%%%% Où on récupère I et Cl (enfin ça se prépare) \arc \recit{\ismael} En ouvrant les yeux, \ismael ne distingua tout d'abord qu'une série de lignes blanches et noires, floues. Cligner des yeux lui demanda un effort énorme, mais il put tout de même identifier ces lignes, qui étaient formées par des poutres noires sur un plafond de chaux. Où était-il ? Il prit petit à petit conscience de son corps, mais ne pouvait toujours pas bouger, comme si chaque partie de son corps était écrasée, enfoncée dans ce qui semblait être un lit. Il cligna encore une fois des yeux, et put distinguer, aux bords de son champ visuel, une armoire en bois le long d'un mur, et une porte juste à côté. \noindent --- Maman ! Il s'est réveillé !\\ Il fit un effort surhumain pour tourner sa tête vers la gauche, d'où venait la voix. Sa tête lui faisait mal, son cou lui faisait mal. Près de lui se tenait une petite fille, aux longs cheveux noirs et aux yeux gris. Elle devait avoir sept ou huit ans, peut-être un peu plus. Il se redressa et sentit un vive douleur dans son épaule droite.\\ --- Tu es blessé, n'essaie pas de bouger.\\ Une femme venait d'entrer dans la pièce. Grande, mince, ses cheveux noirs parsemés de gris étaient retenus en chignon. Elle était vêtue d'une longue robe brune et d'un tablier un peu râpé. Elle s'approcha de lui.\\ --- Tu as eu beaucoup de chance. C'est \titefille qui t'a trouvé dans la forêt, hier. Mon mari et moi t'avons ramené et soigné, tu es resté inconscient depuis ce temps. Tu es tombé de la route des falaises ?\\ --- Oui, murmura-t-il faiblement.\\ Elle hocha la tête puis fit un signe à sa fille, qui quitta la pièce précipitamment.\\ --- Alors tu as de la chance d'être encore en vie, déjà. Dans la forêt, nous tombons parfois sur des surprises... désagréables.\\ Elle fit une légère grimace, puis lui sourit. À cet instant, \titefille revint, apportant un bol fumant. Avec leur aide, il parvint à se redresser et à boire le bouillon qu'il contenait.\\ --- Je m'appelle \femmeforgeron. Qui es-tu, étranger ? Comment es-tu tombé de la route ? Il prit quelques instants pour répondre.\\ --- Mon nom est \ismael. J'escortais une noble dame qui se rendait au château... du duc \seigneurismael. Nous avons été attaqués par des brigands...\\ Devait-il tout expliquer, tout dire ? Même si manger un peu l'avait un peu réveillé il se sentait épuisé. Il profita de sa position assise pour s'observer. Il n'avait plus sa chemise, et son épaule était enveloppée d'un bandage serré, qui lui entourait le bras et la poitrine. La paysanne hocha la tête en suivant son regard et en récupérant le bol.\\ --- Tu as une blessure sérieuse à l'épaule, et probablement d'autres. Mais repose-toi pour le moment, nous parlerons plus en détail ce soir, quand mon mari rentrera de la forge.\\ Elle se dirigea vers la porte, en faisant signe à sa fille de la suivre.\\ --- Est-ce que... je peux savoir où je suis ? demanda-t-il en se rallongeant, non sans quelques grimaces.\\ --- À \villagechute, un des nombreux petits ---et pauvres--- villages de la vallée de l'\riviereirande. Il soupira. Il éprouvait quelques difficultés à remettre ses idées dans l'ordre, mais il lui semblait qu'il était en sécurité. Pour combien de temps ? Ses agresseurs n'allaient-ils pas partir à sa recherche, ne serait-ce que pour s'assurer qu'il était bien mort ? Et qu'était devenue \chloe ? il grimaça encore une fois. Rien que respirer profondément lui faisait mal. Que pouvait-il faire dans cet état ? Il ferma les yeux et se rendormit, épuisé. \recit{\remi} \remi termina de nouer la corde autour des planches de bois. La clôture devrait tenir, cette fois-ci. La précédente, vieille et moulue, avait laissé s'échapper le troupeau de moutons, qui heureusement n'étaient pas allés bien loin. Il s'essuya le front. La journée, qui s'achevait, avait été chaude ; surtout pour quelqu'un habitué à la fraîcheur de la forêt. Il n'était pas non plus habitué à l'agitation constante de la grande ferme de son oncle. Lui, son épouse, ses trois enfants et leurs conjoints, et déjà cinq petits enfants vivaient là, plus quelques ouvriers engagés occasionnellement. À son grand soulagement, ils l'avaient accueilli sans trop lui poser de questions. Il avait au début prétexté une maladie nécessitant un peu de repos, mais il s'était vite mis à donner des coups de mains ici et là. L'avantage de cet endroit, c'est qu'il y avait toujours quelque chose à faire, quelque chose qui généralement ne demandait pas beaucoup de réflexion. \noindent --- \remi !\\ Il tourna la tête vers l'adolescent qui approchait ---le fils d'une de ses cousines--- avec des seaux vides à la main.\\ --- Tu as fini ?\\ Il hocha la tête en désignant le morceau de clôture réparé.\\ --- Alors viens vite, le repas ne va pas tarder à être servi !\\ Il sourit, et réenfila rapidement sa tunique. Il avait beau être guéri, il n'aimait pas particulièrement parler de son étrange cicatrice, et pas seulement parce qu'il lui fallait inventer quelque chose pour la justifier. Ils revinrent rapidement vers les bâtiments de la ferme, et au moment d'entrer dans la grande maison ---d'où se dégageait une agréable odeur de ragoût--- son oncle l'interpela.\\ --- Hé, \remi, il y a quelqu'un qui vient d'arriver. Il veut te voir.\\ \remi haussa les sourcils. Les allées et venues étaient fréquentes, mais qu'on vienne pour lui était surprenant.\\ --- Où ça ?\\ --- À l'intérieur, répondit-il en désignant la porte d'entrée. On lui a proposé de rester manger.\\ Il n'eut pas le temps de lui donner des précisions qu'un homme sortit, vraisemblablement attiré par la conversation. \noindent --- \chris ?\\ --- Ah \remi, répondit le soldat, je suis content de te voir. J'ai eu peur de ne pas te trouver !\\ Ses vêtements étaient poussiéreux, et à l'odeur de sueur et de cheval qui se dégageait de lui, il avait chevauché une bonne partie de la journée. Au moins. \\ --- Qu'est-ce que tu es venu faire ici ? Je vous croyais de retour vers la capitale...\\ \chris soupira.\\ --- Il faudrait que je te parle en privé. C'est possible ?\\ Il haussa les épaules et désigna une direction.\\ --- On peut juste s'éloigner des bâtiments, je suppose... Le repas nous attendra bien quelques instants, enfin j'espère. \noindent --- Alors, demanda \remi alors qu'ils s'approchaient d'une palissade en bois, qu'est-ce qui te fait venir jusqu'ici, et visiblement aussi vite que possible ?\\ Le guerrier soupira en s'appuyant sur la barrière. Il avait l'air vraiment épuisé.\\ --- Je suis venu demander ton secours.\\ Il haussa un sourcil sans répondre. Pourquoi donc venait-il le chercher lui, alors qu'il devait avoir plein d'autres alliés plus près et probablement plus de confiance que lui ?\\ --- Ce n'est pas un boulot bien payé que je te propose cette fois. Je viens appeler à l'aide. J'ai, ou plutôt nous avons besoin de ton aide. \chloe a besoin de ton aide. \recit{\chris} \remi venait de sursauter. Il se doutait que prononcer son nom le ferait réagir. Mais il semblait toujours méfiant.\\ --- Pourquoi aurait-elle besoin de mon aide ?\\ --- \chloe a été enlevée.\\ Il pâlit.\\ --- Comment ça ?\\ --- Je ne sais pas par qui, ni comment, ni pourquoi, du moins pour le moment. Mais je soupçonne qu'il y ait un lien avec son... secret.\\ Il marqua un instant de pause. \remi ne répondit pas.\\ --- Tu comprends que je ne peux pas me permettre d'appeler n'importe qui à l'aide. Il laissa passer à nouveau un moment, et porta son regard sur les vaches qui paissaient de l'autre côté de la clôture. Du coin de l'{\oe}il observait le jeune guide, qui semblait nerveux.\\ --- Si je me souviens bien, commença celui-ci, tu étais plutôt méfiant à son encontre, la dernière fois que nous avons parlé d'elle... Que s'est-il passé pour que tu fasses autant d'efforts pour elle ?\\ Il hocha la tête.\\ --- \ismael était avec elle. Pour un ami comme lui, je suis prêt à risquer ma vie. Et le fait que \chloe soit l'ennemie de mes ennemis est suffisant pour que je veuille bien la sauver au passage. Il devait reconnaître que ce n'était pas le meilleur des arguments. Mais il se sentait trop épuisé pour chercher à mentir. Il ne savait pas quelle affection \remi avait pour elle, était-elle suffisante pour obtenir son soutien ?\\ --- Pense à ce qu'elle a fait pour toi, ajouta \chris devant son silence. Elle est venue te soigner, en risquant sa réputation et peut-être sa vie.\\ --- Que s'est-il passé exactement ? demanda-t-il sans croiser son regard. Il lui raconta tout ce qu'il savait. Le sosie d'\ismael, la menace faite aux deux elfes au château, la visite de \jerome qui lui avait permis de s'informer de la situation.\\ --- Je compte revenir au plus tôt vers la ville. \jerome et \seve ont probablement obtenu plus d'informations depuis cette nuit. \\ --- Il n'y aurait que... nous ?\\ Il soupira.\\ --- Hélas. J'aurais bien compté sur \denise, voire même sur \aure que je ne connais pas, mais elles sont coincées au château. J'ai bien sûr envoyé un message à la capitale, mais le temps qu'un soutien arrive...\\ --- Tu penses qu'on a une chance ?\\ Il haussa les épaules, notant avec un léger espoir que \remi s'incluait ---du moins potentiellement--- dans son camp.\\ --- Nous avons quelques atouts de notre côté. Nous sommes au courant de leur mise en scène, qu'ils devaient garder secrète. Ce n'est pas rien. Et notre petit nombre n'est pas forcément un inconvénient, puisqu'il nous faut être le plus discrets possibles.\\ \remi hocha la tête.\\ --- Autant tout essayer, alors. Ils se remirent en route vers la grande maison, alors que le soleil était quasiment couché. \\ --- Comment allons-nous rejoindre le duché au plus vite ? As-tu prévu quelque chose ? demanda-t-il.\\ --- Je suis venu à cheval. Si je pouvais trouver une deuxième monture à acheter, nous pourrions être de retour très rapidement...\\ --- Tu as assez d'argent pour ça ? Je croyais que vous étiez à court en attendant des nouvelles de la capitale...\\ --- J'ai vendu notre coche, ce matin, en partant. Je ne pense pas qu'il nous servirait de toutes façons...\\ \remi hocha la tête.\\ --- Mon oncle a quelques chevaux, il y a probablement moyen de négocier. Mais avant, allons manger. \chris sourit et le suivit. Il était toujours épuisé, mais savoir qu'il avait le soutien de \remi était un énorme soulagement. Et après un bon repas, beaucoup de choses seraient de nouveau possibles. \recit{\seve} \seve avançait dans les rues de la capitale, un panier de fleurs à la main comme elle l'avait si souvent fait ces derniers mois. La prochaine enseigne sur son chemin était celle d'une taverne que les jeunes gardes, notamment \ismael, aimaient fréquenter et qu'ils connaissaient quasiment par c{\oe}ur. Comme si elle peignait une {\oe}uvre d'art, \seve imagina les divers petits détails qui manquaient pour rendre le décor plus naturel. Quelques ordures dans le caniveau par-ci, quelques passants insignifiants par-là... En experte de manipulation des rêves, elle savait que ces petites choses n'étaient pas inutiles. Les odeurs, les couleurs, les sons, le moindre aspect, même anodin, pouvait aider l'esprit de son interlocuteur à se concentrer sur son message. D'où ce décor, qu'elle avait choisi parce qu'il était le plus familier possible pour eux deux. La porte s'ouvrit, et \ismael apparut, vêtu de l'uniforme de la garde.\\ --- \ismael ?\\ Elle lâcha légèrement prise sur l'apparence de son interlocuteur, pour le laisser contrôler lui-même sa réponse.\\ --- Bonsoir \seve. Si tu cherches \chris, il n'a pas tout à fait fini sa bière.\\ --- \ismael. Concentre-toi. Où es-tu ? Je sais que tu as été enlevé. Un sosie a pris ta place au château. Que peux-tu me dire ?\\ L'image du jeune garde se figea, incertaine. Il commençait à réaliser qu'il rêvait. \\ --- Enlevé... Sosie...\\ L'image changea, les traits du jeune homme devinrent flous, non pas comme s'il disparaissait, mais plutôt comme s'il devenait un personnage parfaitement secondaire, avec un visage interchangeable, un élément du décor. Elle jura intérieurement. Envoyer un message par rêves était un enchantement que plusieurs prêtres maîtrisaient, mais obtenir une réponse nécessitait un équilibre extrêmement complexe entre sa volonté et la sienne. Trop de maintien de sa part, et elle contrôlait trop son rêve pour que son interlocuteur puisse s'exprimer. Trop peu, et il risquait de décrocher, son esprit endormi partant rêver à d'autres choses. Soudain, la silhouette fit un pas vers elle, et son visage redevint celui de son ami. Il reprenait prise.\\ --- Nous avons été attaqués... des mages puissants. \chloe est entre leurs mains. J'ai pu m'enfuir, mais je suis blessé.\\ --- Quoi ?\\ Le contrôle d'\ismael n'était pas assez fort pour former des phrases précises. Mais il arrivait à exprimer suffisamment pour qu'elle complète elle-même et rende le dialogue cohérent. À moins qu'elle ne complète toute seule la réponse qu'elle espérait ? Elle eut un léger doute, et relâcha encore un peu sa prise sur le rêve. Le décor, sans disparaître, devint soudainement plus simpliste, et les détails s'effacèrent. Mais en retour, les traits du jeune homme se précisèrent.\\ --- Je suis tombé de la route des falaises, compléta-t-il. J'ai été recueilli par des villageois. Chez \femmeforgeron, son mari travaille à la forge... À \villagechute. C'est \chloe qu'il faut secourir...\\ --- Courage \ismael, reprit-elle en essayant de ne rien rater de son étrange récit. Peux-tu m'en dire plus ?\\ --- Je suis blessé, mais ça ira. Je pense que je suis en sécurité ici, au moins je ne suis pas entre leurs mains. Les gens qui tiennent \chloe prisonnière sont des mages, ils ont utilisé la magie pour nous tendre une embuscade, et ils ont une bonne troupe d'hommes armés à leur service.\\ L'image vacilla à nouveau. Si il était réellement blessé, se concentrer pour s'exprimer devait lui demander une énergie considérable.\\ --- Je t'en prie. Fais en sorte de sortir \chloe de là... \ismael eut un sursaut, puis disparut. Ou plus précisément, un garde aux traits tout à fait neutres se tenait à sa place, sans aucune expression de visage ou de corps. Elle soupira, et se réveilla de sa méditation. En ouvrant les yeux, \seve constata qu'elle ruisselait. Elle se rua sur une feuille de papier et nota tout ce qu'elle avait obtenu comme réponse d'\ismael. Puis elle s'essuya le front et se rallongea. Ce qu'il lui avait dit était assez invraisemblable, donc il y avait de bonnes chances que ces informations soient vraies. Des mages, ce qu'elle avait bien redouté. Mais surtout, ce qui était plutôt une bonne nouvelle, \ismael n'était pas leur prisonnier... Voilà qui pouvait changer sérieusement la donne. Elle fit quelques pas pour tenter de calmer son excitation. Elle ne savait pas combien de temps \chris mettrait à rentrer, et elle avait explicitement demandé à \jerome de trouver autre chose à faire cette nuit-là. Il était probablement en train de boire une bière en ville, ou quelque chose comme ça. Dès qu'il ferait jour ---et elle pouvait à peine attendre---, elle ferait de recherches pour tenter de trouver ce fameux village de \villagechute. Ce ne serait pas simple, surtout si c'était un patelin perdu, sans compter qu'elle l'avait probablement mal orthographié. Mais ce n'était pas ça qui allait l'arrêter. \recit{\aure} \noindent --- Il y a toujours autant de gens qui s'inscrivent au tournoi ? demanda \aure, accoudée à la fenêtre.\\ --- Le dernier tournoi, il y a cinq ans, accueillait plus de deux cents participants, lui répondit dame \femmefrereis en s'approchant. Mais, admit-elle en voyant la nuée d'archers agglutinée dans la cour, il y en a encore plus cette année. Nulle doute que votre présence et celles de messire \elfenoir et dame \elfettenoire attire les foules.\\ \elfenoir et \elfettenoire, les deux elfes noirs. Si on lui avait prononcé ces mots il y a à peine une semaine, elle n'aurait pas pu s'empêcher de sursauter. Mais comme elle s'y attendait, elle n'eut pas de mal à garder un visage détendu, et sourit.\\ --- Je pense que nous pouvons en être flattés. Elle savait que la jeune épouse du frère aîné d'\ismael ---et donc future duchesse--- avait fait cette remarque pour tester sa réaction. Étrange comme les gens de cette région ignoraient quasiment tout des elfes sylvains, mais s'il y a une chose qu'ils leur attribuaient sans hésiter, c'était la haine envers les elfes noirs. Cet aspect était même véridique, même si cette répulsion s'était un peu émoussée depuis le temps qu'il n'y avait eu aucun contact entre les deux peuples. Et puis elle avait fait connaissance rapidement avec ces fameux invités ---deux archers, frère et s{\oe}ur--- la veille au soir, et tout s'était bien passé. De toutes façons, à côté de la menace qui pesait sur elle et surtout sur \ismael et \chloe, de la surveillance quasi-constante du sosie d'\ismael ou de son serviteur, accueillir des elfes noirs lui paraissait presque agréable. En jetant un regard à la pièce dans laquelle elle se trouvait, elle ne fut pas surprise d'apercevoir \mageninja, adossé à un mur. Elle se demandait parfois si ce qu'avait dit \chloe à \denise était vrai, comme quoi il savait se rendre invisible par magie. Peut-être était-il juste très bon pour se fondre dans le décor, comme il le faisait là, en parfait valet discret et disponible. Il faut dire qu'il n'était pas le seul serviteur, le château du duc en était rempli. Elle pouvait comprendre que tous les invités de marque soient venus avec une petite escorte armée, mais ils avaient en plus amené chacun plusieurs serviteurs, dont ils avaient besoin pour leur \og confort personnel \fg. Sérieusement... les humains nobles étaient-ils capables d'aller au toilettes sans l'aide d'une femme ou d'un valet de chambre ? Ou alors était-ce encore un moyen de prouver qu'\og on \fg avait plus de moyens que l'autre, en amenant un personnel plus important ? \noindent --- Il y a aussi beaucoup de gens modestes.\\ \aure sortit de sa rêverie et reporta son regard sur la cour, où défilaient les archers pour s'inscrire, et remarqua en effet que peu d'entre eux semblaient riches.\\ --- Le voyage doit coûter cher à un simple soldat, pourtant. Et les chances de gagner sont minimes, pourquoi tant d'efforts quasi vains ?\\ --- Ce tournoi ne sert pas qu'à gagner. Beaucoup cherchent à s'y faire remarquer d'un seigneur ou de leur capitaine, expliqua \femmefrereis en se tournant vers elle. La dernière fois, je me souviens notamment d'un jeune archer fils de paysans. Il a terminé troisième, et son seigneur, le vicomte \vicomtebla, a été grandement impressionné. Il l'a récompensé en faisant de lui le chef de ses archers, et en lui accordant la main d'une de ses filles.\\ --- En effet, c'est une belle histoire pour lui, répondit \aure, tout en réprimant une remarque sur le fait que la damoiselle en question n'avait probablement pas eu voix au chapitre. \\ --- De fait, la plupart des seigneurs encouragent les meilleurs éléments de leur armée à participer, quitte à les y aider, car une victoire rejaillirait évidemment sur eux et leur fief. Regardez, ces cinq-là en uniforme bordeaux sont des archers d'ici. Mais on y voit aussi des parfaits inconnus... Les deux femmes laissèrent errer leur regard sur les hommes qui, un à un, venaient payer les droits d'inscription, et repartaient avec un morceau de papier marqué du sceau du duc. On lui avait dit la veille que même les paysans savaient lire et écrire dans la région, mais à voir le regard concentré qu'avaient certains en parcourant leur certificat d'inscription, ils n'étaient pas tous très à l'aise avec la littérature. Un bruit de pas léger dans son dos la fit se retourner. Une jeune servante se tenait là, le regard baissé. Elle avait déjà vu son visage, ou la confondait-elle avec la multitude de jeunes employées du château ? Dire que chez elle, elle connaissait chaque membre du personnel par son prénom...\\ --- Dame \aure, votre bain est prêt, dit la jeune fille en exécutant une révérence.\\ Malgré ses efforts, \aure ne put s'empêcher de laisser voir un peu de surprise sur son visage.\\ --- Un bain ?\\ --- Dame \denise a demandé de faire préparer un bain pour elle et pour vous, répondit la jeune servante en s'inclinant de nouveau. Elle a dit qu'après cette journée fatigante, vous auriez besoin de vous détendre. Mais peut-être ne désirez-vous pas...\\ --- Non, non, c'est effectivement une excellente idée, interrompit-elle. Elle prit congé de dame \femmefrereis et suivit la femme de chambre. La journée avait été effectivement épuisante pour elle, mais pour \denise, plus impulsive qu'elle, ce devait être encore pire. D'autant qu'elle n'avait pas de rôle particulier d'ambassadeur à tenir, et donc moins d'occasions de s'occuper l'esprit. Mais de là à demander un bain chaud, ce qui n'était pas vraiment son genre habituellement... elle devait vraiment être à bout. \recit{\denise} \noindent --- Sérieusement, je ne sais pas d'où tu as sortie cette idée, mais elle est merveilleuse, s'exclama \aure, tout en se laissant verser de l'eau sur la tête par une des servantes.\\ --- Merci, répondit \denise, depuis une autre baignoire juste à côté de la sienne. Rien ne vaut un bon bain, après une rude journée, et avant le banquet de ce soir.\\ --- C'est vrai. Mais nous avons le temps, ce n'est que dans trois heures il me semble ?\\ --- Mieux vaut se préparer tôt. Et puis, cela fait du bien de se retrouver toutes les deux... Elle fit une pause, et jeta un regard à \aure, qui fronça les sourcils, puis hocha la tête.\\ --- Désirez-vous quelque chose ? L'eau est-elle à votre convenance, assez chaude, assez parfumée ? demanda une des jeunes femmes qui s'occupaient d'elles.\\ --- C'est très bien, merci, répondit \denise. Pourriez-vous nous laisser seules quelque temps ? Nous vous appellerons pour sortir et nous sécher.\\ --- Bien sûr, firent les deux jeunes servantes.\\ --- Oh, et pouvez-vous vous assurer qu'aucun homme ne s'approche à moins de vingt mètres de cette pièce ? ajouta \aure en leur faisant un clin d'{\oe}il.\\ Les deux femmes eurent un sourire amusé et s'inclinèrent tout en sortant.\\ --- Nous monterons la garde, soyez-en sûres. \noindent --- Enfin seules ! Et surtout, reprit \denise un peu plus bas en s'appuyant au bord de la baignoire, hors de portée de ces deux affreux... \\ \aure hocha la tête.\\ --- Je n'avais pas pensé, au début, que c'était le prétexte idéal pour les éloigner. Et avec classe !\\ --- Oui. À condition qu'il n'y ait bien que le faux \ismael et son écuyer qui nous surveillent... Mais je n'ai aperçu personne d'autre.\\ --- Il pourrait y avoir d'autres serviteurs, des soldats qui seraient complices, peut-être ?\\ --- Si c'était le cas, il n'y aurait pas en permanence l'un des deux avec nous.\\ \aure fit une moue, puis hocha la tête.\\ --- En effet. \mageninja était près de moi une bonne partie de l'après-midi...\\ --- ... Pendant que moi, j'étais dans la salle d'escrime, à m'entraîner avec le sosie, compléta-t-elle.\\ --- Comment tu fais pour t'entraîner avec lui ? Ça ne te gène pas ?\\ Elle haussa les épaules.\\ --- Bah, quitte à ce qu'il me surveille de près... Et puis, même avec une arme en bois, ça défoule de lui taper dessus.\\ --- Il te les rend ?\\ Elle sourit.\\ --- Au début, il se contentait de parer et d'esquiver. Au bout d'un moment il en a eu marre et s'est mis à attaquer aussi... Elle massa son bras gauche endolori, où elle avait encaissé un coup un peu rude. Elle sourit. Elle aurait probablement un bleu, mais ça en valait la peine. Et puis connaître le style d'escrime de son ennemi, ses attaques, ses faiblesses, pourrait peut-être servir un jour ou l'autre. Elle pouvait déjà affirmer avec une quasi certitude que le sosie n'était pas un vrai gaucher. Il était peut-être juste mauvais épéiste, mais au seul moment de l'après-midi où il avait défendu avec deux armes ---comme le faisait \ismael régulièrement---, sa main droite s'était révélée plus précise. De façon générale, il était loin d'être un escrimeur d'élite. \ismael, le vrai, n'aurait aucun mal à le désarmer, même blessé avec une main dans le dos... \ismael... où était-il en ce moment ? Dans quel état ? \noindent --- Ça va, \denise ?\\ Elle secoua la tête et plongea une seconde dans son bain, pour chasser les pensées sombres qui lu venaient.\\ --- Euh oui. En fait, j'avais quelque chose d'important à te dire, dit-elle en se rapprochant au maximum d'\aure. \recit{\aure} \aure s'approcha à son tour du rebord de la baignoire.\\ --- Il faut qu'on s'éclipse ce soir, commença \denise, et qu'on trouve \jerome. Il n'est pas revenu la nuit dernière... il ne sait donc rien de tous les détails concernant l'emprisonnement de \chloe et...\\ --- Tu es surtout déçue qu'il ne soit pas venu, n'est-ce pas ? interrompit-elle en souriant.\\ \denise rougit légèrement et haussa les épaules.\\ --- ...et surtout, reprit-elle en faisant mine d'ignorer son commentaire, il faut que je lui donne la bourse d'\ismael.\\ --- À quoi peut-elle bien servir ? Nous l'avons fouillée et examinée, elle n'a rien de spécial et il y a juste un petit caillou dedans...\\ --- Je n'en sais rien, mais si \chloe a fait des efforts pour me la donner, c'est qu'il doit y avoir une raison. Et tant qu'à faire, je préfèrerais qu'elle soit entre les mains de quelqu'un qui est libre de ses mouvements.\\ \aure hocha la tête.\\ --- Certes. Mais ça ne nous dit pas comment sortir discrètement. Depuis hier matin, nous sommes quasiment en permanence suivies, sauf la nuit où un garde est posté devant les portes de nos chambres, soi-disant pour notre \og sécurité \fg... À moins qu'on puisse en convaincre un de nous laisser filer une heure ou deux et ne rien dire ?\\ --- C'est peut-être jouable, mais je pensais à autre chose. Ce soir, c'est le grand banquet avant l'ouverture du tournoi. Ça va être un peu le bazar, les serviteurs qui courent partout, tous les invités qui se préparent, y compris le faux \ismael...\\ --- ... Et nous qui avons une excuse pour l'éloigner... compléta \aure, qui commençait à comprendre.\\ --- Exactement. Et même si nous tombons sur \mageninja, il ne peut pas nous surveiller toutes les deux en même temps. L'une d'entre nous devrait réussir à lui fausser compagnie pour un petit moment.\\ \aure sourit.\\ --- Ça peut presque peut-être marcher. Mais il faudra encore passer la porte, non ? Même sans être surveillées, on ne nous laissera pas sortir...\\ --- \jan est de garde ce soir sur une porte secondaire. Je l'ai entendu quand j'étais dans la salle des gardes. Il n'est pas dit qu'il nous laisse passer, mais on arrivera peut-être à le convaincre de porter un message de notre part... \\ --- Bien vu. Mais ce n'est pas encore gagné.\\ --- Tu auras bien des idées pour les petits détails non ? demanda \denise en se penchant vers elle.\\ \aure réfléchit quelques instants.\\ --- Peut-être... il doit bien y avoir moyen. Mais tout cela ne répond pas à ma question cruciale.\\ --- Quelle question ?\\ Malgré tous ses efforts pour garder son sérieux, \aure ne put retenir un sourire malicieux.\\ --- Les humains, c'est des bons coups ou pas ? Une seconde et demi plus tard, elle recevait une gerbe d'eau en pleine figure. \recit{\denise} Une petite demi-heure plus tard, dans la chambre d'\aure, les deux elfes achevaient de se préparer. Elles avaient revêtu leurs robes, comme si elles se rendaient au festin, et \denise s'affairait à terminer la coiffure d'\aure. Elle avait caché ses oreilles dans ses cheveux, de sorte que, si on n'y regardait pas de trop près, son visage aurait pu être celui d'une humaine. Enfin, si elle parvenait à vaincre les dernières mèches bouclées rebelles qui même encore mouillées refusaient obstinément de lui obéir. \noindent --- Tu es sûre qu'il faut y aller en robe ? demanda \aure.\\ --- Si je n'avais pas une bonne raison, tu sais bien que je serais la première à vouloir y échapper ! Mais on aurait du mal à ne pas être remarquées.\\ --- Si tu le dis...\\ --- J'ai testé. À la capitale, il y a quelques elfes, et voir une femme en pantalon n'est pas complètement exceptionnel. Les rares fois où j'ai mis une robe et caché mes oreilles, je n'attirais pas du tout l'attention. Autrement ça reste inhabituel, donc les gens tournent un peu la tête.\\ --- Oui c'est vrai. Et ici, les elfes en pantalon sont encore plus rares. Passe-moi ce miroir ? \aure prit quelques instants pour observer ses cheveux.\\ --- Héé c'est pas mal ! On dirait un de ces chignons que portent pas mal de dames au château... sans le reste de la coiffe, mais ça passe plutôt bien.\\ --- Merci.\\ --- Tu as besoin d'aide pour ta coiffure ?\\ --- Ça ira, merci. J'ai l'habitude. Elle commença à enrouler ses cheveux rapidement, sous le regard curieux d'\aure.\\ --- Je ne sais pas comment tu fais pour te coiffer aussi rapidement. Mes cheveux refusent catégoriquement de se laisser démêler ! fit-elle remarquer en souriant.\\ --- Tu as des cheveux bouclés de princesse, il faut bien l'assumer... \denise s'interrompit en entendant frapper énergiquement à la porte. Elles échangèrent un regard, puis \aure attrapa rapidement son diadème et le posa sur sa tête. Elle s'arrêta quelques instants face à la porte et prit une grande inspiration. Une seconde plus tard, la princesse des elfes, au port de tête noble et l'allure royale, ouvrait. \mageninja se tenait sur le pas de la porte. \denise le voyait de loin, à demi-caché par la silhouette d'\aure, mais elle pouvait bien voir que, malgré l'air de serviteur inoffensif qu'il arborait toujours, il semblait nerveux.\\ --- Princesse \aure, commença-t-il sur un ton très respectueux, tout en jetant un regard rapide à la pièce, mon maître désire s'entretenir avec vous.\\ --- Quel est donc la raison qui le pousse à venir me déranger alors que je suis très occupée à me préparer ? répondit-elle sur un ton hautain.\\ --- Le sujet est de la plus haute importance, répondit-il.\\ Disant cela, ses yeux s'arrêtèrent un instant sur \denise, et le regard qu'il lui lança lui donna des frissons.\\ --- Si vous voulez bien me suivre, nous n'en auront normalement pas pour longtemps, ajouta-t-il.\\ Il avait insisté, juste assez, sur le \og normalement \fg. Elle fit quelques pas en avant, prête à accompagner \aure pour la protéger au besoin.\\ --- Inutile que tu viennes, \denise. Termine plutôt de te préparer, tes cheveux sont dans un état ! Ils ne seront jamais prêts à temps, lui dit-elle en lui adressant un grand geste acompagné d'un regard lourd de sens. \mageninja, ajouta-t-elle en lui tournant le dos, je vous suis. Et d'un air digne et décidé, elle sortit de la chambre, la laissant seule. \denise sentit un filet de sueur froide couler le long de son dos. Le souvenir de son \og voyage \fg jusque dans la prison de \chloe lui revenait en tête, et tout ce dont cet homme était capable... Elle ne pouvait pas laisser \aure seule avec lui. S'il lui arrivait quelque chose, elle ne se le pardonnerait jamais. Mais d'un autre côté, elles avaient convenu que s'il le fallait, une seule sur les deux irait rejoindre \jerome. Elle devait faire confiance à \aure, non pas comme à une princesse à protéger, mais comme à une compagne d'armes, qui connaît le risque qu'elle prend, et qui attend d'elle qu'elle fasse sa part du travail. Sans compter que cette diversion imprévue était probablement parfaite : si \mageninja l'emmenait voir le sosie, personne n'allait la surveiller pendant un petit moment. Elle acheva son chignon en une dizaine de secondes, malgré les tremblements de ses doigts, passa son épée à sa ceinture, puis mit sur les épaules la grande cape de laine que le duc lui avait offerte à leur arrivée ---les soirées étaient fraîches dans la région. Elle glissa sous ses vêtements le petit sac en cuir et la lettre ---expliquant tous les détails, au cas où elle n'ait pas le temps de tout raconter--- puis vérifia rapidement qu'ils ne risquaient pas de tomber par accident ou d'être vus. Enfin, elle quitta la chambre d'un pas rapide. \recit{\aure} \noindent --- À quel jeu tu joues, \aure ? Commença le sosie d'\ismael, à peine la porte de ses appartements refermée derrière eux.\\ --- De quoi tu parles ?\\ Elle avait essayé d'avoir l'air le plus innocent possible, mais ne pouvait s'empêcher de sentir son c{\oe}ur se serrer de crainte.\\ --- Tu nous évites autant que possible, et ces rumeurs qui courent... comme quoi je chercherais à te faire la cour, ou quelque chose comme ça !\\ Elle réprima un soupir de soulagement. Ils ne savaient rien à propos de la visite surprise de \jerome ni de la \og sortie \fg qu'elles avaient prévue. Elle reprit aussitôt le contrôle et lui sourit.\\ --- Je n'ai pas lancé ces rumeurs, elles se sont mises à courir toutes seules. Je les ai peut-être un peu encouragées... Mais ça n'a pas été bien difficile, avec ta tendance à nous suivre, moi ou \denise, partout où nous allons !\\ --- Tu joues avec le feu, répondit \mageninja, n'oublie pas que nous tenons tes amis en otage. Si ne serait-ce que des soupçons se mettaient à peser sur l'identité d'\ismael, tu sais ce qu'ils risquent...\\ Le ton agressif des deux hommes masquait mal leur inquiétude.\\ --- ... Et ton rôle est justement de tout faire pour que je ne me fasse pas remarquer, au lieu d'attirer stupidement l'attention sur moi ! continua le sosie.\\ Elle soupira, puis décida de passer à l'attaque à son tour. Plus facile de masquer ses émotions comme cela.\\ --- C'est vous qui êtes stupides. Ne pas attirer l'attention ? Tu es censé être le troisième fils du duc, paladin de \deesse ---et probablement l'u\-ni\-que à ce jour---, une figure importante de la cour. Tu ne pouvais pas ne pas attirer l'attention de tous ces seigneurs qui ont entendu parler de toi, et qui cherchent à t'approcher pour avoir par toi les faveurs de ton père, ou qui espère pouvoir te faire épouser leur fille...\\ --- Et ce n'est pas le moment d'en rajouter ! continua le sosie.\\ --- Au contraire ! répliqua \aure. Maintenant qu'elle était lancée, son discours lui venait plus naturellement. J'ai très vite compris comment marchait la cour du duc, et tous ces beaux sires et belles dames se jettent sur les ragots comme une meute de loups sur un agneau abandonné. Donne-leur une histoire croustillante, que le sieur \ismael n'aurait d'yeux que pour la princesse des elfes, et ils ne chercheront pas une seconde à te poser des questions sur d'autres sujets. C'est bien plus intéressant, surtout vu que tu n'es pas le seul à vouloir jouer à ce jeu... Elle laissa passer quelque secondes, durant lesquelles les deux hom\-mes se regardèrent, indécis.\\ --- Elle n'a pas tout à fait tort, admit \mageninja. Des rumeurs de ce type ne peuvent pas nous nuire, voire même en effet nous couvrir plus efficacement.\\ --- Cela n'explique pas pourquoi tu as soi-disant \og encouragé \fg ces bruits qui couraient, intervint le sosie. Je ne crois pas une seconde que tu aies pris cette initiative pour nous protéger encore plus.\\ Elle sourit.\\ --- Je suis mal à l'aise en ta compagnie, il y a de quoi, et je cherche en effet des occasions pour éviter d'y être. Et quand j'y suis, je ne suis pas toujours très efficace pour cacher ma gène. Pour le moment ça va, mais jusqu'où ? Jusqu'à quand ? En faisant mine d'être agacée par des avances et en cherchant à t'éviter pour cela, je donne à tout le monde une bonne raison d'être mal à l'aise en ta présence. Cela m'aide, et cela ne te dessert pas. De nouveau un court silence.\\ --- Tu aurais pu nous informer de cette initiative...\\ --- Je n'ai fait que jouer un peu sur des rumeurs qui couraient déjà, je pensais que vous étiez déjà au courant quand même !\\ --- Il est vrai que cela te donne une excuse pour passer du temps avec \aure ou \denise, plus facilement encore, admit \mageninja à l'intention du sosie. \\ --- Soit. Cela veut dire que je dois me focaliser sur l'une d'entre vous ? Cela ne me paraît pas...\\ --- Tu peux faire ce que tu veux, coupa \aure. Continuer comme tu faisais déjà, ça n'a pas fait taire les rumeurs. Te focaliser sur l'une d'entre nous, pour en jouer encore plus. Nier en bloc, ce qui bien sûr encouragera encore les on-dit à ce sujet. Ou par exemple, faire croire que tu essaies de sympathiser avec \denise pour m'atteindre... ce qu'essaient pas mal de jeunes seigneurs de la cour d'ailleurs. Je ne sais pas qui il faut plus plaindre, d'eux ou de \denise, ajouta-t-elle avec un air amusé. Ou tu peux encore faire semblant de faire le contraire, ce qui serait assez amusant et original.\\ --- Soit. C'est plutôt pertinent. Mais tu devras aussi jouer le jeu à ton tour.\\ --- Je continuerai de jouer le rôle de la princesse \aure, comme depuis que je suis arrivée au château, qui de toutes façons ne se donne pas au premier courtisan venu. Sinon ce ne serait pas naturel.\\ Surtout parce que les courtisans standard font de piètres amants, compléta mentalement l'elfe. Tout dans l'apparence... En tous cas c'était comme ça chez elle, et elle n'avait ni le temps ni l'envie de faire une étude humaine approfondie. \noindent --- Et si ça ne vous dérange pas, messire \ismael, reprit-elle en exécutant une révérence, je vais retourner dans ma chambre me préparer en attendant le banquet. Bonne soirée.\\ Elle partit d'un air décidé, en laissant le sosie et son \og serviteur \fg ---qui semblait être plus le chef ou référent dans l'histoire--- derrière elle et ferma la porte. Ce n'était pas une vraie victoire, mais avoir le dernier mot face à ces deux hommes était toujours satisfaisant. Elle marcha à pas rapides vers sa chambre. Il ne s'était pas passé beaucoup de temps, \denise était peut-être encore au château. \recit{\denise} \noindent --- Je ne serai sortie que peu de temps. Moins d'une heure ! insista \denise.\\ --- Je veux bien vous croire, reprit \jan, dans le couloir qui menait à la porte, mais les rues sont dangereuses la nuit. Que se passerait-il si vous arrivait quelque chose ?\\ Elle dégaina son épée et la pointa sur lui en souriant.\\ --- Tu veux dire que les rues seront dangereuses parce que j'y serai ?\\ Le garde soupira, et ne put s'empêcher de sourire à son tour durant quelques instants.\\ --- C'est vrai, mais...\\ Il ne termina pas sa phrase, et évitait de la regarder droit dans les yeux. Elle rangea son épée et croisa les bras face à lui.\\ --- Arrête, \jan. Qu'est-ce que tu ne me dis pas ? Quelqu'un t'a donné l'ordre de ne pas me laisser sortir ?\\ --- ... Oui, répondit-il, à demi-gêné, à demi-soulagé de n'avoir plus à inventer des excuses.\\ --- Qui ? Insista-t-elle, craignant de connaître la réponse. \noindent --- Inutile, je sais très bien de qui il s'agit et pourquoi.\\ \denise se retourna pour voir \aure arriver en courant au coin du couloir. Elle avait reposé sa couronne et attrapé son manteau de laine, qu'elle était en train d'enfiler.\\ --- C'est évident, reprit-elle à leur hauteur, c'est \ismael.\\ \jan ne sembla pas la contredire, ou alors il le cachait bien.\\ --- Et la vraie raison, celle qu'il n'avouera pas, c'est qu'il est jaloux.\\ --- Quoi ?\\ L'étonnement dans le visage du garde permit à \denise de masquer le sien. Qu'allait raconter \aure encore ? Enfin, si ça marchait, elle n'allait pas se plaindre. Encore plus si elle pouvait l'accompagner.\\ --- Tu te souviens de notre visite de la ville ? Le jeune ménestrel jongleur ? Je sais bien que tu as fait semblant de ne pas le remarquer, mais tu as bien vu que lui et \denise...\\ Il la regarda alors qu'elle se sentait rougir légèrement, mais ne dit rien.\\ --- Que crois-tu que \denise veut faire, à sortir du château le plus discrètement possible ? ajouta-t-elle avec un sourire triomphant.\\ Qu'est-ce qu'\aure avait fait avec \mageninja pendant son absence pour revenir aussi énergique et motivée ?\\ --- Oh... répondit \jan, en regardant \denise. C'est donc pour ça que tu disais avoir une lettre personnelle à transmettre...\\ Elle hocha la tête, soulagée de n'avoir rien dit d'incohérent. \\ --- \ismael semble avoir eu vent de l'existence de l'amant de \denise, continua \aure.\\ --- Je n'ai rien dit, je vous le promets ! répondit le garde sur la défensive.\\ --- Peut-être. Toujours est-il qu'il le sait, et qu'il veut éviter qu'elle ne le voit... c'est aussi simple que cela. Et c'est bien pour cela que nous voulons aller le voir en toute discrétion. Y compris ta discrétion... Un moment passa, durant lequel le jeune soldat regarda les deux elfes, en robes longues et avec de longs manteaux, les cheveux coiffés à la mode humaine. \aure avait eu une idée géniale. Inventer une fausse-vraie raison pour laquelle le sosie ne voulait pas les laisser partir était parfaite. Mais... elle aurait bien aimé justement que toute cette affaire ne soit qu'une histoire de c{\oe}ur.\\ --- Mais si elle veut voir... quelqu'un, pourquoi souhaitez vous également l'accompagner ?\\ Elle sourit.\\ --- Là, il n'y a pas de princesse qui tienne. Je l'accompagne, je surveille la porte, je fais semblant que nous sommes là pour autre chose, bref, je suis l'amie complice sur qui elle peut compter. Comme elle le ferait pour moi dans l'autre sens. Tu ferais ça pour des camarades non ?\\ Elle ne put s'empêcher de rougir encore. \aure jouait la comédie pour que \jan les laisse partir ---et à son air indécis, ça avait l'air de marcher---, mais elle sentait dans cette phrase des morceaux de sincérité qui lui allaient droits au c{\oe}ur. Si elle était réellement en train de s'enfuir pour voir \jerome, \aure ferait tout cela pour elle, elle en était convaincue. Quitte à lui demander les détails après, parce que c'était \aure. \noindent --- \ldots bon, si tu crains tant que ça, tu peux nous accompagner, continuait son amie.\\ --- Je ne peux pas quitter mon poste, évidemment. \\ --- Alors je te propose une solution simple. Je reste avec toi le temps que \denise aille \og le \fg voir. Nous voulions y aller toutes les deux, mais si tu as peur pour moi, je l'attends ici. Tu me tiendras compagnie, ajouta-t-elle en souriant et en posant la main sur son épaule. Le jeune garde réfléchit quelques instants, hésitant. Il pouvait bien sûr choisir une de ces options, mais aucune d'entre elles ne semblait l'enchanter. Pourvu que...\\ --- Si vous n'êtes pas de retour d'ici une heure, j'alerte quelqu'un. Mais je vous en prie, soyez prudentes... et discrètes.\\ --- Merci pour tout, \jan. \recit{\aure} \noindent --- Tu es sûre qu'on ne s'est pas trompées ? demanda \aure.\\ --- Je crois que cette fois c'est bon... Elle suivit \denise dans une autre petite ruelle étroite. Comment faisaient les citadins pour s'y retrouver ? Ce n'était pas tant que la ville était grande, c'est que les rues étaient très étroites, sinueuses, et se ressemblaient toutes. Rien à voir avec les divers villages et petites villes traversées jusque là, où les \og bourgs \fg se composaient essentiellement d'une route principale et de quelques allées transverses. \denise semblait trouver son chemin, tant bien que mal. L'habitude de la capitale peut-être ? Plus elles avançaient, plus il faisait sombre, mais ce n'était pas uniquement dû au soir qui tombait. Les bâtisses, très serrées, s'étalaient un peu plus à chaque étages, si bien que les toits se touchaient presque, coupant la lumière venant du ciel. Avec cette obscurité, de nombreuses lampes et bougies s'allumaient ici et là, faisant danser les ombres et en leur donnant une allure inquiétante. La pénombre seule aurait été moins effrayante, songea-t-elle, même si sans vision nocturne les humains devaient être bien handicapés. Les humains, d'ailleurs, n'avaient pas déserté la rue, du moins pas encore. Difficile à dire si c'était spécifique au tournoi ou pas, mais elles avaient presque du mal à se déplacer sans se heurter à des petits marchands ambulants, conducteurs de charrettes, mendiants, simples passants rentrant chez eux, et même quelques nobles, à pied ou à cheval. Et personne ne semblait leur prêter attention outre mesure. C'est au fond d'une allée plus sale que les autres ---\aure préférait ne pas s'imaginer ce qu'il y avait au fond de l'ornière qui servait d'égoût--- que \denise lui montra du doigt une enseigne en bois représentant un rongeur et un tonneau. La taverne du \tavernecontact. L'intérieur n'avait pas l'air plus accueillant que l'extérieur. La salle était étroite, illuminée par quelques lampes à huile ---une mauvaise huile, vu l'odeur. Au centre, sur la droite, un comptoir en bois brut noirci par le temps rétrécissait encore la pièce, et autour quatre petites tables et une douzaine de tabourets sur lesquels étaient assis quelques hommes devant des verres complétaient le décor. Elles s'approchèrent du comptoir, où se trouvait un homme aux cheveux gris, en train de compter son argent.\\ --- Vous désirez quelque chose ? demanda-t-il en levant la tête.\\ --- Servez-nous deux verres, répondit \denise en posant quelques pièces sur le meuble en bois. Nous avons aussi un message important à faire passer à \jerome. \\ Alors qu'il avait posé la main sur la petite monnaie, il s'interrompit et haussa un sourcil. \aure nota que malgré son air vieux et fatigué, le tenancier de la taverne n'en était pas sénile pour autant et les regardait avec suspicion.\\ --- C'est de la part de qui ? Demanda-t-il après quelques secondes de silence, tout en ramassant les pièces.\\ Son amie se pencha un peu plus sur le grand comptoir.\\ --- \denise, murmura-t-elle.\\ L'homme hocha la tête.\\ --- Attendez-moi ici.\\ Sans leur donner plus d'explications, il leur tourna le dos, contourna le comptoir et sortit par une petite porte au fond. Les deux jeunes femmes se regardèrent en fronçant les sourcils. La réaction de l'homme leur montrait bien qu'il savait qui était \jerome. Mais s'il s'agissait d'un piège... \noindent --- Bonsoir, jolies damoiselles. Vous venez prendre un verre avec nous ?\\ \aure se retourna en sentant ses cheveux se hérisser. Trois des buveurs s'étaient levés et s'approchaient d'elles en souriant. Même à plusieurs mètres, ils sentaient fort l'alcool et la sueur, et étaient face à eux du côté de la porte. Vu la largeur de la salle et le comptoir, ils gênaient le passage vers la sortie. \\ --- Non, merci, répondit-elle avec toute la politesse dont elle était capable.\\ Elle ne savait pas trop comment réagir. Ce genre d'\og altercation \fg était-il courant ? Il ne manquait plus que ça...\\ --- Allez, dit l'un des hommes ---le plus petit, mais aussi le plus proche---, vous n'allez pas rester toutes seules ce soir...\\ --- Messieurs, interrompit \denise sèchement, nous ne sommes pas des filles de joie et nous sommes pressées. Laissez-nous tranquilles.\\ Son amie s'était campée face aux hommes avec un air décidé, mais elle était nettement plus petite et plus frêle que même même le plus gringalet des ivrognes. Ils répondirent par un rire. \aure jeta un regard paniqué autour d'elle, mais personne ne bougea. Le gérant n'était pas revenu, et il ne restait de toutes façons qu'un dernier buveur assis, qui semblait observer la scène d'un regard réprobateur mais sans quitter sa chope de bière. Sans rien ajouter, comme si la situation était suffisamment claire comme ça, l'un d'eux fit un pas en avant pour saisir le bras de \denise. Celle-ci recula vivement et d'un geste ample, dégagea la cape de son épaule gauche, révélant son arme à la ceinture.\\ --- Pour la dernière fois, laissez-nous tranquilles !\\ Elle compléta sa phrase en posant sa main gauche sur son fourreau et sa main droite sur la poignée de son épée. Les hommes hésitèrent en voyant l'arme et son air déterminé ---même si \aure aurait juré qu'il y avait eu un léger tremblement dans sa voix. Probablement qu'à la capitale, avec son uniforme de garde, même la brute la plus stupide aurait préféré laisser tomber. Mais ici ? Leur hésitation ne dura pas longtemps. Les trois hommes éclatèrent de rire et s'avancèrent. \aure recula de quelques pas, autant pour se protéger que pour laisser plus d'amplitude à \denise. Elle-même était désarmée, et son amie était sûrement capable de tenir tête à ces trois ivrognes. Sûrement. Elle avait déjà fait bien plus dangereux, n'est-ce pas ? Ce faisant, elle trébucha sur la table qui était juste derrière elle, et n'entendit pas l'homme s'approcher dans son dos avant qu'il ne parle.\\ --- Vous avez entendu. Dégagez, maintenant.\\ Et sans attendre leur réponse, l'inconnu passa entre elle et \denise et asséna un gros coup de poing dans le visage du plus petit des trois. Reprenant à peine son équilibre et ses esprits, elle se rapprocha de son amie ---qui étrangement n'avait pas bougé, d'habitude elle réagissait au quart de tour---, et s'apprêta à lui prendre le bras. Autant profiter de la diversion, qui ne durerait peut-être pas, pour s'éclipser ou au moins se mettre un peu plus à l'abri. Mais avant qu'elle n'ait le temps de s'approcher, un autre homme se faufila entre elles et se jeta dans la mêlée, parant de son avant-bras un coup de poing qui était destiné à son compagnon. Juste avant ce geste, il se tourna vers elles et leur envoya un clin d'{\oe}il. \remi. \aure ne savait pas trop si elle devait être soulagée de la tournure des événements, surprise ---mais qu'est-ce que \remi pouvait bien faire ici ?--- ou inquiète ---qui était l'homme qui l'accompagnait ?---, et elle se contenta d'observer la mêlée. Le combat ne dura pas longtemps. Les trois brutes étaient bien saoûles, et leurs coups peu précis. \remi était face au plus grand des trois, et il esquivait sans effort les tentatives maladroites de son adversaire, se faufilant comme une anguille sous sa garde pour lui administrer des coups peut-être pas des plus puissants mais très bien placés. L'autre \og défenseur \fg, à la carrure nettement plus imposante, semblait ne faire aucun effort pour lutter contre les deux autres ivrognes, envoyant des poings précis et efficaces tout en se dégaeant de leurs prises comme s'ils ne s'agissait que de petits désagréments. Sur un violent coup d'épaule, il envoya à la renverse l'un des hommes, qui entraîna l'autre, derrière lui, dans sa chute. En même temps, \remi venait d'enfoncer son coude juste sous les côtes du troisième, qui recula et tituba, le souffle coupé. Les trois brutes gromelèrent, se relevèrent péniblement tout en tenant leurs nez en sang ou leurs camarades, et sortirent en leur lançant des insultes à demi incompréhensibles. \recit{\remi} Le silence revint d'un coup dans la petite taverne. Il se tourna vers \aure et \denise. C'était bien elles, malgré leurs cheveux attachés et leurs robes longues, à la mode locale. Sauf l'épée de \denise, évidemment, qui n'était peut-être pas le bijou féminin le plus discret. Il fit un geste dans sa direction, et voyant qu'elle réagissait à peine, rabattit le pan de cape sur son épaule gauche. Elle tremblait. \noindent --- Vous pouvez aller discuter dans l'arrière-salle, si vous voulez, leur indiqua \contact, revenu derrière son comptoir, sans montrer la moindre marque d'émotion sur ce qui venait de se passer.\\ --- Merci, répondit \chris. Venez, ajouta-t-il à l'intention des deux elfes.\\ Il prit la direction de la porte du fond, et elles le suivirent. \remi prit les deux chopes en bois que le tenancier venait de poser sur le comptoir, et leur emboîta le pas, fermant d'un coup de pied la porte derrière lui. L'arrière salle était juste un cellier-entrepôt sombre, principalement occupé par des étagères remplies de victuailles et de bouteilles, ainsi que quelques chaises et tabourets bancals. L'endroit n'était visiblement pas vraiment fait pour accueillir du monde, mais ferait l'affaire pour discuter tranquillement. \noindent --- Je suppose que nous devons vous remercier, monsieur, euh... commença \aure, hésitante.\\ --- Appelez-moi simplement \chris. Je suis un ami de \denise. Mais ce sont ces trois abrutis qui devraient nous remercier.\\ Il s'assit sur un tabouret, et leur fit signe de l'imiter.\\ --- Je suis désolé pour cette scène, \denise. Je sais que tu aurais été parfaitement capable de te défendre face à ces trois imbibés, et c'est bien pour ça qu'on est intervenus. Tu les aurais tués, ou blessés gravement, n'est-ce pas ? Je ne dis pas que tu aurais eu tort, bien sûr. Mais ça t'aurait causé beaucoup d'ennuis.\\ --- Je suppose, vu vos vêtements, que vous êtes là incognito ? ajouta \remi. C'est moche à dire, mais pour ces soûlards et beaucoup d'autres, il est normal de se prendre un coup de poing dans une taverne. Au moins comme ça, personne n'ira raconter des rumeurs bizarres. Même si pour vous...\\ \denise hocha la tête et soupira en s'asseyant sur une caisse qui faisait office de siège. \\ --- Vous avez raison. Et il y a plus important.\\ --- Est-ce qu'on peut avoir quelques explications quand même ? intervint \aure. Pour commencer, qu'est-ce que tu fais ici, \remi ?\\ --- \chris est venu me chercher, répondit-il en souriant. Et oui, on s'est croisés il y a quelque temps, c'est une longue histoire. Mais il paraît que vous aviez besoin d'un petit coup de main, alors je suis venu.\\ --- Et où est \jerome ? demanda \denise.\\ --- Aucune idée, répondit \chris. Nous arrivons tout juste d'un comté voisin, une journée entière de voyage... Et pas encore de nouvelles de lui. Il est probablement en vadrouille quelque part.\\ --- Pourquoi avez-vous pris le risque de venir jusqu'ici ? commença \remi en s'asseyant à son tour sur une caisse. \jerome nous avait déjà expliqué toute l'histoire et... \\ --- Parce qu'il y a quelques détails que vous ne savez pas et que vous devez savoir, coupa \denise. Et je prendrais bien une gorgée, dit-elle en tendant le bras vers la chope de bière qu'il tenait toujours. Il avait cru remarquer que, jusque là, les deux elfes évitaient de boire de l'alcool, ou en buvaient très peu. Il n'en connaissait pas vraiment la raison, mais si elle en prenait volontiers, c'est qu'elle devait vraiment avoir besoin d'un remontant. Lorsqu'elle commença son récit, il comprit pourquoi. Et il termina la chope. \noindent --- ... Et donc, \chloe t'a donné ça ? dit-il, intrigué, en voyant la pierre dans la petite bourse d'\ismael.\\ --- Oui. Elle m'a dit que ça pourrait mener vers elle. Mais je n'ai pas vraiment compris comment, et elle ne m'a rien dit de plus, de peur qu'on nous entende. Est-ce un objet magique ?\\ \remi ne répondit pas, laissant ses doigts jouer machinalement avec la pierre. Il savait le sort de \chloe, depuis que \chris lui avait raconté, mais le récit ---même plutôt bref--- de \denise l'avait secoué. Savoir qu'elle était vaguement prisonnière était une chose, entendre les détails de sa captivité en était une autre... Il avait presque l'impression de l'avoir vue, entendue, sentie, du fond de sa prison. À présent, il se sentait presque coupable d'avoir mangé, bu et ri en toute insouciance à la ferme de ses cousins, en ignorant totalement son sort. \noindent --- ... Tu ne vois pas d'inconvénient à ce que je transmette la lettre, \denise ? demanda \chris, tirant \remi de ses pensées.\\ --- Non, je ne crois pas y avoir mis d'éléments personnels, répondit-elle en haussant les épaules.\\ Il n'avait pas tout suivi cette histoire de lettre, ni la fin de la conversation, mais \chris lui raconterait de toutes façons. \\ --- Alors on vous raccompagne sur une partie du chemin, puis on rentre raconter tout ça aux autres. \\ --- Les autres ?\\ --- \seve est avec nous aussi. Durant notre absence, elle devait essayer de contacter \ismael... donc nous en saurons plus à ce moment-là. Tout ce qu'on savait, avant de partir, c'est qu'il était vivant.\\ Un peu de soulagement se peignit sur les visages des deux jeunes fem\-mes, et ils se levèrent.\\ --- Et puis, vous allez pouvoir vous reposer, en sécurité, au château, ajouta \remi en chemin. On vient de faire une journée entière de voyage à cheval, et je crois que le sommeil n'est pas pour tout de suite...\\ --- Se reposer en sécurité, c'est vite dit. Quand on est régulièrement menacé par quelqu'un qui porte le visage d'un ami, on n'a pas vraiment l'impression d'être en sécurité. À choisir, je préfèrerais chevaucher toute la journée dans la poussière. Ou fréquenter les tavernes des bas-fonds, et ses ivrognes agressifs qui au moins n'exigent pas qu'on sourie comme si tout allait bien, répondit \denise. Il ne sut pas trop quoi répondre. La situation ne devait effectivement pas être facile.\\ --- Courage, lui dit-il simplement.\\ --- Je ne peux rien vous promettre, ajouta \chris. Mais on ne va pas rester sans rien faire. Je préfère ne pas vous en dire plus, déjà parce qu'il faut en discuter avec les autres, et ensuite parce que par sécurité il vaut mieux que vous n'en sachiez pas trop. Mais faites-nous confiance, et continuez à jouer le jeu pour qu'ils ne se doutent de rien. Bonne chance. \recit{\chris} Ils marchaient en silence, à côté de leurs montures encore plus épuisées qu'eux. La ferme de la veuve \nomvieille n'était plus très loin, et la nuit était déjà bien avancée. À ses côtés, \remi lisait la lettre de \denise, sans difficulté malgré la lumière quasi-inexistante. Il avait à peine réagi quand \remi lui avait expliqué qu'il \og avait des yeux d'elfe \fg. Il en avait vu d'autres, à la capitale, et était lui-même intérieurement persuadé qu'il existait beaucoup de \og métissés \fg entre humains, elfes, nains, loups-garous et peut-être tout un tas d'autres créatures dont il ignorait l'existence. Avec un peu d'astuce ---la coiffure de \denise n'en était qu'un exemple grossier--- il ne devait pas être très difficile de se faire passer pour quelqu'un de parfaitement \og normal \fg. Son compagnon finit par lever les yeux du papier.\\ --- Au début, il y a le récit de sa... visite à \chloe. Avec pas mal de petits détails qu'elle n'a pas donnés. Ensuite elle a voulu donner tout ce qu'elle et \aure ont pu observer sur le comportement du sosie et de son soi-disant valet de chambre. Celui qui semble le plus dangereux, et qui est un sorcier, d'après elle et \chloe... \\ --- Ça peut servir. Et c'est tout ?\\ \remi sourit.\\ --- Elle a ajouté des détails à la fin... sur la technique de combat à l'épée du sosie. Ses points forts et ses points faibles...\\ --- Ha, ça ne m'étonne pas. Je doute que ça serve, mais sait-on jamais... rien sur la bourse d'\ismael et le caillou ?\\ --- Non... enfin si, qu'elle ne sait pas du tout ce que c'est. Les lumières de la ferme commençaient à apparaître. Ou plus précisément, une lumière, venant de la grange où ils logeaient.\\ --- \seve est encore debout visiblement. On aura des nouvelles fraîches... \recit{\remi} Il s'attendait à voir \seve sur le point de se coucher, mais elle était en pleine discussion animée avec \jerome, au dessus de diverses cartes et notes. Elle leva à peine la tête.\\ --- Ah, vous voilà enfin. Parfait, je vais pouvoir vous expliquer ce qu'on a prévu de faire.\\ --- Déjà ? s'étonna-t-il.\\ --- Oui. Je sais précisément où est \ismael, et je suis en train d'organiser une petite expédition pour aller le récupérer.\\ Il s'assit par terre, près de la caisse qui semblait leur servir de table. \chris était resté s'occuper des chevaux.\\ --- Il est blessé, mais en vie, continua-t-elle sans lui laisser le temps de souffler. Il se trouve dans un petit village du nom de \villagechute, apparemment dans la famille d'un forgeron. J'en ai trouvé l'emplacement, par contre c'est un peu loin à cause du relief, plusieurs jours à cheval. Dans la vallée de l'\riviereirande, là, ajouta-t-elle en montrant du doigt une carte. Il n'est pas en danger immédiat...\\ --- C'est ce qu'il dit, interrompit \jerome, qui s'était levé pour lui serrer la main en signe de bienvenue. Il doit quand même être mal en point... et qui sait si on ne le recherche pas ?\\ --- Oui, mais il est possible qu'il puisse nous aider à retrouver \chloe, une fois qu'il sera près de nous.\\ --- Ah ? Comment ça ? demanda \remi, incrédule.\\ --- C'est le point dont je ne suis pas tout à fait sûre, reprit \seve. Il me semble qu'il existe un enchantement de \deesse, qui est traditionnellement enseigné aux paladins, qui pourrait nous aider... mais vu le peu d'informations qu'on a sur l'endroit où \chloe se trouve, je ne vois pas d'autre piste.\\ --- Un... enchantement qui permet de retrouver quelqu'un ? \\ --- Oui. Je ne connais pas tous les détails, mais je crois qu'un paladin peut lier un objet à la personne qu'il cherche et cela lui permet...\\ --- Tu fais une tête bizarre, \remi, interrompit \jerome. Un souvenir venait de lui revenir. Un détail, qu'il avait mis de côté, avec tout ce qui s'était passé ce soir-là, mais comment avait-il pu l'oublier ?\\ --- \ismael. Il nous a trouvés dans la forêt. Il marchait droit sur nous. Il venait d'une autre direction que la nôtre, nous étions totalement hors des sentiers, et nous laissions si peu de traces... Comment aurait-il pu nous trouver s'il n'était pas aidé par quelque chose de magique ?\\ --- Divin plutôt, corrigea \seve. Mais ça ressemble en effet à une utilisation de cet enchantement, et c'est une très bonne nouvelle, ça veut dire qu'\ismael... \\ --- J'ai compris, interrompit \remi avec énergie. Il n'a même pas besoin de lancer l'enchantement une nouvelle fois ! Nous l'avons ! Il sortit de sa tunique la petite bourse contenant le mystérieux caillou, sous les regards incrédules de \seve et \jerome, ainsi que celui d'\chris qui venait de rentrer.\\ --- Qu'est-ce que tu as compris ? demanda ce dernier.\\ --- L'objet... cette pierre est l'objet qu'a enchanté \ismael pour retrouver \chloe dans la forêt, la première fois que je l'ai rencontré. Et c'est pour ça que \chloe aurait dit que cet objet nous mènerait à elle...\\ --- Hm... en effet... commença \chris.\\ --- Stop, interrompit \seve. Je n'ai rien compris. Qu'est-ce que c'est que toute cette histoire ? \chris s'assit à côté de \remi, qui sortit la lettre de \denise.\\ --- Bon. On va vous raconter depuis le début. On a fait une petite rencontre sur le chemin du retour... \recit{\jerome} \jerome s'allongea enfin. \chris s'était endormi auprès de \seve, sur le matelas de paille grossier qui lui servait de lit. Quand à \remi, il n'avait même pas eu le courage de s'aménager un couchage décent, et s'était juste effondré sur un tas de paille dans un coin de la grange. En même temps, une bonne moitié de la nuit s'était déjà écoulée et ils avaient de quoi être fatigués... Ils avaient compris comment \og fonctionnait \fg la pierre trouvée dans la bourse d'\ismael. En se concentrant sur les faibles pulsations, on pouvait donner une direction globale. Il restait à voir si c'était assez précis pour retrouver \chloe, mais \remi semblait convaincu que oui. Ils feraient quelques tests en se déplaçant, comme avait suggéré \chris, pour voir si on pouvait situer un peu plus en détail sa position. Après un long débat, ils avaient décidé d'aller secourir \chloe en priorité. En tant qu'otage, elle était la plus en danger et la plus proche. De plus, ses pouvoirs de soin pouvaient s'avérer utiles, alors qu'\ismael, blessé, ne leur serait que de peu d'aide. Mais \seve, qui avait passé un bon moment à préparer le sauvetage du paladin, avait tout de même insisté pour se rendre à \villagechute seule. Elle ne voulait pas perdre de temps, car le trajet pouvait être long, et puis elle n'était pas sûre d'être très utile auprès des trois hommes. Par chance, leur contact \contact avait reçu du capitaine \capitaine l'or\-dre de les aider sans leur poser de questions. Il leur avait fourni une charrette et un harnais d'attelage pour aller jusqu'au petit village où se trouvait \ismael, et avait évoqué le fait qu'il pouvait leur prêter des chevaux si besoin. \jerome se demandait vaguement de quelle manche cet humble tavernier sortait toutes ces précieuses ressources, mais avait de toutes façons l'esprit trop préoccupé pour s'en inquiéter. Il se demandait simplement, par curiosité, ce qui se passerait s'il lui demandait une armée de chevaliers montés sur des licornes d'argent. Juste pour voir. Il soupira. La tâche qui lui avait paru presque impossible il y a quelques jours lui semblait maintenant presque accessible. Presque. En espérant que les craintes de \seve, sur le fait qu'\ismael était probablement recherché par des hommes qui cherchaient à l'achever ne soient pas fondées... \recit{\ismael} \noindent --- Et là, ça fait combien ? demanda \ismael.\\ La petite regarda attentivement les morceaux de bois posés sur la table et se concentra.\\ --- Dix-sept ?\\ --- Oui, bravo. Plus dur, maintenant, répondit-il en souriant, et en replaçant d'autres morceaux de bois. Il laissa \titefille se concentrer sur son addition. Vu son état, il y avait si peu de choses qu'il pouvait faire pour remercier \femmeforgeron et son mari qui l'avaient recueilli, mais il faisait de son mieux. Il avait constaté que le petite peuple, dans cette région, savait lire et écrire très approximativement, alors il se faisait un point d'honneur à enseigner ce qu'il pouvait à leur fille de huit ans. Accessoirement, cela occupait un peu ses journées, et l'aidait à supporter la douleur. Maintenant que quelques jours s'étaient écoulés, il savait un peu mieux dans quel état il était. Une fois mis de côté les innombrables bleus, muscles froissés, coupures et autres conséquences bénignes de sa terrible chute, il pouvait faire le point sur ce qu'il lui restait comme sérieuses blessures. Son genou droit était toujours sérieusement gonflé et ne le portait plus. Son côté gauche le faisait toujours souffrir à chaque inspiration ---probablement quelques côtes fêlées. Et son épaule droite, qui avait été transpercée par un carreau d'arbalète, mettrait un bon moment à guérir. Il avait tout de même eu de la chance... la végétation dense de la forêt l'avait couvert d'égratignures et de petites plaies, mais lui avait évité le pire. La porte de la pièce s'ouvrit, et \femmeforgeron et son mari entrèrent. Il n'était pas très tard, d'habitude \forgeron travaillait à la forge jusqu'à la tombée du jour. Leurs expressions de visage étaient indéchiffrables.\\ --- \titefille, veux-tu bien aller bercer ton petit frère pour qu'il s'endorme ?\\ On n'entendait pas un bruit venant de la chambre, et il y avait fort à parier pour que le petit frère en question ---à peine plus d'un an--- soit déjà profondément assoupi. Mais la petite ne posa pas de question et, ramassant ses petits morceaux de bois, sortit de la pièce. Une fois la porte refermée, le couple échangea un regard, puis ils se campèrent comme un seul homme face à lui, les bras croisés.\\ --- \ismael. Ou peu importe ton nom. Dis-nous vraiment qui tu es, commença \femmeforgeron.\\ Il hésita un instant à répondre.\\ --- Je sais que tu ne nous a pas tout dit, enchaîna son époux. Je veux bien croire qu'il y ait des bandits dans la région, et que tu aies eu la malchance de croiser leur route. La plupart du temps ce sont de pauvres gars que la misère a poussé à détrousser les voyageurs pour survivre. Il est rare qu'ils s'équipent d'arbalètes de qualité, comme celle qui t'a causé cette blessure, ajouta-t-il en pointant du doigt son épaule et son bras en écharpe.\\ --- Et si tu es bien un noble chevalier ou quelque chose dans ce genre, comme semblent le témoigner tes bottes et tes vêtements... pourquoi personne n'est venu te chercher jusque-là ? Tu dois bien avoir une famille, des serviteurs qui te cherchent... Pourquoi ne nous as-tu pas demandé de leur faire porter un message de ta part par exemple ? Ou as-tu, peut-être, une bonne raison de ne pas vouloir être retrouvé... ? Elle laissa sa phrase en suspens. \ismael resta quelques secondes accablé. Il ne pouvait pas tout leur expliquer. Mais il pouvait comprendre leur méfiance... Méfiance qui se manifestait maintenant seulement, pourquoi ? Pourquoi aujourd'hui et pas le jour où ils avaient recueilli un étranger couvert de sang et de poussière ? \noindent --- Il y a des hommes qui te cherchent, reprit-elle.\\ Son sang se glaça.\\ --- Deux hommes sont venus discuter à l'auberge aujourd'hui. Ils se présentent comme des soldats d'un comté voisin. Ils recherchent un dangereux assassin qui, blessé ou mort, serait tombé il y a quelques jours dans la forêt avoisinante. Ils offrent une récompense à qui permettrait d'en apprendre plus, compléta \forgeron.\\ --- Qui es-tu vraiment ? insista sa femme. Ils étaient debout face à lui. Le forgeron était un homme taille moyenne, aux épaules et bras taillés par le travail du métal ; quant à sa femme, même si elle ne bénéficiait pas de la même carrure imposante, ne semblait pas du genre à se laisser faire. De toutes façons ce n'était pas comme s'il avait la moindre chance de se défendre, alors qu'il ne pouvait même pas se lever seul de sa chaise. Il soupira.\\ --- Je vais vous expliquer qui je suis et pourquoi je suis là. Même si je sais pertinemment que vous n'allez pas me croire. \femmeforgeron et \forgeron s'assirent à leur tour, de l'autre côté de la table, sans dire un mot.\\ --- Mon nom est bien \ismael, et je suis le troisième fils du duc \seigneurismael. J'ai quitté le château familial à l'âge de douze ans, pour suivre l'enseignement long et difficile d'un paladin de \deesse, et je suis de retour pour la première fois depuis cette longue absence. Ceux qui m'ont tendu une embuscade n'étaient pas des brigands ordinaires, c'est certain... ils avaient pour but de m'enlever pour prendre ma place. Dans quel but, je l'ignore encore... mais parmi eux il y avait un homme, qui est mon sosie parfait. Ils m'ont dépouillé de mon tabard et de mes armes pour les lui donner. J'ai profité d'un moment de confusion pour m'enfuir en me jetant dans le ravin. Il me paraît évident que mon double avait besoin de me garder en vie dans la mesure du possible, pour se faire passer \og au mieux \fg pour moi. Je ne voulais pas leur laisser cet avantage.\\ Il marqua une pause, puis reprit.\\ --- J'étais accompagnée d'une noble dame du nom de \chloe, qui est la seule qu'ils ont épargnée de toute notre escorte. Elle est très probablement restée prisonnière entre leurs mains, et il ne se passe pas un instant où je ne tremble pas pour elle. Mais que puis-je faire ? À présent que mon sosie a rejoint ---je le suppose--- le palais du duc, personne ne me croirait. Surtout qu'après une si longue absence, se faire passer pour moi n'est pas si difficile. Et je ne suis hélas qu'à moitié surpris que ces hommes me cherchent encore, ne serait-ce que pour s'assurer que je suis bien mort. Un silence s'ensuivit. Tous les deux le regardaient avec un regard à moitié incrédule, à moitié abasourdi. Il soupira.\\ --- Je sais que mon histoire vous paraît parfaitement absurde. Vous qui m'avez recueilli, soigné, nourri... Je ne peux pas vous demander, en plus, de me faire confiance à ce point. Si vous craignez que je puisse être un danger pour vous et votre famille, alors enfermez-moi quelque part. Ou faites venir la milice du village, s'il y en a une, ou encore des soldats du duc \seigneurismael.\\ --- Te reconnaîtraient-ils ? demanda \forgeron.\\ Il voulu hausser les épaules, mais la douleur l'en empêcha.\\ --- Peut-être. Peut-être pas. Il y a de bonnes chances qu'on me mette en prison pour trahison ou folie. Mais ce sort est plus enviable que celui qui m'attend entre les mains de ces hommes. Dans tous les cas, je ne veux pas vous faire prendre le risque que ces mercenaires s'en prennent à vous parce que vous m'avez aidé. Un nouveau silence s'ensuivit. Les époux échangèrent un regard entendu et hochèrent la tête.\\ --- Ton histoire est effectivement trop difficile à croire, commença \femmeforgeron. Mais nous n'allons pas te livrer à eux.\\ --- Pour être honnête, je n'avais pas confiance du tout en ces étrangers, compléta \forgeron. Je n'ai pas reconnu le blason d'un seigneur, et quand on propose une \og forte récompense \fg, je me méfie. Alors que toi, le soi-disant dangereux assassin, tu es prêt à te rendre pour nous éviter des ennuis...\\ --- Je suis sûre que tu ne ne nous a pas tout dit. Mais tu nous parais plus honnête que ces hommes, reprit-elle.\\ --- Où sont-ils ? demanda \ismael d'une voix faible, ne sachant pas trop s'il devait être vraiment rassuré.\\ --- Ils sont repartis. Ils ne savent vraisemblablement pas où tu es tombé, et il y a beaucoup de petits villages aux alentours, ajouta le forgeron, le visage un peu radouci. Mais ils risquent de revenir.\\ --- Heureusement, nous avons eu la présence d'esprit de ne pas parler de toi, ajouta \femmeforgeron. Même \titefille devrait savoir tenir sa langue, et puis elle ne sort pas beaucoup. Mais tu ne dois pas te faire voir. Tu ne sors pas, bien sûr, mais ne te montre même pas aux fenêtres.\\ Il hocha la tête.\\ --- Avec un peu de chance, ils finiront par abandonner, ajouta son époux. Et nous verrons ensuite. D'ailleurs, je me serais attendu à ce que, si tu étais vraiment le fils de notre duc, tu nous promettes une récompense en échange de nos soins et de notre aide...\\ --- Je ne veux pas promettre ce que je ne suis pas sûr d'avoir. Peut-être, si je m'en sors, si je parviens à retrouver ma place... mais il y a beaucoup trop de si. Et puis de telles promesses, n'importe qui peut en faire. Même, et surtout, un dangereux assassin. \\ Cette fois, l'homme eut un sourire franc.\\ --- Hé bien, je me demande bien qui tu es, mais j'aime ton honnêteté.\\ Sa femme sourit à son tour et se leva pour sortir de la pièce.\\ --- Et puis tu sais, \titefille aussi t'aime bien. \recit{\denise} \aure était debout au centre de l'arène, face à la cible, un petit anneau de métal recouvert de papier. Elle inspira profondément, et d'un geste lent et posé, banda son arc. Elle prit le temps d'ajuster son tir, pendant que tout le public retenait son souffle. \denise savait qu'en réalité, son amie n'avait pas besoin de tout ce temps pour viser, mais avait compris qu'il s'agissait plus d'une prestation de théâtre que d'archerie. La foule s'était tue, et pourtant, elle était nombreuse et tassée, derrière les palissades de bois qui entouraient l'arène. Même les plus modestes s'étaient libérés un peu de temps au milieu de leur dur labeur pour venir admirer les meilleurs archers venus des trois duchés, et de plus loin encore. \aure ouvrit brusquement les doigts. La flèche fila tout droit et déchira la cible de papier en traversant l'anneau. Les applaudissements éclatèrent, et \frereis s'avança à ses côtés, s'inclina et lui prit la main, en annonçant le début de cette nouvelle épreuve à tous les archers encore en lice. Et il y en avait, des épreuves variées. Des tirs sur les cibles mouvantes, en plein vol, des épreuves d'archerie à cheval... \aure ou l'un des deux archers elfes noirs \og présentait \fg l'épreuve par une démonstration avant de laisser place aux participants. La sélection avait été rude, et des centaines d'inscrits au départ il n'en restait plus qu'une trentaine, dont certains, déjà favoris pour le trophée, avaient droit à des encouragements particulièrement chaleureux de la foule. Depuis la tribune d'honneur, au milieu des grands nobles et invités d'honneur du duc, \denise n'avait pas grand chose d'autre à faire que de regarder le tournoi, et même si le spectacle était intéressant ---surtout une fois qu'il ne restait que les meilleurs---, elle s'ennuyait et mourait d'envie de se dégourdir les jambes. Les nobles dames et seigneurs autour d'elle discutaient entre eux, mais elle se sentait bien seule puisqu'\aure passait une bonne partie de son temps dans l'arène, à encourager les archers. \noindent --- Joli tir, vous ne trouvez pas ?\\ \denise sursauta. C'était \elfettenoire, l'archère elfe noir, assise à côté d'elle. Elle lui souriait. Elle était grande et mince, à la peau noire et aux longs cheveux noirs lisses, à peine attachés. Elle portait une longue tunique bleu sombre qui lui arrivait aux genoux, fendue sur les côtés par dessus un pantalon noir comme son frère. Elle ne lui avait pas encore parlé depuis leur arrivée, seule \aure avait échangé avec eux à propos du tournoi.\\ --- C'est vrai, répondit-elle. \aure est très douée pour ces tirs de précision fine. \\ L'archère hocha la tête.\\ --- C'est vrai qu'elle nous en a fait part lorsque nous avons choisi, avec elle et mon frère ---elle désigna l'autre archer, de l'autre côté---, quelles seraient les épreuves que nous aurions à présenter. Entre nous, reprit-elle en se penchant vers elle, je pense qu'elle est probablement la meilleure archère de nous trois, même si elle nous dit que c'est grâce à son arc de très bonne qualité.\\ \denise ne put s'empêcher de sourire, reconnaissant bien là son amie.\\ --- J'ai essayé son arc, je n'en reste pas moins une piètre archère, répondit-elle sur le même ton. Même si c'est vrai que son arc est très précis par rapport aux meilleurs arcs humains.\\ --- Oh, à propos d'humains, interrompit \elfenoir, en se penchant par dessus sa s{\oe}ur, j'ai cru comprendre que vous connaissiez bien leurs coutumes ?\\ --- Oui, répondit \denise, surprise. J'ai passé plusieurs années à la capitale de la région de \payscapitale, qui n'est pas très loin du royaume des elfes sylvains.\\ --- Plusieurs années ? Vous devez bien connaître en effet... \\ Il marqua une pause, et les deux elfes noirs échangèrent un regard. Puis il reprit.\\ --- Nous aurions quelques questions à vous poser à propos des humains. Pouvez-vous, avec \aure, nous accorder quelques moments ?\\ --- Oui bien sûr, répondit-elle. Que souhaitez-vous savoir précisément ?\\ --- Pas tout de suite... Nous aimerions, continua-t-il en regardant à nouveau \elfettenoire avec insistance, que ce soit en privé. Loin des oreilles non pointues, ajouta-t-il avec un clin d'{\oe}il.\\ \denise haussa les sourcils, un peu surprise. Quel genre de chose ne vou\-lait-il pas dire devant des humains ?\\ --- Avant le repas, dans la cour intérieure, près du jardin de plantes aromatiques, par exemple ?\\ --- Soit. \recit{\aure} La journée avait été plutôt agréable. Se concentrer sur le tir à l'arc était assez reposant, surtout quand cela lui permettait d'oublier toutes les menaces qui pesaient sur elle. Elle se demandait bien ce que pouvaient lui vouloir les elfes noirs, mais de toutes façons tout était mieux que de subir la présence du sosie d'\ismael ou de \mageninja. Elle n'avait pas pu retenir un sourire de satisfation quand \elfettenoire l'avait poliment mais fermement congédié afin qu'ils soient seuls pour discuter. L'endroit était un petit coin de jardin, avec des fleurs et buissons ornementaux, qui semblait contraster avec le côté très brut de la muraille de pierre juste à côté, et le côté utilitaire du jardin de plantes aromatiques non loin. Peut-être le duc et sa famille s'étaient aménagé ce petit endroit pour avoir un peu de tranquilité ? Elles s'assirent sur un petit banc de pierre, en face des deux elfes noirs.\\ \noindent --- Je m'excuse tout d'abord si la situation vous paraît étrange, commença \elfenoir. Mais je souhaitais vous parler des humains... mais sans qu'ils nous entendent.\\ \aure hocha la tête. Il reprit, un peu plus bas.\\ --- Avant de venir, on nous a bien prévenus que la magie était fortement bannie dans cette région. Que savez-vous de plus sur les relations entre humains et magie ?\\ Ce fut \denise qui commença.\\ --- Dans le pays de \payscapitale, la magie est officiellement autorisée, depuis quelques centaines d'années je crois, mais beaucoup s'en méfient. À la capitale, ça va un peu mieux, mais l'université de magie n'existe que depuis à peine plus d'un siècle, et les gens l'acceptent peu à peu. Il n'est quand même pas rare qu'un mage soit regardé de travers dans les rues.\\ \elfenoir hocha la tête.\\ --- Et vous ne savez pas trop comment ça se passe ici ? Je n'ai pas osé aborder le sujet avec les gens locaux...\\ --- Nous avons eu la chance de pouvoir le faire, compléta \aure en pensant à \chloe et \remi. Les circonstances étaient un peu particulières...\\ Elle échangea un regard avec \denise, qui comprit sa pensée.\\ --- ... Et la magie n'est pas \og que \fg bannie. De ce que nous avons compris, il est arrivé, et cela pourrait encore se produire, que des personnes soupçonnées de sorcellerie soient torturées à mort ou brûlées vives... Je ne sais pas d'où vient cette peur maladive, mais mieux vaut ne pas évoquer le sujet devant n'importe qui.\\ Elle nota que les deux elfes noirs réprimèrent un frisson et se regardèrent un moment. Étaient-ils mages eux-mêmes pour craindre ce genre de fin, ou étaient-ils juste horrifiés ? \elfettenoire regarda son frère qui hocha la tête. \\ --- Il faut savoir, reprit-elle, que la magie est une tradition omniprésente par chez nous. Tous les jeunes elfes apprennent à l'utiliser, et si moi et \elfenoir ne sommes pas mages à proprement parler, nous connaissons un ou deux sorts simples. Mais nous avons l'habitude de vivre sans, et c'est pourquoi nous avons été choisis pour venir ici. Certains elfes noirs utilisent la magie quotidiennent, quasiment sans réfléchir, et auraient eu beaucoup de difficultés à se retenir de s'en servir...\\ --- Je pense qu'on n'oserait pas s'en prendre à vous si jamais on vous découvrait des pouvoirs de mage, répondit \aure sur un ton qu'elle voulait rassurant. Vous êtes les invités du duc après tout, les premiers elfes noirs à venir officiellement sur ses terres... ce statut d'ambassadeur vous protègerait.\\ --- Peut-être, mais c'est un risque que nous ne voulons pas prendre. Mais bref. Ce n'était pas de cela que je souhaitais parler. En tant que mages, même médiocres, nous sommes donc capables de sentir lorsqu'un sort est lancé près de nous. Le saviez-vous ?\\ --- Oui, répondit \aure. Même si nous ne sommes pas tous mages comme chez vous, un certain nombre d'elfes sylvains étudient la magie. Ce n'est pas mon cas, mais j'ai connu un mage elfe qui m'a expliqué cela.\\ Elle lança un regard en diagonale à \denise qui cachait un sourire derrière sa main, ayant probablement deviné ce qu'elle voulait dire par \og connaître \fg. Elle se retint de lui envoyer un coup de pied, et se reconcentra sur cette affaire. Si ces elfes noirs pouvaient \og sentir \fg la magie autour d'eux, alors ils avaient dû se rendre compte de quelque chose...\\ --- Et, c'est là que je souhaitais en venir, reprit \elfenoir puisqu'\aure ne semblait pas répondre, nous sommes certains qu'il y a des sorts qui ont été lancés ces derniers temps. Si j'en juge par notre conversation, il ne s'agit pas de vous, n'est-ce pas ?\\ \aure regarda son amie, qui redevenue sérieuse, semblait avoir compris la situation. Que pouvaient-elles dire ? Elles savaient parfaitement pourquoi et même qui lançait ces sorts. Elles restèrent quelques instants sans savoir quoi répondre. Elle aurait bien voulu attraper son amie pour discuter encore plus en privé, pour savoir quoi leur répondre tout en étant cohérent, mais c'était évidemment impossible.\\ --- C'est étrange en effet, répondit-elle en premier, en espérant que \denise la suive dans son histoire. Ni moi ni \denise n'avons étudié la magie, donc nous ne pouvons même pas confirmer vos observations... \\ --- Et vous comprenez que nous ne pouvons pas en discuter ouvertement.\\ --- En effet. Et je me demande bien ce que cela peut signifier, ajouta \aure en gardant l'air le plus surpris possible. Quand avez-vous... senti ces sorts ?\\ --- Durant la soirée ou la nuit. Hier soir, et il y a quelques jours, lorsque nous sommes arrivés.\\ \aure vit, du coin du regard, \denise froncer les sourcils, concentrée. Mieux valait la laisser à ses calculs et lui poser la question plus tard. Elle espérait juste que sa nervosité serait interprétée comme de la surprise spontanée.\\ --- Mon ami mage me disait qu'avec de la pratique, il était capable de situer assez précisément l'endroit du sort et le type de sort. En êtes-vous capable ?\\ \elfenoir secoua la tête.\\ --- Comme je vous disais, nous ne sommes pas de vrais mages, seuls les meilleurs chez nous en seraient capables. Principalement parce que la magie y est tellement présente qu'il devient difficile de distinguer un sort particulier au milieu de tous ces sorts mineurs lancés quotidiennement par la grande majorité des elfes... Ici il n'y a rien d'autre, donc j'arrive à les sentir. Mais je ne peux même pas vous dire s'il s'agit d'un, ou de plusieurs sorts faciles ou très complexes à lancer. Simplement, ça me trouble beaucoup.\\ --- Mon frère s'inquiète facilement, interrompit \elfettenoire. Puisqu'il y a des mages dans la région de \payscapitale, il se peut que l'un soit là en secret, voilà tout.\\ Malgré son ton rassurant, \aure remarqua qu'elle était nerveuse elle aussi.\\ --- C'est bien possible, il y a un certain nombre d'archers invités qui ne sont pas de la région des trois duchés, répondit \denise. À quelle distance pensez-vous que ce sort soit lancé ?\\ --- Pas d'idée précise, mais si c'était significativement en dehors des bornes du château, je ne saurais pas qu'un sort est lancé.\\ \denise fronça encore une fois les sourcils en regardant ailleurs.\\ --- Si je suis bien votre pensée, reprit \elfenoir, en effet, aucun de ces archers n'est logé au château. Mais il y a de nombreuses auberges très proches.\\ \denise ne répondit pas, plongée dans des réflexion qui devaient aller bien plus loin que ne l'imaginait l'elfe noir.\\ --- Il y a sûrement des gens qui maîtrisent la magie en secret dans ces régions, malgré l'interdiction. Le contraire me surprendrait, reprit \aure, prudemment.\\ --- Oui, c'est ce que j'essayais de te dire, compléta \elfettenoire à l'intention de son frère. Sans compter ceux qui sont réellement originaires de \capitale, il y a tous ceux qui y ont passé une partie de leur vie... pourquoi n'y auraient-ils pas appris un peu de magie, en cachette ? Nous-mêmes trouvons cela si utile... Prenons, par exemple, le fils du duc \seigneurismael, celui qui est de retour après tant d'années d'absence... quelque chose ne va pas, \denise ?\\ --- C'est... ce n'est rien. J'avais l'impression qu'on nous écoutait, mais j'ai dû rêver, dit-elle en reprenant ses esprits et en regardant ailleurs.\\ --- Ah, c'est vrai qu'à accuser le fils même du duc de sorcellerie, on finirait par avoir de sacrés ennuis, répondit \elfenoir en riant presque.\\ \aure dut mobiliser toute sa force de caractère pour rire à son tour. Les autres suivirent. Pourvu que tout cela ait l'air naturel.\\ --- Au fond, ce n'est pas si inquiétant pour nous, de savoir qu'il y a un mage qui s'entraîne en secret dans le château, conclut \elfettenoire en se levant. Nous savons que la magie n'est pas plus dangereuse, que, par exemple, une flèche perdue au milieu d'un tournoi de tir à l'arc...\\ \aure se leva à son tour en acquiescant. Elle n'était pas sûre de trouver la phrase réellement rassurante en fait. Après avoir pris congé des deux archers, sur le couloir menant à la salle à manger, les deux jeunes elfes purent enfin échanger quelques mots à voix basse.\\ --- La première fois qu'ils ont senti la magie... c'était le soir où tu as été emmenée non ? demanda-t-elle.\\ --- Oui, répondit \denise. Je pense que \mageninja a utilisé un... quelque chose pour nous rendre invisibles et sortir du palais. Il a dû utiliser le même hier soir.\\ --- Pourquoi le même ?\\ --- J'avais pensé à peut-être \chloe qui lancerait un sort... Mais au vu de ce que \elfenoir dit, c'est trop loin. Même ma \og marche \fg en dehors du château aurait suffi à me rendre hors de portée. Bref, elle est très probablement trop loin. Il doit donc s'agir de \mageninja toujours, puisque c'est le seul que nous avons vu faire de la magie jusque là. Ensuite, c'est toi qui m'as dit que même les meilleurs mages connaissaient rarement des dizaines de sorts différents. Surtout que visiblement il n'utilise pas la magie en continu. Il doit donc se garder pour des cas spéciaux.\\ --- Tu as un truc en tête ?\\ --- Il doit bien y avoir un moyen secret pour lui d'être en contact fréquent avec les \og autres \fg. Ceux qui tiennent \chloe en otage. Pouvoir se rendre invisible est l'idéal non ? Il peut alors quitter le château en toute tranquilité. Même si je vois des moyens plus simples de faire passer un message discrètement... Il y a peut-être une autre raison.\\ \aure lui donna un coup de coude en souriant.\\ --- Si j'avais un tel pouvoir, honnêtement, je ne chercherais pas un autre moyen. Tu as beaucoup plus d'imagination que lui, c'est tout.\\ \denise haussa les épaules. %%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%