descendant.
— On mange un morceau et on souffle quatre ou cinq heures pas plus, -ordonna Uhr en sortant du matériel des sacoches.
— N’est-ce pas risqué de s’arrêter quand même ? interrogea Sam.
— Les chevaux sont épuisés, inutile de les tuer, nous en avons besoin pour -continuer demain, répondit-il en secouant la tête.
— On va monter la garde je suppose ? Pas de feu ?
— C’est ça. Essayez quand même de dormir un peu, ça ne serait pas inutile. -Comment va Zach ? -

Farl, de son côté, avait aidé le guide à s’asseoir et avait commencé à -dégager son dos. La brûlure formait un trait courbe partant de son flanc -gauche vers le milieu du dos, dessinant un arc qui s’enroulait. Il parvint à -dénouer son armure de cuir, sérieusement noircie, mais il dut déchirer sa - - -tunique pour dégager la plaie.
— Pas terrible, répondit-il. Tu peux faire quelque chose ? -

Ils nettoyèrent la blessure avec ce qu’ils avaient, mais Uhr, qui avait -appris à recoudre les plaies ouvertes et poser des attelles, ne pouvait rien -pour une telle brûlure. Il se contenta d’appiquer un baume et un bandage -pour le protéger. Puis ils mangèrent leurs quelques provisions tout en -faisant le point.
— Si tout se passe bien, nous devrions sortir de la forêt demain en début de -matinée, commença Uhr.
— Et ensuite, que fait-on ? On ne peut pas laisser Zach dans cet état, ajouta -Farl. C’est à cause de nous qu’il est comme ça...
Il lança un regard à son compagnon. Il avait réussi à manger un peu, et -s’était allongé sur le ventre, pâle mais conscient.
— Les médecins sont-ils bons, dans ce pays ? demanda Sam.
— Tu veux vraiment montrer une brûlure comme celle-ci à un médecin ? Il -faudrait lui expliquer d’où elle vient...
— Et je doute qu’il puisse faire des miracles de toutes façons, coupa Uhr. -Ce qu’il lui faut, c’est soit du temps, soit un mage soigneur.
— Il n’y a qu’à la capitale qu’on peut trouver ça, et le trajet est beaucoup -trop long, non ? ajouta Farl.
— Cela ferait d’une pierre deux coups : il faut absolument qu’on -rapporte au capitaine Mazrok tout ce que nous avons vu, fit remarquer -Uhr.
— Tu n’y penses pas... Le trajet est long, dangereux, et pénible pour un -blessé... D’autant plus dangereux avec tout ce que nous avons à raconter, -objecta Farl.
— Que veux-tu faire d’autre ? demanda Sam, un peu énervée. Trouve donc -un soigneur efficace dans la région !
— Il y a Sélène... -

Ils se retournèrent vers Zach, qui avait ouvert les yeux et s’était redressé -sur son coude.
— Tiens, tu as tout suivi ? lui demanda Farl.
Il hocha la tête. Il était toujours aussi pâle. Les trois autres échangèrent un -regard, puis se tournèrent à nouveau vers lui.
— Où est-elle ? demanda Farl.
— Elle est partie avec le paladin, Irdann. Au château de son père, le -seigneur Assem. Je ne sais pas si elle y est toujours... Elle devait partir pour -le fameux tournoi, ou peut-être pas ? Je ne sais plus...
— Mais peut-on lui faire vraiment confiance ? Si elle est de mèche avec nos -adversaires, c’est se jeter droit dans leurs griffes...
— Je suis prêt à prendre le risque, au point où j’en suis, coupa Zach. Et n’y -allez pas avec moi, inutile de risquer de vous compromettre.
Sam regarda alternativement le blessé et Farl puis leva les yeux au ciel. Soit -Zach était vraiment mal au point, soit il était vraiment accro à cette fille... -Peut-être les deux.
— C’est bien beau, répliqua Sam, mais tu ne vas pas aller frapper à la porte -du château du seigneur, « Bonjour, je suis un de vos fidèles sujets et je -suis gravement blessé. Pouvez-vous laisser votre fille magicienne me -soigner ? ».
Zach soupira et s’apprêta à répondre. Mais Uhr l’en empêcha.
— J’ai une meilleure idée dans un premier temps, sans prendre de risque ni -pour nous ni pour Zach : tenter de contacter Irdann. Il a côtoyé Sélène -pendant un petit moment, et si besoin il pourra peut-être nous mettre -en contact avec elle. Au pire, il nous conseillera, il connaît bien la -région, et il est le fils d’un des seigneurs les plus puissants de la -région. Et personne ici ne doute de sa loyauté envers nous, n’est-ce -pas ?
Ils hochèrent la tête. C’était probablement l’idée la plus raisonnable pour le -moment... Il ne put s’empêcher de remarquer une légère moue de la part du -blessé. Était-ce sa blessure ou un doute ? -

Farl se porta volontaire pour la première garde. Alors que Sam et -Uhr s’étaient endormis, épuisés, Zach ne semblait pas trouver le -sommeil.
— Ça va ? lui demanda-t-il.
— J’ai connu mieux, murmura-t-il.
— Ne t’en fais pas, nous ne sommes pas du genre à abandonner nos -compagnons. Nous allons faire tout ce que nous pouvons pour que tu sois -sur pied au plus vite, et en sécurité. Essaie de dormir quelques heurs -déjà...
— Difficile... - - -

Farl fouilla dans les sacoches et en sortit un petit sachet de poudre, qu’il -dilua dans un peu d’eau dans le fond d’une gourde.
— Bois ça. Ça te fera dormir et calmera ta douleur pour un temps.
— Euh, c’est quoi ? Un poison d’assassin ?
— Parfois, les assassins ont besoin de neutraliser quelqu’un en le gardant -vivant, répondit-il en souriant.
— Hm... Je ne sais pas si ça doit me rassurer ou m’inquiéter. -

Il but néanmoins le contenu de la gourde, et quelques minutes plus tard, -tout le camp hormis Farl dormait profondément. -

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