%%%% Où on récupère I et Cl pour de bon \arc \recit{\chris} Une journée seulement s'était écoulée depuis son retour avec \remi. Une journée qui était passée très vite, avec tout ce qu'ils avaient à faire, et ils avaient à peine eu le temps de se reposer. Il avait aidé \seve à préparer son expédition. Ce n'était pas tellement les dangers potentiels du trajet qui les inquiétaient, mais pour éviter d'éveiller des soupçons, il lui fallait un prétexte. Une femme qui voyage seule, c'était tout de même plutôt rare. Avec toujours l'aide de \contact et de son épouse, ils avaient commencé à mettre de côté un stock de petits objets peu onéreux à vendre : livres et matériel d'écriture, rubans et ornements pour les cheveux, vaisselle ou bougies un peu décorées, porte-bonheurs divers... tous ces petits accessoires qui n'étaient pas indispensables, mais qui apportaient un peu d'humanité aux gens modestes, leur rappelant qu'ils étaient plus que leur rude travail et leur survie immédiate. \seve irait vendre pour un prix modique ---voire même troquer--- ces objets dans les villages qu'elle traverserait, expliquant que son mari marchand était blessé et qu'elle devait bien faire tourner le commerce à sa place. Heureusement, si les traditions d'une femme au foyer étaient très bien ancrées dans le duché, il n'était pas exceptionnel, dans les milieux modestes, de les voir s'effacer devant la nécessité : lorsqu'on manquait de bras pour tenir une houe ou de jambes pour guider des chèvres, on se moquait bien de savoir s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme tant que le travail était fait et permettait de ramener à manger le soir. \seve trouvait qu'ils en faisaient un peu beaucoup pour lui donner un personnage crédible, mais \chris avait insisté. Il ne craignait pas tellement pour la survie de sa compagne, qui savait se défendre comme un diable, même sans compter ses \og pouvoirs \fg de prêtresse. Il s'inquiétait plus qu'elle ne se fasse un peu trop remarquer avec son caractère trop décidé et sa méconnaissance du pays, qui risquaient de lui attirer la méfiance des locaux. Elle était partie il y a quelques heures sur sa petite charrette, qui en plus de transporter sa camelote, lui permettrait de ramener \ismael quel que soit son état. Après tout, il était difficile de savoir s'il avait quelques bleus ou s'il était réellement incapable de marcher. Dans quelques jours tout au plus elle serait à \villagechute et saurait bien se débrouiller. \chris avait alors balayé ses inquiétudes et avait fait le point avec \remi et \jerome, qui durant ce temps avaient localisé plutôt précisément l'endroit où se trouvait \chloe. Ils avaient passé la matinée à se déplacer avec la mystérieuse pierre, qui donnait effectivement la direction approximative dans laquelle elle se trouvait. À l'aide de cartes, et de l'hypothèse qu'elle ne se trouvait pas plus loin qu'une journée de voyage, ils avaient localisé une zone au milieu d'une forêt, essentiellement lieu de chasse du duc et des seigneurs locaux. Par la suite, en discutant avec les habitués de la taverne du \tavernecontact, qui traitaient \remi avec un certain respect après leur bagarre de l'autre jour, et avec une amitié très spontanée lorsqu'il leur proposait un verre ; ils s'étaient renseignés sur cette fameuse forêt. Elle serait hantée, ou maudite. D'après la légende ---qui variait beaucoup d'un soûlard à l'autre---, un jeune seigneur conquérant avait voulu faire construire un château fort et sa future ville à la place de ce bois. Mais deux de ses sujets habitaient une petite maison isolée, exactement à l'endroit qui l'intéressait. Deux femmes un peu étranges, qui n'avaient jusque là pas attiré l'attention, et qui se retrouvèrent rapidement accusées de sorcellerie, jugées et condamnées à être brûlées vives dans leur maisonnette. Le seigneur la fit ensuite raser, et construire sa demeure par dessus les ruines, mais les rumeurs couraient que les sorcières avaient maudit leur bourreau, et que le seigneur brûlerait à son tour, comme son château et tous ceux qui voudraient s'installer à sa place. Difficile à dire s'il s'agissait d'une coïncidence, si ou la légende s'était écrite après coup, mais le château n'eut même pas le temps d'être terminé qu'il fut pris d'assaut et vaincu par un seigneur voisin. On ne sait pas trop comment le seigneur et sa construction finirent, mais on n'entendit plus jamais parler de lui, l'endroit fut rapidement déserté et la forêt reprit ses droits en engloutissant les traces de ce drame. On appelait officieusement cet endroit le \og bois des Sorcières \fg, appellation plutôt ironique pour \jerome et \remi, qui savaient ce qu'ils y cherchaient... Mais il fallait reconnaître que c'était l'endroit idéal pour installer un repaire : assez loin de la ville, mais assez près pour y accéder rapidement, dans un endroit que personne n'a envie de visiter, et où s'il se passait des choses étranges ou magiques, les locaux chercheraient plus à fuir en courant la \og malédiction des sorcières \fg que de s'y intéresser de près. Il n'était pas à exclure que les ruines du château en question ---si elles existaient bel et bien--- ou ses alentours étaient l'endroit qu'ils cherchaient. Mais c'était peut-être trop évident... Difficile de savoir à quel point leurs ennemis réfléchissaient. Mais dès le lendemain, ils iraient explorer le lieu, la zone qu'ils avaient identifiée sur la carte était assez restreinte pour cela. \recit{\chloe} \chloe jeta un {\oe}il à la minuscule fenêtre de sa \og chambre \fg. Il faisait encore jour, mais la lumière déclinait doucement, et à en juger par le temps qui s'était écoulé, on était en fin d'après-midi. On ne tarderait pas à venir lui servir à manger. Ses journées s'écoulaient lentement, rythmées par les repas qu'on lui servait et la visite de quelques-uns des \og chefs \fg de ses ravisseurs. \mageb était visiblement reparti peu de temps après son arrivée ici, seule \magiciennevent venait lui parler régulièrement. Elle avait vu \mageninja deux fois, l'une des fois étant la \og visite \fg de \denise. Ils avaient refusé de lui donner des nouvelles de l'extérieur, qu'il s'agisse d'\ismael ou des deux elfes. Elle en avait donc conclu qu'il n'avaient pas encore retrouvé \ismael, et que les deux autres devaient... se comporter comme prévu. Sinon, c'est elle, l'\og otage \fg qui risquait quelque chose. Elle n'était pas particulièrement mal traitée. Elle mangeait à sa faim, elle avait un peu d'espace dans sa chambre, et on lui avait même laissé ses affaires. Mais rester enfermée toute la journée, en sachant que sa vie ne tenait qu'à la bonne volonté de ses geôliers mettaient ses nerfs à rude épreuve. Mettraient-ils leurs menaces à exécution si quelque chose se passait au tournoi ? Et après ? Allaient-ils la garder indéfiniment, ou la relâcher après le tournoi ? C'était probablement risqué, elle pouvait tout révéler après coup... tout dépendait de leurs intentions précises. S'ils allaient la tuer à la fin, elle s'était parfois demandée s'il ne valait mieux pas qu'elle meure tout de suite. Sans otage, ses ravisseurs seraient bien embêtés... Elle avait préféré écarter cette idée. S'ôter la vie sans trop souffrir était compliqué vu ce qu'elle avait sous la main, et puis tant qu'elle était en vie elle pouvait peut-être faire quelque chose... Elle se demandait parfois si, à force de rester enfermée, elle ne finirait pas par devenir folle. Est-ce qu'elle s'en rendrait compte ? Probablement pas. Mais folle ou pas, elle avait décidé de tenter quelque chose. Même si elle avait un petit espoir lié à la pierre qu'elle avait donnée à \denise, les chances qu'elle puisse venir la secourir étaient trop minces. Il faudrait qu'elle échappe à la surveillance du sosie, et encore, comment pourrait-elle la sortir de là ? Elle préférait ne pas trop espérer de ce côté. Elle avait passé du temps ---elle en avait à revendre, du temps--- à observer le comportement et les manies des hommes qui la surveillaient. Il s'agissait de locaux, en tous cas au moins des hommes du duché \seigneurismael, à leur accent. Elle en avait vu passer environ cinq ou six. Difficile de savoir s'il y en avait plus en réalité, en tous cas sa prison était bien silencieuse, donc il n'y avait pas tant de monde que cela. Il s'agissait vraisemblablement de pauvres hommes, peut-être d'anciens bandits, qui avaient troqué leur vie de misère contre le gîte et le couvert, quelques risques, et leur silence inconditionnel. Elle avait essayé, en discutant un peu avec eux ou en observant leur comportent, d'estimer à quel point ils pouvaient être loyaux à leurs maîtres. Mais les corrompre d'une manière ou d'une autre lui avait vite semblé inutile. Ils étaient très fidèles à leurs maîtres, et pas seulement parce qu'ils étaient bien payés. Ils en avaient peur. Elle le sentait, dans la manière dont ils obéissaient à \magiciennevent, notamment. C'était une sorcière, et même le meilleur salaire ne pouvait pas leur faire oublier les légendes et superstitions dans lesquelles ils avaient baigné toute leur vie. Et ils avaient aussi peur d'elle, leur prisonnière. C'était drôle, vue la situation, après tout il leur suffirait de si peu pour la tuer ---un coup d'épée, un tir d'arbalète, ou simplement du poison dans sa nourriture---, mais à leurs légers tressautements lorsqu'elle avait le moindre mouvement brusque en leur présence, elle voyait bien qu'ils la craignaient presque autant ---voire plus--- que \magiciennevent et les autres mages à qui ils obéissaient. Peut-être parce qu'ils ne savaient pas très bien ce dont elle était capable ? Elle avait eu beau, dans un premier temps, paraître la plus inoffensive possible, ils semblaient toujours la regarder avec une certaine crainte. Cette peur, elle pouvait l'utiliser. Cette peur, additionnée à la peur ancestrale et primitive du feu... qu'ils ne savaient pas qu'elle maîtrisait. Certes, son sort de petite boule de feu était somme toute peu dangereux, elle pouvait au pire provoquer des brûlures un peu sérieuses, mais tuer avec était difficile. Et elle savait qu'en cas de vrai combat, en permanence déconcentrée de ses sorts, elle s'épuiserait beaucoup trop vite. Elle en avait fait les frais dans la forêt, face aux \bestioles... Mais peut-être qu'elle pouvait effrayer ces hommes suffisamment ? \recit{\chris} Il leur avait fallu une bonne partie de l'après-midi pour se rendre au fameux bois des Sorcières. Et il fallait admettre que sans leur \og boussole \fg, ils auraient eu bien du mal à trouver ce qu'ils y cherchaient, car c'était un morceau de forêt sauvage et touffue, avec pour seuls sentiers des chemins d'animaux. \chris se demandait parfois s'ils avaient bien fait de venir à cheval, tant ils avaient du mal à avancer entre les buissons serrés et les branches basses. D'après leurs calculs approximatifs, ils approchaient de leur destination. \remi était donc parti en éclaireur, à pied, pendant que lui et \jerome s'occupaient de trouver un endroit convenable où laisser les chevaux à l'abri. Allaient-ils avoir à faire à une véritable place forte ? Si oui, sortir \chloe de là pouvait s'avérer compliqué, même avec des renforts... c'était bien le principe d'un otage. Il allait falloir être plus malin qu'eux. Il acheva de faire manger et boire les chevaux, tout en les laissant harnachés au cas où ils devraient partir vite, et vérifia une dernière fois qu'ils n'étaient pas trop visibles. Ce léger renfoncement de terrain était la cachette parfaite pour eux, et la forêt était suffisamment bruyante pour masquer leurs bruits tant qu'on ne les cherchait pas en particulier. Il hocha la tête en direction de \jerome, et ils s'avancèrent prudemment dans la direction où était parti \remi. \recit{\remi} Il y avait bien un château, dans la clairière. Du moins, il y avait eu un château fort, au milieu d'un mur d'enceinte démoli aux trois quarts, et des restes de quelques maisons en pierre. À quel point la légende était-elle vraie ? Une bonne partie du bâtiment principal était en ruine, mais il en restait une aile en très bon état ---ou peut-être restaurée--- et il pouvait constater que \og des gens \fg y vivaient. Il y avait de la fumée venant d'une des cheminées, et même du bord de la clairière où il se trouvait, il pouvait voir qu'il y avait des allées et venues régulières. L'herbe était bien aplatie à certains endroits, bien trop pour être juste un passage d'animaux sauvages. Et la grande porte d'entrée avait été nettoyée de son lierre, contrairement au reste des ruines. Il commença à contourner l'endroit pour estimer sa taille. Il y avait bien de ce côté un bout de bâtiment qui devait être une écurie. Combien de personnes \og vivaient \fg ici, et gardaient \chloe prisonnière ? Il s'arrêta un instant pour sortir de sa poche sa pierre. L'enchantement qui faisait pulser légèrement la pierre lui indiquait qu'elle était toujours droit devant. Donc dans ce château en ruine. Ou dessous, peut-être, dans une cave ou un cachot ? La lettre de \denise, qu'il avait relue tant de fois qu'il la connaissait maintenant quasiment par c{\oe}ur parlait d'une fenêtre. Donc pas de sous-sol a priori. Cela laissait quand même beaucoup de possibilités. Il ne voyait pas de gardes à l'extérieur, mais il y en avait forcément à l'intérieur. Il regarda à nouveau la pierre battre, comme un c{\oe}ur, dans sa main. À l'unisson avec celui de \chloe, comme lui avait expliqué \seve. Tant qu'il battait, elle était donc en vie... Il ne pouvait s'empêcher de le vérifier régulièrement, en glissant juste la main dans sa poche. Comme s'il craignait qu'il ne s'arrête à tout moment... Il savait que c'était idiot, pourtant. Et \chris l'avait mis en garde sur le fait qu'il risquait de paniquer au moindre changement de rythme, qui serait au fond bien naturel. Il s'était demandé s'il se passait quelque chose si on brisait la pierre enchantée. Cela risquait-il de... briser son c{\oe}ur ? \seve avait dit qu'elle n'en savait rien, mais qu'il lui semblait qu'on utilisait toujours des pierres pour ce genre d'enchantement. Était-ce par tradition, ou pour éviter cela justement ? Un bruit le fit sursauter. Avec son expérience de la forêt, il faisait confiance à son instinct pour ne pas le faire réagir à un bruit naturel. Il tourna la tête, et eut juste le temps d'apercevoir deux hommes tournés vers lui et de plonger sur le côté. Un projectile passa près de sa tête et se planta dans un arbre à côté de lui. Il se releva et bondit derrière un autre arbre.\\ --- Toi, là-bas ! Stop !\\ Il aperçut ses deux adversaires. L'un avait une arbalète chargée pointée dans sa direction, tandis que l'autre rechargeait la sienne.\\ --- Lâche tout de suite ton épée si tu tiens à rester en vie !\\ Les arbres autour de lui, n'étaient pas très larges et n'offraient que peu de couvert. Et surtout, ces hommes étaient vraiment trop près pour qu'il ait une chance. Il se redressa et laissa échapper son épée. Comment avait-il pu se laisser suprendre aussi facilement... \recit{\jerome} \jerome et \chris avaient assisté la scène de loin, de trop loin pour pouvoir intervenir. Ils ne purent qu'observer \remi se faire emmener par les deux hommes vers la clairière.\\ --- Au moins nous avons bien la preuve qu'il se passe des choses pas nettes ici... murmura \chris.\\ --- Qu'est-ce qu'on fait ? On ne va pas le laisser comme ça...\\ --- Évidemment que non. Essaie de voir précisément où ils vont, et compte combien d'hommes patrouillent aux alentours. Selon leur nomb\-re, on verra s'il vaut mieux aller chercher du renfort ou si on peut le tirer de là nous-mêmes.\\ --- Tu as une idée précise ?\\ \chris sourit.\\ --- Pas encore. Tu me connais. Mais j'aurai sûrement un plan plus efficace si on ne se fait pas prendre, déjà. Pour le reste... tu es suffisamment équipé je suppose ?\\ \jerome hocha la tête. Rien ne semblait laisser paraître que son petit sac à dos en cuir contenait autant de matériel, sans compter tout ce qu'il avait directement sur lui, dans ses manches et sa tunique, à tel point que même \chris semblait l'oublier.\\ --- Je vais m'occuper d'assurer nos arrières. Pars devant, et essaie d'être plus prudent que \remi... \recit{\chloe} La porte de sa prison s'ouvrit. Comme d'habitude, deux des hommes entrèrent ---ils ne venaient jamais seuls--- suivis d'\magiciennevent. Elle soupira. La magicienne aux cheveux roux venait la voir de temps en temps pour lui poser quelques questions. Elle avait bien remarqué que celle-ci semblait la détester personnellement, probablement à cause de ce qu'elle avait fait à \mageb... Elle lui avait répété bien des fois que s'il elle n'avait pas eu la recommandation expresse de \mageb de la traiter correctement, elle aurait été jetée au fond d'un cachot humide. Quel lui voulait-elle cette fois ?\\ --- Viens avec moi.\\ C'était bien rare qu'elle la fasse sortir de sa chambre. Même la visite de \denise ne lui avait pas valu cet honneur. Que se passait-il donc ? Elle la suivit sans un mot. Les deux hommes de main se placèrent de part et d'autre d'elle et l'escortèrent dans le couloir, en bas d'un escalier de pierre, jusqu'à une grande salle éclairée par deux larges fenêtres sur un des murs qui laissaient entrer la lumière du soir. Deux autres des sbires d'\magiciennevent étaient déjà dans la pièce, à l'opposé de la porte, et tenaient un homme en joue avec leurs arbalètes. La dernière personne qu'elle aurait imaginé trouver ici. \remi. \recit{\remi} C'était elle, il n'y avait aucun doute. Il ne put s'empêcher d'être un peu soulagé de voir qu'elle avait l'air d'aller bien. Elle était plutôt bien habillée, elle ne portait pas de trace de blessure et n'avait pas l'air d'être morte de faim... C'était un piètre soulagement, parce qu'il ne voyait vraiment pas comment se sortir de là. Les hommes qui l'avaient capturé l'avait bien sûr dépouillé de son épée, de son couteau, et de tout ce qu'il avait dans les poches. \noindent --- Alors. Qui est cet homme ?\\ Il reporta son attention sur celle qui venait de poser cette question, qu'il aurait dû remarquer plus vite. Elle semblait diriger ces hommes au doigt et à l'{\oe}il. S'agissait-il d'un de ces mages dont on lui avait parlé ? Sûrement, sinon, pourquoi aurait-elle à la main un long bâton de métal gris surmonté d'une pierre orangée ?\\ --- Je... je ne sais pas, répondit \chloe en détournant le regard.\\ Elle essayait de ne rien montrer sur son visage. Avait-il une chance de passer pour quelqu'un qui n'avait rien à voir avec elle ? La femme eut un léger sourire et fit un geste de la main.\\ --- Bon. Dans ce cas... tuez-le.\\ Il vit avec terreur les deux hommes à côté de lui ajuster leur tir. \chloe bondit en avant.\\ --- Non ! hurla-t-elle.\\ Un de ses geôliers lui attrapa le bras et la tira en arrière. La femme leva la main en souriant.\\ --- Laissez, c'est bon. J'ai la réponse à ma question.\\ Les arbalètes se baissèrent. Il déglutit. Il était très peu probable qu'ils se contentent de le garder simplement prisonnier comme elle... ce serait beaucoup trop simple. La magicienne se tourna vers lui.\\ --- Comment es-tu arrivé ici ? Comment savais-tu que \chloe était là ?\\ Il ne répondit pas. Allait-elle le torturer ? Ou torturer \chloe sous ses yeux ? Elle fit quelques pas en arrière et désigna un des hommes.\\ --- Cet homme n'est probablement pas venu seul. \sbirea, tu restes ici à surveiller \chloe, et vous autres vous allez fouiller les environs. Réveillez ceux qui sont de repos. Et prévenez-moi si vous voyez quoi que ce soit de bizarre.\\ Trois hommes quittèrent la pièce, non sans lui jeter un regard méfiant. La porte se referma, le laissant seul face à la magicienne, \chloe et le dénommé \sbirea, qui la tenait toujours par un bras. Même s'il se sentait soulagé de n'avoir plus toutes les arbalètes chargées pointées sur lui, il trouvait presque vexant que la magicienne considère qu'il avait moins besoin d'être surveillé que \chloe. Était-il si peu dangereux ? Ou alors...\\ --- N'y pense même pas.\\ La magicienne s'approcha de lui, ses yeux brillant d'une lumière insoutenable, comme la pierre de son bâton. Il tenta désespérément de se souvenir des détails de la lettre de \denise à propos des différentes capacités des magiciens, mais il fut interrompu par un souffle puissant qui le souleva du sol comme un vulgaire fétu de paille, et l'envoya brutalement contre le mur derrière lui. Ou alors c'est qu'elle n'avait vraiment pas besoin d'un garde pour le surveiller. \recit{\chloe} Elle enrageait. D'avoir dû révéler qu'elle tenait à \remi, et de ne pouvoir rien faire. Quand \magiciennevent avait lancé son sort, l'homme qui la tenait avait lâché son arme pour lui attraper les deux bras et l'empêcher encore plus de bouger. Et puis elle avait senti la puissance du sort, quand bien même la bourrasque soulevant un homme sans le moindre effort ne l'aurait pas convaincue. \magiciennevent était vraiment une experte, et de plus suffisamment sûre d'elle pour ne surveiller sa victime que du coin de l'{\oe}il en se tournant vers elle.\\ --- Qui est cet homme ? D'où vient-il ?\\ \remi reprenait ses esprits, un peu hagard et mal à l'aise. Si elle ne répondait pas, que pouvait-il lui arriver ?\\ --- C'est... un ami, commença-t-elle. \\ Jusque là elle n'apprenait pas grand chose à \magiciennevent. \\ --- Et comment est-il arrivé là ?\\ --- Je n'en sais rien...\\ --- Bien sûr.\\ Les yeux de la magicienne se remirent à briller aussi intensément que son bâton. Avant qu'elle n'ait le temps de réagir, \remi fut à nouveau emporté par un souffle de vent puissant qui lui fit traverser toute la pièce et heurter violemment, la tête la première, une grosse armoire en bois sombre.\\ --- \remi ! hurla-t-elle.\\ Il s'était effondré au sol et ne bougeait plus.\\ --- Il n'est probablement que sonné, ou alors c'est une petite nature, répondit \magiciennevent en haussant les épaules. Réponds à ma question, maintenant.\\ --- Je n'en sais vraiment rien, la dernière fois que je l'ai vu, c'était dans la seigneurie \seigneurchloe, répondit-elle sans quitter le jeune homme inanimé des yeux. Mais comment a-t-il su que j'étais là, et que j'étais prisonnière...\\ Sa voix s'étrangla. Avait-elle vu \remi bouger légèrement ou était-ce son imagination ?\\ --- C'est à lui qu'il faut demander ça, reprit-elle avec des sanglots de rage dans la voix. Mais tu l'as...\\ Elle avait peut-être quelques informations de plus que \magiciennevent, mais cela ne lui disait pas comment \remi l'avait retrouvée... Soit elle avait eu l'air plus sincère cette fois-ci, soit la magicienne avait compris qu'en effet, elle avait plus d'informations à tirer du jeune homme.\\ --- Bon... d'accord, soupira-t-elle. Va le soigner, débrouille toi, fais en sorte qu'il puisse me répondre. Toi, ajouta-t-elle en désignant \sbirea, lâche-la, mais surveille-la de près. La pression sur ses bras se libéra d'un coup. Elle fit quelques pas, regarda l'homme ramasser son arbalète sans la quitter des yeux, et la magicienne l'observer, bras croisés. Après une courte hésitation, elle essuya ses larmes d'un revers de manche et s'avança vers \remi, qui essayait de se relever en gémissant, la tête ensanglantée. Elle s'agenouilla à ses côtés, lui murmura de ne pas bouger, et posa ses deux mains sur lui, une sur son crâne et une sur sa poitrine. \bigskip \remi gémit à nouveau et se redressa sur un coude, soutenu par \chloe. Heureusement, la blessure n'avait pas été trop grave ni difficile à soigner. Elle avait bien pris son temps pour son sort, pour ne pas trop s'épuiser puisqu'elle n'avait pas de pierre ; mais aussi pour passer le plus de temps possible dans cet état où elle était suffisamment concentrée pour oublier jusqu'aux menaces qui pesaient sur eux, et ne penser qu'à son soin magique. Mais la réalité revenait bien vite... Dans quelques instants, elle devrait lâcher \remi, pour qu'il puisse répondre aux réponses d'\magiciennevent. Tout ça pour qu'elle le menace, ou lui fasse encore du mal... \noindent --- Alors ? demanda la magicienne sur un ton impatient.\\ Elle sentit un léger souffle de vent, et surtout la sensation étrange d'une montée de magie dans son dos. \magiciennevent préparait un nouveau sort. Sortant tout juste d'un état second où elle avait passé de longues minutes, \chloe ressentait avec encore plus de précision que d'habitude le sort qui se préparait derrière elle. Elle n'avait pas besoin de se retourner pour sentir la magie tournoyer, effleurer son corps et aller vers la magicienne. Elle sentait l'esprit de celle-ci s'enrouler autour, et façonner tel un artisan expert façonne l'argile, un sort d'une \og forme \fg qu'elle ne connaissait pas. Mais elle s'en moquait. Peu lui importait si elle ne comprenait pas ce sort, elle n'avait de toutes façons ni le temps ni l'envie de l'apprendre. Ce qui lui importait, c'était de sentir qu'elle pouvait y superposer sa volonté. Si \og observer \fg le sort d'un autre mage était chose courante, et c'était même un moyen d'apprentissage efficace, en prendre possession était autrement plus difficile ; lui rappelait une toute petite voix dans sa tête. Mais elle ne l'écoutait pas, tout son esprit était concentré sur le sort de l'autre. Peu importe que cette création ---pour l'instant de pure magie--- lui soit trop complexe. Elle n'avait pas besoin de la refaçonner entièrement, il lui suffisait de l'altérer suffisamment. Elle sentit la résistance d'\magiciennevent, qui avait remarqué l'intruse. Elle était plus expérimentée qu'elle, mais la volonté et la rage de \chloe étaient plus fortes. À l'instant où le sort prit forme pour de bon, elle se redressa brusquement en poussant un cri. \recit{\remi} \remi se releva lentement, en tâtant son crâne d'une main. Il y avait du sang sur sa tête, mais il ne ressentait plus aucune douleur. La sensation était étrange, mais pas autant que de voir \chloe se relever d'un coup, les yeux brillant d'une lumière insoutenable. Une bourrasque venait de les frôler. \chloe se retourna, s'interposa entre lui et la magicienne, et un autre souffle violent partit sur le côté, renversant une petite table. Soit il avait pris un sacré mauvais coup sur la tête, soit il se passait vraiment quelque chose qui lui échappait. Les deux magiciennes étaient maintenant enveloppées de myriades de filaments argentés et irisés, et leurs yeux brillaient tellement qu'il devait faire attention à ne pas les fixer pour ne pas être aveuglé. Leurs bras semblaient bouger comme ceux de danseurs, exécutant une chorégraphie complexe qui le dépassait. Il avait l'impression d'assister, impuissant, à un combat violent dont il ne comprenait pas les règles. Les bourrasques partaient, toujours aussi puissantes, et finirent par former un flux continu de vent qui renversait tout ce qu'il y avait dans la pièce. Sauf lui, protégé juste derrière \chloe. Que pouvait-il faire ? Pas grand-chose de plus que \chloe lorsqu'il la défendait à l'épée, pensa-t-il amèrement. Attendre, et juste espérer qu'elle gagne ? Il ramassa un morceau de bois à ses pieds ---un demi-pied de chai\-se--- qu'il lança par-dessus \chloe, visant la magicienne. Il n'y connaissait pas grand chose en magie, mais déconcentrer leur ennemie pourrait peut-être donner à \chloe un léger avantage... Le bois s'envola et fut légèrement dévié par le vent, retombant à quelques mètres de sa cible. La \og tornade \fg ne montait donc pas en hauteur... pouvait-il leur lancer quelque chose de plus lourd, qui ne serait pas repoussé par le vent ? Il dut faire un pas en arrière pour ne pas gêner \chloe, qui commençait à reculer, et heurta l'énorme armoire en bois massif contre laquelle il s'était cogné quelques minutes plus tôt. C'était probablement le projectile idéal à lancer sur la magicienne, mais vu son poids, ce n'était même pas la peine d'y penser. Il n'y avait donc plus qu'une solution... Et il valait mieux ne pas traîner, \chloe n'allait peut-être pas tenir très longtemps. \recit{\jerome} Les deux hommes s'approchaient lentement, aux aguets, regardant régulièrement autour d'eux. Mais il en fallait plus pour repérer \jerome, bien dissimulé derrière un épais buisson. Même \chris était quasiment invisible, tapi derrière un gros rocher. \noindent --- Tu penses vraiment que ce gars est venu accompagné ? commença l'un d'eux.\\ --- Il ressemble plus à un éclaireur qu'à un soldat armé. Mais même si c'est le cas, s'il ne revient pas, il y a des chances pour que d'autres débarquent. J'espère qu'\magiciennevent le fera parler. Ou fera parler la prisonnière... puisqu'il paraît qu'elle le connaît.\\ --- Ouais... tu crois que ça serait pas plus facile si elle nous laissait l'interroger ? reprit l'homme avec un sourire.\\ --- Une sorcière ? T'es fou ? Moi je n'y toucherais pas. On ne sait jamais ce qui peut nous arriver... Si \magiciennevent nous a donné des ordres stricts, c'est qu'il y a une raison. \jerome échanga un regard avec \chris, qui hocha légèrement la tête. Ils parlaient probablement de \chloe, donc elle était bien ici. Et il ne valait mieux pas attendre trop pour agir, si \remi allait être \og interrogé \fg... À l'instant où les hommes, qui s'étaient tus, dépassèrent le rocher, \chris émit un léger sifflement et bondit sur l'un d'eux. \jerome lança un de ses dards en métal, qui se ficha dans le cou du second, puis bondit à son tour. \recit{\chris} \chris n'était pas aussi doué que \jerome pour attaquer par surprise. Il saisit l'homme par les épaules et plaqua une main sur sa bouche pour l'empêcher de crier lorsqu'il l'accompagna au sol. Son adversaire eut malgré tout le temps d'appuyer par réflexe sur la gâchette de son arbalète, et un carreau lui frôla le flanc. Il écrasa l'homme de tout son poids par terre, et jeta un regard à \jerome, qui se relevait à côté de son adversaire inconscient. Forcément, avec ses armes empoisonnées, c'était plus facile... Il retourna l'homme sur le ventre, lui bloquant le bras dans le dos, pendant que son ami vint pointer un dard ---un autre--- sur son visage. \noindent --- Où est \remi ? Que se passe-t-il à l'intérieur ? menaça-t-il. \recit{\remi} \remi était debout, perché sur l'armoire, observant le chaos tout autour de lui. La \og tornade \fg qui ravageait la pièce l'épargnait toujours, mais avait retourné tout le reste du mobilier. Il n'y avait plus qu'à espérer que son idée marche... Il n'avait aucun autre objet lourd à lancer sur la magicienne que lui-même. C'était probablement très dangereux ---ou peut-être pas du tout, en fait il n'en avait aucune idée---, mais s'il ne faisait rien, que lui arriverait-il ? \chloe avait encore reculé un peu, pendant que l'autre avançait. Il devrait pouvoir l'atteindre en sautant correctement. À cet instant, la magicienne leva les yeux vers lui et fit un geste. Il n'hésita plus, prit son élan et sauta par-dessus \chloe. \recit{\jerome} Les yeux de l'homme allaient de \jerome à son compagnon inconscient, et de \jerome à \chris \xspace--- du moins essayaient, vu qu'il était dans son dos. Mais il refusait toujours de répondre. Soudain, un éclat de lumière leur fit relever la tête. Les fenêtres du premier étage du château, qu'ils voyaient d'ici entre deux arbres, se mirent à luire d'une lueur aveuglante durant à peine une seconde. Puis le noir. \jerome cligna des yeux une fois ou deux. Peu à peu, ses yeux se réhabituèrent à la pénombre des bois et il retrouva une vision normale.\\ --- Mais... qu'est-ce que c'était que ça ? murmura \chris en secouant la tête.\\ L'homme immobilisé sous lui faisait des efforts surhumains pour tourner la tête dans la bonne direction, et même s'il ne disait toujours rien, son visage indiquait clairement qu'il se posait la même question.\\ --- On va voir ?\\ \jerome hocha la tête et planta son dard dans l'épaule de l'homme, qui ferma les yeux quelques instants plus tard, après un dernier sursaut.\\ --- Mort ? demanda \chris.\\ Il secoua la tête.\\ --- Non. Je n'ai pris que des somnifères puissants. Quand on part délivrer un otage, je préfère avoir des armes dont l'effet est potentiellement réversible... On ne sait jamais ce qui peut arriver.\\ \chris hocha la tête en lâchant l'homme et en se relevant.\\ --- Bien pensé.\\ --- Ça va, ta blessure ? ajouta-t-il en observant le côté droit d'\chris, où se dessinait une tâche rouge sur le tissu déchiré.\\ --- Ça ira, ce n'est pas profond et j'ai connu bien pire. Bon. Tu vas aller voir ce qui s'y passe, je ramène les chevaux plus près pour le cas où l'on doive partir vite.\\ --- Et les autres hommes qui patrouillent ?\\ --- Regarde, ils sont tous en train de revenir au bercail. Ils ont l'air aussi surpris que nous... ça nous laisse le champ libre. \jerome leva la tête. En effet, le groupe de trois hommes, qui était parti explorer la direction opposée, revenait en courant vers le château.\\ --- Tu prends leurs arbalètes ? demanda-t-il en voyant \chris récupérer le matériel des deux hommes.\\ --- Je sais à peu près m'en servir, répondit-il en armant un carreau. J'ai appris à la garde. \jerome récupéra ses dards métalliques et les rangea soigneusement, puis il prit rapidement la direction du château en ruines. \recit{\chloe} \chloe se frotta les yeux et se mit à genoux, en essayant de retrouver ses esprits. Elle avait du mal à estimer combien de temps elle avait passé à lutter contre \magiciennevent, et une partie d'elle-même se demandait encore comment elle avait pu le faire. Autour d'elle et contre les murs s'amoncelaient des meubles effondrés et brisés par les vents violents qui avaient agité la pièce quelques instants plus tôt. Et il y avait deux corps inanimés devant elle. Se relevant à peine, elle se précipita sur \remi et soupira de soulagement. Il respirait doucement. Elle se redressa, tout en gardant une main sur lui, et tenta de comprendre ce qui s'était passé. La magicienne évanouie tenait encore dans sa main crispée son bâton de magie, dont la pierre avait éclaté en une dizaine de morceaux qui dégagaient une lueur qui diminuait graduellement. Une pierre de magie brisée en pleine utilisation ? Ses souvenirs de cours sur le sujet étaient flous, mais elle se souvenait vaguement que les effets pouvaient être assez imprévisibles. Mieux valait ne pas y toucher. Mais que faire maintenant ? Un bruit la fit sursauter. L'unique porte de la pièce s'ouvrit lentement, sur trois hommes de main d'\magiciennevent. Ils marquèrent une seconde d'hésitation, stupéfaits par la vue de la pièce et de leur maîtresse inanimée. Puis l'un d'eux tira une épée courte de sa ceinture et la pointa d'un air menaçant. Un autre le suivit avec son arbalète. Mais ils n'osèrent pas avancer. Ils avaient peur. \chloe prit une grande inspiration et se redressa lentement avec un léger sourire sur les lèvres. Elle fit briller ses yeux et danser des filaments irisés autour d'elle. C'était très facile au fond, cela ne demandait quasiment aucun effort, c'était le niveau zéro de la manipulation des flux de magie. Beaucoup d'apprentis mages aimaient en jouer pour impressionner d'éventuelles conquêtes dans les tavernes de \capitale, mais elle n'en avait jamais vu l'intérêt. Jusqu'ici. \recit{\jerome} Escalader le mur aux pierres inégales et couvert de lierre avait été un jeu d'enfant. Pénétrer dans la pièce aussi, puisqu'une des fenêtres avait été brisée. Mais accroupi dans l'embrasure de la fenêtre, il n'en revenait pas de voir \chloe, debout au milieu de ce décor d'apocalypse, avec à ses pieds deux corps inertes, dont l'un ressemblait furieusement à \remi. Elle avait levé les bras et faisait danser autour d'elle des filaments argentés émettant une lumière quasiment insoutenable. Pourquoi ? Comment avait-elle causé ce cataclysme, si c'était bien elle ? Qu'était-il arrivé à \remi ? Qu'était-il arrivé à elle ? \jerome avait beau avoir déjà vu des mages en action, il devait reconnaître que la scène était impressionnante. Quand les filaments se dirigèrent lentement vers les trois hommes armés qui se tenaient à l'entrée, ceux-ci prirent peur et reculèrent. La jeune femme, toujours auréolée de lumière, s'avança vers la porte, et la referma d'un grand geste. L'instant d'après ses yeux s'éteignirent, et à la place de la magicienne réapparut la \chloe qu'il connaissait. Elle avait l'air plus petite, plus frêle, épuisée. Elle se retourna et s'adossa à la porte, en soupirant. \noindent --- Attends. Je vais verrouiller la porte, commença-t-il. Ça m'étonnerait qu'ils ne reviennent pas.\\ Elle sursauta.\\ --- Ce n'est que moi, \jerome, ajouta-t-il en posant doucement une main sur son épaule.\\ Elle le laissa accéder à la porte avant de répondre.\\ --- Et comment on va sortir d'ici ?\\ --- Par la fenêtre. \chris nous attend dehors. Qu'est-il arrivé à \remi ?\\ --- Un choc magique. Il va s'en remettre. \jerome observa la porte. Il n'y avait même pas de serrure, juste un loquet et un mécanisme pour l'actionner, comme on en trouve encore dans les anciennes maisons. Il ne lui fallut que quelques secondes pour le bloquer en position fermée à l'aide d'un morceau de métal. Il revint rapidement vers \chloe, qui s'était agenouillé auprès du jeune homme, et commença à sortir de son sac des cordes.\\ --- D'ailleurs, tu peux m'expliquer ce qui s'est passé ici ? \recit{\chloe} Même si elle était encore un peu sous le choc, et proche de l'épuisement à cause de toute cette magie manipulée, la présence efficace de \jerome lui donna un regain d'énergie. Tout en lui racontant brièvement ce qui s'était passé, elle l'aida à passer une corde autour de la taille de \remi pour le faire descendre par la fenêtre, où \chris les attendait. \noindent --- Et combien de temps il va mettre à se réveiller ? demanda \jerome.\\ --- Je ne sais pas. Quelques minutes, quelques heures... Il ne craint pas grand-chose dans cet état. Enfin, tant qu'on le garde en sécurité, compléta-t-elle en le voyant le retenir par une corde qui lui paraissait bien fine.\\ Mais \jerome connaissait son matériel, et semblait contrôler parfaitement la situation. \recit{\jerome} Le pied appuyé contre le rebord de fenêtre et la corde calée derrière ses reins, \jerome laissait filer doucement. \remi pesait lourd, et évanoui comme il était, il pouvait se faire très mal en tombant même de très peu. Il était d'ailleurs inquiet quand au sang qu'il y avait sur son visage, même si \chloe lui avait assuré qu'il n'avait rien. Comment pouvait-elle être sûre ? Des coups se firent soudainement entendre à la porte.\\ \noindent --- Tu avais raison. Ils sont revenus, et ils cherchent à entrer, annonça \chloe.\\ --- Normalement, ce que j'ai mis devrait tenir, répondit-il en hochant la tête. Mais le mécanisme est vieux et rouillé, il pourrait céder s'ils forcent trop. Il ne faudrait pas traîner. Tu saurais te laisser glisser le long d'une corde ?\\ --- Euh... Je n'ai jamais fait...\\ --- Alors je te ferai descendre comme lui. Il sentit la tension dans la corde se relâcher. Vu la longueur déroulée, \remi devait être arrivé en bas. Il avança sa tête à travers la fenêtre, et vit \chris décrocher la corde et charger le jeune homme sur son épaule. Il jeta un {\oe}il aux alentours. Personne à l'horizon, pour le moment. N'y avait-il ici que ces trois hommes, qui frappaient de plus en plus fort à la porte ?\\ --- \chloe, c'est à toi. Prépare-toi. Un gémissement à demi étouffé lui répondit. \\ --- \chloe ?\\ Il se retourna lentement, sentant son sang se glacer. \noindent --- Toi, ne fais pas un mouvement de travers, sinon elle y passe.\\ Un homme sorti de nulle part l'avait saisie par les épaules, la maintenant contre lui tout en pointant une arbalète armée sur son cou. Sa position n'était pas des plus confortables, et l'arme n'était pas des plus adaptées, obligeant l'homme à se tordre un peu le poignet. Mais la menace n'en était pas moins réelle. Il avança lentement vers lui, sans faire de mouvement brusque. D'où sortait-il ? Maintenant qu'il y réfléchissait, il y avait un troisième \og corps \fg dans la pièce. Dans un coin, à-demi enseveli par les débris d'une chaise brisée... Il aurait dû faire plus attention. C'était trop tard. L'homme désigna du menton la femme évanouie au sol.\\ --- \magiciennevent. Qu'est-ce qui lui est arrivé ? J'espère pour toi qu'elle est vivante. \recit{\chris} \chris était revenu aussi vite que possible après avoir mis \remi à l'abri derrière un pan de mur. Mais pourquoi \jerome ne revenait pas à la fenêtre ? Que faisaient-ils ? S'ils étaient en train de préparer leur descente, la corde ne pendrait pas comme cela... Quelque chose d'anormal se passait. Il s'approcha et tira doucement sur la corde. Il ignorait à quoi \jerome l'avait fixée, puisqu'elle allait jusque dans la pièce à l'étage, mais elle semblait tenir. Il prit une des arbalètes qu'il fixa à sa ceinture, et se hissa le long de la corde. Arrivant juste sous la fenêtre, il saisit son arme d'une main, et la posant sur le rebord, leva doucement les yeux pour observer la scène. \recit{\chloe} \chloe osait à peine respirer. L'emprise de \sbirea était forte, mais pas autant que la pointe du carreau pointé sur elle. Elle vit, à travers des larmes de terreur, \jerome lâcher la corde, s'approcher d'\magiciennevent, et confirmer qu'elle respirait. Puis l'homme lui ordonna d'aller ouvrir la porte. \jerome ne pouvait rien tenter, un geste à côté et \sbirea appuierait sur la gâchette de son arbalette... Vu comme il tremblait de rage et de peur, il n'était pas impossible qu'il relâche le tir juste par nervosité. La corde était tendue à l'extrême, et le carreau qui traverserait son cou ne lui laisserait aucune chance. Elle ferma les yeux et se concentra. Ce n'est pas comme si ça lui servait à quelque chose de voir, et la magie devait être la plus discrète possible. En plus, épuisée comme elle l'était, elle ne pouvait de toutes façons pas se permettre un sort approximatif. Ce n'était pas le moment de s'endormir dépuisement. Mais elle avait besoin de si peu de magie... une petite flamme, une étincelle même suffirait... \recit{\chris} Tapi à l'extérieur, accroché au rebord de la fenêtre, \chris observait la pièce sans pouvoir intervenir. Tirer un carreau sur l'homme qui retenait \chloe en otage ? Beaucoup trop risqué, même en supposant qu'il vise parfaitement bien. Il ne pouvait pas faire grand-chose, à part espérer une occasion d'intervenir. Et espérer au passage que ses doigts crispés supportent un peu plus longtemps son poids, car ses bottes n'avaient qu'une prise approximative sur le mur. Entre-temps, \jerome avait ouvert la porte, et les trois hommes étaient entrés dans la pièce, semblant se demander ce qui se passait. Lui seul avait remarqué la corde bien tendue, et avait jeté un regard discret dans sa direction. Il savait qu'il était là, et tout comme lui était bloqué, attendant une ouverture... ou une catastrophe. \chris cligna des yeux. Était-ce une larme qui avait brillé sur la joue de \chloe ? Un claquement sec se fit soudain entendre, suivi de deux cris de douleur. La corde de l'arbalète qui tenait la jeune femme en joue venait de se rompre brutalement, lacérant pronfondément l'épaule droite de \chloe et la main de son agresseur. \chris n'hésita pas longtemps, et décocha un carreau sur un des trois hommes qui venaient d'entrer, le plus loin de \jerome. L'homme, touché à la cuisse, poussa un hurlement qui détourna encore l'attention des occupants de la pièce. Puis, ne leur laissant pas le temps de réagir, il glissa le long de la corde si vite qu'il manqua de se brûler les mains ; et courut recharger son arme. Il s'inquiétait assez peu pour \jerome, qui était plus armé que tous les hommes présents, probablement même en cumulant. Mais était-ce suffisant pour venir en aide à \chloe ? Saurait-il profiter de la surprise ? Quoiqu'il en soit, mieux valait s'armer et se préparer à remonter, ou à couvrir leur fuite de la fenêtre. Heureusement qu'il n'avait pas trop perdu la main à l'arbalète... \recit{\chloe} La douleur était très vive, bien plus intense qu'elle ne l'avait imaginée. Mais contrairement à \sbirea, elle s'y attendait. Libérée de la menace, elle réussit à se dégager de l'emprise affaiblie de son agresseur en lui assénant quelques coups de coude et de pied. \noindent --- \chloe ! La fenêtre, la corde ! hurla \jerome.\\ Elle arrivait à peine à distinguer le jeune homme, pris dans un corps-à-corps avec l'un des hommes. Elle traversa la pièce sans regarder dans sa direction, en courant et en trébuchant sur les débris de meubles. La fenêtre avait été à demi-arrachée par le vent, mais la charnière tenait encore, et \jerome y avait fixé la corde, qui pendait toujours de l'autre côté. La corde et son attache avaient été assez solides pour tenir le poids de \remi, pourquoi doutait-elle soudainement du fait qu'elles supportent le sien ? Elle enjamba le rebord et s'agrippa à la corde. Elle commit l'erreur de jeter un {\oe}il en bas. Il n'y avait \og que \fg cinq ou six mètres jusqu'au sol, mais d'ici cela lui paraissait vertigineux. Elle crispa ses doigts sur la corde et laissa pendre ses jambes dans le vide, prudemment. Ses mains tiendraient-elle son poids ? Que se passerait-il si elle n'en avait pas la force ? \recit{\jerome} \jerome n'était pas tout à fait sûr de ce qui venait de se passer. Tout ce qu'il avait compris, c'était que \chloe avait réussi à se libérer de son agresseur. Profitant de la surprise provoquée par le tir d'\chris, il se rua sur l'homme à l'arbalète, dégainant dans un seul geste ses lames d'avant-bras. Celui-ci pointa son arme vers lui, mais pas assez vite pour empêcher \jerome de se glisser dessous et le poignarder à la poitrine. Il s'effondra en lâchant un carreau vers le plafond.\\ \noindent --- \chloe ! La fenêtre, la corde ! cria-t-il dans la direction de la jeune femme, tout en se relevant face au dernier homme valide. Son adversaire fit un pas en arrière, son épée en position de garde. Surpris, effrayé par la tournure des événements, et les poignards noirs et mortels qui étaient soudainement apparus dans les mains de \jerome. Mais il était bien décidé à se défendre et à venger ses compagnons blessés ou morts. Et sa posture confirmait ce qu'il avait intuité : ces hommes-là n'étaient pas des combattants amateurs. Sans possibilité de se cacher pour l'attaquer par surprise, il attendit patiemment, les jambes fléchies, prêt à bondir à la première offensive. Ce n'était pas la première fois qu'il affrontait un adversaire avec plus d'allonge. Mais ainsi concentré, il ne vit que trop tard l'homme à la main blessée ---qu'il aurait dû neutraliser plus tôt--- se diriger vers la fenêtre à la poursuite de \chloe. \recit{\chloe} Crispée sur la corde, osant tout juste la faire glisser d'un millimètre, elle vit avec effroi \sbirea apparaître à la fenêtre et lui saisir le bras de sa main valide. Elle poussa un cri. L'homme marqua une seconde de pause, comme s'il n'avait pas tout à fait réfléchi à ce qu'il allait faire ensuite, puis commença à la tracter vers la pièce. Elle essaya se s'accrocher au rebord, mais \sbirea, bien décidé à ne pas laisser échapper sa prisonnière une fois de plus, semblait capable malgré sa blessure ---ou peut-être grâce à sa blessure, qui le faisit enrager--- de la soulever d'un seul bras. Soudain, un carreau siffla et passa à une dizaine de centimètres au dessus du crâne l'homme avant de s'écraser sur le rebord haut de la fenêtre. Il eut un mouvement de recul, et par réflexe, lâcha son bras. Tentant en vain de se raccrocher à la corde, au rebord de la fenêtre ou au mur, \chloe sentit avec terreur son corps basculer dans le vide. \recit{\chris} \chris savait qu'il avait moins d'une seconde pour réagir. Mais il avait prévu ce cas. En tirant un carreau, il savait qu'il y avait de fortes chances pour que \chloe tombe. Il lâcha son arbalète et se précipita sous elle, la saisissant à la taille pour amortir sa chute. Le choc fut tout de même violent. Il roula au sol avec elle afin de briser sa vitesse, et essayer de les mettre à l'abri. Le souffle un peu court, il releva la tête vers la fenêtre mais heureusement, aucune arme ne semblait les menacer. \jerome devait faire son travail. Il se tourna vers la jeune femme, le regard dans le vide et respirant difficilement. La prise à la taille avait dû lui vider l'air des poumons. \\ --- Ça va ? Tu es blessée ?\\ Elle le regarda sans répondre, même si sa respiration redevenait lentement normale. Il ne voyait que son épaule ensanglantée, mais il ignorait si elle avait subi, dans sa chute ou avant, d'autre blessures. Elle était visiblement trop sous le choc pour y réfléchir.\\ --- Cours dans cette direction. Mets-toi à l'abri derrière ce pan de mur. Il avait dit cela lentement, mais sur un ton impérieux et ferme, s'adressant presque plus à ses jambes qu'à sa tête. Elle ne répondit toujours pas, mais se releva, attrapa sa robe et se mit à marcher dans la direction désignée, d'abord de façon hésitante, puis plus vite, et enfin se mit à courir. Cela ne garantissait pas l'absence de lésion, car il avait déjà vu des gens sérieusement blessés courir aussi vite lorsque leur vie en dépendait, mais au moins elle serait en sécurité. Il ramassa rapidement les deux arbalètes et était en train de les réarmer, quand il entendit la voix de \chloe.\\ --- Et \jerome ?\\ Elle l'appelait de derrière le muret.\\ --- J'irai l'aider si besoin. Cache-toi, et tiens-toi prête à devoir partir vite. Pour quelqu'un sous le choc, elle retrouvait plutôt vite ses esprits. \recit{\chloe} Son esprit chamboulé par la chute et le choc au sol se réorganisait petit à petit. Accroupie derrière le muret, elle voyait les trois chevaux, sellés et bridés, attachés à une branche proche. Cela suffirait-il à s'enfuir ? Pour où ? Surtout avec \remi, toujours inconscient, allongé à ses pieds... Elle n'osait pas regarder à nouveau de l'autre côté du mur. Et si ses ennemis l'apercevaient ? Elle pourrait difficilement se défendre seule. Réussirait-elle à s'enfuir à cheval ? Possible mais peu probable, et puis il était hors de question d'abandonner \remi. Pour ne pas se retrouver sans rien faire, elle prit le temps de vérifier son état. Il respirait toujours calmement, et ses sens magiques aiguisés l'informaient qu'il était encore sous l'influence de son accident. Combien de temps resterait-il à dormir ? Quelques minutes ? Des heures ? Voire peut-être des jours ? Sa santé serait alors sérieusement en danger... Elle sentait bien que tenter toute magie sur lui pour le moment était beaucoup trop risqué. D'abord parce qu'elle-même était très proche de l'épuisement, et ensuite parce que soigner un choc magique, c'était quelque chose qu'elle n'était pas sûre de savoir faire sans l'encaisser à sa place. Mais elle pouvait au moins vérifier, manuellement, qu'il n'avait pas d'autre blessure. \recit{\jerome} La chute de \chloe lui avait glacé le sang, et \jerome faillit se prendre un coup d'épée. Heureusement ses réflexes prirent le dessus. Il roula sur le côté en décochant un coup de pied à son adversaire, ce qui lui permit de rompre le duel. Sans chercher plus à lutter, il courut vers la fenêtre, où l'homme qui avait fait tomber la jeune femme se tenait toujours ; l'homme à la main blessée. Il s'était armé d'un couteau, mais il recula en le voyant arriver poignards tendus. Juste avant de se jeter sur le côté pour éviter un assaut, il trancha net la corde qui pendait à l'extérieur. \jerome haussa les épaules, et ne ralentit même pas en s'approchant de la fenêtre. Un regard en bas lui révéla \chris, mais il ne vit pas de corps étendu vêtu d'une robe violette. Où que \chloe soit, elle était probablement vivante. Cela lui rendit de l'énergie, et il se précipita dans l'ouverture. L'homme blessé, qui s'attendait à mourir pour avoir sa\-bo\-té la \og seu\-le \fg sortie de \jerome, ouvrit des yeux ronds quand il le vit enjamber sans hésiter le rebord de la fenêtre. Lâchant ses poignards ---qui restaient accrochés à ses poignets grâce à des lanières de cuir---, il n'eut aucun mal à désescalader le mur aux pierres inégales. \chris l'attendait en bas, une arbalète armée dans sa main droite et une autre posée au sol, tenant toujours la corde coupée, surpris mais soulagé. \noindent --- \chloe est en sécurité. On file en vitesse, lui dit-il tout en lâchant la corde.\\ \jerome hocha la tête et se mit à courir vers leur cachette, tandis que son ami lançait un dernier carreau vers la fenêtre, où venait d'apparaître un visage. \chloe attendait assise, avec la tête de \remi posée sur ses genoux. Elle poussa un petit cri de frayeur en le voyant arriver, puis se calma en le reconnaissant.\\ --- Tu sais monter à cheval ?\\ --- Euh... pas très bien.\\ --- Tu arriverais à tenir en selle ? continua-t-il tout détachant les animaux, rendus nerveux par l'agitation du jeune homme.\\ --- Ça devrait aller oui.\\ --- Aide-moi à charger \remi. Je monterai avec lui et toi ce cheval-là. \recit{\chris} Après avoir rechargé les deux arbalètes en vitesse, \chris aida \chloe à monter à cheval. Il lui mit les rênes dans les mains, et après s'être assuré qu'elle tenait bien la crinière, donna un petit coup sur la croupe de l'animal pour le faire partir à la suite de \jerome. En s'apprêtant à partir à son tour, il aperçut une silhouette indistincte ---il commençait à faire bien sombre--- arrivant à pied en contournant le bâtiment. Il tira à l'arbalète dans sa direction, le manquant assez largement. L'arbalète était une arme précise, à condition de viser calmement à deux mains. D'une seule main et tout en montant à cheval, il aurait probablement raté un bison des plaines barbares à cinq mètres. Mais son but était plus d'effrayer que de blesser. Il eut du mal à dire si son objectif était rempli, mais il ne vit aucune silhouette le suivre de trop près. Il étaient probablement équipés de chevaux eux aussi, et s'ils étaient déjà sellés et prêts à être montés, ils n'auraient aucune chance de les semer, avec leurs montures fatiguées et surchargées. Son esprit lui rappelait qu'un tel cas était possible, mais très peu probable : qui laisserait des chevaux harnachés toute la journée ? Leur situation semblait plutôt suggérer qu'ils ne s'attendaient pas à être surpris. Il finit par lâcher son second tir au hasard, après quelques centaines de mètres de galop. Non pas pour éloigner réellement des éventuels poursuivants, mais pour évacuer un peu de nervosité, et également parce qu'il craignait de blesser son cheval. Il mit la seconde arbalète en bandoulière, avec l'autre, et put de nouveau saisir les rênes à deux mains. S'il fallait à leurs aversaires ne serait-ce que cinq minutes pour être prêts, ils avaient de bonnes chances d'être trop loin, surtout avec la nuit qui tombait. Il accéléra un peu et se mit à la hauteur de \chloe. La jeune femme tenait tant bien que mal en selle, mais elle tenait. Elle tourna la tête vers lui. Il ne savait pas quoi dire pour la rassurer et préférait de toutes façons éviter de crier, alors il lui adressa un sourire et leva son pouce en guise d'encouragement. \recit{\chloe} \chloe avait mal. Son épaule la faisait souffrir à chaque mouvement du bras, ce qui arrivait souvent, vu sa difficulté à rester sur le dos du cheval. Ses doigts étaient tellement crispés sur la crinière qu'elle se demandait s'il y avait encore du sang qui circulait dedans. Avec les mouvements du cheval, elle se soulevait régulièrement de la selle pour retomber brutalement une foulée plus tard, avant de recommencer. Elle essayait de maintenir ses jambes de part et d'autre pour maintenir au mieux son équilibre, mais en portant pas de pantalon, ses cuisses frottaient douloureusement contre les coutures en cuir de la selle, et bien sûr elle était trop petite pour les étriers, qui sautillaient joyeusement autour d'elle et ne manquaient pas de lui heurter les pieds ou les chevilles de temps en temps. Et encore, elle avait laissé tomber l'idée d'être décente, avec sa robe et son jupon qui volaient dans tous les sens et se prenaient dans presque toutes les branches qu'ils pouvaient croiser. Pourtant, elle se sentait étrangement bien. Elle n'avait plus peur. Elle était libre, enfin. Elle n'était pas encore en sécurité, mais l'espoir de l'être pour de bon lui donnait de l'énergie pour endurer toute cette douleur, sans compter la fatigue physique, mentale et magique. Elle ne savait pas diriger son cheval, mais celui-ci semblait suivre naturellement celui de \jerome. Heureusement, elle car elle n'était pas sûre de réussir à le faire, tout en se maintenant en selle. Lorsqu'elle vit \chris arriver à sa hauteur, semblant faire corps avec sa monture et la contrôler aussi naturellement que s'il lui parlait par la pensée, elle ne put s'empêcher d'avoir une pointe d'envie. Il était même assez à l'aise pour tenir ses rênes d'une seule main et lui adresser un geste de l'autre, sans avoir à s'agripper ni risquer de perdre l'équilibre. Elle essaya de lui répondre par un sourire, mais difficile de voir si elle le voyait, entre l'obscurité et les secousses du cheval. Il avait l'air plutôt optimiste et encourageant. Mais personne n'avait eu le temps de lui expliquer s'ils allaient au hasard ou dans une direction bien précise, ni combien de temps ils allaient chevaucher. Avec la difficulté d'estimer le temps qui passe, elle se demandait si elle tiendrait jusqu'au bout. \recit{\remi} Lorsqu'il ouvrit les yeux, \remi ne vit tout d'abord rien. Qu'avait-il fait la veille et où avait-il dormi pour être dans le noir complet ? Sa tête lui faisait affreusement mal et il avait l'impression qu'un troupeau de bovins lui était passé sur le corps. Rectification. Qu'avait-il bu la veille pour être dans cet état ? Il y avait une forte odeur de cheval. Il avait donc fini dans une écurie ? Il essaya de se redresser, puis se rendit compte que son corps ne réagissait pas tout à fait comme prévu. Il poussa un gémissement et essaya au moins de porter une main à sa tête, où son sang tambourinait si fort qu'il semblait vouloir s'en échapper. Et pourquoi avait-il l'impression d'être secoué dans tous les sens ? \noindent --- Je crois que \remi a bougé. Cette voix, celle de \jerome, commença à lui faire retrouver ses esprits. Il n'était pas dans une écurie, mais sur un cheval, chargé comme un sac, avec les jambes d'un côté et le corps de l'autre. À son grand soulagement, la monture passa du galop au pas, puis s'arrêta. Un bras l'aida à en glisser sans tomber, et il se retrouva sur ses pieds. \jerome était sur le cheval qui venait de le porter. Juste derrière eux, il aperçut \chris, pied à terre, en train d'ajuster quelque chose sur la selle où se tenait \chloe. Il secoua la tête au fur et à mesure que ses souvenirs revenaient.\\ --- \chloe ? Quelqu'un peut m'expliquer ce qui s'est passé ? Je crois avoir raté un épisode...\\ --- Ouf, tu vas bien, répondit \chris en tournant la tête. On se racontera les détails plus tard, il vaut mieux ne pas traîner. Je ne sais pas trop si \og on \fg nous suit, et à quelle distance. Tu tiendras à cheval ? Il sentait toujours son pouls battre douloureusement dans ses tem\-pes, et son estomac vouloir éjecter tout ce qu'il avait mangé, mais cette sensation semblait diminuer au fur et à mesure qu'il respirait l'air frais de la forêt.\\ --- Ça ira.\\ --- Parfait. Monte derrière \chloe, le cheval de \jerome est un peu trop fatigué. Ses jambes lui paraissaient encore un peu faibles, et il eut besoin d'un petit coup de main du guerrier pour s'installer en selle. Puis il noua ses bras autour de la taille de la jeune femme, et ils se remirent en route. \recit{\chloe} \chloe avait perdu toute notion du temps. Ils avaient chevauché pendant un long moment, parfois au galop, parfois au pas afin de reposer les chevaux. Ils avaient pris des chemins détournés, marchant de temps en temps dans des ruisseaux ou sur des parties rocailleuses, et faisant des détours. Parfois, \jerome restait en arrière un moment pour brouiller leurs traces. En tous cas, ils n'avaient pour le moment vu personne à leurs trousses. \remi n'avait rien dit depuis qu'il s'était installé derrière lui, mais elle sentait ses bras autour d'elle et sa respiration calme. Il était probablement encore un peu embrumé. Elle était un peu agacée de constater que, même dans son état, il suivait tout naturellement les mouvements du cheval, bien mieux qu'elle. D'un autre côté, il l'aurait probablement désarçonnée si ça n'avait pas été le cas. Mieux, en étant collé contre elle il l'aidait un peu à tenir en selle et à s'adapter à l'allure de sa monture. Si on y ajoutait le fait qu'\chris avait réussi à mettre les étriers à peu près à sa taille, c'était presque confortable. D'autant qu'elle n'avait pas besoin de guider son cheval, puisqu'une lanière était accrochée depuis sa bride à la selle de la monture du guerrier. Ils débouchèrent bientôt hors de la forêt, sur des routes de terre, qu'ils suivirent. Ce n'était pas juste l'obscurité de la forêt, la nuit était tombée, on ne distinguait plus que quelques lueurs rouges à l'horizon. Ils longèrent quelques hameaux, où les fenêtres s'étaient illuminées.\\ --- Où allons-nous ? osa-t-elle finalement demander.\\ --- À la ferme où on loge, je suppose, répondit \jerome qui avait avancé son cheval à ses côtés.\\ --- Je me demande, répondit \chris, si on ne ferait pas mieux d'aller en ville, histoire d'être sûr de brouiller les pistes. Nous y retrouver sera très compliqué.\\ --- Tu comptes passer la nuit là-bas ? Où, vu qu'il n'y a pas une auberge de libre ?\\ --- Tu as raison, il vaut mieux aller à la ferme de la vieille \nomvieille. \og On \fg n'a pas plus de raison de nous chercher là qu'ailleurs, après tout.\\ --- La vieille \nomvieille ? demanda \chloe.\\ --- Une veuve, propriétaire d'une petite ferme, qui nous autorise à dormir dans sa grange en échange de divers services, répondit \chris. Elle grogne beaucoup mais elle n'est pas méchante. Et elle nous prépare généralement à manger, le soir.\\ --- Ah oui tiens. Je commence à avoir faim, reprit une voix dans son dos.\\ L'obscurité ne l'empêcha pas de voir \jerome sourire.\\ --- Bon, au moins l'estomac de \remi n'a pas trop souffert de son accident magique. \recit{\chris} Il leur fallut encore plus d'une heure, pour atteindre leur objectif, après plusieurs détours par des chemins variés. \chris n'avait cessé de regarder aux alentours en craignant de voir débouler des cavaliers armés. Il paraissait peu probable qu'on ait réussi à retrouver leur trace si vite, surtout de nuit, mais il ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter. La ferme de la vieille \nomvieille n'était même plus éclairée. Quelle heure était-il ? Il avait perdu toute notion du temps. Il mit pied à terre et hésita quelques instants avant de frapper à la porte de la petite chaumière. Il valait mieux la déranger et endurer une éventuelle colère, et avoir de quoi se restaurer et se soigner. Sa plaie au côté, bien que peu profonde, le lançait régulièrement.\\ --- Tu penses pouvoir soigner une blessure, \chloe ? lui demanda-t-il.\\ Elle secoua la tête.\\ --- Pas ce soir, je suis trop épuisée. Demain probablement.\\ --- Tant pis, on s'en occupera à l'ancienne. Une minute plus tard, après avoir entendu des pas et des grognements, il vit la porte s'ouvrir sur une petite bonne femme avec un bonnet de nuit, un bougeoir à la main et une mine renfrognée.\\ --- C'est vous ? Vous auriez pu prévenir que vous sortiez tard !\\ --- Nous sommes profondément désolés, madame. Nous avons eu un empêchement. Est-il possible d'avoir de l'eau bouillie pour nettoyer des plaies ?\\ La vieille cessa quelques instants de bougonner et avança sa main tenant le bougeoir, jusqu'à éclairer \chris dans son entier. Son regard se posa sur son flanc largement tâché de sang.\\ --- Oh.\\ Elle aperçut alors \chloe, le regard un peu perdu et l'épaule ensanglantée.\\ --- Ah vous avez ramené quelqu'un en plus. Dites-donc, elle a pas l'air en forme, la pauvrette.\\ Elle marqua une pause, et tourna la tête plusieurs fois vers l'intérieur de la chaumière, en maugréant.\\ --- Bon, le feu n'est pas mort. Revenez dans un petit moment.\\ Et elle ferma la porte. Les quatre compagnons se regardèrent.\\ --- Elle est toujours comme ça ? demanda \chloe.\\ --- Oh, je la trouve presque gentille ce soir, répondit \chris.\\ --- Elle va rouvrir ?\\ --- J'imagine. Mais je ne sais pas dans combien de temps. Ils marquèrent un temps de pause, et comme si son corps reprenait enfin ses droits, \chris sentit la douleur et la fatigue déferler sur lui. Mais il n'était pas encore temps de se reposer.\\ --- \jerome, \remi, vous pouvez aller à pied faire un tour aux alentours, histoire d'être sereins ? Et vérifier à quel point nos traces sont visibles. Il vaut mieux être trop prudent que pas assez...\\ Les deux jeunes hommes hochèrent la tête et tournèrent les talons, en lui tendant les rênes de leur monture. Ils n'avaient pas l'air beaucoup plus en forme que lui.\\ --- \chloe, comment te sens-tu ?\\ Elle haussa les épaules.\\ --- Je suis épuisée, j'ai mal, j'ai faim et j'ai froid, mais ça va. Que fait-on en attendant que cette... dame rouvre sa porte ?\\ --- Je vais aller m'occuper rapidement des chevaux. Veux-tu aller te reposer dans la grange ? On a des couvertures.\\ Elle secoua la tête.\\ --- Est-ce que je peux t'aider ?\\ --- D'accord. Tu peux aller ouvrir la barrière de l'enclos là-bas et vérifier qu'il y a de l'eau dans l'abreuvoir ?\\ Elle hocha la tête et partit devant lui. Il fut presque surpris de voir l'ardeur que \chloe mettait dans sa tâche, elle fit même plusieurs allers et retours au puits pour remplir l'auge qui était presque vide. Chacun avait sa manière de gérer la décharge d'émotions qu'ils venaient de traverser et pour le moment, s'occuper des chevaux lui faisait du bien à lui. Les braves bêtes avaient couru plus que de raison, tout en portant de lourdes charges. Si on ne prenait pas bien soin d'elles après un tel effort, cela pouvait les rendre malade ou les tuer. Il vérifia longuement les sabots, inspectant chaque fer, prenant même le temps de mettre un peu d'eau fraîche sur les pattes pour les détendre. Un cheval en bonne santé coûtait très cher, mais pour \chris, ce n'était pas le coût financier qui importait. Il n'était pas de ces guerriers qui traitent leur monture comme un simple outil ou une arme, même onéreuse. Il traitait les chevaux avec respect et attention, comme s'il cherchait à se pardonner d'emmener ces braves bêtes risquer leur vie alors qu'elles n'avaient rien à voir avec ces histoires humaines. Enfin, et surtout, le contact des animaux l'aidait à évacuer le trop plein d'émotion qu'il venait de vivre. Il avait gardé son sang-froid durant tout cet épisode où beaucoup de choses s'étaient jouées à un cheveu près. Tout ce qui aurait pu mal tourner. Tous les instants où chacun d'entre eux avaient risqué leur vie... parfois juste brosser un cheval était tellement rassurant. \chloe le rejoignit après son troisième seau d'eau et vint caresser le museau du cheval dont il s'occupait. Visiblement, l'effet apaisant des chevaux ne marchait pas que sur lui. \noindent --- Hé, vous faites quoi ?\\ Il sursauta. La porte de la maison venait de s'ouvrir, et la silhouette de la vieille \nomvieille se découpait devant un intérieur légèrement éclairé. Ils se hâtèrent de quitter l'enclos et coururent vers elle. \recit{\chloe} \noindent --- Il est trop tard pour que vous mangiez à l'intérieur, dit la vieille dame en maugréant. Vous vous débrouillerez dans la grange, mais la soupe est encore chaude.\\ Elle leur tendit une soupière à couvercle et un gros morceau de pain dessus.\\ --- J'ai fait bouillir de l'eau, là-dedans, et j'ai aussi ça.\\ Elle leur donna une casserole ainsi qu'une bouteille poussiéreuse à demi-pleine.\\ --- Ha ! La gnôle de feu mon mari a toujours été un peu trop forte. Mais je ne connais rien de mieux pour soigner les blessures du corps comme celle du c\oe{}ur ! Vous avez de la chance j'ai même retrouvé quelques vieux langes qui feront des bandages acceptables.\\ --- Merci pour tout, madame. Nous vous sommes reconnaissants, répondit \chris en prenant presque avant difficulté tout ce qu'elle tendait.\\ --- Et maintenant, laissez-moi dormir ! Et elle ferma la porte. \chloe regarda \chris avec un air un peu ahuri.\\ --- Je crois que je vois ce que tu veux dire par \og pas méchante mais \fg.\\ --- Je t'avais dit ! Direction la grange maintenant. Désolé on n'a pas mieux que des tas de paille pour dormir. Lorsque, dans la grange, \chris alluma une lampe à huile pour les éclairer, elle pu voir la simplicité du campement. Dans un coin, du matériel entassé, et une ciasse vide sevrait de table d'appoint. Dans un autre coin, des meules de paille, dont certaines avaient été défaites pour servir de lit, avec des couvertures posées dessus. Et une odeur flottante de renfermé, de vieux bois, et d'animaux de ferme.\\ --- C'est parfait ! s'exclama-t-elle en souriant. Ils prirent le temps de nettoyer la blessure de \chris, plus sévère, puis la sienne, avec de l'eau et l'alcool. L'eau-de-vie dégageait une odeur à réveiller les morts, ce qui les dissuada de la goûter, mais elle était parfaite pour désinfecter les plaies. \chloe avait bien entendu appris quelques notions de médecine non-magique, mais elle fut surprise de constater que le guerrier était lui aussi expérimenté dans le domaine. \chris était en train de terminer de bander son épaule quand \jerome et \remi arrivèrent enfin. \noindent --- Les environs sont calmes. Tout est bon ! commença \jerome.\\ Ils soupirèrent de soulagement.\\ --- Vous pensez qu'ils peuvent nous retrouver ? demanda \chris.\\ --- Il y a quelques traces qui sont mélangées avec celles de tas de chevaux, de charrettes, et de pas... ça ne va pas leur faciliter la tâche, confirma \remi.\\ --- Avec des chiens, peut-être ?\\ --- Je n'ai pas vu un seul chien sur le lieu où j'étais retenue prisonnière, précisa \chloe.\\ --- Ils pourraient en faire venir, ajouta \jerome. Mais d'ici là, ce n'est pas dit que la piste soit encore fraîche. Sans technique magique, je ne vois pas comment ils pourraient...\\ --- Euh, d'ailleurs, en parlant de technique magique, coupa \chris, la pierre, elle est où ? C'est toi qui l'avais, \remi, non ? \recit{\remi} Il y eut un silence.\\ --- La pierre ? C'est avec la pierre que vous m'avez retrouvée ? demanda \chloe.\\ --- Oui, la pierre qu'a enchantée \ismael, répondit \chris. C'est toi qui l'avais non, \remi ?\\ --- Oui, il me semble, commença-t-il.\\ --- Ça veut dire que \denise a réussi à vous la donner ? Comment ? questionna \chloe avec excitation.\\ --- Je veux bien qu'on reprenne tout depuis le début. Mais en mangeant quelque chose, de préférence, répondit \remi en pointant la soupière qui avait été posée près de leur table d'appoint. Et tout en se restaurant de soupe et de pain, ils racontèrent leurs aventures. \jerome commença par son intrusion dans le château, espérant retrouver \denise qui était en fait \og partie \fg voir \chloe. Puis \chris raconta comment il était parti chercher \remi, et celui-ci compléta en racontant l'altercation avec les ivrognes de la taverne du \tavernecontact, et leur rencontre avec \denise et \aure. Puis ils passèrent un moment à recouper leurs informations respectives sur ce qui s'était passé dans la \og cachette \fg de leurs ennemis. \noindent --- J'ignorais que les mages pouvaient prendre le contrôle des sorts des autres, commenta \chris après les explications de \chloe.\\ --- C'est souvent utilisé pour l'apprentissage, pour aider ceux qui apprennent de nouveaux sorts. Un mage expérimenté peut alors guider... je l'avais déjà fait mais jamais en m'opposant à un autre mage ! Je ne savais même pas que j'en étais capable. Je crois que le fait de voir \remi en danger m'a donné l'énergie... ajouta-t-elle en souriant. Il sourit lui aussi. Il était à la fois impressionné, soulagé, épuisé, et il ne savait pas exactement où se placer vis-à-vis de la jeune femme. Elle tenait à lui, certes, et vu ce qui s'était passé il y a quelque temps, il pouvait légitimement penser qu'il y avait plus. Mais le considérait-elle vraiment comme un amant ? Un ami très cher ? Autre chose ? \noindent --- Et donc, la pierre, elle est passée où, \remi ? C'est toi qui l'avais alors, si j'ai bien suivi ? demanda \chris en interrompant ses pensées.\\ --- Je l'avais dans la main au moment où les hommes m'ont repéré, précisa-t-il.\\ --- \og Ils \fg l'ont prise alors ! s'exclama \chloe, horrifiée. Ils peuvent donc encore me retrouver ?\\ --- Ne panique pas, \chloe, encore faudrait-ils qu'il se rendent compte de son pouvoir, répondit \chris. Cet enchantement est peu connu !\\ --- Non, mais en fait je suis presque sûr de l'avoir lâchée quand ils m'ont repéré, dans la forêt, ajouta \remi. Je l'avais en main à ce moment-là.\\ --- Tu es sûr ? insista \chloe, inquiète.\\ --- Je ne suis pas sûr de l'endroit où elle est tombée, mais un peu plus tard ils m'ont fouillé pour me prendre mon épée, mon couteau et vérifier que je n'avais rien d'autre sur moi... ils n'ont pas trouvé de petite bourse contenant une pierre, c'est certain.\\ --- Tu penses qu'ils auraient pu la ramasser ? demanda \chris.\\ --- Peu probable. Un petit caillou insignifiant par terre ? Il faudrait déjà savoir qu'elle existe. Et même dans ce cas-là la retrouver n'est pas simple car elle ressemble à n'importe quelle autre pierre. Nous pouvons remercier \ismael d'avoir choisi un objet aussi simple pour son enchantement, n'importe quel objet humain aurait éventuellement pu attirer l'attention. Ils marquèrent une pause, un peu soulagés.\\ --- Mais existe-t-il un moyen de retrouver un objet enchanté de la sorte ? demanda \chris, pensif.\\ --- On n'a pas de paladin ni de prêtre de \deesse sous la main, répondit \jerome, donc difficile de répondre à cette question.\\ --- À ce propos, vous avez quelles nouvelles d'\ismael ? reprit \chloe d'un air inquiet.\\ --- À ma connaissance, \seve est toujours en route, elle n'a pas encore atteint le village de \villagechute. Il faudra voir si on ne va pas lui porter assistance...\\ --- Oui, mais on peut discuter de ça demain, coupa \jerome en bâillant. Il est très tard et nous sommes tous épuisés. Tout en se levant, il mit la main dans sa poche, et sembla se rappeler de quelque chose.\\ --- Oh, attendez ! Il s'arrêta et sortit de sa poche un éclat de pierre orangée, allongé et long comme le poing, qu'il posa sur la table.\\ --- Oh ! s'exclama \chloe. C'est un morceau de la pierre brisée d'\magiciennevent non ?\\ --- Oui. Je l'ai ramassé, je ne sais plus quand... je n'aurais pas dû ?\\ \chloe haussa les épaules tout en prenant l'éclat dans sa main.\\ --- Si tu n'as rien eu, c'est que tout va bien !\\ --- Est-ce que tu crois que ça peut te servir ? demanda \jerome. Vu que tu n'as plus ton bâton...\\ --- Probablement.\\ Elle ferma les yeux et sembla se concentrer quelques instants. \remi se demanda s'il n'y avait pas un filament de lumière qui sortait de ses paupières, jusqu'au morceau de pierre qui s'alluma légèrement. Puis elle les rouvrit brusquement. Ses yeux, légèrement lumineux, étaient en train de redevenir normaux.\\ --- Oui. Ça peut être mieux que rien. Il y a juste un problème.\\ --- Ah ? demanda \remi.\\ Elle lui tendit sa paume ouverte.\\ --- Touche l'éclat.\\ Un peu hésitant, il toucha du bout des doigts la pierre qui reprenait progressivement son aspect habituel. Elle était froide comme un morceau de glace. \jerome et \chris touchèrent à leur tour la pierre et eurent la même réaction de surprise. \chloe hocha la tête.\\ --- Et je n'ai fait qu'entrer en contact avec la pierre... Si je l'utilisais à mains nues, je me brûlerais avec le froid.\\ --- C'est pour ça que les pierres sont souvent montées sur des bâtons ? demanda \jerome.\\ --- Oui. \\ --- On peut peut-être bricoler un support de fortune pour cette pierre si tu veux. Ça pourrait te servir... parce qu'en attendant de récupérer le tien, on est mal partis pour t'en trouver un ici. Et \capitale est trop loin.\\ \chloe prit un air contrarié.\\ --- Si c'était aussi simple... en fait à travers un matériau normal ça ne fonctionne pas. Il faut un support spécial, harmonisé avec la pierre de magie.\\ --- Ah ? \jerome prit un air déçu.\\ --- Je vais le garder quand même, on trouvera peut-être une solution pour cette histoire de support. Et cette fois je vais dormir, je ne tiens plus debout ! Ils se traînèrent plus que ne marchèrent vers les couchettes de paille, ivres de fatigues. Sans qu'il ne lui propose, \chloe s'installa spontanément sur son lit et se blottit dans ses bras. Était-ce parce qu'elle cherchait juste du réconfort après toutes ces épreuves ou... ? Il se remémora une pensée qu'il avait eue un jour, il y a très longtemps, en la rencontrant. Qu'il s'était juré de ne pas se lier à une noble, ça n'attirait que des ennuis. Et le genre d'ennuis qu'il avait, de fait, connus depuis sa rencontre dépassait ses rêves ---ou plutôt ses cauchemars--- les plus fous. Alors peut-être que c'était trop tard de toutes façons. Il passa doucement son bras autour d'elle, et s'endormit avant d'avoir le temps de réfléchir plus. \recit{\seve} \noindent --- Et pouvez-vous me dire quel est le village de l'autre côté de ce pont ? demanda \seve tout en rendant la monnaie\\ --- C'est \villagechute. Puis sur la même route, plus loin, vous trouverez \villagechuteacote. Ce sont deux petits villages sans grand intérêt, répondit une vieille femme, ravie de lui acheter un joli sablier orné.\\ --- J'y passerai quand même. Merci ! \seve trépignait d'impatience, elle savait qu'elle touchait au but, et n'avait qu'une envie, c'était de lancer son cheval au galop pour arriver plus vite, même si elle reconnaissait qu'avoir une couverture adéquate lui était très utile, car beaucoup de gens lui avaient posé des questions. Pas des questions spécialement intrusives, mais simplement des gens aimant discuter. Elle avait vite enrobé son histoire, et n'hésitait pas à rajouter quelques potins de la capitale par-dessus. Mais là, si près du but, elle n'en pouvait plus. Sitôt le dernier client parti, elle rangea à la hâte son matériel, qu'elle avait simplement étalé sur un grand drap de la place, juste à côté de sa charrette. Elle se mit en route vers le fameux pont qui traversait l'\riviereirande. Ce pont était certes un peu grossier et étroit, mais robuste et solide. Il valait mieux, car il n'y avait pas d'autre pont pour traverser la rivière avant un moment. Une quinzaine de minutes plus tard, elle arrivait en vue du village de \villagechute. C'était un petit village de la vallée, qui passait bien juste dessous de la route des falaises. Il paraissait crédible qu'un homme dévalant la pente raide dans la forêt arrive non loin du village. Ce n'était pas le seul village des environs à avoir cette caractéristique cependant. Sans son nom, et sans savoir où chercher dans le village, elle aurait pu mettre des semaines à le retrouver... Elle traversa le centre du village, puis se dirigea vers la forge. On était en milieu d'après-midi, et il y avait du monde sur place. Heureusement, lorsqu'elle commença à adresser la parole au forgeron, les gens étaient progressivement en train de partir.\\ --- J'ai besoin de faire vérifier les fers de mon cheval, je crois qu'il y a un souci, commença-t-elle.\\ Elle n'avait aucune idée de son nom, \ismael ne lui ayant pas donné. Elle espérait juste que c'était bien le forgeron en question et qu'il n'y en ait pas d'autre. Après quelques paroles banales, il se retrouva seul avec elle en train de dételer la charrette pour mieux soigner le cheval. Elle décida de se lancer directement.\\ --- Je suis une amie d'\ismael.\\ Il sursauta légèrement.\\ --- Je ne vois pas de qui vous voulez parler. \\ Et il reprit son travail, finissant de détacher la charrette et emmenant la jument un peu plus loin afin de vérifier ses pieds. Évidemment, il n'avait pas sursauté pour rien. Il était nerveux et ça se voyait.\\ --- Je suis venue pour l'aider, insista-t-elle. Dites-lui que \severine de \villetemple est là.\\ L'homme se referma et commença à soulever les sabots. Elle s'apprêtait à relancer une remarque, impatiente, quand il se redressa en posant le sabot.\\ --- Il me manque des clous. Je vais en chercher, attendez-moi ici. Et il s'éloigna sans plus d'explications. \recit{\ismael} Cela faisait plusieurs jours qu'il n'avait pas eu de nouvelles. Ni de ses amis, ni des hommes qui le cherchaient. Il n'avait pas osé en demander plus à ses hôtes, qui faisaient déjà beaucoup pour lui. Il essayait au maximum de rester loin des fenêtres, et de toutes façons il avait toujours beaucoup besoin de se reposer. Il continuait à faire de son mieux pour aider \femmeforgeron, même s'il ne pouvait pas faire grand-chose en pratique. Garder ses enfants lorsqu'elle s'occupait de la maison ou de ses travaux de couture ---et encore, il aidait plutôt \titefille à s'occuper de son petit frère--- et lui apprendre des choses. Il était en train de l'aider dans sa lecture quand il entendit \forgeron rentrer. Il était tôt, d'habitude il travaillait presque jusqu'au coucher du soleil. \noindent --- \ismael ?\\ \forgeron entra dans la pièce dans laquelle il se trouvait. Il jeta un \oe{}il à la fenêtre comme s'il vérifiait qu'il n'y avait personne qui l'espionnait.\\ --- Est-ce que tu connais une femme du nom de \severine ?\\ --- Oui, pourquoi ?\\ --- Elle te cherche. Qui est-elle ?\\ Son c\oe{}ur bondit dans sa poitrine et il se leva avec enthousiasme. Ou plutôt, il essaya, et la douleur de sa jambe le rappela bien vite à la réalité. Puis il s'arrêta. N'avait-il pas dit à \seve de justement ne pas venir le secourir ? Il hésita. Et si c'était un pège ?\\ --- Est-ce que... À quoi ressemble-t-elle ?\\ --- Grande, brune, à peu près ton âge. L'air particulièrement décidé. Elle m'a dit qu'elle était \severine de \villetemple.\\ Il sourit. Sa ville d'origine ---d'où elle s'était enfuie avec son aide--- était bien trop lointaine pour qu'il y ait un risque à l'évoquer.\\ --- Très peu de gens savent d'où elle vient, elle ne partage pas ce secret avec n'importe qui, répondit-il en souriant, soulagé, et la description correspond. Je n'espérais même pas qu'elle vienne m'aider ! C'est inespéré.\\ \forgeron sembla se détendre un peu.\\ --- Je vais la faire venir alors. Elle est arrivée avec une charette, qui ressemble à celle d'un marchant ambulant. Remarque ça sera plus facile pour te transporter.\\ \femmeforgeron arriva alors dans la pièce.\\ --- Je t'avoue que je serai soulagée quand tu ne seras plus là. Non pas que je ne veuille pas de toi ici, mais il y avait ces soldats qui tournaient autour, et puis ton histoire étrange... et puis tu seras mieux auprès des tiens dans tous les cas.\\ --- Tu vas partir ? demanda \titefille. Est-ce que tu reviendras ?\\ Il marqua une pause. Il s'était attaché à la petite, qui aimait beaucoup discuter et apprendre avec lui durant les longues journées de dur labeur de ses parents.\\ --- Si je peux, je reviendrai, je te le promets, lui répondit-il en souriant. \recit{\seve} Après une attente qui lui avait paru interminable, le forgeron avait enfin accepté de la mener à \ismael. Ils avaient pris le temps de ré-atteler le cheval afin de pouvoir mettre le paladin blessé dans la charrette.\\ --- Si je puis me permettre, lui dit-il en chemin, faites attention. Il y avait deux hommes, des soldats apparemment, qui cherchaient votre ami.\\ --- Oh. Inquiétant. Ils étaient comment ?\\ --- À cheval, armés. Ils prétendaient être d'un comté voisin et offraient une forte récompense à qui les mènerait à eux. Deux cent pièces d'or.\\ Elle eut un frisson.\\ --- Mais c'est une somme énorme !\\ Il hocha la tête.\\ --- Pour moi, c'était signe que ces gens-là n'étaient pas nets. Même les têtes mises à prix pour sérieux crime vont rarement jusque-là. Et dans ce cas-là, on en entend parler. Et puis votre ami... il nous a dit que si on avait le moindre doute il voulait qu'on le livre aux soldats officiels. Et ça m'a donné un peu plus confiance. Un dangereux assassin ---comme ils disaient--- m'aurait juste promis le double de la somme... que je n'aurais jamais vue de toutes façons. Ha !\\ Ils arrivèrent à la maison, et attachèrent le cheval devant, puis entrèrent. \ismael était là, assis le torse nu et couvert d'un bandage à l'épaule droite. Il avait le visage couvert de coupures en train de cicatriser, et il lui sourit dès qu'il la vit.\\ --- \seve !\\ --- \ismael ! Dans quel état tu es !\\ Il essaya de se lever mais grimaça. Il avait probablement d'autres blessures.\\ --- Ça va. Vu ce qui m'est arrivé, je suis content d'être en vie. Pourquoi es-tu venue me chercher ? Il fallait sauver \chloe en priorité...\\ --- T'inquiète. Les autres s'en occupent. Je te raconterai ça en chemin, mais tu les connais, ils sont plein de ressources.\\ Il sourit. Elle s'avança pour l'aider à se relever. \bigskip À cet instant, dans son dos, la porte s'ouvrit brusquement. \femmeforgeron poussa un cri. \seve se retourna pour voir deux hommes, armés chacun d'une épée, qui venaient de pénétrer dans la maison.\\ --- Ah ! Il est là ! s'exclama le premier en apercevant \ismael qui avait pâli.\\ --- Je savais bien qu'il était caché chez l'un des villageois. On a bien fait de surveiller... Sans même jeter un regard aux habitants des lieux, ni même à \seve, ils s'avancèrent et pointèrent leurs épées sur \ismael.\\ --- Toi. Lève-toi et mets calmement tes mains sur la tête. Si tu peux.\\ --- Non ! hurla \seve, en s'interposant.\\ L'homme qui était le plus près la dégagea d'un coup de coude puis pointa son épée sur elle.\\ --- N'y pense même pas, ma jolie.\\ Sur l'injonction de l'homme, \ismael avait essayé de se lever, et fit une grimace de douleur. L'homme dut le soutenir pour qu'il fasse quelques pas, tout en le menaçant avec son arme. \seve, toujours au sol et sous le choc, à la fois de colère et de peur, entendit alors la porte se claquer.\\ --- Laissez cet homme tranquille maintenant.\\ \forgeron avait fermé la porte et pris dans ses mains une pelle bien lourde. Sa femme se tenait à côté de lui avec une longue pique de métal pour attiser le feu. Ils tremblaient.\\ --- J'avais encore quelques doutes, mais maintenant je sais qui sont les soi-disant dangereux assassins, continua-t-il.\\ \seve se releva doucement, se demandant si le brave couple avait une mince chance contre leurs adversaires. Après tout les forgerons sont généralement très musclés et savent ce que c'est qu'une arme... L'homme qui tenait \ismael s'adressa à son compagnon.\\ --- On fait quoi ?\\ --- Te casse pas la tête.\\ Il délaissa \seve pour s'approcher d'\titefille, qui était restée dans un coin, figée de terreur.\\ --- On prend un otage et on sera tranquilles.\\ Il attrapa la petite par le bras, qui n'osa même pas se débattre, trop effrayée par l'énorme épée de l'homme.\\ --- Bon, maintenant vous allez être tous très sages et nous laisser partir. \forgeron et \femmeforgeron blêmirent.\\ --- Nous allons emmener cet homme et votre fille avec nous, et nous la laisserons dans l'auberge du prochain village, ce soir. Si vous tentez de nous suivre ou d'y aller trop tôt... elle y passe. C'est clair ? \bigskip \seve regarda les deux hommes charger leurs prisonniers sur leurs chevaux, puis s'installer derrière eux. Elle était pâle de rage. Elle n'avait qu'une envie, c'était de foudroyer ces deux hommes sur place, et tant pis si c'était en pleine rue. Mais elle ne pouvait pas prendre le risque de foudroyer la petite fille qui avait été prise en otage. \ismael, en tant que paladin, était immunisé, mais pas elle... Si elle arrivait à faire en sorte qu'ils soient regroupés... Elle rentra dans la maison, face aux deux parents dévastés.\\ --- Vite, je crois que j'ai une idée.\\ --- Pour sauver notre fille ? Ou votre ami ? demanda \femmeforgeron d'une voix faible.\\ --- Les deux. Est-ce que vous connaissez un moyen d'arriver plus vite au pont sur l'\riviereirande ? Avant eux ?\\ --- Oui, il y a un raccourci, et si on lance ton cheval au galop... ils ne vont pas aller vite avec leur chargement, répondit \forgeron.\\ --- Alors armez-vous et venez avec moi. Vite ! Les deux époux se regardèrent un instant, et le désespoir fit vite place à la détermination. \femmeforgeron se retira dans la maison pour prendre soin de son autre enfant, son mari mit la lourde pelle sur son épaule, et la suivit dehors. Le brave homme était plutôt bien bâti, et un coup bien placé de cette arme improvisée pouvait s'avérer très efficace.\\ --- Quelle est ton idée ? demanda-t-il tout en détachant le cheval.\\ --- Je t'explique en chemin. Tu vas probablement trouver ça impossible mais... \recit{\ismael} \ismael avait envie de pleurer de désespoir. Tout ce temps passé, à se cacher, pour se retrouver finalement entre leurs mains. Juste au moment où \seve était enfin venue le chercher ! Et avec la pauvre petite \titefille en plus. Vu leur style, il n'était même pas sûr qu'ils la relâcheraient vivante pour de bon... il se sentait terriblement coupable vis-à-vis de \forgeron et de sa famille, eux qui l'avaient recueilli et soigné. Les deux hommes n'avaient même pas pris la peine d'être discrets, et leur passage dans les rues de la ville leur avait valu plusieurs regards curieux et inquiets. S'ils ignoraient tout d'\ismael, hors la rumeur qu'ils avaient fait courir, ils devaient probablement connaître la fille aînée du forgeron. Mais les épées des deux hommes, ainsi que les arbalètes accrochées aux selles des chevaux, avaient dissuadé quiconque d'intervenir. Il ne pouvait pas faire grand-chose où il était, l'homme dans son dos lui avait attaché les mains au pommeau de la selle, mais avec ses blessures il ne serait pas parti loin de toutes façons. Et les mouvements du cheval, même au pas, lui faisaient terriblement mal au côté gauche. Il essaya néanmoins d'adresser un sourire rassurant à \titefille, qui sanglotait doucement. Pauvre enfant... \noindent--- Qu'est-ce qu'il se passe devant ? Il y a quoi sur le pont ? demanda l'homme dans son dos en arrêtant sa monture.\\ --- Une charrette renversée ? Qu'est-ce que ça veut dire ? répondit son compagnon.\\ Ils firent avancer les chevaux prudemment, et purent bientôt distinguer précisément ce qu'il s'y passait. Une charrette renversée sur le côté, toujours attelée, bloquait l'accès au pont. \\ --- Qu'est-ce que c'est que ça veut dire ?\\ --- Un idiot qui a renversé sa charrette devant le pont.\\ --- Il serait à côté non ? Et pile de manière à nous bloquer le passage... Je n'aime pas ça du tout. Les deux hommes se regardèrent, avec un air inquiet. \ismael réalisa soudainement qu'il s'agissait peut-être de la charrette de \seve... il ne l'avait vue que brièvement mais... était-elle là ? Le terrain était dégagé mais il y avait néanmoins des endroits où elle aurait pu se cacher... L'homme qui tenait \titefille approcha sa monture de l'obstacle, et poussa un cri de surprise.\\ --- Qu'est-ce qui se passe ?\\ --- Les roues de la charrette sont prises dans de la végétation. Des ronces on dirait.\\ --- Quoi ? Quelle est cette sorcellerie ?\\ Il s'approcha à son tour pour regarder, et \ismael put observer lui aussi plusieurs branches de ronces aux épines acérées qui entouraient les roues. Il retint un sourire. C'était bien l'\oe{}uvre de \seve...\\ --- Il faut dégager ça, ça ne prendra pas très longtemps. L'homme derrière \titefille mit pied à terre et s'approcha, pensif, puis se tourna vers son compagnon.\\ --- Non. Ça sent l'embuscade. C'est évident.\\ --- Possible. On tue l'otage ?\\ \ismael eut un frisson dans le dos.\\ --- Pas tout de suite. Mettez-vous à distance, puis fais descendre \ismael, et garde-les tous les deux. Je vais aller explorer les alentours. Je crois que j'ai vu du mouvement par là... Ils mirent pied à terre et forcèrent les deux otages à faire de même. Ils les firent s'asseoir sur le sol, à bonne distance du pont. Pour mieux les surveiller, l'homme avait dégainé son arbalète et la pointait sur eux.\\ --- Fais en sorte qu'elle n'ait pas envie de s'enfuir, lui demanda l'homme. Sinon je l'aligne sans état d'âme.\\ L'homme semblait du genre à exécuter ses menaces, surtout qu'il était particulièrement nerveux. \ismael prit alors la petite dans ses bras. Elle étouffa un sanglot et s'y blottit, toujours aussi terrorisée. Son compagnon s'avança vers un large rocher, avec son épée et son arbalète à la main. Était-ce là où se cachait \seve ? Soudain, à une vitesse impressionnante, des nuages gris sombre s'amoncelèrent au dessus d'eux. Et soudain il comprit. Il serra encore plus fort \titefille contre lui, pour lui faire barrière de son corps. Dans un fracas assourdissant et une lueur aveuglante, un éclair tomba droit sur l'homme qui les retenait en otage. L'éclair contourna \ismael comme si une bulle de protection l'entourait, et épargna les jambes de son agresseur, mais son torse et sa tête prirent la foudre de plein fouet. Il s'effondra dans un râle. \recit{\seve} \seve poussa un soupir de soulagement. Sa \og foudre \fg n'était pas systématiquement mortelle, il pouvait peut-être s'en sortir avec un peu de chance, mais il avait l'air d'être salement amoché. Hors combat en tous cas. Plus qu'un à gérer, mais il était encore lourdement armé... Le second homme se retourna et poussa un cri de surprise en voyant son compagnon s'effondrer foudroyé.\\ --- Qu'est-ce que c'était que ça ? Il ajusta son arbalète vers les deux otages. À cet instant, \forgeron, qui était resté bouche bée jusque là, bondit de derrière le rocher, et fut sur l'homme en un instant. D'un violent coup du tranchant de sa pelle, il lui fracassa la tête. L'homme s'effondra, le crâne éclaté. \noindent--- C'était la grande déesse qui punissait les assassins.\\ Il sembla contempler avec horreur l'homme mort à ses pieds pendant quelques instants, puis il se précipita vers sa fille.\\ --- \titefille !\\ \forgeron prit sa fille dans ses bras, en laissant échapper des larmes de soulagement.\\ --- Papa ! Heureusement, elle n'avait rien, grâce à \ismael, qui se relevait péniblement. \seve s'approcha à son tour, tout en constatant au passage la mort des deux hommes.\\ --- Alors comme ça... tu es bien une prêtresse ? demanda-t-il, à la fois impressionné et soulagé.\\ --- Comme tu peux le constater. Et \ismael est un paladin. Il est naturellement immunisé à la foudre divine, et c'est comme ça qu'il a pu protéger \titefille.\\ --- Je ne sais pas comment te remercier...\\ Elle le coupa d'un geste.\\ --- Tu n'as pas à me remercier. Si \ismael n'était pas tombé chez toi, tu n'aurais pas eu besoin de moi pour sauver ta fille. Tu n'aurais pas eu besoin de tuer un homme pour la défendre. C'est moi qui dois te remercier. Il n'osa pas répondre tout de suite, contemplant le carnage autour de lui. Sans lâcher sa fille, qui se blotissait contre lui, il reprit.\\ --- Qu'allez-vous faire maintenant ? La foudre va attirer des gens du village. Souhaites-tu leur révéler ton identité ? Elle n'avait pas vraiment réfléchi à ça. Ce fut \ismael qui prit la parole.\\ --- Je pense qu'il vaut mieux que non. Il vaudrait mieux qu'on s'en aille au plus vite... il faudrait dégager ce pont.\\ Il tenta de faire un pas vers la charrette renversée, mais fit une grimace de douleur et s'arrêta. \forgeron hocha la tête.\\ --- Nous allons nous en charger. Le forgeron partit ramasser l'épée d'un des hommes, et avec l'aide de \seve, il ne leur fallu que quelques minutes pour dégager les ronces et remettre la charrette sur ses roues. Le châssis avait été abîmé lors de leur course folle ---ce genre de charrette n'était pas fait pour aller à pleine vitesse sur des chemins de terre---, mais réparable.\\ --- Nous n'allons pas pouvoir faire toute la route avec ça. Il faudrait la réparer.\\ --- Dans le village il ne sera pas dur de trouver quelqu'un pour le faire. Je connais... commença \forgeron.\\ --- Il est probablement plus simple de partir avec les chevaux de ces hommes, interrompit \ismael.\\ --- Tu pourras monter à cheval ? demanda-t-elle.\\ Il fit une grimace.\\ --- Difficilement. Mais il vaut mieux partir au plus vite, et puis je pense qu'il est plus sûr pour vous ---il désigna le forgeron, sa fille, et plus largement le village au loin--- qu'il ne reste pas trop de traces de ces hommes, et qu'on parte avec leurs chevaux. Des chevaux de soldats, avec un harnachement de qualité comme celui-là, ce n'est pas discret ici. Si \og ils \fg les repèrent, je ne voudrais pas qu'ils vous cherchent des représailles...\\ --- Commençons par aller les chercher ? proposa \forgeron. Il ne leur fallu que peu de temps pour retrouver les deux montures, qui s'étaient juste un peu éloignées, effrayées par la foudre.\\ --- Si nous prenons ces bêtes, tu peux éventuellement garder la charrette et le cheval d'attelage.\\ Le forgeron hocha la tête.\\ --- Ce genre de charrette est commun par ici. Il me sera facile de la vendre, même abîmée, ou de la faire réparer pour l'utiliser. Et je suis un homme de chevaux... je connais la valeur de tout cela. En se retenant de vomir sur place, \seve fit ensuite le tour des deux cadavres. Ils y avait sur eux un peu de monnaie, leurs vêtements et des lettres, écrites dans une langue bizarre, ou probablement codées. Elle les rangea soigneusement dans ses poches, se disant qu'elle aurait le temps d'essayer de les déchiffrer plus tard. Enfin elle prit ses propres affaires dans la charrette, y laissant les babioles à vendre, puis revint vers le forgeron, en train de réconforter sa fille. \noindent--- Tiens, partageons au moins leur monnaie.\\ Elle lui tendit une des deux bourses. \forgeron hésita.\\ --- Prendre l'argent de ces hommes...\\ --- Ils sont morts, et tu l'as dit toi-même, c'étaient des affreux bandits. Et bon, il n'y a pas tant que ça, au final. De la menue monnaie, et quelques dizaines de pièces d'argent. C'est une somme, c'est vrai, mais on est loin des deux cent pièces d'or.\\ Il hocha la tête et prit la bourse qu'elle lui tendait.\\ --- À moins que tu ne veuilles les prendre, on va garder l'arbalète et l'épée... enfin celles qui ne sont pas carbonisées. Tu peux garder aussi le contenu de la charrette... ce sont de menus objets de colporteur, ils nous encombreraient de toutes façons. Ça ne te gène pas ?\\ --- Bah, il y a bien des gens dans le village qui y trouveront usage. Tu sais, ce n'est pas un endroit riche... À propos de riche...\\ Il semblait un peu mal à l'aise.\\ --- Es-tu vraiment le fils du duc, alors ? demanda-t-il à \ismael.\\ Celui-ci hocha la tête.\\ --- Oui. Même si j'admets que toute mon histoire est incroyable... je ne sais pas comment vous remercier, toi et \femmeforgeron, pour tout ce que vous avez fait pour moi. Le forgeron ne répondit rien, et posa sa fille sur le siège \og cocher \fg de la charrette. Puis il prit le cheval par la bride et commença à se mettre en route.\\ --- Je ne sais pas qui tu es vraiment et si je te crois, au fond, \ismael. Mais une chose est sûre, tu es un brave type. Les nobliaux d'habitude n'ont que faire de petites gens comme nous, et se fichent de savoir que nous pouvons nous retrouver broyés dans leurs problèmes à eux. J'espère de tout c\oe{}ur que tu vas retrouver la noble dame dont tu parlais.\\ --- Au revoir, \ismael, ajouta la petite en agitant la main vers lui. Elle souriait pour la première fois, malgré ses larmes, depuis la venue des hommes.\\ --- Au revoir, \titefille, lui répondit-il. Si tout s'arrange, je te promets que je reviendrai te raconter une drôle d'histoire ! Puis \forgeron, guidant le cheval et la charrette, leur tourna le dos et prit la direction du village. \recit{\ismael} Il eut un petit pincement au c\oe{}ur quand il les vit s'éloigner. Mais \seve le tira vite de sa rêverie.\\ --- Viens, \ismael. Il ne vaut mieux pas traîner, comme tu l'as dit.\\ Ils rassemblèrent leurs affaires, puis ils montèrent sur les chevaux des deux hommes. Il grimaça de douleur en se mettant en selle, mais il était tellement soulagé d'être enfin sorti d'affaire qu'il le supporta facilement les mouvements du cheval, pour le moment au pas.\\ --- Où allons nous d'ailleurs ? \\ --- Nous logeons dans une ferme aux alentours du château du duc \seigneurismael.\\ --- Nous ?\\ --- Bon. Je crois que je vais tout t'expliquer depuis le début...