%%% Au château du duc, avec D et A \arc %%%%%%%%%%%%% \recit{\denise} Ouf. Elle s'adossa au mur, de l'autre côté de la grande porte, et souffla un moment, pas fâchée d'en être sortie. Pourvu que personne ne l'ait vue s'enfuir... Qui eut cru qu'un château comme celui du duc \seigneurismael recelait tant de dangers ? Le roi des elfes ne lui avait pas parlé de ça. Elle s'était préparée mentalement à toutes sortes d'agressions, combats au corps-à-corps, dans diverses circonstances, mais... elle ne s'était pas du tout attendue à devoir jouer les grandes dames au sein de la haute société, et cela la mettait presque en panique. Elle n'avait pas pu se plaindre de l'accueil du duc, lorsqu'elles a\-vaient débarqué dans la ville avant-hier au petit matin. Elle et \aure avaient été reçues avec égards, installées dans des appartements d'un luxe qu'elle n'avait même pas imaginé, les repas étaient aussi copieux que raffinés et délicieux, et elles pouvaient enfin se reposer après tout le trajet parcouru. Le tournoi allait débuter dans quelques jours, et de nombreux nobles ou autres étaient arrivés dans la journée. En l'honneur de ses deux invitées elfes, le duc avait organisé un premier banquet, avec tous les grands seigneurs et dames qui étaient déjà là. \denise n'avait pas l'habitude d'être ainsi au centre de l'attention. Elle avait droit à presque autant d'honneurs qu'\aure, qui était au sens propre la reine de la soirée. Tout le monde venait lui parler, la complimenter. Elle était habituée à ce genre de jeu, à la cour du roi des elfes, et elle s'était adaptée très vite, et en jouait avec aisance et grâce. Elle avait compris très vite les règles en vigueur, et avait déjà une bonne idée des petites alliances et rivalités internes, avec lesquelles elle savait jongler avec talent. Tout aurait été parfait, si certains ne s'étaient pas mis en tête de lui adresser la parole, à elle, sa \og~dame de compagnie~\fg, la pensant plus accessible. Oh c'était amusant pendant cinq minutes, mais elle avait régulièrement l'impression de dire une bêtise, peur de se tromper en appelant quelqu'un par le mauvais titre ---entre les seigneurs, les comtes, les barons, elle était perdue---, ou l'impression de donner une image pataude et ridicule des elfes sylvains. Et certains de ces sourires avaient l'air tellement artificiels qu'ils lui faisaient peur. Non, décidément, elle n'avait pas été préparée à ce combat, et c'était \aure qui aurait eu besoin de la protéger, à son tour. Et puis il y avait cette robe. \aure avait emmené dans ses bagages une splendide robe elfique, qu'elle portait avec une élégance à couper le souffle de toute la cour, alors que \denise n'avait absolument pas pensé à tout ça. Puisque sa tenue de soldat ---même parfaitement nettoyée, ce qui n'avait pas été un luxe après leur voyage à pied--- n'était pas adaptée à un tel banquet, le duc lui en avait fait faire une, qui avait été prête rapidement. Elle était très jolie, vert pâle et argent, lacée devant. Mais au bout d'une heure ou deux dedans, elle regrettait sa tunique et ses bottes, si confortables, et dans lesquelles on ne se prenait pas les pieds... \noindent --- Cherchez-vous quelque chose ?\\ Elle sursauta. Une serveuse, qui sortait avec des plats sous le bras, semblait surprise de la voir ici, en dehors de la grande salle de réception. Que lui avait dit \aure déjà ? Ah oui, toujours agir comme si on était parfaitement sûr d'avoir le droit de faire ce qu'on fait, et ça marchait extraordinairement bien.\\ --- Je vous remercie, je me sens un peu lasse. Je vais me reposer dans ma chambre.\\ La jeune femme s'inclina ---sans faire tomber sa pile d'assiettes, ce qui était plutôt impressionnant---, et s'éloigna en direction des cuisines. Bon, ce n'était pas si mal. Elle commença par emprunter le grand escalier menant à l'aile est, où elles avaient leurs appartements, puis se ravisa, et se mit à se promener au hasard des couloirs. On lui avait fait visiter les plus belles parties du château, mais il était bien plus grand qu'elle ne l'avait imaginé, en réalité. Il faisait nuit, déjà, mais les couloirs étaient éclairés. À mesure qu'elle quittait les parties richement décorées, les jolis chandeliers étaient remplacés par d'autres plus sommaires, et moins nombreux. L'endroit était désert, tout le monde était probablement occupé par le banquet. Dans un de ces corridors, particulièrement sombre, elle s'arrêta à une étroite fenêtre, fine et verticale, pour regarder la ville. De jour, le paysage était magnifique. Le château se tenait sur un plateau, avec dans son dos les montagnes, et devant la grande vallée de l'\riviereirande. De nuit, elle pouvait admirer les lumières de la ville.\\ --- Qui va là ?\\ Elle se retourna brusquement, si vite qu'elle manqua de se prendre les pieds dans sa robe. Au bout du couloir, à moins d'une dizaine de mètres, un garde était posté, son épée dégainée. Après une seconde d'hésitation, l'homme baissa sa garde et se confondit en excuses.\\ --- Oh, je vous prie de m'excuser, noble dame, je n'avais pas vu...\\ Il s'approcha en s'inclinant, visiblement très gêné. Il était jeune, de petite taille et large d'épaules. Il portait ses cheveux châtains longs attachés dans le dos. Il était vêtu de l'uniforme des soldats du duc : pantalon noir et tunique à manches courtes bordeaux, sur laquelle on pouvait voir l'écusson de la famille \seigneurismael. Sous la tunique, une cotte de mailles par dessus une chemise blanche. Il termina de remettre son épée à sa ceinture, semblant un peu à court de choses à dire.\\ --- Ne vous excusez pas, lui répondit-elle avec un sourire. Vous faisiez votre travail.\\ Il sembla un peu soulagé.\\ --- Vous devez être incommodée par ce couloir sombre et sale...\\ --- Je vais bien rassurez-vous, coupa-t-elle. Je me suis juste un peu égarée.\\ Ce n'était pas totalement faux, elle n'était pas tout à fait sûre de pouvoir revenir à ses appartements seule...\\ --- Laissez-moi vous raccompagner, reprit le garde, visiblement anxieux de se rendre utile.\\ Peut-être qu'elle pouvait en profiter pour satisfaire sa curiosité ?\\ --- Je me demandais juste ce qu'il y avait au bout de ce couloir, reprit-elle.\\ Le garde secoua la tête.\\ --- Il s'agit simplement des quartiers de la garde, cet endroit n'a aucun intérêt pour une noble elfe telle que vous.\\ Elle ne put s'empêcher de pouffer de rire, ce qui le mit mal à l'aise.\\ --- Pardon de cette question bête mais... Savez-vous qui je suis au moins ?\\ Le garde fronça les sourcils.\\ --- N'êtes-vous pas la dame de compagnie de l'archère et princesse des elfes sylvains ? Votre nom est... dame \denise ?\\ --- Le nom est bon, mais sinon... ce n'est pas tout à fait ça, dit-elle en secouant la tête et en souriant. Réfléchissez un peu. Le garde fit un pas en arrière et l'observa pendant un long moment, d'un regard calculateur, si longtemps qu'elle en fut presque mal à l'aise. \noindent --- Je vais peut-être vous vexer... commença-t-il hésitant.\\ --- Allez-y, l'encouragea-t-elle.\\ --- Si vous étiez un homme, j'aurais dit que vous étiez un garde, ou quelque chose comme ça.\\ --- Ah ? Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?\\ --- Lorsque je vous ai... interpellée, vous vous êtes retournée en position de garde, en mettant votre main droite à votre côté gauche, comme si vous y cherchiez une épée par réflexe.\\ Elle ouvrir des yeux ronds, surprise, presque vexée d'avoir laissé ce geste se voir qu'elle ne s'en rende compte.\\ --- Vous n'avez pas la posture habituelle des nobles, et ce n'est pas non plus celle des servantes. Et ensuite, continua-t-il, j'ai réfléchi à cela : vous avez voyagé seule avec la princesse \aure. Si j'étais un roi et décidais d'envoyer ma fille avec une escorte réduite, ce ne serait pas une dame de compagnie que je mettrais mais un soldat aguerri. Peut-être même un soldat qui ne ressemble pas trop à un soldat serait mieux...\\ Il s'interrompit en voyant son expression.\\ --- ... Je suis impressionnée, répondit-elle après quelques secondes.\\ --- Sérieusement ? J'ai raison ? demanda le garde, incrédule.\\ Elle hocha la tête en souriant.\\ --- Vous êtes bien le premier à le deviner, bravo. \\ --- Je ne savais juste pas que, chez les elfes, les femmes pouvaient être gardes...\\ Elle haussa les épaules.\\ --- Pour revenir au sujet de départ, reprit-elle, des quartiers de la garde, j'en ai déjà vu, croyez-moi. Ça ne m'intéresse pas moins que les salles de réception ennuyeuses.\\ --- Demain, si vous le souhaitez, je vous montrerai. Mais là, je dois terminer ma ronde, et je me ferai sérieusement réprimander par mon chef si je ne la finis pas dans les temps.\\ --- Je comprends surtout, ajouta-t-elle avec un sourire malicieux en croisant les bras, qu'il y a dans la salle de garde quelques restes de festin et des jeux de cartes que vous préférez éviter de montrer avant d'avoir nettoyé... ou quelque chose comme ça. Je me trompe ?\\ Il marqua une seconde d'arrêt, puis sourit à son tour.\\ --- ... Si j'avais encore un doute sur vous, au moins c'est clair.\\ --- Pour rentrer, c'est bien par ici ? J'ai un doute.\\ --- Vous suivez ce couloir, et après avoir monté l'escalier la grande porte que vous verrez vous mène au grand hall du château... vous saurez retrouver votre chemin ?\\ --- Ça ira, merci. Votre nom si je vous cherche demain ?\\ --- \jan, repondit le jeune homme, avec un sourire flatté. Elle laissa le garde sur place, encore un peu abasourdi par la rencontre. \recit{\aure} Elle ferma la porte de la chambre derrière elle et s'étira. La soirée avait été longue, même si elle s'était bien amusée. Le soir était tombé depuis bien longtemps, et elle n'avait pas vu \denise depuis un moment... Un grattement sur la petite porte qui séparait sa chambre de la sienne répondit à son interrogation.\\ --- Entre.\\ \denise était déjà en chemise de nuit. Encore un élément de vêtement qu'on lui avait prêté, puisqu'elle n'avait pris avec elle que l'essentiel.\\ --- La soirée est enfin terminée ? lui demanda-t-elle d'un air endormi.\\ --- Oui, tu aurais dû rester jusqu'au bout, il y avait des jongleurs très doués en plus.\\ Elle haussa les épaules.\\ --- Bah, j'en avais assez de ne rien comprendre à ces histoires politiques... Comment tu fais pour t'y retrouver ?\\ Elle sourit.\\ --- C'est pourtant simple. Avant, tous les différents seigneurs se faisaient régulièrement la guerre pour des bouts de terre par-ci, par-là... À la suite d'un affrontement un peu plus conséquent, les protagonistes ont décidé de chercher la paix, et la situation s'est stabilisée ainsi : trois ducs, de puissances équivalentes, dominent la province. Ils ont chacun une bonne dizaine de vassaux d'importances variables. L'un d'eux est le duc \seigneurismael.\\ --- Et donc, ils vont tous venir ici ? Il y en a un qui est déjà là non ?... comment il s'appelle déjà... \ducmer ?\\ Elle hocha la tête.\\ --- Tout à fait. Et la duchesse \ducsud qui arrive dans deux jours.\\ \denise fronça les sourcils.\\ --- La duchesse ? Il me semblait que dans ces contrées, ils ne laissaient pas les femmes gouverner...\\ --- Ah, c'est une histoire compliquée. En fait, il est de notoriété publique que le duc \ducsud est un incapable complet, et c'est sa femme qui tient réellement les rênes du duché. Alors au bout d'un moment, on parle de la duchesse directement...\\ --- Je vois. Et donc ils sont en paix maintenant ?\\ --- Oui, il n'y a pas eu de guerre depuis une cinquantaine d'années, et le commerce entre ces trois duchés est florissant, chacun ayant sa spécificité : ici les terres sont fertiles, le duché \ducmer profite de sa proximité avec la mer et le duché \ducsud peut, grâce à son climat chaud, cultiver des épices et autres produits exotiques... Dont certains qu'on a mangés au repas de ce soir.\\ \denise hocha la tête.\\ --- Et je suppose que l'équilibre est précaire...\\ --- Tu as compris. C'est pour ça que ce tournoi, organisé ici, est très important de ce point de vue...\\ --- C'est bien compliqué tout ça. On t'a fait un exposé spécial ?\\ --- Non, je l'ai appris simplement en discutant çà et là. Mais c'est très grossier comme portrait, il me manque encore beaucoup d'éléments, notamment... \denise leva les yeux au ciel.\\ --- Et toi, alors ? demanda \aure en s'interrompant dans sa réflexion. Tu es partie te coucher directement ?\\ --- Ah non. Je suis partie visiter le château tranquillement. J'ai croisé un garde et discuté un peu... J'irais bien visiter la salle de garde avec lui demain, ça sera moins ennuyeux.\\ \aure marqua une pause et lui sourit.\\ --- Hem. Je vois.\\ --- Quoi ? s'exclama sa compagne. Qu'est-ce que tu vas imaginer ?\\ Puis elles éclatèrent de dire. \noindent --- Plus sérieusement, reprit \aure, si tu arrives à le convaincre de nous faire visiter la ville, j'aimerais bien sortir un peu du château.\\ --- Il nous faut un garde pour ça ?\\ --- J'ai cru comprendre que personne n'oserait nous laisser sortir seules.\\ \denise prit un air exaspéré.\\ --- Sérieusement ?\\ \aure haussa les épaules.\\ --- Bah, si ça leur fait plaisir de nous escorter, tu ne vas pas le leur enlever non ?\\ --- Moui...\\ --- Allez, retourne te coucher, on voit ça demain. Elle avait oublié à quel point \denise pouvait se vexer sur ce point. Pas étonnant qu'elle n'aime pas passer du temps avec les nobles, qui n'arrêtaient pas de parler d'elle comme sa \og~dame de compagnie~\fg... D'ailleurs il y avait quelques questions... \noindent --- Oh, attends, \denise.\\ La jeune elfe s'arrêta alors qu'elle allait fermer la porte.\\ --- Il y a un détail dont je voulais te parler... \ismael est arrivé ce soir, juste avant le repas. Je sais qu'officiellement il nous connaît pas, mais je n'ai pas réussi à lui parler, et toi ?\\ --- Non... J'aurais bien aimé, pourtant. Je lui aurais bien demandé de me faire visiter... \\ Elle ne put s'empêcher de la taquiner.\\ --- Tu aurais préféré avec lui plutôt qu'avec ton cher garde ?\\ --- Hé !\\ Elle esquiva en souriant une claque peu énergique.\\ --- Mais franchement, tu crois encore qu'il y a quelque chose entre moi et \ismael ?\\ Elle n'aurait jamais osé avouer que oui. Maintenant, au moins, c'était clair.\\ --- Non. Mais j'aime bien te taquiner. Tu n'aimes pas les humains ?\\ --- Mais quand même, j'ai eu presque l'impression qu'il m'évitait, ce soir, reprit \denise, ignorant sa question.\\ --- Peut-être est-il fatigué par son trajet...\\ --- Ou peut-être agit-il différemment maintenant qu'il est en présence de son père et de tout le gratin ? Je ne sais pas... Et je vais aller me coucher je pense.\\ --- Bonne nuit.\\ --- Toi aussi. La porte se referma sur \denise. Bon, quelques réponses d'obtenues, ce n'était finalement pas si mal. Elle se demandait aussi ---mais il était trop tard pour rappeler \denise, et de toutes façons comment saurait-elle ?--- pourquoi \chloe n'était pas venue, finalement. \recit{\denise} Le lendemain, c'est vers la fin de la matinée qu'elle se dirigea vers la salle de garde, accompagnée d'\aure. Celle-ci l'avait convaincue de profiter du beau temps qui s'annonçait pour aller faire un tour en ville au plus tôt. Elles avaient revêtu leurs tenues de voyage, plus commodes pour marcher. \aure avait cependant gardé son diadème, afin de rappeler son rang, et \denise avait laissé son armure, parce qu'elle ne présentait que peu d'intérêt, mais principalement parce qu'elle avait vraiment besoin d'être réparée. Elle était surtout plus à l'aise avec son épée et sa dague à sa ceinture. À la base, leurs hôtes leur avaient recommandé de ne pas les porter dans l'enceinte de la ville et a fortiori dans le château, par politesse. Ils avaient même proposé de les stocker sous clé dans la salle de garde. Mais \aure avait imposé tout de suite sa volonté sur ce sujet, et ils n'avaient pas trop insisté. Elle savait qu'elle ne craignait pas grand chose dans ces couloirs, ni même dans la rue. Mais elle se sentait juste un peu nue sans ce poids rassurant à son côté, et puis, avec, on ne la prenait pas ---enfin pas trop--- pour une \og~damoiselle de compagnie~\fg... Non mais sérieusement... Elles arrivèrent devant la porte de la salle de garde, qui était ouverte. L'un des gardes du duc était adossé dans l'embrasure, et se redressa brusquement au garde-à-vous lorsqu'il les vit arriver. Derrière lui, elle pouvait distinguer une grande pièce, avec ce qui ressemblait à une table au centre, un large foyer sur un côté et d'autres couloirs partant de là. Il y avait bien sûr une demi-douzaine hommes, vraisemblablement en pause, qui lui jetèrent un regard curieux lorsqu'elle adressa la parole à celui qui gardait la porte.\\ --- Est-ce que \jan est là ?\\ Le garde, appela rapidement derrière son épaule.\\ --- \garderandom ! Va chercher \jan, je crois qu'il est à la salle d'entraînement. Dis-lui que... ces dames elfes veulent le voir.\\ Une des silhouettes en uniforme posa une tasse et partit rapidement dans un des couloirs. Tout en patientant, elle ne pouvaient s'empêcher d'entendre en partie leurs discussions.\\ --- Oh ce petit veinard de \jan ! \\ --- Et dire qu'hier soir, j'ai juste pensé qu'il avait trop bu, et je n'ai pas cru à son histoire.\\ --- J'avoue.\\ --- Hem, les interrompit une voix plus forte que les autres, \jan est peut-être un sacré petit veinard, mais il est probablement le moins stupide d'entre vous. Vous seriez bien incapables de faire la différence entre une dame de compagnie et un soldat. C'est cet instant que choisit le garde \garderandom pour revenir avec \jan. Les discussions se turent brusquement, pour reprendre peu après, sur des sujets plus variés.\\ --- Ah, bien le bonjour. Vous souhaitez toujours visiter les lieux ?\\ Il jeta un {\oe}il interrogateur à \aure, qu'il ne s'attendait visiblement pas à voir.\\ --- Bien sûr ! Mais avant cela, nous souhaiterions visiter la ville. Est-ce possible ?\\ --- Euh je suppose oui...\\ Il jeta un regard à un des hommes qui était resté en retrait, qui lui répondit avant même qu'il ne l'interroge.\\ --- Vas-y, accompagne donc ces demoiselles. Mais tu as intérêt à être rentré pour midi, tu as ton créneau de garde à effectuer !\\ --- Compris, chef, dit-il respectueusement.\\ Et ils s'éloignèrent rapidement en direction de l'entrée principale. \noindent --- Il n'a pas l'air très commode, le chef... commença \denise.\\ --- Il n'est pas si mal, répondit le garde prudemment. Il est un peu sur les nerfs en ce moment, avec le tournoi qui arrive... Tout le monde est un peu sur le qui-vive, à la garde.\\ Elle hocha la tête.\\ --- Tant qu'il me laisse me promener à mon gré...\\ Il haussa les épaules.\\ --- La rumeur court qu'il n'aime pas les elfes, mais je ne sais pas si c'est fondé, il n'en parle pas... En tous cas je ne pense pas qu'il vous interdise de sortir, au moins si je vous accompagne.\\ --- J'ai cru comprendre qu'il y avait une salle d'entraînement ? intervint \aure.\\ --- Il y en a une au sous-sol, en effet. Mais dès demain, la cour sera transformée en grand espace d'archerie, pour tous nos invités... J'imagine que vous voudrez vous exercer. La salle d'armes est bien trop petite pour cela, elle est plus adaptée pour travailler l'escrime.\\ --- Peut-on s'y exercer librement à l'épée ? demanda \denise en désignant la sienne.\\ --- Le duc, ses fils et ses beaux-fils ont l'habitude de venir s'y entraîner, en tous cas. Et même leur troisième fils, \ismael, revenu de la capitale après toutes ces années, veut renouer avec la vieille tradition familiale.\\ --- Ah ?\\ --- Il a prévu de venir avec son écuyer cet après-midi, m'a-t-on dit.\\ --- Son écuyer ? s'exclama \denise, incrédule.\\ À cet instant, le pied d'\aure écrasa le sien, et elle prit la parole, d'un ton très naturel et détendu.\\ --- Tiens, j'ai dû être mal informée sur la question. J'avais ouï-dire que les paladins étaient plutôt solitaires...\\ --- Je ne suis pas très renseigné non plus, répondit \jan, qui n'avait pas remarqué ---ou feignait de n'avoir pas remarqué--- la surprise de \denise et le coup de pied intentionnel de sa compagne. Il s'agit d'un jeune homme du nom de \mageninja.\\ \aure lui adressa, dans le dos du garde, un regard interrogateur, et elle secoua la tête. Non, ce nom ne lui disait rien du tout... Elle était décidément de plus en plus curieuse de parler à \ismael. Qu'avait-il fait depuis qu'il avait ramené \chloe chez elle ? Qui était ce nouveau compagnon ? Venait-il de chez elle ? \recit{\aure} La ville était très animée, et les passants les regardaient avec un air curieux. Certains semblaient avoir un peu peur, même si elle faisait tout son possible pour avoir l'air rassurante. Le marché regorgeait de belles couleurs et odeurs, dans les larges rues pavées se croisaient cavaliers, piétons et charettes dans une joyeuse cacophonie. Elle se doutait bien que \jan ne leur montrait que les parties belles et propres de la ville. Elle imaginait bien que dans certains quartiers devaient s'accumuler la misère et la saleté... Elle profitait néanmoins de la promenade. Sur une petite place près d'une fontaine, ils s'arrêtèrent pour regarder un groupe de trois ménestrels. L'un jouait de la flûte et le second du luth, tandis que le troisième maniait un petit tambourin en chantant. Lorsqu'ils les virent, les trois musiciens s'interrompirent, et le chanteur s'avança vers elle en s'inclinant presque plus bas que terre.\\ --- Ô, princesse des elfes, venue d'un pays lointain et mystérieux ! Prin\-ces\-se de lumière, dont la beauté et la grâce n'a d'égale que la cruauté...\\ Elle se figea un instant en fronçant les sourcils, mais l'homme continua sans sembler le remarquer.\\ --- ...Cruauté de venir se comparer auprès de nous, simples humains, si grossiers et stupides ! Le simple trouvère que je suis se sent impur et sale, à vous adresser ces vers... La musique démarra, et l'homme entama son chant. \aure se demandait si elle devait le prendre au sérieux, ou si elle pouvait se permettre d'éclater de rire. En gardant l'air le plus sérieux possible, elle jeta un {\oe}il à sa droite. \jan écoutait la musique, sans marquer d'émotion sur son visage. Autour, de nombreux badauds s'étaient rassemblés, autant pour assister au spectacle des ménestrels que celui donné par la présences des elfes. À sa gauche, \denise semblait écouter distraitement, le regard dans le vague. Elle suivit le regard de son amie, pour constater qu'il n'était pas du tout dans le vague, mais focalisé sur un jeune homme, un quatrième ménestrel ---il était, tout comme eux, vêtu de couleurs vives---, qu'elle n'avait jusque là pas remarqué. Il était accroupi derrière les trois musiciens, et semblait chercher quelque chose dans un large sac de cuir. Enfin, semblait... il s'était interrompu pour regarder \denise. Elle n'eut pas le temps de se demander pourquoi, que la chanson tirait déjà à sa fin. La foule applaudit, alors que le chanteur saluait avec ses musiciens, puis, sur un geste de sa part, la musique reprit. Cette fois, elle était plus rythmée, plus joyeuse que la précédente, et le quatrième ménestrel se leva alors, brandissant trois couteaux acérés avec lesquels il commença à jongler avec virtuosité. La foule, et la jeune princesse avec eux, se mit à battre la mesure avec enthousiasme tandis que le jongleur exécutait des figures à trois, puis quatre, puis cinq de ces couteaux avec une adresse impressionnante.\\ \noindent --- Je dois reconnaître qu'il est meilleur que les jongleurs d'hier soir, souffla-t-elle à son amie.\\ --- Oui...\\ Lorsque les artistes saluèrent à la fin de ce numéro, tous étaient tournés vers elle ---leur princesse, leur muse, bref. Il sembla à \aure que personne parmi la foule de spectateurs ne remarqua que seul, le jongleur l'avait à peine regardée. Il n'avait d'yeux que pour \denise. Les ménestrels enchaînèrent alors d'autres numéros, de musique ou de chant, parfois agrémentés de figures de jonglerie et d'acrobaties du fameux jeune homme ; et la foule de spectateurs ne faisait que croître. \aure ne connaissait pas les habitudes des humains, encore moins dans cette région, et surtout leurs goûts en termes de spectacle. Elle se fiait aux bribes de commentaires dans son dos pour s'en faire une idée. Leur musique était plutôt standard pour le coin, mais malgré tout très appréciée et de qualité, et le chanteur était même un poète connu dans la région. Quand au jongleur, personne ne semblait le connaître, mais son adresse était très applaudie. À la fin de leur représentation, elle fut la première à aller déposer quelques pièces dans le chapeau au pied des artistes, et fut bientôt imitée par tous les passants, à tel point que la foule lui cacha vite ses deux compagnons. Elle les retrouva heureusement un peu plus loin.\\ --- Il n'est pas mal, ce jeune jongleur, non ? demanda-t-elle à \denise.\\ --- J'avais oublié que tu n'avais pas l'habitude d'en voir, ce n'est pas vraiment une tradition elfique... commença celle-ci.\\ --- Ce n'est pas de cela que je parle, l'interrompit-elle, en se penchant plus bas, espérant que le jeune garde ne l'entende pas.\\ La jeune elfe marqua une seconde de pause, et détourna le regard, en rosissant.\\ --- Hé, occupe-toi de tes affaires !\\ --- Mes affaires ? Depuis quand ce sont les tiennes ? riposta-t-elle en souriant. Depuis vingt minutes que vous vous fixez avec des yeux de poisson mort ?\\ --- Non, répliqua \denise, sans cesser de rougir. Depuis plusieurs années.\\ Ce fut au tour d'\aure de marquer une seconde de surprise, seconde durant laquelle son amie sembla reprendre contrôle d'elle-même.\\ --- Depuis plusieurs années ? Tu veux dire...\\ --- Que je l'ai connu à la capitale, oui.\\ Elle sourit.\\ --- Ah, je me disais aussi que tu allais très vite. Tu as failli m'impressionner, ajouta-t-elle.\\ --- Certes, je n'ai pas tes compétences pour faire tomber dans mes bras tous les jeunes soldats de ton père d'un claquement de doigt... répliqua \denise en souriant à son tour.\\ --- Je ne te permets pas, non mais ! pouffa \aure. Et ma réputation ici, hein ?\\ Elles ne purent se retenir d'éclater de rire. De l'autre côté, \jan semblait ne pas avoir entendu leurs paroles. Mais il avait une expression beaucoup trop naturelle pour être crédible... Après tout, lorsqu'on est habitué à escorter des seigneurs, on doit vite prendre l'habitude de faire mine de n'avoir rien entendu des confidences qui ne sont pas destinées à leurs soldats. \recit{\denise} La fin de la matinée avait été plutôt agréable. La ville semblait très animée à la perspective de ce nouveau tournoi. La plupart des participants et spectateurs du tournoi, ceux qui n'étaient pas invités directement par le duc, logeaient dans la ville, dans diverses auberges ou habitation louées pour l'occasion. Et même certains invités d'honneur, venus avec une ribambelle de serviteurs, ne pouvaient loger toute leur suite au château, et ceux-ci devaient bien dormir quelque part. D'après \jan, de nombreux foyers modestes en profitaient pour louer une petite pièce par-ci, un lit par-là, pour arrondir leurs fins de mois et héberger tous ces étrangers. \aure avait ensuite été voir un des meilleurs tailleurs de la ville pour se faire faire une robe. Le duc souhaitait leur faire des cadeaux, en guise de leur amitié, et elle trouvait qu'une robe était un cadeau agréable à rapporter. Le tailleur, très honoré de son choix, avait demande à \denise si elle souhaitait, elle aussi, une robe \og digne de son rang \fg, et elle avait poliment balbutié qu'elle allait réfléchir. Elle n'avait pas osé lui expliquer qu'en cadeau du duc, elle préférait plutôt une nouvelle armure... C'est seulement vers la fin de l'après-midi qu'elle put se libérer d'\aure ---partie discuter avec le duc de l'organisation du tournoi, ou quelque chose comme ça--- pour voir la salle d'escrime. C'était une large pièce, légèrement au sous-sol et éclairée par de nombreux soupiraux. Elle était vide dans l'ensemble, à l'exception du coin près de l'entrée où s'entassaient, dans des bacs, des armes d'entraînement, des mannequins et autres éléments d'exercice.\\ --- Voilà, ce n'est pas forcément très joli mais... commença \jan.\\ --- ... mais c'est fonctionnel. C'est très bien, interrompit-elle.\\ Elle s'avança vers les bacs, et se mit à examiner de près les différentes armes. Il y avait des épées, courtes ou longues, des lances, des haches, des couteaux, des boucliers, pour la plupart en bois et renforcés de métal ; à la fois pour durer longtemps et pour avoir un poids se rapprochant de celui d'une arme en métal. Elle choisit deux épées, et en lança une à \jan, un peu surpris.\\ --- En garde !\\ Le jeune garde sembla hésiter quelques instants, puis se mit en position de combat. \jan perdit assez rapidement les quelques premières passes, et \denise reconnut l'hésitation d'un homme qui n'a pas l'habitude de se battre contre une femme. Elle n'eut pas besoin de le lui faire remarquer, et il se reprit rapidement. C'était un rude combattant, qui portait des coups rapides et précis. Très vite, elle eut des difficultés à percer sa garde, et fut elle-même mise en défaut une ou deux fois. \noindent --- \jan ? Tu sais qu'on t'attend sur le chemin de ronde dans cinq mi\-nu\-tes ?\\ Ils rompirent le combat brusquement, et se tournèrent vers la voix qui venait d'interpeller le garde. Dans l'embrasure de la porte se tenait un autre garde, qui au vu des quelques broderies sur son tabar était probablement plus haut gradé que \jan. Il était grand et blond, et avait le regard sévère.\\ --- J'arrive, \simon. Excuse-moi.\\ Il lança un regard un peu gêné à \denise.\\ --- Je suis désolé...\\ --- C'est bon, l'interrompit-elle en souriant, je me débrouillerai bien pour survivre sans vous.\\ \jan partit au pas de course, la laissant seule avec celui qui semblait être le chef des gardes, qui lui donna pendant quelques instants l'impression de la transpercer de ses yeux bleus. Puis il se radoucit légèrement.\\ --- Avez-vous besoin de quelque chose, damoiselle \denise ?\\ --- Non, merci, répondit-elle, plus pour se débarrasser de lui qu'autre chose.\\ Le jeune homme haussa les épaules, tourna les talons et quitta la pièce sans dire un mot. Restée seule cette fois-ci, elle s'assit sur un banc contre un des murs, pour achever de reprendre son souffle. Elle n'était pas pressée de retrouver la foule de courtisans et visiteurs du duc, et aurait préféré aller boire un verre avec les gardes sans se prendre la tête. Mais, quand bien même ceux-ci auraient un peu de temps libre, elle voyait bien qu'ils n'étaient pas très à l'aise avec elle. Cela lui rappelait ses premiers jours à la garde. Un des premiers entraînements de maître \maitrescrime... Elle n'avait pas l'habitude d'un tel entraînement, et rien que l'é\-chauf\-fement avait été rude pour elle. Penchée sur ses genoux, le souffle court et le visage rouge, elle essayait péniblement de masquer son épuisement. Elle se demandait si ce qu'\og on \fg disait était vrai, si les elfes avaient vraiment une constitution plus faible que les humains, ou si c'était juste un manque d'habitude... Elle était vraiment la plus petite et la plus frêle des recrues, en tous cas. Un jeune homme, nouveau également, aux cheveux et yeux noirs, la regardait avec curiosité. Elle avait craint qu'il ne fasse une remarque sur son état, mais non, il lui avait juste adressé un sourire d'encouragement. À l'ordre de maître \maitreescrime, ils avaient pris chacun une épée d'entraînement et avaient commencé à s'exercer à deux. C'était leur premier échange, un peu maladroit même si tous deux avaient déjà tenu une épée. \og J'avoue que c'est la première fois que je me bats contre une femme, je n'ai pas l'habitude \fg, lui avait-il avoué un peu après. \og J'avoue que je n'étais pas bien mieux, je n'avais jamais vu d'épéiste gaucher avant \fg, lui avait-elle répondu en souriant. Cela avait été le début d'une longue et solide amitié... Elle sursauta soudain en entendant le bruit d'une porte qui se refermait. Deux hommes venaient d'entrer dans la salle, deux hommes dont \ismael. Elle ne reconnaissait absolument pas celui qui l'accompagnait, mais il lui semblait l'avoir déjà croisé. Peut-être était-ce lui ce fameux \og écuyer \fg dont on parlait ? \noindent --- Bonjour, \ismael. Tu viens t'exercer ?\\ --- Comme tu peux le voir, répondit-il en souriant légèrement, et en prenant deux armes dans les bacs.\\ --- Comment s'est passé ton retour au château du seigneur \seigneurchloe ?\\ Il s'éloigna un peu d'elle, se plaça en garde face à son compagnon, et lui répondit sans la regarder.\\ --- Sans problème. Ses parents m'ont accueilli si chaleureusement que j'ai eu du mal à partir ensuite... Il se tut et commença à échanger quelques coups d'épée avec l'autre homme. Il n'avait pas l'air d'aller très bien, et sa façon d'éviter son regard était inhabituelle. Peut-être était-il très concentré sur son entraînement et fatigué des responsabilités qui allaient avec son retour dans son duché natal ? Elle passa quelques minutes à observer les deux combattants s'entraîner. L'autre homme ---qui semblait porter le nom de \mageninja--- était de taille moyenne et plutôt large d'épaules, et s'il savait esquiver les coups avec une grande agilité, il n'était clairement pas aussi bon escrimeur qu'\ismael. De ce fait, il fut vite épuisé. Profitant de l'occasion, \denise saisit une épée et s'avança à sa place.\\ --- Je peux ? demanda-t-elle en souriant.\\ \ismael hocha la tête, un peu pris au dépourvu. Ils se mirent en garde. Après tout, quand on est de mauvaise humeur, rien ne valait quelques bons coups d'épée pour se défouler. Mais ce sentiment étrange qu'elle avait vis-à-vis de lui ne fit qu'augmenter lorsqu'ils se mirent à combattre. Elle avait l'impression que, bien que toujours efficace, son style de combat était différent, sans qu'elle puisse dire en quoi précisément. Un moment vint où, croisant le fer ---ou plutôt le bois--- jusqu'à la lame, ils se retrouvèrent très près l'un de l'autre. Elle lutta une demi-seconde avant d'incliner sa lame et de passer sous sa garde, gratifiant son adversaire d'un coup de coude dans les côtes. Il se recula, surpris et le souffle coupé, mais pas autant qu'elle. C'était une de ses passes d'armes favorites, qu'elle utilisait régulièrement pour rompre une épreuve de force avec un adversaire plus puissant. \ismael, depuis le temps, savait mieux que personne l'esquiver et la retourner contre elle...\\ --- Qu'est-ce qui t'arrive, \ismael ? lui demanda-t-elle.\\ Il haussa les épaules sans répondre, et évitant son regard, se remit en garde. Il n'y avait pas eu d'autre gaucher, à la garde à l'époque où elle y était. Elle s'était si bien habituée à combattre avec lui que le jour où elle s'était retrouvée face à un \og vrai \fg adversaire gaucher, elle avait tenu l'assaut sans problème. Elle avait un peu cette sensation en ce moment, celle de combattre un autre adversaire, gaucher aussi, mais pas \ismael. Et soudain, elle réalisa l'évidence. Comment avait-elle pu ne pas s'en rendre compte plus tôt ? Son adversaire en profita pour dégager son épée, qui vola à travers la pièce et arrêter son arme à quelques centimètres de sa poitrine avec un léger air de triomphe. Elle ne bougea pas et continua de le fixer.\\ --- \ismael...\\ --- Ça ne va pas \denise ? demanda son adversaire. Tu as l'air pâle...\\ --- Où est \ismael ? demanda-t-elle d'une voix faible.\\ --- Euh, de quoi parles-tu ? répondit-il.\\ Mais son visage avait trahi quelque chose. Son corps avait trahi quelque chose. Sa façon de parler, de se déplacer n'était pas celle de son ami, elle aurait pu, elle aurait dû le voir plus vite... Mais comment pouvait-elle se douter... Elle fit quelques pas en arrière, effrayée par ce visage qui ressemblait jusqu'au détail près à celui d'\ismael. Puis la colère prit le pas sur la peur, et elle se campa sur ses pieds.\\ --- Je répète ma question. Où est \ismael, pa\-la\-din de \deesse, fils du duc \seigneurismael et frè\-re d'armes pendant nos années à la garde ?\\ Le pseudo-\ismael recula, un peu paniqué, et ouvrit la bouche pour répondre, mais une voix derrière elle l'interrompit.\\ --- Laisse tomber. Je t'avais dit que ça ne marcherait pas. Même \og elle \fg nous l'avait dit.\\ --- Et qu'allez-vous faire, maintenant que je connais la vérité ? Qu'est-ce qui m'empêche d'aller prévenir le duc, et tout le château ? répondit-elle aussitôt.\\ Tout en prononçant ses paroles, elle recula pour ne pas avoir \mageninja dans le dos, et être raisonnablement face aux deux hommes, qui semblaient se concerter du regard.\\ --- Tu ne diras rien. Et pour une raison très simple, commença \mageninja.\\ La seule issue à cette pièce était maintenant située derrière les deux hommes, inaccessible. Elle regarda les soupiraux. Pouvait-elle se glisser par là et atteindre la cour du château ? Ils étaient assez larges pour la laisser passer, à condition qu'elle puisse les atteindre... Ou pouvait-elle essayer de les combattre plutôt ? Mais avec quoi ? Elle avait laissé son épée et sa dague dans la salle de garde, comme faisaient tous les soldats...\\ --- Oh, tu n'as pas grand chose à craindre pour toi-même, reprit-il comme s'il avait suivi ses pensées. Tu es la protégée du duc, n'est-ce pas ? La vraie raison pour te taire, c'est que tu tiens à la vie et à la bonne santé de tes amis, \ismael et \chloe. \ismael et \chloe... Elle se mit à trembler plus fort encore. Elle était parfaitement libre de ses mouvements, et ils allaient probablement la laisser repartir saine et sauve dans quelques instants, mais il aurait été moins difficile, moins humiliant peut-être d'avoir été enchaînée ou immobilisée. Elle ne pouvait même pas essayer de lutter, même désespérément, ou se battre sans espoir jusqu'à s'effondrer d'épuisement...\\ --- Attendez un instant, reprit-elle soudainement. Qu'est-ce qui me dit que vous ne les avez pas déjà tués ?\\ Sa voix s'étrangla à la fin de sa phrase. D'un point de vue logique, cette hypothèse horrible s'envisageait. Mais... Le sosie secoua la tête et regarda son compagnon avant de répondre.\\ --- Es-tu prête à risquer leur vie ?\\ Elle n'osa pas répondre.\\ --- J'ai une meilleure idée, reprit \mageninja. Puisque tu sembles y tenir, je vais t'emmener voir l'un de tes amis. Ainsi tu seras convaincue, et d'autant plus obéissante. Viens.\\ Elle les suivit, sans cesser de trembler, avec l'impression que ses jambes étaient lestées de plomb. \recit{\aure} \aure venait de terminer l'audience avec le duc, qui avait duré un bon moment. Le tournoi allait être inauguré par une première journée de parades, de démonstrations et de spectacles divers, et les épreuves ne commenceraient que le lendemain. Il avait commencé par lui expliquer qu'en tant qu'invitée elfe, elle ne participerait pas au classement des archers. La crainte et le rejet qu'avait la population pour les elfes risquait de causer des incidents : si elle gagnait, les archers humains risqueraient d'invoquer une injustice, et si elle ne gagnait pas, elle risquait d'être moquée par tous les archers d'élite. Mais en revanche, elle présiderait à de nombreuses épreuves, effectuerait des démonstrations pour chacune d'entre elles, et remettrait les prix aux vainqueurs. En somme, elle serait l'égérie du tournoi, tout en étant un peu plus qu'un joli visage. Cette décision l'avait un peu déçue, mais à bien y songer, c'était peut-être mieux comme cela. D'autant qu'elle n'était pas si sûre d'être si excellente archère, surtout pour certaines épreuves spécifiques, comme l'archerie à cheval. Son père lui avait expliqué que cela se passait ainsi à son époque, et qu'il espérait fortement qu'un jour des elfes puissent participer comme les autres, mais ce n'était pas encore pour aujourd'hui. Il avait terminé l'audience en lui rappelant qu'il y attendait encore des invités d'élite, un seigneur elfe noir et sa suite. Elle avait difficilement masqué sa surprise. Mais après tout, le royaume des elfes noirs jouxtait les territoires vassaux du duc \ducsud, et d'après la duchesse, il commençait, doucement mais sûrement, à y avoir quelques relations non-hostiles entre les peuples... Le duc était peut-être âgé et avait des difficultés à marcher, mais il n'avait pas perdu la tête. Il savait que la nouvelle allait la faire sursauter. Des elfes noirs ! Leurs ennemis légendaires... Heureusement, depuis des siècles, les peuples étaient séparés géographiquement, et se contentaient de se bouder cordialement, mais faire venir un seigneur elfe noir et une princesse elfe sylvaine en un même lieu, sous les yeux inquisiteurs de tout un peuple humain, c'était très habile de sa part. Ils n'avaient pas le choix, il faudrait bien qu'ils se supportent pendant ces semaines de tournoi. Elle se demandait comment allait réagir \denise en apprenant la nouvelle. Elle avait plus de mal à se contenir qu'elle, mais en même temps... elle lui avait dit qu'on croisait toutes sortes d'êtres à la capitale. Peut-être avait-elle déjà croisé des elfes noirs ? De réputation, ils étaient experts en magie sombre... Étaient-ils tous comme ça, ou était-ce quelque chose appartenant aux temps anciens ? Lorsqu'elle passa la porte de sa chambre, elle eut la surprise de voir qu'il y avait quelqu'un dedans. Assise sur une chaise, \denise l'attendait, avec \ismael debout à côté d'elle, la main posée sur le dossier. Son amie avait ramené ses genoux sur sa poitrine, et lorsqu'elle releva la tête, elle vit sur son visage un mélange de peur et de colère si fort qu'elle s'arrêta net. Dans son dos, elle entendit distinctement le bruit d'une porte se refermant, et elle aperçut un autre homme ---qu'il lui semblait avoir déjà vu accompagner \ismael--- verrouiller l'accès et y rester, interdisant toute sortie par là. Il restait la porte reliant sa chambre à celle de \denise, mais elle était probablement déjà fermée elle aussi. \noindent --- Qu'est-ce que tout cela signifie ? demanda-t-elle en s'adressant à \ismael.\\ Le paladin regarda tout d'abord \denise, toujours immobile sur son fauteuil, qui lui lança un regard assassin. Puis il se tourna vers elle.\\ --- Il se trouve que notre chère amie ici présente me reproche quelque chose de grave.\\ --- Quoi ?\\ --- Elle semble croire que je ne suis pas \ismael. Il marqua une pause, laissant voir l'effet de cette annonce sur elle. \denise connaissait \ismael depuis des années... \aure, en revanche, ne le connaissait pas depuis si longtemps. Mais c'est vrai qu'il y avait quelque chose de changé chez lui, assez difficile à définir, dans la posture, les gestes, ou peut-être les expressions ? Cela expliquerait pourquoi il cherchait à les éviter depuis leur arrivée au château... Mais alors, où était le vrai \ismael ? \noindent --- Personne ne prendrait sérieusement ce genre d'accusation, mais une rumeur à ce sujet serait probablement malvenue, reprit le soi-disant \ismael.\\ --- Vous ne pensez quand même pas réussir à tromper le duc ou la duchesse, ses propres parents ? demanda-t-elle.\\ Il haussa les épaules.\\ --- C'est la première fois qu'ils voient leur troisième fils depuis qu'il les a quittés à l'âge de douze ans. En tout ce temps, on évolue beaucoup... Mais je reconnais que, si un doute s'insinuait dans leur esprit, cela pourrait causer quelques difficultés. C'est pourquoi aucune rumeur ne doit circuler.\\ Elle se redressa.\\ --- Que veulent dire ces menaces ?\\ Il sourit légèrement. Son sourire, qui ressemblait un peu à celui d'\ismael tout en étant plus sombre, était effrayant.\\ --- Rassurez-vous, rien ne peut arriver à la princesse et à sa dame, les protégées du duc. Mais imaginez ce qui pourrait arriver à une certaine dame \chloe, ou à ce jeune homme que vous reconnaissez comme \ismael... Elle fit un pas en arrière, épouvantée. \chloe, \ismael... Entre leurs mains... Mais pourquoi ?\\ --- Aussi, la situation est très simple. Vous allez continuer à faire comme si de rien n'était, et rien de fâcheux n'arrivera à vos amis. Et pour être sûr de votre obéissance...\\ Il désigna \denise, qui lui lançait des regards noirs.\\ --- Nous allons l'emmener voir \chloe. Devant son air incrédule, l'autre homme s'avança et expliqua.\\ --- Toi et ta compagne demanderez à prendre le repas dans votre chamb\-re ce soir. Invente un prétexte quelconque, peu importe. Tu resteras ici, et ta chambre sera gardée tandis que j'emmènerai \denise avec moi, jusqu'à l'endroit où est retenue votre amie \chloe. Elle reviendra à tes côtés avant l'aube, et je suppose que tu la croiras si elle te raconte ce qu'elle a vu.\\ \aure hocha la tête, la gorge nouée.\\ --- Puisque tu sembles un peu sceptique, sache que je laisserai ton amie quelque temps avec \chloe, afin qu'elle soit bien assurée qu'il s'agisse bien d'elle, et que celle-ci lui confirme qu'elle est traitée convenablement. Du moins pour le moment.\\ Elle voulut demander \og Et pour \ismael ? \fg, mais n'en eut pas la force. \noindent --- Il est temps d'y aller, \denise, fit l'homme en s'approchant de son fauteuil.\\ Celle-ci se leva brusquement, et comme il amenait la main vers les armes de la jeune elfe, elle fit un pas en arrière, et défit elle-même sa ceinture et jeta ses armes sur le lit. Puis, sans dire un mot, elle suivit l'homme qui sortait de la pièce. \recit{\denise} Elle avançait depuis un bon moment déjà, guidée par \mageninja. Il lui avait bandé les yeux et la faisait marcher près de lui, en lui interdisant le moindre son. Pourquoi ? Elle entendait des bruits autour d'elle. Des pas, des gens qui passaient à côté d'eux sans leur prêter attention. À la sensation qu'elle avait de ses pieds sur le sol, et à la température autour d'elle, il semblait qu'ils avaient quitté le château, et qu'ils marchaient dans la ville. Il lui avait faire faire suffisamment de tours pour la perdre, d'autant qu'elle ne connaissait déjà pas bien l'endroit, et elle n'avait la moindre idée de l'endroit précis où elle se trouvait. Avait-elle eu raison de lui obéir ? Allait-elle vraiment voir \chloe et \ismael ? Ou était-il juste en train de l'emmener on ne sait où ? Elle essaya de se rassurer. Puisqu'\og ils \fg semblaient accorder une importance à ne pas créer de scandale, \og ils \fg n'avaient pas intérêt à ne pas la ramener... Il fallait s'accrocher à cet espoir. Et sinon ? Arracher son bandeau, échapper à \mageninja, s'enfuir tout de suite ? Mais s'ils avaient vraiment ses amis à leur merci, que risquait-il de leur arriver... Les bruits qu'elle entendait aux alentours se firent plus ténus, comme s'ils avançaient dans des parties moins peuplées de la ville. Ou plus silencieuses ? Il y avait toujours des pavés sous ses pieds, en tous cas. Soudain, il la fit s'arrêter, et la lâcha quelques instants pour ouvrir une porte ; du moins, c'était ce que ses oreilles croyaient deviner. Il la fit entrer. Leurs amis seraient donc retenus en ville, si près ? Ils n'avaient pas marché une heure... Ce serait si simple que cela ? Il l'avait lâchée depuis quelques instants déjà. Devait-elle enlever son bandeau ? Elle sentit soudainement une main se poser sur son épaule, une vague glacée l'envahit et elle perdit connaissance. \recit{\aure} Cela faisait plus de deux heures qu'\aure était seule dans sa chambre. Elle avait essayé de manger un peu le repas qui lui avait été servi, mais n'avait pas eu vraiment d'appétit. Elle avait essayé de se coucher ---si \denise ne devait revenir qu'à l'aube, autant prendre un peu de repos---, mais sans succès évidemment. Pourquoi son corps n'écoutait pas ses arguments logiques et raisonnables ? Elle avait allumé quelques bougies, après quelques essais infructueux avec les allumettes. Elle se faisait petit à petit à toutes ces sources de lumière qu'utilisaient les humains pour s'éclairer la nuit, n'ayant pas de vision nocturne, et elle admettait que toutes ces lampes, torches, chandelles et autres lumignons avaient un certain charme. Il y en avait si peu, chez les elfes... Elle détacha son regard de la flamme dansante, et fit, pour la centième fois, quelques pas dans la chambre. Et si \denise ne revenait pas ? Non, il ne fallait pas penser à cela, se dit-elle en tremblant, tant de froid que de crainte. Que faire, plutôt ? Qui prévenir, et comment ? La moindre information qui filtrerait risquait de causer du tort à \ismael et \chloe... pour peu que ce pseudo-\ismael ou son acolyte le sache. Et quels autres complices avaient-ils ? Ah, elles étaient loin, les inquiétudes à propos du tournoi et des elfes noirs... Elle aurait bien aimé avoir une oreille amie avec qui discuter de tout cela, mais elle préférait encore être seule qu'avec le sosie. Son visage ressemblait tellement à celui qu'elle avait rencontré au milieu de la forêt que c'était vraiment gênant de le voir parler, bouger, sourire un peu comme lui mais... Son sourire était si différent ! Celui d'\ismael, le vrai, était si plein de naturel, de simplicité qu'il était juste magnifique. Celui de l'autre... sinistre, sombre. Elle en frissonna. Pourvu qu'il ne soit rien arrivé de ---trop--- fâcheux à ce paladin... Soudain, elle sursauta, en entendant un bruit venir de la pièce d'à côté. Les murs du château étaient très épais, mais ce bruit filtrait très légèrement à travers la porte menant sa chambre à celle de \denise. Avait-elle rêvé ? Dans le silence des murs de pierre, un nouveau bruit, qu'il était difficile d'identifier. Était-ce simplement un rat ? Rongée par la curiosité, et parce que tout valait mieux que de se morfondre, elle s'approcha de la porte. Le pseudo-\ismael l'avait déverrouillée en partant, et avait posté deux gardes devant leurs deux portes de chambres, annonçant en public qu'elles voulaient n'être dérangées sous aucun prétexte ce soir. D'ailleurs, les gardes postés étaient-ils des complices, ou de simples soldats obéissants ? Elle allait poser sa main sur la poignée de la porte lorsqu'elle s'arrêta. Et si ce qu'il y avait derrière était dangereux ? Un autre complice, ou... ? Elle fit un pas en arrière. Qu'aurait fait \denise à sa place ? Elle jeta un {\oe}il au pied du lit, où étaient posées les armes de son amie. \denise aurait dégainé son épée et aurait fait face au danger. Elle prit une grande inspiration, puis en retenant ses tremblements de toutes ses forces, elle arma une flèche sur son arc, et maintint l'ensemble d'une main tout en faisant jouer précautionneusement la poignée. La lumière de sa propre chambre illumina en grande partie celle de \denise. Une silhouette sembla s'y soustraire à l'instant pour se réfugier plus loin dans l'ombre. Elle tendit la corde de son arc, regrettant de n'avoir pas sa dague à sa ceinture. Le contraste de lumière l'empêchait de voir son adversaire. D'un coup de pied, elle referma la porte, et retrouvant sa capacité à distinguer les ombres dans l'obscurité, elle dirigea son arme vers l'intrus, qui s'était aplati contre le mur de l'autre côté du lit, et avait cessé de bouger.\\ --- Tu as intérêt à avoir une très très bonne raison d'être là, menaça-t-elle. \recit{\jerome} Oh, comment avait-il pu être aussi stupide ? Elle, c'était l'autre elfe, sa compagne, la princesse qu'il avait vue sur la place de la fontaine. Et bien sûr, elle voyait dans le noir comme \denise...\\ --- Je t'en prie, ne tire pas. Je ne te veux pas de mal, dit-il en s'avançant avec précautions.\\ --- Réponds à ma question d'abord, répondit la voix sèchement.\\ --- Je cherche juste... \denise.\\ --- Qu'est-ce que tu lui veux ?\\ Il y avait des tremblements dans sa voix. Mais du peu de lumière qui filtrait par le bas de la porte et qui nimbait doucement la silhouette de l'elfe, il pouvait voir que son arc tendu avait toujours une flèche pointée dans sa direction. Alors qu'il s'avançait, essayant d'avoir l'air le moins menaçant possible, elle abaissa brusquement son arme.\\ --- Mais... tu es le jeune jongleur de ce matin... s'exclama-t-elle, sur le ton de la surprise absolue.\\ Il hocha la tête, ne sachant que répondre.\\ --- Comment es-tu entré ici ? reprit-elle méfiante.\\ Son arc était baissé, mais il suffirait d'une demi-seconde pour qu'elle le retende dans sa direction. Les explications allaient être un peu compliquées...\\ --- Par la fenêtre. C'est une longue histoire... commença-t-il gêné.\\ Elle marqua une seconde de silence durant laquelle elle regarda la fenêtre, refermée et intacte.\\ --- J'écoute tes explications, alors, reprit-elle sur un ton ferme.\\ --- Euh, par où commencer... Est-ce que \denise t'a déjà parlé de moi ? À sa grande surprise, l'elfe ---dont il distingait à peine la silhouette--- se mit à trembler. Son arc et sa fèche lui glissa des doigts et tomba au sol. Il ne sut pas trop comment réagir, jusqu'à ce qu'il entende quelque chose qui ressemble à un sanglot.\\ --- J'ai dit quelque chose de mal ?\\ Elle était désarmée, du moins à première vue. Il osa faire un pas vers elle, doucement. Elle ne bougea pas.\\ --- Qu'est-ce qui se passe ?\\ Elle releva son visage vers lui et lui prit le bras.\\ --- Je... viens.\\ Elle ouvrit la porte, et l'amena dans la pièce à côté. Dans l'autre chambre, éclairée par un chandelier, il put distinguer un peu mieux son visage et ses traits. C'était bien la princesse elfe qui accompagnait \denise ce matin, mais ses traits était tendus, et ses yeux étaient rouges. Elle le dévisagea quelques instants, puis s'assit sur son lit, et, visiblement à bout, se mit à trembler et enfouit son visage dans ses mains. Était-ce son apparition qui la mettait dans cet état ? Ou autre chose ? Un peu pris au dépourvu, il s'assit à côté d'elle, et posa doucement sa main sur son bras. \recit{\aure} Elle se mit à tout lui raconter. Était-ce une bonne idée ou un énorme risque ? Que pouvait-elle penser de cet étrange jeune homme, qui était entré dans cette pièce elle ne savait trop comment ? Il l'écouta sans lâcher son bras, et sans l'interrompre sauf pour demander une ou deux précisions. Un silence suivit la fin de son récit.\\ --- Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire ? reprit-elle faiblement.\\ Il serra un peu plus son bras.\\ --- Fais-moi confiance, nous allons trouver quelque chose. Déjà, le sosie et leurs complices ignorent totalement que je suis ici.\\ --- Mais que peux-tu faire ?\\ Il se leva et sourit.\\ --- Pour le moment, je ne sais pas. Mais je ne suis pas seul, et pas sans ressources. Je m'appelle \jerome, au fait, ajouta-t-il en s'inclinant. Je suis jongleur, la plupart du temps.\\ L'espace d'un instant, elle eut l'impression d'être de nouveau dans la rue, face au jeune artiste qui saluerait après une figure particulièrement impressionante. Elle sourit faiblement.\\ --- Mon nom est \aure, fille du roi des elfes... la plupart du temps également.\\ --- Dans combien de temps ont-ils dit qu'ils ramèneraient \denise ?\\ --- Aucune idée, mais avant l'aube... Tu ne devrais pas rester. S'ils te voyaient... Elle avait dit ces mots en essayant d'être convaincante, mais son visage ne pouvait cacher qu'elle craignait de se retrouver seule à nouveau. Il hocha la tête.\\ --- Je resterais bien, mais... c'est risqué. Je vais faire tout de mon côté, pour vous aider, toi, \denise, \chloe, \ismael...\\ --- Comment faire pour prendre contact avec toi au besoin ? Si j'ai du nouveau, quand elle reviendra... Si je peux t'aider d'une manière ou d'une autre...\\ --- Le mieux, pour vous, c'est de rester à jouer le jeu auprès du sosie, et d'essayer d'identifier les complices. Mais si jamais tu dois me donner une information, tu peux essayer de transmettre un message au gérant du \tavernecontact. C'est une taverne un peu pourrie dans les bas-fonds de la ville, mais tu peux faire confiance au gérant pour nous faire passer le mot de façon sûre. Dans tous les cas, ne prends pas de risque inutile... Elle le raccompagna jusqu'à la chambre d'à côté.\\ --- Tu es vraiment arrivé par la fenêtre ?\\ Il sourit.\\ --- Oui.\\ Elle l'ouvrit et pencha prudemment la tête, vers les dizaines de mètres de vide dans la nuit.\\ --- Tu as grimpé tout ça ?\\ --- J'ai escaladé le mur de l'enceinte intérieure, mais après je me suis débrouillé pour entrer dans le château par une porte dérobée. Je voulais entrer dans la chambre par la porte, mais...\\ --- Mais tu as vu qu'elle était gardée ?\\ --- Oui. Je n'ai pas compris pourquoi, mais un étage au dessus passe un petit couloir, et il y a une autre fenêtre... J'ai contourné par là. Elle le regarda avec étonnement.\\ --- Et tu n'as croisé aucun garde, aucun serviteur ?\\ Il sourit.\\ --- Ceux de l'enceinte sont peu nombreux et faciles à esquiver. Et il y a peu de serviteurs à cette heure-ci... Il enjamba le rebord de la fenêtre, et elle ne put retenir un frisson.\\ --- Ne t'en fais pas pour moi, reprit-il en souriant gentiment. Courage à toi... à vous deux. Je ferai ma part de mon côté.\\ Il se mit debout sur le rebord, et se mit à escalader le mur. Elle le suivit des yeux pendant quelques instants, jusqu'à ce qu'il disparaisse dans une fenêtre quelques mètres plus haut. Elle referma la fenêtre, et revint vers sa chambre, toujours illuminée par les lueurs des chandelles. Étrange jeune homme... De son expérience des humains ---qui commençait à être un peu moins ridicule qu'il y a quelques semaines---, \jerome n'en était pas un exemplaire des plus standard. Ce n'était peut-être pas si étonnant qu'il ait plu à \denise, après tout... Elle s'allongea sur son lit en soupirant, avec un léger sourire sur les lèvres. Comment pouvait-elle penser à ça dans les circonstances actuelles ? Peut-être parce qu'elle ne pouvait pas s'en empêcher. Peut-être parce que c'était plus facile de penser à ces légèretés plutôt que de se replonger dans sa situation... Quoiqu'il en soit, elle s'accrochait désespérément à ce petit espoir. \recit{\jerome} Il n'eut aucun mal à effectuer le trajet en sens inverse. Une fois éloigné du mur d'enceinte du château, et en marchant dans la ville, il put se remettre à réfléchir plus amplement à la situation. Il avait eu beau avoir l'air le plus rassurant possible auprès de la pauvre \aure ---qui semblait vraiment à bout de forces---, il n'avait pas la moindre idée de comment s'en sortir. Il pouvait compter sur \chris et \seve, mais... mais après ? Ils ne savaient pas où étaient les prisonniers, ni si \denise avait bien été emmenée là-bas. Qu'allaient-ils faire à eux trois ? Il repensa à une phrase qu'il avait dite à \chloe, lorsqu'il l'avait \og escortée \fg à travers la ville. Si elle n'était pas complice, elle risquait tôt ou tard d'être victime... Il n'en avait pas parlé à la jeune elfe, pour ne pas en rajouter. Mais la coïncidence était vraiment trop étrange pour qu'il ne la considère pas. Il rejoignit le petit relais où il avait laissé son cheval pour la nuit, et quitta la ville rapidement. Lorsqu'ils étaient arrivés il y a quelques jours de cela, impossible de trouver le moindre endroit où loger à plusieurs kilomètres à la ronde. Ils avaient fini par tomber chez celle que ses voisins appelaient \og la veuve \nomvieille\xspace\fg, une vieille dame qui s'occupait de sa ferme à peu près toute seule. Elle embauchait ponctuellement des ouvriers pour les récoltes ou certains travaux d'envergure, et elle avait accepté de leur laisser la grange en échange de petits coups de mains. Ce n'était pas le plus confortable des hôtels, mais au moins ils étaient tranquilles, et réparer des clôtures ou nourrir des poules avait l'avantage de changer de leur ordinaire. \recit{\seve} \noindent --- \chris ? \seve ? Réveillez-vous !\\ Elle ouvrit un {\oe}il vitreux en reconnaissant la voix de \jerome, et secoua \chris, contre lequel elle dormait.\\ --- \jerome ? Tu es rentré ?\\ Elle jeta un regard à la fenêtre, et constant qu'il faisait encore bien nuit, fronça les sourcils.\\ --- Déjà ?\\ Le jeune homme avait allumé une lampe, qu'il posa sur une caisse en bois qui faisait office de table. La lumière fit apparaître l'aménagement spartiate de la grange : des tas de pailles recouverts de couvertures en guise de lit dans un coin, leur matériel et la voiture dans un autre, et au centre la fameuse caisse. Le visage de \jerome était pâle.\\ --- Qu'est-ce qui se passe, demanda \chris, qui s'était levé. Une mauvaise nouvelle ?\\ --- Pas une, répondit-il. Plusieurs.\\ --- Qui vaille la peine de nous réveiller à cette heure, bâilla-t-elle ?\\ Il hocha la tête, l'air grave. Inquiète, elle se leva à son tour et, se frottant les yeux, le rejoignit. Lorsqu'il eut terminé son récit, elle était parfaitement réveillée, et \chris aussi.\\ --- Que peut-on faire ? demanda \jerome.\\ --- Ne paniquons pas, reprit \chris calmement. Partons du principe que \denise et \aure ne craignent rien, là où elles sont.\\ --- Comment en es-tu si sûr ? demanda \seve, qui se demandait comment il faisait pour toujours avoir la tête froide dans ce genre de situation.\\ --- Elles sont des invités officielles. Je ne dis pas que les jours qui viennent vont être faciles pour elles, mais au moins on n'attentera pas à leurs vies. La preuve : si elles parlent, ce n'était pas elles qui étaient menacées, mais \ismael et \chloe. C'est de ceux-là qu'il faut nous préoccuper.\\ --- L'autre question que je me pose, reprit \jerome, c'est le lien éventuel avec l'histoire qui nous a amenés là... les créatures dans la forêt, l'assassinat de \magemort...\\ --- Ça n'a a priori pas de rapport à première vue... sauf cette histoire de sosie. Trouver un sosie quasi parfait me paraît beaucoup plus facile une fois qu'un métamorphe est capable de s'en charger, reprit \chris.\\ --- Pourquoi \ismael et \chloe, alors ? Pourquoi ce seraient eux la cible de ces hommes ? répliqua \seve.\\ --- Première possibilité, c'est qu'ils avaient effectivement un sosie d'\ismael sous la main. Ils l'auraient donc enlevé ou tué pour prendre sa place. L'autre, c'est qu'\ismael\xspace---tout comme \chloe d'ailleurs--- fait partie de ces gens qui ne sont pas allés dans leur royaume d'origine depuis des années, et y sont donc moins connus. Il est moins difficile pour une \og réplique \fg de se faire passer pour eux. La preuve, personne à part \denise ne semblait se douter de la supercherie... Et j'imagine qu'ils n'avaient pas prévu la présence de quelqu'un le connaissant trop bien. Cela ne me dit pas encore ce qu'ils compte faire avec un sosie dans la place, mais les possibilités sont très larges... Ne serait-ce que de l'influence politique, mais bien d'autres choses encore.\\ --- Même si je ne vois aucun rapport avec les créatures de la forêt de \foret ? demanda-t-elle.\\ Il secoua la tête.\\ --- Pour le moment, je le soupçonne juste. Hors la coïncidence, et la métamorphose, nous n'avons pas de lien solide.\\ Elle hocha la tête.\\ --- D'accord, ton raisonnement se tient. Cela ne nous dit pas comment nous allons démonter ce complot, alors qu'on ne sait même pas contre qui... commença \seve.\\ --- Voilà ce que nous allons faire, pour commencer, coupa-t-il. Il se tourna vers elle.\\ --- \seve, tu vas essayer de contacter l'un des deux par la voie des enchantements divins. As-tu besoin d'objets leur appartenant pour cela ? \\ --- Pour \ismael, que je connais suffisamment, je n'en ai pas besoin. Mais je n'ai croisé qu'une fois \chloe par contre...\\ --- Si tu arrives à avoir le maximum d'informations sur sa captivité, ce sera déjà bien. Car il peut te répondre non ?\\ --- Oui. En fait, la plupart des gens ont des rêves flous, et leurs retours par rêves sont assez vagues. Mais heureusement, \ismael, avec son entraînement de paladin, s'en sort pas trop mal. Je devrais avoir une idée... pour peu qu'il sache lui-même. Il se tourna ensuite vers \jerome.\\ --- \jerome, si tu es en état de repartir, repars en ville, et essaie d'observer les alentours du château. Peut-être que tu pourras repérer \denise qui revient avec l'un de ces hommes. Tu connais déjà un peu l'endroit... Et surtout, essaie de remarquer tout ce qui pourrait être étrange. \\ Il hocha la tête avant de répondre.\\ --- J'ai déjà repéré quelques entrées possibles, dont celle que j'ai utilisée moi. Je vérifierais bien qu'elle est rentrée au moins... Il prit un morceau de papier, une plume et un encrier d'une sacoche.\\ --- Et dès l'aube, compléta-t-il, l'un de vous ira porter le message que je suis en train d'écrire au père \contact, à la petite taverne du \tavernecontact. Il transmettra au capitaine \capitaine, et même si ça n'a aucun rapport avec notre histoire, je pense qu'il pourrait être inquiet de ce genre de situation.\\ --- Et toi ? interrogea \seve.\\ Il leva les yeux vers elle.\\ --- Dès que j'ai écrit ce message, je selle l'autre cheval, et je pars chercher \remi. Je pense qu'on peut compter sur lui, on ne sera pas trop de quatre dans cette histoire. \recit{\denise} \noindent --- \denise !\\ Un visage était penché sur le sien. Après quelques secondes, ses yeux réussirent à focaliser sur ce visage familier.\\ --- \chloe ?\\ Celle-ci lui sourit et l'aida à se redresser. Elle commençait à distinguer la pièce, large et haute de plafond. Au niveau de la porte, à l'opposé de où elle était assise, une voix lui parvint.\\ --- Bon, tu es réveillée, très bien. Je vous laisse une heure.\\ Et des bruits de pas s'éloignant accompagnèrent cette réplique.\\ --- Cette voix, murmura-t-elle en essayant de remettre un peu d'ordre dans ses pensées, cette voix...\\ --- C'est celle de \mageninja, celui qui t'a amenée ici, apparemment sous un sort de sommeil magique, compléta \chloe en la soutenant. Ça va ?\\ Elle secoua la tête. Les troubles de la vue avaient heureusement vite disparu.\\ --- Oui. Mais ce n'est pas moi qui devrais dire ça, dit-elle en dévisageant la magicienne. Est-ce que ça va ? demanda-t-elle inquiète.\\ --- Je vais bien, rassure-toi.\\ --- Qu'est-ce qui t'est arrivé ?\\ \chloe lui fit signe de ne pas bouger, se leva, puis fit quelques pas dans la pièce dans laquelle elles étaient enfermées. Cela ressemblait plus à une chambre sobrement meublée qu'à une prison, si on exceptait la porte verrouillée, et les barreaux aux petites fenêtres hautes. Il y avait le lit sur lequel elle était assise, une table et une chaise dans un coin, et un rideau qui semblait cacher un petit coin de la pièce, peut-être des sanitaires. Une large malle était posée au pied du lit en question, sur laquelle elle reconnut le manteau et la grosse sacoche en cuir de la magicienne. Celle-ci semblait observer les murs de la pièce, fermant parfois les yeux à demi.\\ --- Je ne suis pas sûre qu'on puisse parler parfaitement librement... J'ai peur que nous ne soyons écoutées.\\ --- Tu crois ?\\ --- Peu importe, dit-elle en revenant vers elle, et se rasseyant sur le lit, elle serra soudainement la jeune elfe dans ses bras. \recit{\chloe} Après une seconde de surprise, \denise lui rendit son étreinte.\\ --- \chloe...\\ --- Ça va. Je vais bien, murmura-t-elle. Je n'avais juste pas vu de visage ami depuis plusieurs jours... depuis que...\\ --- Raconte-moi tout. Même si on nous écoute, \og ils \fg savent déjà cela non ?\\ Elle hocha la tête, et lui raconta son histoire. L'embuscade magique, le sosie, la blessure de \mageb et sa métamorphose, la fuite suicidaire d'\ismael. \noindent --- Et donc, reprit \denise avec de l'inquiétude dans la voix, qu'est-il arrivé à \ismael ?\\ Elle baissa les yeux.\\ --- Je n'en sais rien. Je ne l'ai pas vu depuis, et bien sûr on ne m'a donné aucune information à son sujet... Je ne sais même pas s'il a survécu.\\ Elle sentit la main de l'elfe se poser sur la sienne.\\ --- Il y a de bonnes chances que oui.\\ --- Qu'est-ce qui te fait espérer ?\\ --- Est-ce que \mageninja t'a dit pourquoi il m'avait amenée ici ?\\ Elle haussa les épaules.\\ --- Il m'a dit, en passant, que tu devais vérifier que c'était bien moi et que j'étais en bonne santé...\\ --- Oui. Parce que j'ai découvert que le sosie n'était pas \ismael. Il a explicitement menacé qu'il pourrait arriver quelque chose à toi ou à \ismael si jamais nous parlions...\\ --- Charmant, répondit-elle avec une moue. Mais justement, \ismael...\\ --- Je ne l'ai pas plus vu que toi. Mais on ne menace pas de faire du mal à quelqu'un qui est mort, donc... Elle resta quelques instants songeuse. Elle n'était qu'à demi-con\-vain\-cue par le raisonnement de \denise. C'était crédible, mais... si elle-même n'avait pas vu le paladin non plus, on pouvait bien lui raconter n'importe quoi. Mais peut-être que le fait de n'avoir pour horizon que les quatre murs d'une chambre rendait pessimiste... Peut-être que \denise essayait juste de se persuader elle-même qu'il était en vie. \noindent --- Et toi, \chloe ? Qu'est-ce qui t'est arrivé ensuite ?\\ --- Ils m'ont emmenée ici, avec les fenêtres du carosse bien fermées, je ne sais donc pas du tout où je suis... Et ils m'ont interrogée. Sur tout ce que je savais d'\ismael, sur mon trajet jusqu'ici, dont ils semblaient tout ignorer... Ils m'ont donc entre autres posé des questions sur toi et \aure, et sur \remi évidemment.\\ --- Tu leur as dit tout ce que tu savais ?\\ Elle baissa les yeux à nouveau, et se mit à trembler.\\ --- Oui. Que voulais-tu que je fasse ? murmura-t-elle. Me laisser torturer ?\\ Elle sentit la pression sur sa main s'intensifier.\\ --- Ne t'en fais pas. Tu as bien fait. Ils auraient fini par l'apprendre... Et puis je connais bien \ismael, tu le sais. Il aurait peut-être résisté un moment... Mais s'\og ils \fg avaient menacé de s'en prendre à toi, il aurait cédé. Et puis de toutes façons... Même avec les meilleurs informations du monde, je ne suis pas sûre que le sosie ait réussi à passer pour \ismael auprès de moi beaucoup plus longtemps. Le résultat aurait été le même, avec plus de souffrance... \chloe soupira, et se leva.\\ --- Mais ça va, sinon. Je n'ai pas été maltraitée... Ils m'ont même laissé mes affaires, qui étaient dans le carosse.\\ Elle désigna la malle.\\ --- À part mon bâton de mage j'ai tout... y compris mon petit chaudron et mes potions de soin. En même temps, tout ça est bien inutile, sauf si je me blessais toute seule ici...\\ Elle eut un sourire amer et reprit, en désignant sa sacoche.\\ --- Je peux bien préparer quelques potions, mais je ne vois pas ce qui pourrait m'aider à m'échapper d'ici... \recit{\denise} \chloe se mit à fouiller machinalement sa sacoche, comme si elle pouvait y trouver quelque chose qui l'aide. Puis elle revint vers elle et se rassit sur le lit.\\ --- Je ne sais pas ce que je peux faire pour t'aider, commença-t-elle. Mais je vais tout faire pour te sortir de là...\\ C'était un peu maladroit, elle devait l'admettre. Mais la sincérité de sa promesse sembla faire sourire la jeune magicienne, qui soudainement, se jeta dans ses bras.\\ --- \denise, cache ça quelque part sur toi, murmura-t-elle.\\ Elle ne répondit pas, surprise. \chloe lui avait glissé un objet dans la main. Au contact, cela semblait être une petite bourse de cuir.\\ --- Si tu arrives à échapper à \og leur \fg attention... ceci peut te mener vers moi, chuchota-t-elle.\\ Elle craignait qu'elles soient écoutées ou épiées... Risquait-on de surprendre cet échange ? Elle serra la main sur l'objet, et, tout en essayant de reprendre la conversation le plus naturellement possible, elle ramena sa jambe et y glissa le mystérieux cadeau de \chloe. Il la gênerait sûrement pour marcher, mais qu'importe.\\ --- As-tu déjà observé les environs ? demanda-t-elle en désignant la haute fenêtre.\\ --- Oui. J'ai escaladé comme j'ai pu... Je crois qu'on est dans une grande bâtisse quelque part dans une forêt. Cela ne nous aide pas beaucoup.\\ --- Certes...\\ --- Au fait, puisque j'y pense. L'homme qui t'a amenée là, \mageninja... Tu sais qu'il est mage ?\\ --- Je m'en doutais un peu...\\ --- Je crois qu'il sait manipuler des sorts d'invisibilité, précisa \chloe. C'est comme ça qu'ils ont préparé l'embuscade.\\ --- C'est lui qui m'a... endormie, ou quelque chose comme ça ?\\ --- Je suppose, puisqu'il a levé le sort sous mes yeux, quand il t'a amenée ici.\\ Elle eut un léger frisson.\\ --- On ne doit pas être très loin de la ville, reprit \chloe. Il a déjà fait plusieurs allers et retours pour obtenir des informations auprès de moi.\\ --- Y a-t-il un sort qui lui permettrait d'aller vite ?\\ Elle haussa les épaules.\\ --- Je ne suis pas une encyclopédie de magie non plus... peut-être.\\ --- Il y avait une autre magicienne, tu m'as dit... Sais-tu ce qu'elle fait, et où elle est ?\\ --- \magiciennevent. Je crois qu'elle gère les vents et l'air, mais ce n'est peut-être pas sa seule spécialité... Et c'est principalement à elle que j'ai affaire. Tu ne l'as pas vue ?\\ La jeune elfe secoua la tête.\\ --- Non.\\ --- Et à part ça, je n'ai pas vu d'autre magicien, il ne me semble pas que le sosie en soit un, mais je n'ai rien qui puisse aller dans ce sens. Cela ne le rend pas moins dangereux de toutes façons... \denise se leva et fit quelques pas.\\ --- Ah, si j'avais mon épée, si je pouvais faire quelque chose... C'est tellement rageant...\\ Elle tourna son regard vers la porte, en chêne épais renforcé de métal.\\ --- Inutile de t'énerver... Quand bien même tu passerais la porte, quand bien même tu aurais ton arme, il y a une bonne dizaine d'hommes dans ce bâtiment.\\ --- Une dizaine ?\\ --- Ceux qui m'amènent à manger, ou qui viennent m'apporter diverses choses... Je vois un peu les mêmes, je dirais donc une dizaine de têtes différentes que j'ai vu passer. Au moins. Elle soupira. Au moment où elle allait répondre, la porte s'ouvrit, sur \mageninja, un bâton de mage à la main.\\ --- Il est temps. Vous avez pu assez discuter, je suppose.\\ \denise fit un pas en arrière, sur ses gardes.\\ --- N'y pense même pas, \denise, fit-il comme s'il devinait ses pensées.\\ Il entra dans la pièce, révélant derrière lui deux hommes, armés d'arbalètes, pointées sur elle et sur \chloe. Elle soupira de découragement, et lança un dernier regard vers la jeune magicienne.\\ --- Ça va aller, dit-elle d'un air encourageant. Elle n'eut pas le temps de lui répondre. La main de \mageninja se posa sur son bras. Elle eut tout juste le temps de voir ses yeux briller d'un éclat insoutenable pendant une seconde, et ce fut le noir. \recit{\chloe} Elle regarda, la gorge nouée, le mage et les hommes emmener son amie inanimée. Ils ne lui avaient même pas laissé le temps de lui dire au revoir... Elle était de nouveau seule, et pour longtemps vraisemblablement. Comment allait-elle se sortir de là ? Allait-elle retrouver la liberté un jour, ou ces hommes n'attendaient-ils que l'occasion de n'avoir plus besoin d'elle pour la tuer ? Elle repensa à la pierre qu'elle avait donnée à \denise. Le mage n'avait fait aucun commentaire dessus, et n'avait vraisemblablement pas cherché à fouiller la jeune elfe avant de l'emmener. Cela n'aiderait pas forcément, puisqu'elle était coincée avec le sosie et sous la menace. Mais elle était quand même un peu plus libre, avec un peu de chance... Elle soupira. Avec un peu de chance, si \denise trouvait des alliés qui aient les mains libres, si ces alliés pouvaient récupérer la pierre, alors peut-être avait-elle une chance de se tirer de là, si lesdits alliés étaient assez courageux pour venir la chercher. Mais ça faisait beaucoup de si... Mieux valait dans tous les cas que la pierre de l'enchantement soit entre les mains d'inconnus plutôt qu'entre ceux de ses geôliers. Qui sait ce qu'ils pourraient en faire ? Elle ne lui avait rien dit à propos de la rencontre avec \jerome et la blessure de \remi. Par chance, c'était un des points que ses geôliers n'avaient pas abordé, et elle n'avait tout de même pas poussé jusqu'à en parler d'elle-même. Pourtant elle doutait que le sujet les intéresserait, ils avaient écouté attentivement son récit de la rencontre avec les \bestioles dans la forêt. Ils avaient même demandé une ou deux précisions. Il y avait de bonnes chances qu'ils soient liés à cette histoire aussi... \remi... Où pouvait-il être à présent ? Guéri, en train de courir dans les bois, ignorant tout de ce qui lui arrivait, probablement. Mais elle ne pouvait pas lui en vouloir... Elle se coucha, et souffla la flamme de la lampe à huile posée près de son lit. Maintenant qu'elle y pensait, ils lui fournissaient des alumettes pour cette lanterne, et elle n'avait pas parlé de combattre les \bestioles à coup de boules de feu, et il est bien possible qu'ils ne sachent même pas qu'elle pouvait en lancer. En même temps, ce sort n'était pas très puissant. Causer des brûlures moyennes aux gardes ou mettre le feu à son lit, c'est probablement le mieux qu'elle pourrait en faire...