+<!--l. 171--><p class="noindent" ><span
+class="ecti-1095">Irdann</span>
+<!--l. 173--><p class="indent" > Irdann et Farl s’avançaient dans les rues de Touryre, se dirigeant vers le
+temple. Ils avaient tous les deux revêtu des vêtements sobres, et se
+fondaient assez bien dans la population, même si un léger accent révélait
+qu’ils n’étaient pas de la région. Ils avaient mis une bonne semaine à venir
+de Talecombe, même à cheval.
+<!--l. 176--><p class="indent" > Il avait suggéré d’aller rencontrer la prêtresse de jour, en sachant qu’elle
+le reconnaîtrait probablement. Farl avait décidé de l’accompagner, en en
+profitant pour repérer la configuration du temple. Les deux autres avaient
+
+
+préféré rester discrets. Si le visage de Uhr devait rester caché jusqu’à
+l’enlèvement, celui de Silwë pouvait susciter une certaine curiosité –les elfes
+étant peu courants dans cette région– dont ils pouvaient se passer. Ils
+étaient donc tous deux restés en dehors de la ville, à installer un
+campement discret dans la forêt.
+<!--l. 178--><p class="indent" > Il avait d’ailleurs remarqué la façon dont le ménestrel regardait Silwë.
+Oh, il n’était pas le premier, c’était certain. La petite elfe, avec ses yeux
+bleus et son air innocent –malgré l’uniforme de soldat– attirait les regards.
+Mais à voir sa réaction, peut-être serait-il le premier à obtenir une réponse
+positive... Enfin, le premier à sa connaissance, corrigea-t-il mentalement. Et
+depuis qu’elle était arrivée à la capitale. Après tout, qui sait ce qu’elle avait
+connu avant, chez les elfes sylvains<span class="frenchb-thinspace"> </span>?
+<!--l. 180--><p class="noindent" >— Irdann<span class="frenchb-thinspace"> </span>? On arrive au temple<span class="frenchb-thinspace"> </span>!<br
+class="newline" />Il secoua la tête et sortit de sa rêverie. Le grand bâtiment s’étendait devant
+eux. Exactement comme dans son rêve... Il adressa un petit hochement de
+tête à Farl, et ils gravirent lentement les marches qui menaient à
+l’entrée.
+<!--l. 183--><p class="noindent" ><span
+class="ecti-1095">Samantha</span>
+<!--l. 185--><p class="indent" > Elle avait hâte que l’après-midi se termine. La journée avait été
+épuisante. Dans trois jours avait lieu l’anniversaire de son intronisation, et
+le personnel du temple était en effervescence. À cela s’ajoutait une
+file incessante de fidèles, venus offrir des cadeaux, demander des
+conseils à la déesse, ou quémander son pardon. Il était rare qu’elle
+ait besoin d’invoquer de réels enchantements, souvent un sourire
+encourageant et quelques paroles redonnaient confiance à la plupart des
+villageois.
+<!--l. 187--><p class="indent" > Les deux derniers visiteurs –qu’elle n’avait jamais vus en ville, mais
+celle-ci était grande– s’avancèrent et s’agenouillèrent, conformément aux
+usages. Pourtant, lorsque l’un d’eux releva la tête pour lui adresser les
+paroles habituelles, elle eut un sursaut de surprise. C’était comme si elle le
+connaissait sans l’avoir jamais vu... Se pouvait-il...
+<!--l. 189--><p class="indent" > Elle s’avança vers lui. En approchant sa main de son visage, elle ferma
+les yeux. Elle reconnut immédiatement son aura. C’était lui<span class="frenchb-thinspace"> </span>! Le fameux
+
+
+apprenti paladin qu’elle avait imploré de venir...<br
+class="newline" />— Irdann<span class="frenchb-thinspace"> </span>? murmura-t-elle.<br
+class="newline" />Le jeune homme lui sourit, et répondit à voix basse.<br
+class="newline" />— Je suis venu à votre demande, Grande Prêtresse. Avec des compagnons.<br
+class="newline" />Elle jeta un œil au second jeune homme, plus petit, qui sous ses airs
+sages, semblait étudier avec intérêt les lieux. Il n’y avait personne qui
+puisse les entendre maintenant, mais d’autres prêtres et prêtresses
+circulaient régulièrement autour d’eux, et la grande salle du temple
+ne se prêtait guère à une longue discussion, encore moins discrète.
+<br
+class="newline" />— Vous avez... préparé quelque chose<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />— Nous aimerions vous en parler plus longuement. Mon compagnon Farl ici
+présent peut s’introduire discrètement dans le temple, cette nuit. Où et
+quand peut-il vous trouver seule<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />Elle releva la tête, observant le dénommé Farl, surprise. Après un instant de
+silence, elle répondit, plus bas encore.<br
+class="newline" />— Vers minuit. Dans la partie nord du temple, où sont mes appartements.
+J’allumerai une bougie à la fenêtre quand je serai seule.
+<!--l. 199--><p class="indent" > Puis elle fit quelques pas en arrière. Ils se relevèrent et la saluèrent
+respectueusement, et sortirent. En les observant quitter la grande salle du
+temple, elle sentait son cœur battre. Il était arrivé... et non seulement il
+avait une idée, mais en plus il n’était pas seul<span class="frenchb-thinspace"> </span>! Qui étaient ces fameux
+compagnons<span class="frenchb-thinspace"> </span>?
+<!--l. 201--><p class="noindent" ><span
+class="ecti-1095">Farl</span>
+<!--l. 203--><p class="indent" > La silhouette sombre, quasi-invisible dans la nuit, escalada lestement le
+mur du temple. Arrivé à son sommet, elle s’arrêta pour observer la
+cour intérieure. Le bâtiment était calme, et de l’une des fenêtres, au
+rez-de-chaussée, on voyait vaciller la lueur d’une bougie. Farl observa
+silencieusement les alentours, et après avoir constaté qu’il n’y avait
+personne, désescalada le mur et s’approcha de la fenêtre.
+<!--l. 206--><p class="indent" > La prêtresse était assise à son lit, vêtue d’une longue tunique blanche,
+seule. Elle semblait attendre quelque chose. Sans un bruit, il sauta à
+l’intérieur.
+
+
+<!--l. 208--><p class="indent" > Elle sursauta, et retint un cri.<br
+class="newline" />— N’ayez pas peur, c’est moi, Farl<span class="frenchb-thinspace"> </span>! murmura-t-il.<br
+class="newline" />Elle reprit son souffle en l’observant. Il avait revêtu la tenue gris sombre des
+gens de la nuit, mais elle n’eut aucun mal à reconnaître le jeune homme qui
+accompagnait Irdann.<br
+class="newline" />— Personne ne vous a vu<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />— Non, rassurez-vous.<br
+class="newline" />Elle jeta un regard aux alentours, comme pour vérifier que personne n’avait
+été alerté par son arrivée. Puis elle hocha la tête.<br
+class="newline" />— Alors, qui êtes-vous<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Et qui vous accompagne<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Que prévoyez-vous de
+faire<span class="frenchb-thinspace"> </span>?
+<!--l. 216--><p class="indent" > Il commença ses explications. Samantha l’écouta attentivement, en
+l’interrompant de temps en temps pour poser une question pratique. À la fin,
+elle s’était assise, le regard dans le vide.<br
+class="newline" />— C’est... insensé. J’étais presque résignée à renoncer à un enlèvement
+spectaculaire, et me contenter d’une évasion discrète... Mais tel que vous
+le préparez, c’est possible. Et je vais pouvoir vous aider de mon
+mieux.<br
+class="newline" />Elle rejeta ses cheveux en arrière et se leva.<br
+class="newline" />— Tout d’abord, commença-t-elle, je ne suis pas sûre qu’il soit nécessaire de
+droguer les prêtres. Dans trois jours, c’est l’anniversaire de mon
+intronisation, et le vin coulera à flots. Le soir, tout le personnel sera
+passablement ivre. Par contre, tu peux utiliser un tel statagème pour
+droguer leurs chevaux.<br
+class="newline" />— Les prêtres de Melna ont des chevaux<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Ce n’était pas prévu...<br
+class="newline" />— Oui, et nul doute qu’ils les enfourcheront pour partir à notre poursuite.
+Mais il est relativement simple d’introduire un produit dans leur abreuvoir.
+Tu sauras préparer ce qu’il faut<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />— Je pense, même si je ne connais pas la quantité exacte pour un cheval...
+j’improviserai.<br
+class="newline" />— Très bien.<br
+class="newline" />Elle se mit à marcher dans la chambre, l’air décidé.<br
+class="newline" />— Je vais surtout pouvoir vous aider avec des enchantements. Ça tombe
+bien, lors de ce jour spécial, ils seront plus puissants encore. Le premier
+visera à protéger le barbare des coups blessants. Pour cela, il suffira que je
+
+
+le touche... Cela ne devrait pas poser de problèmes. Un autre servira à
+couvrir notre fuite.<br
+class="newline" />Farl hocha la tête.<br
+class="newline" />— Trois jours, c’est peu mais c’est tout à fait envisageable. Je vous apporte
+la drogue demain, à la même heure. D’autres recommandations<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />Elle réfléchit quelques instants.<br
+class="newline" />— Méfiez-vous de Feyne. C’est mon second, il est très intelligent et assez
+puissant. Vous le reconnaîtrez au pendentif brillant qu’il porte, insigne de
+son rang. D’ailleurs, puisque j’y pense... <br
+class="newline" />Elle se leva et alla chercher, dans une jarre, un sac de toile, de taille
+moyenne, visiblement lourd.<br
+class="newline" />— Je m’étais dit qu’un soldat apprenti-paladin ne roulait pas nécessairement
+sur l’or, alors peut-être que ça amortira vos frais.<br
+class="newline" />Il ouvrit le sac qu’elle lui tendit. Il était rempli de pièces d’or.<br
+class="newline" />— En effet... Pourquoi ne pas nous en avoir parlé plus tôt<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />Elle sourit et lui fit un clin d’œil.<br
+class="newline" />— Je préférais ne pas voir arriver un héros uniquement attiré par l’appât
+du gain.
+<!--l. 237--><p class="indent" > Il lui sourit en retour, prit le sac et sortit silencieusement.
+<!--l. 239--><p class="noindent" ><span
+class="ecti-1095">Samantha</span>
+<!--l. 241--><p class="indent" > Le grand jour était arrivé. La fête était grandiose, le temple rempli de
+chants, de louanges et de victuailles. Elle avait enchanté le public en faisant
+fleurir devant tous l’arbre qui poussait au centre de la grande salle. Le jour
+touchait à sa fin, et les rayons du soleil couchant, entrant par la porte du
+temple, donnaient une teinte orangée, presque enflammée, aux statues qui
+entouraient la pièce.
+<!--l. 243--><p class="indent" > Tout à coup, elle entendit quelques cris de surprise, venus de dehors, et
+le bruit d’un cheval lancé en plein galop. Elle se redressa, et prit le même
+air surpris que ses compagnons. Le bruit de sabots frappant le marbre
+s’approcha, jusqu’à ce qu’à la surprise et la peur générale, un cavalier
+surgisse dans la grande salle.
+<!--l. 245--><p class="indent" > Elle avait beau s’y attendre, il fallait reconnaître qu’il était
+impressionnant. L’homme qui descendit alors de cheval était grand, musclé,
+
+
+vêtu d’un long pagne de cuir et de solides bottes. Quelques bracelets
+rudimentaires en cuivre ornaient ses bras, et il faisait tournoyer dans les airs
+une épée presque aussi grande que lui, comme s’il s’agissait d’une
+brindille.
+<!--l. 247--><p class="indent" > Quelques prêtres, un peu moins abasourdis que les autres, tentèrent de
+s’interposer. Il les envoya bouler d’un coup de poing ou de pommeau
+d’épée, puis courut vers elle. C’était le moment de jouer le grand
+jeu...
+<!--l. 249--><p class="indent" > À l’instant où il allait l’attraper, elle poussa un grand cri de terreur, et fit
+mine de s’évanouir dans ses bras.
+<!--l. 251--><p class="noindent" ><span
+class="ecti-1095">Uhr</span>
+<!--l. 253--><p class="indent" > Au moment où la prêtresse tomba dans ses bras, il sentit immédiatement
+une douce chaleur l’envahir. Comme si le soleil réchauffait sa peau. Il eut
+même l’impression que celle-ci brillait de reflets d’or, mais peut-être était-ce
+une illusion due au crépuscule, et à l’huile qu’il s’était mise sur le
+corps pour paraître plus impressionnant –huile au final bien inutile,
+car la transpiration aurait eu le même effet. La bénédiction de la
+déesse...
+<!--l. 255--><p class="indent" > Il poussa un grand cri de rage, mit la jeune femme sur son épaule,
+enfourcha sa monture, et se rua vers l’entrée de la salle. Les prêtres s’étaient
+ressaisis, plusieurs avaient empoigné une épée et certains semblaient en
+train d’invoquer des enchantements.
+<!--l. 257--><p class="indent" > Les prêtres étaient-ils vraiment ivres, ou étaient-ils si peu doués que
+cela au combat<span class="frenchb-thinspace"> </span>? L’enchantement de protection de la grande prêtresse
+était-il si efficace<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Le sentiment d’être un héros de légende lui donnait-il
+des ailes<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Ou peut-être un peu de tout cela à la fois<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Toujours est-il qu’il
+n’eut aucun mal à parer les coups d’épée et à les rendre. Il mit ainsi hors
+combat sept ou huit hommes, à coups de poings et d’épée, avant d’arriver
+en bas des escaliers.
+<!--l. 259--><p class="indent" > C’est alors qu’il sentit un frémissement, venant de la prêtresse, toujours
+sur son épaule. Elle semblait... chanter. Ou invoquer<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Il ne réfléchit pas
+plus et lança sa monture à toute vitesse dans les rues de la ville, faisant
+
+
+mouliner son épée pour faire dégager, de peur, les quelques passants qui
+risquaient de se mettre sur son chemin.
+<!--l. 261--><p class="indent" > Alors que le soleil était en train de disparaître et que l’obscurité
+tombait sur l’entrée de la ville, un brouillard se leva, aussi soudain que
+dense.<br
+class="newline" />— Voilà. Avec ça, ils vont avoir plus de mal à nous suivre...<br
+class="newline" />Il sursauta presque. La jeune prêtresse s’était redressée, et le regardait en
+souriant.
+<!--l. 265--><p class="noindent" ><span
+class="ecti-1095">Farl</span>
+<!--l. 267--><p class="indent" > Tapis à l’entrée de la forêt, dans une cachette soigneusement aménagée
+par leurs soins, Farl, Silwë et Irdann attendaient l’arrivée d’Uhr. Il vérifia
+une dernière fois ses artifices qui leur permettrait de faire l’« échange »
+efficacement, même si l’arrivée du brouillard divin simplifierait grandement
+ces opérations.
+<!--l. 269--><p class="indent" > Irdann s’était vêtu, comme Uhr, d’un pagne et de bottes, et même s’il
+n’avait pas la carrure du jeune barbare, il était plutôt crédible de loin. Silwë
+avait enfilé une longue robe rouge et or, que lui avait fourni auparavant la
+prêtresse, et qui l’aurait beaucoup mieux mise en valeur si elle avait été à sa
+taille. Tous deux avaient néanmoins gardé leurs épées, et s’apprêtaient à
+enfourcher leur monture.
+<!--l. 271--><p class="indent" > Dans quelques minutes, ils allaient débouler, et il faudrait faire vite. Il
+ajusta le foulard qui couvrait son nez et son visage, et vérifia le tas
+d’herbes exotiques à ses pieds. Des herbes dont la fumée brouillaient les
+sens...
+<!--l. 273--><p class="indent" > Après un petit moment qui lui parut durer une éternité, il entendit enfin
+le grand cri de rage d’Uhr, ainsi que le galop de son cheval. Le signal<span class="frenchb-thinspace"> </span>!
+Rapidement, il mit le feu aux herbes et à l’instant où la monture épuisée
+passa devant lui, il agita un tissu pour diriger la fumée vers l’entrée du
+chemin.
+<!--l. 278--><p class="indent" > Uhr mit rapidement pied à terre, suivi de la prêtresse, et tous deux
+descendirent avec leur cheval dans le fossé, endroit parfait pour être
+invisible depuis le sentier, et surtout, pour masquer les sons. À l’abri derrière
+
+
+le brouillard, la nuit et la fumée des herbes, ils entendirent passer des
+chevaux au galop, sans s’arrêter. Ils poussèrent tous les trois un léger soupir
+de soulagement.<br
+class="newline" />— Vous allez bien<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Vous êtes blessés<span class="frenchb-thinspace"> </span>? murmura Farl.<br
+class="newline" />— Quelques entailles, rien de critique.<br
+class="newline" />— Mais je ne suis pas sûre qu’ils s’en sortent seuls. Même un peu ivres, ils
+sont tout de même six. On devrait peut-être aller les aider...<br
+class="newline" />C’était la voix de la prêtresse. Il soupira et hocha la tête.<br
+class="newline" />— Allez vous mettre à l’abri et vous reposer. Je vais les suivre.
+<!--l. 287--><p class="noindent" ><span
+class="ecti-1095">Irdann</span>
+<!--l. 289--><p class="indent" > La nuit était à peine tombée, mais la forêt était déjà très sombre, sans
+compter le brouillard. Heureusement que Silwë, devant lui, tenait
+les rênes et avait l’air de savoir à peu près où aller... Il tourna la
+tête. Les silhouettes des prêtres à cheval étaient lointaines, mais
+présentes.<br
+class="newline" />— Nous avons une bonne avance, et ils nous suivent. Ils n’ont pas vu le
+changement apparemment. Tout va bien pour le moment.<br
+class="newline" />Irdann savait qu’il disait cela à moitié pour se rassurer lui-même.<br
+class="newline" />— C’est étrange qu’ils n’aient pas encore essayé de nous foudroyer<span class="frenchb-thinspace"> </span>?
+demanda-t-elle.<br
+class="newline" />— Je suppose qu’ils ont peur de blesser leur grande prêtresse. Cela ne veut
+pas dire qu’ils n’essaieront pas plus tard...
+<!--l. 295--><p class="indent" > Ils se turent pendant quelques instants, se concentrant sur la route. Il
+avaient beau être tous deux de bons cavaliers, il n’était pas très confortable
+d’être à deux sur le dos nu d’un cheval. Petit à petit, le brouillard avait
+diminué, peut-être que les prêtres l’avaient fait se dissiper en partie<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Ou
+bien l’enchantement de la prêtresse était-il limité dans l’espace ou
+le temps... Un doute lui parvint, qu’il finit par émettre à hautre
+voix.<br
+class="newline" />— Est-ce que mes oreilles me trompent, ou ils se rapprochent<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />Silwë tourna la tête pour regarder derrière eux. Ce qu’il pouvait lire de son
+visage dans l’obscurité n’était pas particulièrement rassurant.<br
+class="newline" />— J’ai peur que tu aies raison. Il va falloir trouver un autre moyen de les
+semer, notre monture va fatiguer rapidement.<br
+class="newline" />Il hocha la tête. Quelque chose lui revenait à l’esprit.<br
+class="newline" />— Lorsque nous avons traversé une partie de la forêt, tu m’avais montré
+une rivière et un pont un peu vieux...<br
+class="newline" />— Exact. Précise ton idée<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />— Tu penses qu’avec quelques bons coups d’épée dans les cordes et les
+vieux morceaux de bois, il s’effondrerait<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />Son amie resta tournée vers la route quelques instants, sans rien
+dire. Puis brusquement, elle fit tourner à gauche leur monture, si
+bien qu’il dut presque s’accrocher à sa taille pour ne pas tomber. Le
+pauvre cheval tentait désormais de courir de son mieux dans les
+broussailles.<br
+class="newline" />— On va rejoindre le sentier qui mène au pont. Pas d’inquiétude pour la
+vitesse, ils seront aussi ralentis que nous, s’ils nous suivent. Si tu suis le
+sentier après le pont, tu débouches en dehors de la forêt, je ne sais plus
+trop ce qu’il y a mais tu devrais retrouver ton chemin sans trop de
+soucis.<br
+class="newline" />— Hé, tu vas me laisser saboter ce pont et tu seras mieux pour galoper dans
+la nuit<span class="frenchb-thinspace"> </span>!<br
+class="newline" />Elle secoua la tête.<br
+class="newline" />— Tu es meilleur cavalier que moi, Irdann. Je peux voir les cordes à couper
+dans la nuit, et s’il faut se cacher dans la forêt, je me débrouille mieux
+que toi. Ils te trouveraient trop facilement s’ils se mettaient à te
+chercher...<br
+class="newline" />Il soupira. Elle n’avait pas tort. Sauf que...<br
+class="newline" />— Même avec une longue robe rouge et or<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />Elle marqua une pause.<br
+class="newline" />— Effectivement. Tiens-moi ça deux secondes.<br
+class="newline" />Il tendit le bras et saisit les rênes qu’elle lui tendit dans sa main
+gauche, tandis qu’à sa grande surprise, elle ôtait sa robe, qu’elle lui
+tendit.<br
+class="newline" />— Problème réglé. Et en agitant ça vaguement dans la nuit, ils croiront que
+je suis toujours avec toi.<br
+class="newline" />Elle rajusta sa ceinture et son épée par dessus la tunique courte qui lui
+restait.<br
+class="newline" />— Nous revoilà sur le sentier. Le pont est là-bas, tu le vois<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />— Bonne chance...<br
+class="newline" />— Tu en auras besoin aussi<span class="frenchb-thinspace"> </span>!
+<!--l. 319--><p class="indent" > La jeune elfe sauta du cheval et disparut dans un épais buisson.
+<!--l. 321--><p class="noindent" ><span
+class="ecti-1095">Silw</span><span
+class="ecti-1095">ë</span>
+<!--l. 323--><p class="indent" > Elle se rappela à cet instant pourquoi il ne fallait pas sauter d’un
+cheval au galop –même quand ce cheval, épuisé, ne courait plus
+très vite. Avec le peu de vêtements qu’elle portait, elle se retrouvait
+couverte de coupures, de bleus et d’égratignures. Mais rien de grave,
+heureusement.
+<!--l. 325--><p class="indent" > Elle n’avait que peu de temps. Aussi vite qu’elle le put, elle se glissa sous
+le pont et dégaina son épée, tout en essayant désespérément de reprendre
+son souffle. Les cordes qui le tenaient étaient certes vieilles, mais épaisses et
+de bonne qualité. Et en réalité, une épée, même bien affûtée, n’est pas le
+meilleur des outils pour trancher une corde humide sur laquelle a poussé de
+la mousse et du lierre.
+<!--l. 327--><p class="indent" > Le galop des chevaux des prêtres se rappochaient. Elle n’avait pas tout à
+fait terminé...<br
+class="newline" />— Désolée, Irdann, mais il va falloir que tu te débrouilles, murmura-t-elle.
+<!--l. 330--><p class="indent" > Elle prit une grande inspiration et plongea dans l’eau.
+<!--l. 332--><p class="indent" > Le courant aidant, elle refit surface une vingtaine de mètres plus loin, à
+l’abri des joncs. Les deux cavaliers en tête étaient en train de franchir le
+pont quand les cordes usées par les coups d’épées finirent par céder. Dans
+un grand fracas de craquement, de cris et de hennissements, le pont
+s’effondra.
+<!--l. 334--><p class="indent" > Un silence suivit, dans lequel elle commença à s’éloigner doucement et
+silencieusement de la rivière, tout en essayant de limiter le bruit que ses
+vêtements et cheveux faisaient en dégoulinant. Fort heureusement, les
+prêtres semblaient assez occupés à leurs affaires. L’un des cavaliers avait
+réussi à franchir de justesse la rivière. Le second était tombé, avec son
+cheval, dans l’eau, et ses compagnons l’aidaient à en sortir. La rivière ne
+faisait que quelques mètres de large et n’était pas très profonde, mais aucun
+des chevaux épuisés n’avait très envie de se mouiller. Malgré cela, les
+
+
+prêtres tentèrent de faire traverser le cours d’eau à leurs montures, avec
+plus ou moins de succès.<br
+class="newline" />— Prends de l’avance, et essaie de les rattraper<span class="frenchb-thinspace"> </span>! cria l’un d’eux au
+chanceux qui les attendait de l’autre côté.<br
+class="newline" />Le prêtre hocha la tête et se lança à la poursuite d’Irdann.
+<!--l. 339--><p class="noindent" ><span
+class="ecti-1095">Irdann</span>
+<!--l. 341--><p class="indent" > Silwë avait réussi... Il n’avait pas vraiment vu ce qui s’était passé, mais
+il avait entendu le bruit du pont se fracassant, et le son obsédant du galop
+de ses poursuivants avaient cessé. Il avait maintenant mis une distance
+suffisante avec eux. Il soupira, mit sa monture épuisée au pas, et
+l’accompagna, pied à terre. Avaient-ils abandonné pour de bon<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Il valait
+mieux continuer à s’éloigner.
+<!--l. 343--><p class="indent" > Il n’avait pas vraiment regardé où il allait, mais il était peut-être temps.
+Il n’y avait plus de brouillard, et les arbres étaient suffisamment espacés
+maintenant pour qu’il arrive à distinguer son chemin à la lumière de la lune.
+À sa droite, s’élevait une haute falaise, interdisant toute sortie par là, mais
+un vieux sentier la longeait. S’il s’éloignait encore un peu de la rivière, il
+serait enfin invisible, à l’abri...
+<!--l. 345--><p class="indent" > Alors qu’il commençait un peu à se rassurer, le bruit d’un galop tant
+redouté parvint à ses oreilles. Oh non. Ils ne laisseraient donc jamais
+tomber<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Il soupira, se remit en selle –ou plutôt à cru– et repartit, malgré
+les protestations de sa monture. Tournant la tête, il remarqua alors que son
+poursuivant était seul. Pourquoi<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Il n’eut pas le temps de réfléchir à cette
+question qu’il déboucha brusquement dans une clairière à l’extrémité
+de laquelle se trouvait... la falaise. Il pouvait essayer de chercher
+un chemin vers la gauche, mais ne risquait-il pas de tomber encore
+sur un cul-de-sac<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Et son cheval était vraiment épuisé. Il allait
+falloir trouver une autre solution. Une cachette, peut-être<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Ou bien
+escalader la falaise<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Ça allait être compliqué avec un cheval... Il mit
+mied à terre, et, plus par habitude qu’autre chose, dégaina son épée.
+Combattre le prêtre<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Cette idée ne l’enchentait guère, mais avait-il le
+choix<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Son regard tomba alors sur la robe aux bordures d’or de la
+prêtresse, qui se reflétaient dans la lueur de la lune, et resta une seconde
+
+
+figé, réfléchissant. Cela pouvait peut-être marcher... Il tourna la
+tête. Le prêtre n’était pas tout près, son cheval devait être fatigué
+lui aussi. Il avait tout juste le temps. Un sourire se dessina sur son
+visage.
+<!--l. 348--><p class="noindent" ><span
+class="ecti-1095">Silw</span><span
+class="ecti-1095">ë</span>
+<!--l. 350--><p class="indent" > Se cacher dans la forêt était-il un don vraiment spécifique aux elfes
+sylvains<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Les cinq prêtres restants faisaient un tel bruit, en essayant de
+faire traverser leurs montures réticentes, que ce n’était pas bien difficile. Et
+même sans cela, une forêt n’était jamais silencieuse, de jour ou de nuit.
+Ce n’était pas pourtant si compliqué de faire moins de bruit que
+ça...
+<!--l. 352--><p class="noindent" >— Dépêchez vous, il faut aller aider Odal<span class="frenchb-thinspace"> </span>! ordonna l’un d’eux, qui semblait
+visiblement en charge.<br
+class="newline" />— Pas la peine de crier si fort, Feyne. Et je crois que mon cheval
+boîte.<br
+class="newline" />Le dénommé Feyne soupira. Un autre prêtre hocha sa tête encapuchonnée.
+La pauvre bête était celle qui était tombée dans la rivière quand le
+pont s’était effondrée. De plus, elle tremblait encore plus que les
+autres.<br
+class="newline" />— Alors venez m’aider à faire traverser celui-là<span class="frenchb-thinspace"> </span>! Vite<span class="frenchb-thinspace"> </span>!
+<!--l. 357--><p class="indent" > Se cacher était d’autant plus efficace qu’ils ne cherchaient personne en
+particulier. Elle aurait presque pu passer à côté et leur demander l’heure
+qu’ils n’auraient pas fait attention à elle. Elle prit une seconde pour
+imaginer cette scène totalement absurde dans sa tête, et ramena ses
+bras contre son corps. Elle commençait à avoir froid, dans la nuit,
+avec sa tunique trempée collée contre son corps. Elle avait bougé
+pour s’éloigner d’eux, mais ce n’était pas suffisant pour lui tenir
+chaud...
+<!--l. 359--><p class="noindent" >— Là bas, on dirait qu’il est de retour<span class="frenchb-thinspace"> </span>!<br
+class="newline" />Un prêtre montrait du doigt la silhouette d’Odal, qui revenait au galop en
+leur faisant un geste. Arrivé à une dizaine de mètres de ses compagnons,
+celui-ci désigna du doigt la direction d’où il revenait.<br
+class="newline" />— Ils se sont arrêtés dans une clairière, au pied de la falaise. La prêtresse
+
+
+est seule, je pense qu’il y a un piège...<br
+class="newline" />Silwë fronça les sourcils. Cette voix sonnait étrange à ses oreilles. Et elle
+n’était pas la seule à réagir comme ça. Brusquement, Feyne murmura
+quelques mots et tendit un bras vers lui.
+<!--l. 364--><p class="indent" > Un éclair bleu d’une lueur aveuglante jaillit du ciel sombre, et se
+dirigea droit vers Odal. Elle plaqua ses mains sur sa bouche pour
+ne pas crier, et manqua de tomber de sa branche. Juste au dessus
+de l’homme, l’éclair se sépara en deux, puis en quatre, et ainsi de
+suite, et finit par contourner entièrement le prêtre et sa monture,
+comme si une sphère invisible l’avait protégé. Il lui sembla que même
+les insectes et animaux se turent pendant les quelques instants qui
+suivirent.
+<!--l. 366--><p class="noindent" >— Mais tu es fou, pourquoi tu as cherché à le foudroyer<span class="frenchb-thinspace"> </span>? questionna un
+des prêtres à côté de Feyne.<br
+class="newline" />Celui-ci haussa les épaules.<br
+class="newline" />— J’ai eu un doute... De toutes façons, il est immunisé, non<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Allez, en
+route.<br
+class="newline" />— Mais nous sommes deux à n’avoir pas pu faire traverser nos montures<span class="frenchb-thinspace"> </span>!<br
+class="newline" />— Alors restez ici et soyez sur vos gardes<span class="frenchb-thinspace"> </span>!
+<!--l. 372--><p class="indent" > Feyne et les deux autres qui avaient traversé enfourchèrent leurs chevaux
+et se lancèrent à la suite dudit Odal. Silwë, toujours sur son arbre, les
+regarda s’éloigner en réfléchissant. Il avait eu un doute sur son identité, au
+point de tenter de le foudroyer... Puis elle reconcentra son attention sur les
+deux prêtres restants, qui discutaient tout en attachant leurs chevaux à une
+branche voisine.<br
+class="newline" />— Il est fou, Feyne, ou quoi<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />— Bah, il a cru que c’était quelqu’un d’autre. Il a trop bu je te
+dis.<br
+class="newline" />— Parle pour toi, tu empestes le vin<span class="frenchb-thinspace"> </span>!<br
+class="newline" />Le prêtre haussa les épaules.<br
+class="newline" />— Toi aussi. Tiens, tu n’aurais pas une lampe<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Il fait de plus en plus
+sombre, je n’aime pas ça...<br
+class="newline" />L’autre fouilla ses poches.<br
+class="newline" />— Non, par contre j’ai des allumettes. On peut allumer un petit
+
+
+feu.
+<!--l. 382--><p class="indent" > Une petite flamme à la lueur aveuglante apparut bientôt au pied du
+pont. <br
+class="newline" />— Au moins, on voit quelque chose, maintenant<span class="frenchb-thinspace"> </span>! dit l’un des prêtres avec
+un sourire satisfait.<br
+class="newline" />Silwë serra les dents. Non seulement, avec cette lumière, elle perdait son
+avantage, mais en plus à cause du contraste, elle distinguait moins
+bien les ombres alentours. Et en plus, ce petit feu, qui avait l’air de
+l’appeler de sa chaleur douce, lui rappelait encore à quel point elle avait
+froid.<br
+class="newline" />— Et si quelqu’un arrive, nous le verrons arriver de loin, renchérit
+l’autre.<br
+class="newline" />— Tu crois qu’on craint quelque chose<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />Le prêtre haussa les épaules, et se leva, droit dans la direction de Silwë.
+Celle-ci sentit son sang se glacer autant que ses doigts. Il ne pouvait tout de
+même pas l’avoir vue, si<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Elle serra dans sa main la poignée de son épée.
+S’il fallait en venir là...
+<!--l. 389--><p class="indent" > L’homme s’approcha de l’arbre dans lequel elle se tenait, sans lui jeter le
+moindre regard. Il releva sa robe et se soulagea contre le tronc. Elle
+laissa échapper un léger soupir de soulagement. Il revint ensuite vers
+son compagnon. Celui-ci s’était assis et observait les environs, peu
+rassuré.<br
+class="newline" />— Tu crains vraiment que quelqu’un n’arrive<span class="frenchb-thinspace"> </span>? lui demanda-t-il..<br
+class="newline" />— Bah, si le barbare n’est plus dans la clairière... Tu ne veux pas aller jeter
+un œil aux alentours<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />— Je suis peut-être assez sobre pour invoquer un enchantement de
+détection, si ça peut te rassurer...
+<!--l. 394--><p class="indent" > Un enchantement de détection... Voilà autre chose. Ces enchantements
+marchaient-ils même quand le prêtre était un peu ivre<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Détectaient-ils les
+elfes<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Elle avala sa salive. Si oui, leur permettrait-ils de la localiser
+précisément<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Quelle serait leur réaction s’ils tombaient sur une elfe
+trempée et peu vêtue<span class="frenchb-thinspace"> </span>?
+<!--l. 396--><p class="noindent" ><span
+class="ecti-1095">Farl</span>
+
+
+<!--l. 398--><p class="indent" > Les suivre, les suivre... Plus facile à dire qu’à faire. Heureusement, même
+s’il ne voyait pas très bien, le bruit que faisaient les prêtres à cheval
+était facile à suivre. Il allait à pied, à moitié en courant, à moitié en
+marchant, une monture aurait été bien évidemment hors de question. Les
+prêtres n’avaient visiblement pas abandonné, il les entendait galoper
+encore. Ivres, certes, mais c’est peut-être justement ça qui les avait fait
+se lancer dans une poursuite en pleine nuit. À ce rythme, il ne les
+rattraperait jamais, même en prenant des raccourcis à travers les
+broussailles...
+<!--l. 400--><p class="indent" > Soudain, il entendit un grand fracas et des cris. Que se passait-il<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Il ne
+pouvait s’empêcher de trembler pour Silwë et Irdann. Surtout Silwë, petite
+et frêle... Il interrompit aussitôt ses pensées. Elle avait une épée, comme
+Irdann, et les rares fois où il l’avait vue s’entraîner avec ses compagnons,
+elle savait très bien s’en servir. À mesure qu’il se rapprochait, il lui sembla
+que le bruit ne s’éloignait plus. Était-ce bon ou mauvais signe<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Il n’était
+plus très loin lorsqu’il aperçut l’éclair illuminer le ciel d’une lueur
+bleutée. Il frissonna. Ce n’était clairement pas bon signe. Il se mit à
+courir.
+<!--l. 402--><p class="indent" > Une lueur était apparue, au loin. Il s’approcha avec précautions. C’était
+un feu, et deux prêtres s’y affairaient. Leurs chevaux étaient attachés un
+peu plus loin. Derrière eux se trouvait le pont sur la rivière, ou plutôt ce
+qu’il en restait. Que s’était-il passé<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Et où étaient les autres prêtres, et ses
+compagnons<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Il s’approcha encore, en essayant de ne pas faire de
+bruit.
+<!--l. 404--><p class="indent" > Les prêtres n’avaient pas l’air particulièrement rassurés. L’un d’eux
+s’était mis à genoux, et semblait prier. Il avança lentement, avec
+précautions. En ville, c’était différent. Il n’y avait pas des branches et
+feuilles par terre pour trahir ses pas, et puis l’invisibilité dans une cité
+consistait, la plupart du temps, à être juste assez visible et audible pour que
+personne n’ait envie de faire attention à lui.
+<!--l. 406--><p class="indent" > Soudain, le prêtre à genoux se redressa brusquement, dégainant son
+épée de sa ceinture, paniqué.<br
+class="newline" />— Quatre hommes<span class="frenchb-thinspace"> </span>!<br
+class="newline" />— Quoi, sursauta l’autre. Il y a quatre hommes autour de nous<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />Farl se figea. Quatre hommes<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Comment avait-il vu les yeux fermés<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Et
+où<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />— Euh non, quatre en nous comptant. Cela veut dire qu’il y en a deux qui
+nous menaçent<span class="frenchb-thinspace"> </span>!<br
+class="newline" />— Tu es sûr de toi<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Tu as bu. Si ça se trouve, tu as juste senti la présence
+des chevaux.<br
+class="newline" />Il haussa les épaules, hésitant.<br
+class="newline" />— Je ne pense pas... Je n’ai jamais entendu dire que cet enchantement
+pouvait faire ça...
+<!--l. 415--><p class="indent" > Un enchantement... Et deux hommes présents... Sauf si l’ivresse le faisait
+« sentir » double, c’est qu’il y avait quelqu’un d’autre. Où<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Et qui<span class="frenchb-thinspace"> </span>? En
+tous cas, à la réaction des prêtres, ce n’était pas un de leurs amis... Reste à
+savoir si c’était un des siens.
+<!--l. 417--><p class="indent" > Le petit feu de camp apportait un éclairage raisonnable, mais laissait
+tout de même des zones d’ombre. Il sortit de sa tunique deux dards de
+lancer, imprégnés d’un somnifère très puissant, et s’approcha encore. À
+cette distance, il devrait pouvoir les toucher... s’avancer plus le ferait repérer
+de toutes façons. Il prit une grande inspiration et lança les deux projectiles
+aussi vite et précisément que possible.
+<!--l. 419--><p class="indent" > En l’espace de quelques secondes, les deux hommes s’étaient effondrés. Il
+poussa un soupir de soulagement, et s’avança dans la lumière pour
+récupérer ses armes. Personne aux alentours, parfait. Soudain, il entendit un
+bruit dans son dos.
+<!--l. 421--><p class="indent" > C’était Silwë. Elle n’avait plus la robe rouge, mais une simple tunique
+courte beige, sans manches, trempée comme ses cheveux. Des éraflures
+couvraient son épaule et son bras droit.
+<!--l. 423--><p class="noindent" ><span
+class="ecti-1095">Silw</span><span
+class="ecti-1095">ë</span>
+<!--l. 425--><p class="indent" > Farl s’était retourné brusquement, et elle ne put s’empêcher de noter
+avec un léger frisson qu’il tenait dans ses mains deux couteaux à la lame
+noire, qui étaient apparus encore plus vite qu’il n’avait bougé. Il resta figé
+quelques instants, immobile, à la fixer.<br
+class="newline" />— C’est moi...<br
+class="newline" />Le son de sa voix sembla le réveiller. Il se redressa et désigna le feu et ce qui
+
+
+restait du pont.<br
+class="newline" />— Qu’est-ce qui s’est passé<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Pourquoi es-tu trempée et...<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />— J’ai saboté le pont pour donner de l’avance à Irdann, coupa-t-elle. Je suis
+restée cachée ici. Quelques prêtres ont malgré tout traversé, il a peut-être
+besoin d’aide... Elle fit une pause, puis désigna les deux hommes
+endormis.<br
+class="newline" />— Merci, au fait.<br
+class="newline" />Il esquissa un léger sourire, puis se figea en même temps qu’elle. Des
+bruits de sabot... Ils échangèrent un regard, et sans avoir besoin
+de se concerter, se jetèrent hors du sentier et s’aplatirent dans un
+buisson.
+<!--l. 434--><p class="indent" > Les mystérieux sabots passèrent du galop au trot, puis au pas, et
+s’arrêtèrent à une quinzaine de mètres du pont. Le bruit d’un cavalier
+mettant pied à terre se fit entendre. Qui était-ce<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Elle se redressa
+doucement, fit signe à Farl de ne pas bouger, et s’approcha.
+<!--l. 436--><p class="indent" > C’était un prêtre, qui s’avançait prudemment, en regardant aux
+alentours, l’épée dégainée. Sa capuche était tombée, et elle le reconnut
+immédiatement.
+<!--l. 438--><p class="noindent" ><span
+class="ecti-1095">Irdann</span>
+<!--l. 440--><p class="noindent" >— Irdann<span class="frenchb-thinspace"> </span>!<br
+class="newline" />C’était la voix de Silwë. Soulagé, il la vit émerger des sous-bois, suivie
+bientôt de Farl. Il poussa un soupir de soulagement.<br
+class="newline" />— La déesse soit louée, vous êtes tous les deux vivants<span class="frenchb-thinspace"> </span>!<br
+class="newline" />— Qu’est-ce que tu fais là<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Habillé en prêtre<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Qu’est-ce qui s’est passé
+là-bas<span class="frenchb-thinspace"> </span>? demanda-t-elle.<br
+class="newline" />— Je vous expliquerai plus tard. C’est le moment de s’éclipser, ils ne vont
+pas tarder à revenir.<br
+class="newline" />Ils s’éloignèrent rapidement, en courant, se relayant sur le cheval.
+<!--l. 447--><p class="indent" > Une demi-heure de marche et de course plus tard, ils retrouvèrent
+Uhr et la prêtresse. Ils avaient préparé les autres chevaux, rangé
+soigneusement le camp et effacé au mieux leurs traces. Leur visage marqua
+une certaine surprise en apercevant les tenues de Silwë et Irdann,
+mais attendirent qu’ils soient tous les cinq à cheval pour poser leurs
+
+
+questions.
+<!--l. 449--><p class="indent" > Il leur raconta alors qu’une fois au pied de la falaise, il avait laissé la
+robe de la prêtresse attachée à une branche, et lorsque le prêtre s’était
+avancé pour regarder ce qui se passait, il l’avait assommé et pris sa
+tunique. Dans le noir, avec la capuche, les prêtres n’avaient pas fait
+attention...<br
+class="newline" />— L’un d’eux, si. Il a même essayé de te foudroyer, interrompit
+Silwë.<br
+class="newline" />— Oui. Heureusement, le fait d’avoir échoué l’a suffisamment convaincu...<br
+class="newline" />— Et que s’est-il passé ensuite<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />— Je les ai laissés me distancer, prétextant que mon cheval était épuisé, ce
+qui n’était pas tout à fait faux. Je me suis éloigné le plus possible
+d’eux, et après être sûr qu’ils ne m’avaient pas suivi, j’ai fait le tour
+pour aller voir ce que tu devenais... Les deux autres prêtres, ils sont
+morts<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />— Non, je suis arrivé à ce moment là, et je les ai endormis, précisa
+Farl.<br
+class="newline" />— Et qu’est-ce que les prêtres ont trouvé, dans la fameuse clairière<span class="frenchb-thinspace"> </span>?
+demanda Uhr.<br
+class="newline" />Irdann sourit.<br
+class="newline" />— Oh, leur compagnon, assommé et avec la robe rouge et or sur la
+tête...<br
+class="newline" />Ses compagnons sourirent à leur tour.
+<!--l. 460--><p class="noindent" ><span
+class="ecti-1095">Samantha</span>
+<!--l. 462--><p class="indent" > Elle avait un peu de mal à réaliser tout ce qui s’était passé ce
+soir. Mais elle était libre, et ils étaient tous les cinq en route. Après
+quelques heures de route, ils s’arrêtèrent enfin et s’installèrent dans une
+maison isolée et en ruines, qu’ils avaient apparemment repérée à
+l’aller.
+<!--l. 464--><p class="indent" > Quels étaient leurs noms, déjà<span class="frenchb-thinspace"> </span>? Il y avait Uhr, le « barbare ». Sans
+son pagne, il avait l’air beaucoup moins brutal, même si sa silhouette restait
+impressionnante. Il y avait bien sûr le jeune apprenti paladin, qui avait
+lui aussi revêtu des vêtements plus discrets que ceux du prêtre,
+
+
+qui s’occupait pour le moment des chevaux épuisés. Il y avait la
+jeune elfe, Silwë. Pour le moment, elle se réchauffait de son bain
+forcé, enveloppée dans une couverture. Et le dernier de ces quatre
+compagnons insolites, Farl. Celui qui semblait être une sorte de voleur ou
+d’espion, était occupé à nettoyer les multiples coupures qu’avait subi la
+jeune femme en sautant de sa monture, avec une certaine délicatesse,
+nota-t-elle.
+<!--l. 466--><p class="noindent" >— Je pense que le mieux est de dormir un peu, à présent. Nous sommes
+assez loin de Touryre, non<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />Irdann était revenu s’asseoir près des autres, et avait pris une couverture.
+Uhr hocha la tête.<br
+class="newline" />— J’espère. Qu’en pensez-vous Samantha<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />— Je n’ai pas regardé, mais il me semble que nous avons parcouru une
+bonne distance. Que comptez-vous faire à présent<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />— Cela ne dépend pas que de moi, répondit Uhr. Que voulez-vous faire,
+vous<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />Elle haussa les épaules. Elle avait certes un peu réfléchi à la question,
+mais ne se faisait pas tant d’illusions que cela sur la réussite de son
+enlèvement.<br
+class="newline" />— J’espérais me cacher quelque part pendant un moment, je pense que la
+capitale est un bon endroit pour être discret, non<span class="frenchb-thinspace"> </span>?<br
+class="newline" />Uhr sourit.<br
+class="newline" />— Je peux vous confirmer que c’est effectivement le meilleur endroit pour se
+faire oublier et commencer une nouvelle vie.
+<!--l. 476--><p class="indent" > Elle le regarda quelques instants, incrédule. Il poursuivit.<br
+class="newline" />— Je suis né dans les plaines barbares, et je vis à Talecombe depuis de
+nombreuses années. Je suis à la garde de la ville, tout comme Irdann et
+Silwë...
+<!--l. 479--><p class="indent" > Elle les écouta, tour à tour, raconter leurs passés aussi étonnants que
+variés. Uhr, effectivement ancien barbare aux mille petits boulots<span class="frenchb-thinspace"> </span>; Irdann
+le fils du duc, apprenti paladin<span class="frenchb-thinspace"> </span>; Silwë, future soldat d’élite elfe, tous les
+trois apprentis d’un maître épéiste renommé, maître Ernest. Et Farl,
+enfant de la rue, devenu assassin puis ménestrel.
+<!--l. 481--><p class="indent" > Tout en s’enroulant dans sa couverture, elle se demandait ce qu’il allait
+
+
+advenir de ces quatre étrange personnages... Quelque chose lui disait qu’elle
+n’était pas au bout de ses surprises.