\arc \recit{\christophe} Prisonnier ! Il était légèrement blessé, mais surtout enchaîné, et humilié. Sa tribu venait de subir une attaque surprise d'un clan ennemi, et ils n'avaient rien pu faire. Ceux qui n'étaient pas morts au combat avait été fait prisonniers, pour être revendus comme esclaves. Lui et ses comparses enrageaient. C'était peut-être encore pire que de mourir libre, l'épée à la main... Après une journée de marche intensive, sa colère bru\-te s'était estompée, contrairement à ses compagnons d'infortune, et il s'était mis à réfléchir. Il allait se venger et venger sa famille, c'était sûr. Mais pour cela, il lui fallait d'abord se libérer. Alors qu'ils étaient tous enfermés dans un enclos de fortune, comme des animaux, \christophe observa ses chaînes. De simples anneaux de métal peu travaillés, mais très épais. Avant de s'endormir, épuisé, il les examina longuement. L'un des anneaux, le huitième qui partait de ses poignets attachés et le reliait aux autres, semblait un peu moins solide. Plus précisément, il n'était pas parfaitement fermé, et permettait de laisser passer un ongle. Mais l'anneau restait extrêmement dur. Comment pouvait-il espérer se libérer avec si peu ? Les jours qui suivirent furent tout aussi difficiles. \christophe subissait les coups sans broncher et ne cherchait pas à se rebeller contre ses ennemis, ce qui lui permettait d'éviter de recevoir trop de coups de fouets. Peut-être pensaient-ils briser sa volonté rapidement -- il était plus jeune et moins costaud que beaucoup de ses compagnons --, et dans ce cas tant pis pour eux. Le cinquième jour, l'expédition rejoignit un camp nettement plus important. Il avait du mal à compter, mais il semblait y avoir plus d'ennemis qu'il n'avait de doigts et de doigts de pieds. Peut-être autant qu'il y avait de doigts et de doigts de pieds sur tous les membres de son clan. Il entr'aperçut même celui que ses ennemis appelaient le «~roi \nomroibarbare~», le chef de ce grand clan barbare. Leur petit groupe rejoignit d'autres prisonniers, enchaînés eux aussi, dans un grand enclos. Ils étaient encore mieux gardés que pendant le trajet, et il se découragea un peu. Comment avait-il une chance de s'enfuir à présent ? Soudain il sentit une vive douleur dans son pied gauche, et se retint de hurler. D'abord parce qu'un barbare, ça ne crie pas de douleur, et ensuite parce que ce n'était pas la peine d'attirer des coups de fouet ou de bâton en plus. Une fois seul, il observa l'objet qui était rentré dans son pied nu. Il s'agissait d'un clou, enfin, d'un morceau de métal pointu vaguement muni d'une tête, qui avait vraisemblablement servi à assembler les rondins de bois en barricade autour des prisonniers. Le métal était très dur... Il avait peut-être une chance de s'en tirer, en fait. \recit{\jerome} Cela faisait deux jours qu'il marchait seul. Il était vêtu de gris sombre et de noir, comme de coutume, avec une légère armure de cuir noir sous sa tunique pour le protéger en cas de combat, et avait vérifié plusieurs fois son équipement. Dagues, stylets, dards empoisonnés à diverses substances, tout était bon. Les lames étaient toutes peintes en noir, ne laissant que la pointe et le tranchant brillants, afin d'éviter tout reflet inutile. Il avait laissé un peu en retrait, dans une cachette, son sac à dos, contenant de quoi survivre, ainsi qu'un assortiment de poisons et antidotes. Il vérifia encore une fois le fonctionnement de chaque accessoire, ainsi que des fourreaux de poignet, qui lui permettaient de dégainer aussi vite que sa pensée. Il était prêt. Devant lui, s'étendait le campement du roi \nomroibarbare. Combien é\-taient-ils ? Plusieurs centaines probablement. Certes, comme lui avait expliqué son maître, ce n'était pas si inquiétant aux yeux du pays, mais si le problème pouvait être réglé plus simplement qu'en envoyant une armée... Il passa les quelques heures avant la nuit complète à observer les allées et venues des barbares. Il observa notamment dans un coin, un enclos ou semblaient se débattre des prisonniers, visiblement d'une ou deux tribus rivales. Il nota cette information, cela pourrait faire une diversion efficace au besoin. Il parvint à deviner que les quatre tentes au centre du campement, visiblement bien gardées, devaient abriter des chefs ou sous-chefs de clan. Mais il n'était pas tout à fait sûr de l'endroit où se trouvait leur roi. Il lui faudrait encore observer la situation, ou les tuer tous, ce qui compliquerait nettement la tâche. Alors que le jour diminuait encore, il distingua, parmi les prisonniers, un jeune homme plus calme, plus posé. Au lieu de se débattre ou de s'effondrer d'épuisement, il semblait très affairé à observer ses chaînes. Que faisait-il donc ? Il s'approcha doucement, tout en restant à couvert. Il vit alors que le jeune barbare s'efforçait d'ouvrir l'un des maillons de sa chaîne, en s'aidant d'un vieux clou comme levier. Il progressait très lentement, mais il persévérait, et se hâtait de cacher son ouvrage dès qu'un garde s'approchait de lui. \recit{\christophe} Libre, il était libre. Enfin, presque. Il lui fallait encore s'échapper de l'enclos, esquiver les gardes ou s'en débarrasser, et gagner le petit bois à côté. Là, il avait de bonnes chances de pouvoir conserver sa liberté, et peut-être, revenir se venger... Mais pas tout de suite. Quand il en aurait les moyens. De plus, s'il n'était plus attaché au sol, ses mains étaient toujours liées, et ses mouvements étaient donc limités. Cachant le maillon ouvert, il attendit que la garde soit relevée et que le calme soit revenu. Puis, tenant le reste de la chaîne dans ses mains pour éviter de faire du bruit, et profitant d'un instant où la lune se cachait derrière un nuage complice, il escalada doucement la palissade. Le garde regardait dans une autre direction. Encore une dizaine de mètres et tout serait bon... Il marchait avec toutes les précautions possibles. Pourtant, ce ne fut pas suffisant. Était-ce son pas ? Ses chaînes ? Son souffle ? Un hasard ? Toujours est-il que le garde se retourna à ce moment là, et après un quart de seconde de surprise, ouvrit la bouche pour crier l'alerte. C'est alors qu'une fine silhouette, aussi noire que la nuit, bondit sur le garde, lui trancha la gorge tout en l'empêchant de crier, et l'accompagna au sol, le posant doucement en position assise contre la balustrade. Tout s'était passé en très peu de temps, et pas le moindre bruit n'avait filtré. \christophe était impressionné, et effrayé aussi. Ami ou ennemi ? La silhouette lui fit signe de ne pas faire de bruit, et lui désigna le petit bois. S'il restait sur place, il serait repéré à un moment où à un autre. Il n'avait donc pas grand chose à perdre à suivre le mystérieux inconnu. Il se hâta vers le petit bois, où l'étranger le rejoignit rapidement, sans faire le moindre bruit.\\ --- Qui es-tu ? lui demanda-t-il.\\ --- Je suis \christophe, un guerrier du clan \nomclan. Nous avons tous été tués ou fait prisonniers. J'ai réussi à me libérer. Et toi, qui es-tu ?\\ Il montra à la silhouette, toujours aussi sombre, ses chaî\-nes.\\ --- Mon nom est \jerome. Je suis envoyé pour assassiner le roi \nomroibarbare. Je suppose que tu aimerais te venger, non ? Peut-être pouvons-nous nous entraider ?\\ \christophe se demanda un instant comment un homme aussi petit et frêle pouvait se charger de cette tâche. Puis la vision de l'assassinat du garde lui revint en mémoire, et il hocha la tête. De toutes façons, ce gars était dangereux, mieux valait être de son côté. Et puis n'importe quel côté valait mieux que celui de son ennemi.\\ --- J'ai pu observer. Dans les quatre tentes qui sont là-bas, le roi dort dans celle qui est la plus opposée à nous. Il y a deux gardes devant, mais c'est tout. Il porte une couronne. Un bandeau de cuir autour du front, avec des pierres précieuses rouges dessus.\\ Il reprit son souffle. Il n'avait pas l'habitude d'expliquer aussi longuement, d'habitude ses camarades s'arrêtaient aux quatre premiers mots. Mais l'étranger l'écoutait attentivement, tout en sortant un sac en cuir d'un arbre creux, et en fouillant dedans.\\ --- Dans la tente qui est du côté de la lune, il y a d'autres chefs barbares, en dessous de lui. Celle qui est la plus proche de nous contient son trésor de guerre, enfin je crois. La dernière, je crois qu'il y a des prisonniers importants.\\ Le jeune homme le regarda, en sortant un outil de son sac.\\ --- Comment as-tu vu tout ça ?\\ --- Cela fait plusieurs jours que je les observe. Je voulais me venger, mais seul, comment faire... Le jeune homme le regarda longuement, sans dire un mot.\\ --- Donne-moi tes poignets.\\ Il obéit, et l'étranger utilisa son outil pour ouvrir silencieusement et rapidement les chaînes qui le retenaient.\\ --- Maintenant, nous avons moyen de mettre cette vengeance en pratique. Il lui sourit, et \christophe lui rendit son sourire. Ami. \recit{\jerome} Décidément, ce jeune barbare était hors du commun. Il n'avait pas l'air si différent des autres, et pourtant il avait réfléchi et observé, espérant la vengeance qu'il savait illusoire. Et sa patience pour ouvrir ses chaînes... Sans compter qu'avec les informations qu'il avait, il allait enfin pouvoir mettre en place l'assassinat. Et peut-être même plus. Il réfléchit quelques instants, alors que le barbare jouait avec ses chaînes défaites, savourant sa liberté.\\ --- Bon, voilà ce que nous allons faire.\\ Il dessina sur le sol, de la pointe de sa dague, un vague plan du campement. Le barbare fronça les sourcils, jeta un {\oe}il vers le camp, puis vers le plan, et sembla comprendre.\\ --- Je vais m'occuper de neutraliser les deux gardes du roi. Tu vas pouvoir entrer dans la tente du roi, je te laisse le plaisir de l'assassiner, je crois que tu en es parfaitement capable. Au besoin je viendrai t'aider. Pendant ce temps, je vais aller libérer les prisonniers importants dans la tente d'à côté.\\ --- Mais on va être découverts, ils vont donner l'alerte, non ?\\ --- Oui, évidemment. Mais la panique qui va se créer va nous aider à nous enfuir.\\ --- Si on a le temps, tu crois qu'on peut libérer les autres ?\\ --- Éventuellement, on verra. Ça te va ? Le barbare réfléchit encore un instant.\\ --- Je n'ai pas d'épée. Les chaînes, c'est bien pour donner des coups de poing, mais pour tuer rapidement, ça ne marche pas.\\ --- Tu as raison. L'homme que je viens de tuer, il avait une épée, je crois. Cela te conviendrait ?\\ --- Oui. D'ailleurs, il faudra se dépêcher avant qu'ils ne voient qu'il est mort. Les gardes changent de temps en temps.\\ Il hocha la tête, et ils se levèrent. Le barbare lui tendit sa main. Il la serra, et ils se sourirent. \recit{\christophe} Il suivit en silence son nouveau compagnon. Malgré sa silhouette si frêle, il n'eut aucun mal à maîtriser les quelques gardes qui le séparaient de son objectif, la tente du roi. Et tout cela sans bruit... Il lui fit un signe de tête et entra. Une faible lueur venant d'une lampe blafarde éclairait l'intérieur de la tente. Divers objets, plus ou moins précieux semblaient traîner dans un coin. Sur un lit fait de paille recouverte de tissus précieux -- un luxe pour des standards barbares --, dormaient deux silhouettes. Celui qu'il reconnut immédiatement comme le roi, avec sa carrure et sa couronne, et une jeune fille aux cheveux blonds emmêlés, entièrement nue. Il hésita quelques instants. Devait-il la tuer aussi ? Elle portait des traces de coups sur les bras et le dos. Vraisemblablement, on ne lui avait pas laissé le choix de partager la couche du roi. Une prisonnière, comme lui... Sans attendre, il trancha la gorge du roi endormi, tout en plaquant brutalement sa main sur la bouche de la jeune fille. Celle-ci se réveilla en sursaut, et se mit à paniquer. Il s'approcha pour lui murmurer à l'oreille.\\ --- Toi, pas un mot, pas un bruit. Sinon...\\ Elle vit la lame ensanglantée s'approcher de sa gorge, puis aperçut du coin de l'{\oe}il le roi assassiné. Peur ou plaisir de vengeance ? Les deux ? Toujours est-il qu'elle se calma rapidement. Il la lâcha, tout en la surveillant. Elle le fixait avec méfiance et crainte, se demandant à qui elle avait affaire... Mais après tout, c'était une barbare, tout comme lui, et elle avait dû en voir d'autres. Elle se leva sans un bruit, et pointa du doigt un tas d'objets divers. On y trouvait notamment les affaires du roi. Il hocha la tête, et se saisit d'une belle épée, ornée de quelques pierres. Si d'habitude il trouvait ces fioritures inutiles, il devait admettre que l'arme était d'excellente facture et les coups sur la lame montraient qu'elle avait servi plus d'une fois. Il la glissa dans sa ceinture. Il y avait aussi des bijoux, avec des motifs divers et des formes variées. Des trophées de guerre, probablement. Chez les barbares, quand un bijou n'était pas une preuve d'un ennemi vaincu, c'était au pire une monnaie d'échange, leur aspect décoratif étant très secondaire. \noindent --- Aleeeerte !\\ Il sursauta, et la jeune fille aussi, cherchant à lui dire des yeux que non, elle n'y était pour rien. Il ne réfléchit pas plus longtemps, saisit la couronne du roi et se rua au dehors, son épée à la main. \recit{\jerome} Quatre chefs barbares étaient enfermés dans la tente. Malgré leurs chaînes, ils étaient impression\-nants. Ils étaient grands, particulièrement musclés et portaient de longues cicatrices. Ces trois hommes et cette femme avaient dans le regard une telle fierté et une telle colère d'être ainsi réduits à l'état d'esclaves qu'il s'était demandé un instant s'il n'était pas encore plus dangereux de les délivrer. Mais il s'était mis rapidement à l'{\oe}uvre, et les barbares, bien que très surpris de voir un moustique en capacité de leur venir en aide, ne s'étaient pas plaints. Il était en train de faire sauter la dernière serrure lorsqu'il entendit un cri à l'extérieur. \noindent --- Aleeeerte !\\ Les quatre chefs bondirent sur leurs pieds, et ramassant des armes, sortirent rapidement en lui adressant un signe de reconnaissance. Dehors, il n'eut aucun mal à se fondre à nouveau dans la nuit, surtout avec l'agitation qui démarrait. Les quatre combattants se ret\-rou\-vèrent nez à nez avec d'autres guerriers, et se défendirent farouchement. Dans la cohue, il aperçut la silhouette d'\christophe, l'épée ensanglantée. Il eut un soupir de soulagement. Ça, c'était fait. Il se glissa dans sa direction, et lui fit signe de le suivre. Il fallait faire vite avant que tout le campement ne soit en ébullition. Ils croisèrent soudain cinq barbares, l'épée à la main, visiblement alertés par les cris. Il n'eut aucun mal à disparaître dans l'ombre d'une tente, mais pas \christophe, à qui ils adressèrent un regard inquisiteur. Il hésita quelques instants à le laisser et à filer vers les prisonniers, mais c'était le laisser courir à sa perte, et eut des remords. Même s'il était armé, il était tout de même plus petit que ses adversaires, et seul face à cinq... Il s'accroupit et s'apprêta à bondir à sa défense. À sa grande surprise, au lieu de brandir son épée, le jeune barbare se contenta de désigner du bras le centre du campement, d'où ils venaient.\\ --- Là-bas ! Il y a des intrus !\\ Les gardes se ruèrent dans la direction indiquée, sans réfléchir plus longuement à la présence d'\christophe, ni à son butin. Ils se mirent à courir, et rapidement, arrivèrent près de l'enclos des prisonniers. Il y avait deux gardes en alerte devant la barrière qui servait de porte.\\ --- \jerome, va les libérer pendant que j'occupe ceux-là.\\ Il hocha la tête, et contournant l'entrée, il escalada lestement la palissade et sauta au milieu des barbares enchaînés. \\ Ceux-ci avaient été réveillés par l'agitation du camp, et prirent un air méfiant en le voyant.\\ --- Les gars, couvrez-le, il va vous délivrer. \\ C'était la voix d'\christophe, de derrière la barrière. Les barbares se calmèrent immédiatement, et il se mit à l'ouvrage. Les sortes de cadenas grossiers retenaient plusieurs personnes à la fois, et étaient peu difficiles à crocheter, ainsi la tâche allait très vite. Les premiers hommes et femmes libérés saisirent leur chaînes, les enroulèrent dans leurs poings et se ruèrent vers l'entrée de l'enclos en hurlant de rage. Il ne voyait pas ce qui s'y passait, mais à l'agitation qu'il devinait, il semblait que les deux gardes avaient été rejoints par des renforts. Dans la cohue, cependant, un des assaillants parvint à pénétrer au c{\oe}ur de l'enclos et l'aperçut, en train de faire sauter la dernière serrure. Surpris de le voir, mais comprenant rapidement qui était à l'origine de l'échappée des esclaves, il se rua sur lui. \jerome esquiva habilement les coups violents et extrêmement rapides, bien qu'heureusement imprécis que le barbare engagea contre lui, mais dut reculer contre la palissade. Il savait manier ses dagues courtes à la perfection, mais contre un adversaire alerte et avec une telle allonge, le combat était plus complexe. Il devait escalader cette barrière et trouver un abri rapidement pour pouvoir sortir une arme de jet... C'est alors qu'une main se referma sur son bras, et le souleva. En un clin d'{\oe}il il se retrouva juché au sommet de l'échafaudage, avec \christophe qui lui souriait.\\ --- Merci.\\ --- On file et on discute après ?\\ Il lui rendit son sourire.\\ --- Ça marche. \recit{\christophe} Ils se mirent à courir en direction de la forêt. L'agitation causée par les prisonniers qui se rebellaient et la mort du roi avait détourné suffisamment l'attention, et ils atteignirent sans encombre l'abri des arbres. \jerome le regardait avec une certaine admiration. Il lui avoua qu'il n'aurait pas osé lui-même parler aux gardes pour les éloigner, et que c'était très intelligent de sa part, entre autres. Il fit une légère moue.\\ --- Ce n'est pas une qualité très appréciée chez moi... \\ L'étranger lui sourit.\\ --- Comme tu peux le constater, ça n'a pas été inutile !\\ --- Bah, on y dit aussi qu'il faut être grand et large pour être un bon combattant. Et toi, tu es petit, tout frêle, et tu en as tué beaucoup, très efficacement ce soir.\\ --- Merci. Ils restèrent un instant silencieux, le temps de reprendre leur souffle.\\ --- Qu'est-ce que tu vas faire maintenant ?\\ --- Je ne sais pas. Je n'ai plus vraiment de clan. Je ne sais pas trop où aller. J'ai gardé quelques objets de valeur, ça peut peut-être servir...\\ --- Tiens, tu n'as pas gardé la couronne et l'épée du roi ?\\ Il secoua la tête.\\ --- Non, ça aurait été compliqué à revendre, enfin je pense. Alors je les ai donnés à des prisonniers. En plus, ça représente quelque chose pour eux.\\ \jerome sourit à nouveau.\\ --- Ça aussi c'est plutôt malin.\\ Il se tut quelques instants, puis reprit.\\ --- Tu sais quoi ? Tu pourrais presque venir à la capitale. Si tu le souhaites bien sûr. Il y a toujours du boulot pour des gens costauds et débrouillards...\\ Il n'avait pas osé proposer cette option. Aller vivre dans la grande ville, celle dont il avait entendu parler plus jeune... Elle était parfois décrite comme un endroit fantastique, où la nourriture et le luxe coulaient à flots, et où on pouvait revendre des trophées et acheter des armes. Et parfois méprisée, car les gens qui y vivaient -- humains ou autres races humaines -- étaient moins costauds et ne savaient pas se battre comme il faut. Et il s'y passait des choses très compliquées parfois... Il sourit et hocha la tête. %%%%% \recit{\jerome} Il pénétra dans la taverne, et aperçut \christophe, assis à une table. Il lui fit signe en souriant, et se hâta de le rejoindre. Il portait une tunique grise sans manches et un pantalon de toile sombre tenu par une ceinture de cuir. Il avait l'air d'un habitant tout à fait normal de la capitale, hors sa musculature imposante. Depuis leur rencontre improbable dans les plaines barbares, il avait énormément changé. Il avait profité de l'argent de la vente des bracelets trouvés pour se payer des vêtements normaux, et en suivant ses conseils, avait trouvé un petit travail à charger et décharger des caisses de matériel depuis les bateaux qui arrivaient par la rivière. C'était peu, mais assez pour se payer une chambre modeste et se débrouiller. Il avait ensuite appris, sur le tas mais avec une certaine facilité, à lire, écrire et compter. Son employeur, pensant avoir affaire à un idiot, avait tenté de l'arnaquer sur sa paie, en vain évidemment. Depuis, il avait fait d'autres petits boulots, demandant généralement beaucoup de bras et peu de réflexion, le dernier en date étant celui d'un videur de taverne. Et malgré leurs différences, tous deux étaient rapidement devenus aussi inséparables que deux frères. Il s'installa à sa table, et ils commandèrent des boissons. Son ami était radieux, il y avait probablement quelque chose de nouveau dans sa vie.\\ --- Quelles nouvelles, \chris ?\\ --- Je vais changer de métier.\\ --- Encore ?\\ Il lui sourit.\\ --- J'ai décidé de m'engager dans la garde de la capitale. Tenir une épée me manque trop, décidément...\\ --- Sérieusement ?\\ --- Hé oui !\\ --- La garde a une bonne réputation, ce n'est pas trop compliqué d'y entrer ?\\ --- Il y a des unités d'élite, qu'il est difficile d'intégrer. Mais il y a de la place pour y être simple soldat, et après, qui sait...\\ Il lui sourit.\\ --- C'est vrai que tu pourrais bien t'en sortir. \\ --- J'espère en tous cas ! Ça promet d'être intéressant. Et toi, comment va ton boulot ? Il prit un moment pour boire une gorgée de bière. Il ne savait pas comment aborder le sujet.\\ --- Hé bien... moi aussi, j'hésite à changer de métier.\\ \chris eut un regard surpris.\\ --- Vraiment ? Pourtant, tu avais l'air de te plaire dans celui d'assassin...\\ --- Oui, je m'y plaisais... Mais... \\ --- Le fait de tuer te gène ?\\ --- Plutôt celui de tuer froidement, sans envie, de n'être qu'une lame bien payée.\\ Son ami réfléchit un moment avant de répondre.\\ --- Tu sais, en tant que soldat de la garde, je vais me poser un jour ou l'autre les mêmes questions... en moins bien payé, par contre.\\ \chris lui donna une pichenette sur l'épaule. Il répondit par un sourire.\\ --- Et ton maître assassin, il ne va pas apprécier, non ?\\ --- Oh, ça, ça va. En fait c'est plus ou moins lui qui m'en a parlé en premier. Il m'expliquait qu'un bon assassin devait avoir un métier relativement normal à côté, pour lui servir de couverture. Il m'a parlé de quelques cas d'assassins qui avaient progressivement choisi leur seconde vie à leur première. Il ne parlait pas d'eux en traîtres. Je me demande s'il se doute de mes sentiments, en fait... Peut-être a-t-il évoqué cela exprès ? Il marqua une pause.\\ --- La question est, que vas-tu faire à la place ?\\ --- Je ne sais pas encore. C'est bien le problème.\\ \chris sourit, et termina sa chope.\\ --- Tu trouveras bien quelque chose qui te plaît.\\ Il lui rendit son sourire, et termina la sienne à son tour. Il trouverait bien, oui...