La ville était très animée, et les passants les regardaient avec un air curieux. Certains semblaient avoir un peu peur, même si elle faisait tout son possible pour avoir l'air rassurante. Le marché regorgeait de belles couleurs et odeurs, dans les larges rues pavées se croisaient cavaliers, piétons et charettes dans une joyeuse cacophonie. Elle se doutait bien que \jan ne leur montrait que les parties belles et propres de la ville. Elle imaginait bien que dans certains quartiers devaient s'accumuler la misère et la saleté... Elle profitait néanmoins de la promenade.
Sur une petite place près d'une fontaine, ils s'arrêtèrent pour regarder un groupe de trois ménestrels. L'un jouait de la flûte et le second du luth, tandis que le troisième maniait un petit tambourin en chantant. Lorsqu'ils les virent, les trois musiciens s'interrompirent, et le chanteur s'avança vers elle en s'inclinant presque plus bas que terre.\\
---- Ô, princesse des elfes, venue d'un pays lointain et mystérieux ! Princesse de lumière, dont la beauté et la grâce n'a d'égale que la cruauté...\\
+--- Ô, princesse des elfes, venue d'un pays lointain et mystérieux ! Prin\-ces\-se de lumière, dont la beauté et la grâce n'a d'égale que la cruauté...\\
Elle se figea un instant en fronçant les sourcils, mais l'homme continua sans sembler le remarquer.\\
--- ...Cruauté de venir se comparer auprès de nous, simples humains, si grossiers et stupides ! Le simple trouvère que je suis se sent impur et sale, à vous adresser ces vers...
C'est seulement vers la fin de l'après-midi qu'elle put se libérer d'\aure \xspace--partie discuter avec le duc de l'organisation du tournoi, ou quelque chose comme ça-- pour voir la salle d'escrime. C'était une large pièce, légèrement au sous-sol et éclairée par de nombreux soupiraux. Elle était vide dans l'ensemble, à l'exception du coin près de l'entrée où s'entassaient, dans des bacs, des armes d'entraînement, des mannequins et autres éléments d'exercice.\\
--- Voilà, ce n'est pas forcément très joli mais... commença \jan.\\
--- ... mais c'est fonctionnel. C'est très bien, interrompit-elle.\\
-Elle s'avança vers les bacs, et se mit à examiner de près les différentes armes. Il y avait des épées, courtes ou longues, des lances, des haches, des couteaux, pour la plupart en bois et renforcés de métal ; à la fois pour durer longtemps et pour avoir un poids se rapprochant de celui d'une arme en métal. Elle choisit deux épées, et en lança une à \jan, un peu surpris.\\
+Elle s'avança vers les bacs, et se mit à examiner de près les différentes armes. Il y avait des épées, courtes ou longues, des lances, des haches, des couteaux, des boucliers, pour la plupart en bois et renforcés de métal ; à la fois pour durer longtemps et pour avoir un poids se rapprochant de celui d'une arme en métal. Elle choisit deux épées, et en lança une à \jan, un peu surpris.\\
--- En garde !\\
Le jeune garde sembla hésiter quelques instants, puis se mit en position de combat.
\jan perdit assez rapidement les quelques premières passes, et \denise reconnut l'hésitation d'un homme qui n'a pas l'habitude de se battre contre une femme. Elle n'eut pas besoin de le lui faire remarquer, et il se reprit rapidement. C'était un rude combattant, qui portait des coups rapides et précis. Très vite, elle eut des difficultés à percer sa garde, et fut elle-même mise en défaut une ou deux fois.
-\noindent --- \jan ? Tu sais qu'on t'attend sur le chemin de ronde dans cinq minutes ?\\
+\noindent --- \jan ? Tu sais qu'on t'attend sur le chemin de ronde dans cinq mi\-nu\-tes ?\\
Ils rompirent le combat brusquement, et se tournèrent vers la voix qui venait d'interpeller le garde. Dans l'embrasure de la porte se tenait un autre garde, qui au vu des quelques broderies sur son tabar était probablement plus haut gradé que \jan. Il était grand et blond, et avait le regard sévère.\\
--- J'arrive, \simon. Excuse-moi.\\
Il lança un regard un peu gêné à \denise.\\
Cela lui rappelait ses premiers jours à la garde. Un des premiers entraînements de maître \maitrescrime...
-Elle n'avait pas l'habitude d'un tel entraînement, et rien que l'échauffement avait été rude pour elle. Penchée sur ses genoux, le souffle court et le visage rouge, elle essayait péniblement de masquer son épuisement. Elle se demandait s'il était vrai ce qu'on disait, si les elfes avaient vraiment une constitution plus faible que les humains, ou si c'était juste un manque d'habitude... Elle était vraiment la plus petite et la plus frêle des recrues, en tous cas. Heureusement, personne n'avait de remarque sur le sujet, sinon elle aurait cru mourir de honte. Ils avaient saisi des épées en bois et commencé à s'entraîner à deux. Elle s'était alors retrouvée face à un jeune homme, au teint mat et aux cheveux et yeux noirs. Il savait tenir une épée, et même déjà mieux qu'elle, mais n'osait pas porter de coups à son encontre. Peu après, il lui avait expliqué que, de là où il venait, on ne voyait jamais une femme tenir une arme.
+Elle n'avait pas l'habitude d'un tel entraînement, et rien que l'é\-chauf\-fement avait été rude pour elle. Penchée sur ses genoux, le souffle court et le visage rouge, elle essayait péniblement de masquer son épuisement. Elle se demandait si ce qu'\og on \fg disait était vrai, si les elfes avaient vraiment une constitution plus faible que les humains, ou si c'était juste un manque d'habitude... Elle était vraiment la plus petite et la plus frêle des recrues, en tous cas. Heureusement, personne n'avait de remarque sur le sujet, sinon elle aurait cru mourir de honte. Ils avaient ensuite pris des épées d'entraînement et commencé à s'exercer à deux. Elle s'était alors retrouvée face à un jeune homme, au teint mat et aux cheveux et yeux noirs. C'était leur premier échange, un peu maladroit même si tous deux avaient déjà tenu une épée. \og J'avoue que c'est la première fois que je me bats contre une femme, je n'ai pas l'habitude \fg, lui avait-il avoué un peu après. \og J'avoue que je n'étais pas bien mieux, je n'avais jamais vu d'épéiste gaucher avant \fg, lui avait-elle répondu en souriant. Cela avait été le début d'une longue et solide amitié...
+
+Elle sursauta soudain en entendant le bruit d'une porte qui se refermait. Deux hommes venaient d'entrer dans la salle, deux hommes dont \ismael. Elle ne reconnaissait absolument pas celui qui l'accompagnait, mais il lui semblait l'avoir déjà croisé. Peut-être était-ce lui ce fameux \og écuyer \fg dont on parlait ?
+
+\noindent --- Bonjour, \ismael. Tu viens t'exercer ?\\
+--- Comme tu peux le voir, répondit-il en souriant légèrement, et en prenant deux armes dans les bacs.\\
+--- Comment s'est passé ton retour au château du seigneur \seigneurchloe ?\\
+Il s'éloigna un peu d'elle, se plaça en garde face à son compagnon, et lui répondit sans la regarder.\\
+--- Sans problème. Ses parents m'ont accueilli si chaleureusement que j'ai eu du mal à partir ensuite...
+
+Il se tut et commença à échanger quelques coups d'épée avec l'autre homme. Il n'avait pas l'air d'aller très bien, et sa façon d'éviter son regard était inhabituelle. Peut-être était-il très concentré sur son entraînement et fatigué des responsabilités qui allaient avec son retour dans son duché natal ?
+
+Elle passa quelques minutes à observer les deux combattants s'entraîner. L'autre homme --qui semblait porter le nom de \mageninja-- était de taille moyenne et plutôt large d'épaules, et s'il savait esquiver les coups avec une grande agilité, il n'était clairement pas aussi bon escrimeur qu'\ismael. De ce fait, il fut vite épuisé. Profitant de l'occasion, \denise saisit une épée et s'avança à sa place.\\
+--- Je peux ? demanda-t-elle en souriant.\\
+\ismael hocha la tête, un peu pris au dépourvu. Ils se mirent en garde.
+Après tout, quand on est de mauvaise humeur, rien ne valait quelques bons coups d'épée pour se défouler.
+
+Mais ce sentiment étrange qu'elle avait vis-à-vis de lui ne fit qu'augmenter lorsqu'ils se mirent à combattre. Elle avait l'impression que, bien que toujours efficace, son style de combat était différent, sans qu'elle puisse dire en quoi précisément. Un moment vint où, croisant le fer --ou plutôt le bois-- jusqu'à la lame, ils se retrouvèrent très près l'un de l'autre. Elle lutta une demi-seconde avant d'incliner sa lame et de passer sous sa garde, gratifiant son adversaire d'un coup de coude dans les côtes. Il se recula, surpris et le souffle coupé, mais pas autant qu'elle. Cette passe d'armes, elle la connaissait depuis longtemps, et l'utilisait lors d'une épreuve de force face à un adversaire plus costaud que lui, c'est-à-dire la plupart du temps. Et \ismael, depuis le temps, savait mieux que personne l'esquiver et la retourner contre elle...\\
+--- Qu'est-ce qui t'arrive, \ismael ? lui demanda-t-elle.\\
+Il haussa les épaules sans répondre, et évitant son regard, se remit en garde.
+
+Il n'y avait pas eu d'autre gaucher, à la garde à l'époque où elle y était. Elle s'était si bien habituée à combattre avec lui que le jour où elle s'était retrouvée face à un \og vrai \fg adversaire gaucher, elle avait tenu l'assaut sans problème. Elle avait un peu cette sensation en ce moment, celle de combattre un autre adversaire, gaucher aussi, mais pas \ismael.
+
+Et soudain, elle réalisa l'évidence. Comment avait-elle pu ne pas s'en rendre compte plus tôt ? Son adversaire en profita pour dégager son épée, qui vola à travers la pièce et arrêter son arme à quelques centimètres de sa poitrine avec un léger air de triomphe. Elle ne bougea pas et continua de le fixer.\\
+--- \ismael...\\
+--- Ça ne va pas \denise ? demanda son adversaire. Tu as l'air pâle...\\
+--- Où est \ismael ? demanda-t-elle d'une voix faible.\\
+--- Euh, de quoi parles-tu ? répondit-il.\\
+Mais son visage avait trahi quelque chose. Son corps avait trahi quelque chose. Sa façon de parler, de se déplacer n'était pas celle de son ami, elle aurait pu, elle aurait dû le voir plus vite... Mais comment pouvait-elle se douter...
+
+Elle fit quelques pas en arrière, effrayée par ce visage qui ressemblait jusqu'au détail près à celui d'\ismael. Puis la colère prit le pas sur la peur, et elle se campa sur ses pieds.\\
+--- Je répète ma question. Où est \ismael, paladin de \deesse, fils du duc \seigneurismael et frère d'arme pendant nos années à la garde ?\\
+Le pseudo-\ismael recula, un peu paniqué, et ouvrit la bouche pour répondre, mais une voix derrière elle l'interrompit.\\
+--- Laisse tomber. Je t'avais dit que ça ne marcherait pas. Même \og elle \fg nous l'avait dit.\\
+--- Et qu'allez-vous faire, maintenant que je connais la vérité ? Qu'est-ce qui m'empêche d'aller prévenir le duc, et tout le château ? répondit-elle aussitôt.\\
+Tout en prononçant ses paroles, elle recula pour ne pas avoir \mageninja dans le dos, et être raisonnablement face aux deux hommes, qui semblaient se concerter du regard.\\
+--- Tu ne diras rien. Et pour une raison très simple. commença \mageninja.\\
+La seule issue à cette pièce était maintenant située derrière les deux hommes, inaccessible. Elle regarda les soupiraux. Pouvait-elle se glisser par là et atteindre la cour du château ? Ils étaient assez larges pour la laisser passer, à condition qu'elle puisse les atteindre... Ou pouvait-elle essayer de les combattre plutôt ? Mais avec quoi ? Elle avait laissé son épée et sa dague dans la salle de garde, comme faisaient tous les soldats...\\
+--- Oh, tu n'as pas grand chose à craindre pour toi-même, reprit-il comme s'il avait suivi ses pensées. Tu es la protégée du duc, n'est-ce pas ? La vraie raison pour te taire, c'est que tu tiens à la vie et à la bonne santé de tes amis, \ismael et \chloe.
+
+\ismael et \chloe... Elle se mit à trembler plus fort encore. Elle était parfaitement libre de ses mouvements, et ils allaient probablement la laisser repartir saine et sauve dans quelques instants, mais il aurait été moins difficile, moins humiliant peut-être d'avoir été enchaînée ou immobilisée. Elle ne pouvait même pas essayer de lutter, même désespérément, ou se battre sans espoir jusqu'à s'effondrer d'épuisement...\\
+--- Attendez un instant, reprit-elle soudainement. Qu'est-ce qui me dit que vous ne les avez pas déjà tués ?\\
+Sa voix s'étrangla à la fin de sa phrase. D'un point de vue logique, cette hypothèse horrible s'envisageait. Mais... Le sosie secoua la tête et regarda son compagnon avant de répondre.\\
+--- Es-tu prête à risquer leur vie ?\\
+Elle n'osa pas répondre.\\
+--- J'ai une meilleure idée, reprit \mageninja. Puisque tu sembles y tenir, je vais t'emmener voir l'un de tes amis. Ainsi tu seras convaincue, et d'autant plus obéissante. Viens.\\
+Elle les suivit, sans cesser de trembler, avec l'impression que ses jambes étaient lestées de plomb.